ootd - Les jours s’écoulaient différemment aujourd’hui. Lorsqu’il se levait le matin, il avait l’impression de se sentir plus léger et il observait le visage endormi de Haryu. Le calme n’était pourtant pas totalement parvenu jusqu’à eux et il était effrayé des prochains jours à venir. Il avait commencé à travailler dans cette agence, enfin, travailler n’était pas le terme exact. Il débutait et il était trainee, il avait des cours qui commençaient très tôt le matin et finissaient tard le soir. Il avait eu du mal à prendre le pli mais, passionné qu’il était, cela ne l’avait pas dérangé. Il côtoyait de nouvelles personnes, il se remontrait discret, renfermé et acquiesçait avec une timidité surprenante qu’il ne s’était plus cru possédé. Pris dans cet étau frénétique, il en oubliait de temps en temps de se reposer et de manger et la fatigue l’avait rattrapé comme ses émotions à double sens. Il n’avait rien dit à Haryu, à cet instant passé enfermé dans la salle de bain durant la nuit, cependant, son petit-ami ne discutait pas plus de ses problèmes.
Il voyait que ça ne s’arrangeait pas. Haryu se plongeait dans un silence mutin et il percevait sa douleur au travers de ses prunelles. Il s’inquiétait, il tendait la main vers lui sans être capable de l’atteindre. Comment serait-il en mesure de l’aider ? Ils se voyaient moins en ce moment et il avait peur, Shо̄ta, du jour où il ne serait plus trainee et qu’on ne lui impose de vivre en dortoir. Haryu lui paraissait déjà loin, il ne désirait pas rajouter de distance qui puisse affecter leur relation. Ils avaient eu du mal à se trouver, il ne le lâcherait pas. Il insisterait et ce fut ce qui le poussa ce matin à l’intercepter avant qu’il ne parte à l’université malgré sa situation inadéquate. Il ne travaillait pas aujourd’hui, il en avait l’opportunité.

« Haryu, dit-il en le regardant mettre ses chaussures, Tu sais, je m’inquiète pour toi. »

Dans ses iris agitées, il irait à contrecourant et serait prêt à s’écorcher plus que de connivence à cet amour délibérément désordonné.

« Tu ne crois pas que tu devrais aller voir ton médecin pour ton oreille ?, osa-t-il sur un ton tremblant, Ça… Ça ne va pas mieux, hein ? Je le vois. »

C’était bientôt son anniversaire, il n’avait pas envie qu’il ne le passe en étant mal. Haryu subissait sa santé psychologique défaillante, en plus de son oreille gauche défectueuse. Il l’allégerait de tous les poids dont il puisse en être quand les siens étaient difficile à rendre moins lourds à porter. Il n’irait pas agir comme lui, il ne contacterait pas son médecin car il partait du principe qu’il n’avait pas à le forcer, bien que son petit-ami ne l’ait obligé à rien à cette audition. Il aurait pu lui montrer par la force des choses qu’il lui avait pris un rendez-vous, néanmoins, il n’était pas certain qu’il l’aurait pris de la même manière que lui avait réagi avec son audition. Haryu restait différent de lui et il déglutit péniblement. En fait, je réalise que je ne sais rien de ta souffrance.

"You always say "I'm okay" but I can see everything
How your heart sobs when you're alone"

@na haryu

ootd. Il ne l’entend pas.
Il ne l’entend plus.
Assis là, à la limite de la plage, il a beau se concentrer tout son soûl, il ne l’entend plus ; le bruit de la mer. Pris d’un vertige durant sa course, il a dû se stopper, reprendre son souffle. Découvrir cet état qui lui donne simplement envie de vomir. Il a essayé de manipuler son appareil auditif, de le sortir, de le remettre, de jurer (qui sait, ç’aurait pu y changer), mais rien n’y a fait. Abasourdi, Haryu s’est laissé tomber sur un banc, la tête entre les mains pour ne pas hurler. Ne savait-il pas depuis toutes ces années que cela finirait par arriver ? Il a l’impression d’être pris à l’intérieur d’un étau, il se dit que son oreille va se déboucher dès qu’il se remettra debout ; mais rien ne se passe quand il reprend, hagard, le chemin de l’appartement.
Il n’entend plus le bruit des vagues, alors pourquoi entend-t-il encore celui de la déflagration ?

Fantôme qui se perd dans la salle de bain pour se laver de gestes machinaux. Haryu est là sans être là. Boulette miaule de l’autre côté du rideau mais il n’y prête pas attention – à dire vrai, il ne l’entend pas non plus. Il l’a remarqué, au fil des derniers mois, que cette ouïe déjà fragilisée s’évadait petit à petit. Il sursautait plus, il paraissait davantage dans la lune, il commençait à manquer ses cibles, à perdre l’équilibre. Haryu s’est voilé la face, prétextant à qui mieux mieux que tout allait bien quand quelques grimaces tordaient son visage. S’agripper ici, se maintenir là ; il est effrayé à l’idée d’avoir tout à recommencer une nouvelle fois. Haryu ne veut pas retourner à l’hôpital, il ne veut pas être différent de tous les autres, il ne veut pas arrêter le tir à l’arc. Comment faire ?

Il ne prend pas la peine de déjeuner, se retourne seulement quand Shôta lui parle un peu plus fort. Sa main se resserre sur la bretelle de son sac posé sur son épaule. Il pince les lèvres, tourne la tête et se baisse pour faire les lacets de ses baskets. — ça ne servirait à rien. Les mots résonnent avec rudesse dans la petite entrée du logement. Haryu entend les inquiétudes de son petit ami mais il les freine depuis tout ce temps. Il est conscient de l’aide et de la bienveillance que Shôta désire lui apporter, mais il n’est pas prêt pour tout ça. Il finit par se redresser et se tourner vers le jeune homme. Il sera aisé pour lui de remarquer qu’Haryu, les cheveux encore un peu humides, n’a pas replacé son appareil auditif. — Qu’est-ce que tu veux que je te dise, Shôta ? Qu’est-ce que tu veux entendre de moi ? Qu’en allant courir ce matin j’ai failli tomber ? Il s’agace, soupire et tourne la tête. Il se comporte comme un égoïste mais tant pis. Tant pis. Sa peur gangrène à l’intérieur de lui et, d’une voix mal assurée, il déclare ceci : — Je ne les entends plus, Shôta… les vagues.

Le son clair des vagues qui se brisent sur les rochers. Les cris des mouettes qui s’élèvent dans le ciel. A gauche, il n’y a plus qu’un silence infini qui le désarme tout à fait. Aucun médecin ne peut remédier à ça.

@Noh Shōta

ootd - Il s’en doutait. Il s’en doutait depuis longtemps. Il l’avait vu revenir de son jogging moins sûr, ailleurs, et plus déstabilisé de ce que ces changements apportaient. Il sentit la tristesse l’envahir bien qu’en connaissance de cause et il eut envie de pleurer pour lui. Parce que tu ne le feras pas, n’est-ce pas ? Et malgré tout, il n’avait toujours pas appuyé sur la barre de recherche avec son prénom inscrit dedans. Il estimait que c’était à lui d’en parler, de lui apprendre ce qui était véritablement arrivé parce qu’il ne s’agissait pas que d’un accident. Ça lui avait ravagé la vie et aujourd’hui plus qu’hier il voyait qu’il aurait aimé être autre part ce jour où tout avait pu arriver. Et sa vue se troubla l’espace d’une seconde de ce que ce monde leur apportait. Un soufflement avant la détonation peu commune. Ça ne s’arrangerait pas et ce qu’il ne leur restait plus qu’à faire était de vivre avec. Sauf que Haryu n’y était pas préparé, même après toutes ces années et il le comprenait.
Il avait été moins présent, il n’avait fait que voir et entendre ce qu’on avait pu lui raconter. Est-ce que Haryu va bien ? Il s’en était étonné au début. Il avait été si ancré dans ses problèmes et cette nouvelle ligne d’horizon qui se dessinait à son avenir qu’il ne s’était que peu soucié de sa maladresse. Gaucherie, pourtant, non singulière, et qu’il n’était pas aisé de faire passer ça pour quelque chose de normal. Personne n’avait rien vu. Si. On le connaissait, on savait simplement comment il allait réagir parce que tout le monde était effrayé de devenir différent. Ne plus rentrer dans la case approprié alors que c’était complètement stupide. Ils n’y rentraient déjà pas d’après les moeurs, ils étaient tous les deux des hommes et ils sortaient ensemble. Ça n’avait aucun sens !

« Ne fais pas comme si je ne le savais pas, lui répondit-il à son tour durement, Et c’est plus facile peut-être de faire semblant ? »

Il s’approcha, se retint de faire la moindre remarque vis-à-vis du fait qu’il n’ait pas remis son appareil auditif. Il glissa ses doigts jusqu’aux siens, espéra l’atteindre. Dans cette relation, il n’était pas question que de lui, il n’y avait pas que son bonheur à faire.

« Tu sais très bien que tu ne peux pas continuer comme ça et que ce sont les professionnels qui sauront le mieux t’aider, dit-il d’une petite voix, S’il-te-plait, vas voir le médecin. »

Fais-le pour moi. Il s’abstint de lui communiquer ces mots. Il fixa ses doigts dans les siens avant de relever le regard vers le sien. Il la voyait sa douleur et il se sentait impuissant. Il n’avait pas les armes parce qu’il ne connaissait pas la cause réelle de tous ses maux et qu’au fond, ça le prenait aux tripes. Il avait peur, Shо̄ta, il tremblait de savoir qu’il ne serait jamais assez fort pour lui car c’était hors du commun. Ça ne devrait pas exister que leur univers puisse n’être qu’un chaos sans nom.

@na haryu

ootd. Il est effrayé, Haryu. Il est terrorisé que cette journée soit venue. Parce que depuis le début, depuis qu’il a été déclaré malentendant, on lui a toujours dit que ça pourrait finir autrement. Les médecins ont affirmé qu’il avait eu de la chance, mais qu’est-ce que cela signifiait tout à fait ? Vivre avec cette échéance dont on ignore tout… Aujourd’hui, les années ont passé, près de dix, et en se rendant à son endroit préféré, il a failli tomber ; se blesser d’une autre manière. Son oreille ne bourdonne même pas, son oreille ne grésille même plus. Son ouïe s’est faite emporter comme la marée prend les graviers. Ce jour est arrivé et il aurait voulu, Haryu, y être mieux préparé. Peut-être aurait-il pu cacher tout ça ; ne jamais avouer qu’il était différent des autres.

Shôta le confronte aussitôt face à ses démons, lui envoie des mots qu’il n’entend qu’à la force de sa concentration. La journée de cours va être terrible et éprouvante. Ses phalanges se sont resserrées sur les lanières de son sac à dos pour ne pas trembler. — Oui, c’est plus facile. Il l’avoue d’une voix qu’il ne reconnaît pas. Lente et absente. Un constat qui ne lui permet pas d’aller de l’avant quand il sent l’étreinte des doigts de Shôta sur les siens. Il laisse ses prunelles naviguer de leurs mains au visage de son petit ami et il croit qu’il ne sera pas comme tous les autres. Il croit sincèrement que Shôta le prendra dans ses bras et lui dira que ira bien ; ce qu’il ne fait pas. Haryu pince les lèvres et s’agace, sent toutes ses émotions en ébullition qui n’ont qu’une envie : s’échapper et exploser. Qu’importe qu’il s’agisse de cette personne à laquelle il tient plus que de raison depuis plusieurs mois à présent. — Arrête de dire ça ! Arrête de me dire quoi faire ! Qu’est-ce que tu crois qu’ils vont faire de plus, les médecins ? Ils vont encore me dire que j’ai eu de la chance d’entendre durant toutes ces années. Ils vont encore déclarer que j’ai eu droit à un sursis que peu de malentendants ont ! Et alors ?! Je m’en moque, de tout ça. Je n’irais pas.

Il s’emporte, a l’impression d’avoir contenu tout ça en lui depuis tant de temps. Haryu ne s’est jamais autorisé à pleurer. Il ne s’est jamais autorisé à hurler. Il ne s’est jamais autorisé à maudire toutes ces personnes, à se maudire lui-même. A la place, il a emmagasiné cette douleur, cette souffrance, souriant pour son père, souriant pour sa mère, souriant pour que personne, jamais, ne s’apitoie sur ce qui lui est arrivé. A quoi bon quand tous les discours ont été cette foutue chance ? Haryu ne l’a jamais vue. Il a dû tout réapprendre, encore et encore. Et encore aujourd’hui. Il tangue en esquissant un pas, se retient au mur sur lequel il abat son poing – impuissant. — Qu’est-ce que tu veux de plus, Shôta ? Tu n’as plus besoin de moi maintenant que tu vas devenir quelqu’un. Ne t'encombre pas de moi, tu mérites de t'élever. Il en devient mauvais, ne se contrôle plus et ne s’en veut même pas de prononcer ces mots qui heurtent avec certitudes la douceur de son petit ami. Haryu n’est qu’une coquille qui se vide à mesure que les secondes s’écoulent et qu’il laisse la faiblesse de sa condition l’envahir.

Je suis désolé de n’être qu’un idiot imparfait ; incomplet.
Je suis navré de te blâmer quand tu es l’unique à essayer de me sauver de moi-même.

@Noh Shōta

ootd - Il espérait qu’il ne l’écoute et qu’il n’accepte d’aller voir un professionnel. Il souhaitait qu’il ne puisse l’entendre même de son unique oreille fonctionnelle et qu’il ne se buterait comme il avait pu le faire, lui, durant tant d’années. Il attendit, silence pesant, prenant et il ne prit pas la peine d’essayer de calmer les tremblements qui lui parvenaient le long de ses membres. Il l’aimait, il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour l’aider comme le jour où Haryu était tombé sur lui et avait décidé de le ramener chez lui. Malgré ses maigres revenus, sa condition d’étudiant et de malentendant de son autre oreille, il l’avait accueilli à son appartement et avait entendu que les autres ne puissent accepter. Alors il ne le lâcherait pas, désormais qu’il l’avait trouvé et il insisterait s’il le faudrait. Haryu était fragile comme lui, certes, ce ne serait pas une solution que de prendre des pincettes à son égard. Après tout, il n’en prit pas avec lui à cet instant et il n’eut pas l’air de regretter ces mots qui touchèrent en plein coeur l’âme instable de Shо̄ta.
Il lâcha ses doigts. Il laissa la tristesse prendre part dans tout son corps, sur son visage crispé par la douleur et la colère. Il s’insurgeait à l’intérieur de lui-même que son petit-ami ne puisse penser ça. Quelque chose se brisa malgré lui, une déchirure évidente qui le confronta à la réalité parce que, au fond, Haryu n’avait pas tout à fait tort. Les médecins ne feront qu’appuyer là où cela faisait mal, il venait de le faire et eux seront plus brutes. Moins maladroits, plus directs. Était-ce une raison pour qu’il ne s’attaque à lui quand il essayait de l’aider ? Il vit son poing s’abattre sur le mur, plongea dans ses souvenirs de ce soir où lui-même avait abattu de ses mains des personnes qui n’avaient rien demandé eux-mêmes. Il n’allait pas y arriver. Si, il le faut. Il serra fort ses poings et finit par le pousser de ses mains. Je me fiche que tu ne tombes. Ou pas.

« Tu dois avoir raison, articula-t-il avec difficulté, Je n’ai pas besoin d’un incapable. »

Et lui aussi prononça des mots mauvais mais que lui ne pensa pas. Au contraire, ne s’était-il pas inspiré de lui jusqu’à aujourd’hui ? Toujours chaussé, il n’eut qu’à se saisir de son sac trainant dans l’entrée et il s’enfuit à toutes jambes en claquant la porte derrière lui. Il trouva refuge chez cet ami qui avait su le retrouver après sa crise, il l’attendit assis en tailleur près de sa porte. À ruminer, à pleurer. Et au petit matin le jour suivant, il sut qu’il allait devoir trouver plus de courage pour y faire face en ne voyant aucun message sur son écran de téléphone portable.
Il attendit, il se rendit à ses cours et il s’y laissa aller. Il oublia dans le travail, il se laissa réconforter par son entourage et il espéra sans que ce ne soit le cas. Alors il chercha. Tant pis. Il écrivit son prénom dans la barre de recherches et il appuya. Il resta de longues heures à fixer les lettres écrites en gros caractères sur l’un des sites d’un journal connu de la ville à ce que ses perles d’eau salées ne puissent s’envoler avec elles. Elles ne partiront pas, aucune des deux, et son coeur d’être plus meurtri par l’indécence de leur univers. Il partit courir tard dans la nuit, il prit place dans l’obscurité et il hurla dans un endroit où il ne dérangerait personne. J’aurais aimé, papa, maman, que vous ne soyez juges de vous-mêmes et que vous preniez conscience de vos comportements injustes envers un fils qui n’a demandé qu’à vivre convenablement. Il tapa dans un mur avec son pied, grimaça, recommença avec ses mains parce qu’il comprenait qu’il serait incapable de partager les maux qui l’étreignaient. Il ne pourrait qu’à peine les apaiser, il ne serait qu’un léger pansement. Je n’ai plus peur d’avoir mal si ça te permet à toi d’avoir moins mal.
Et ce fut le surlendemain qu’il partit le retrouver. Il avait mis toute une journée à chercher aux bibliothèques le journal respectif à cette funeste date car il s’était dit qu’il s’avérerait plus crédible en venant le voir avec ce journal qu’avec un bout de papier imprimé. Haryu devait être à la bibliothèque à cette heure-ci et il sut le repérer de loin avec ses cheveux couleur violette.

« Et tu comptes lui donner raison ?, abattit-il son journal sur sa table, conscient qu'il lui montrait ses mains pansées mais blessées sans qu'il ne s'y attende, Tu comptes lui donner raison, Haryu, oui ou non ?!, s’emporta-t-il, s’attirant des rappels à l’ordre sur le silence dans ce lieu précis mais il n’en avait rien à faire, Tel que je te connais, ça m’étonnerait. Tu mérites mieux que de lui laisser ce droit, tu m’entends ? Tu es loin d’être un incapable, tu es unique. Qu’est-ce que ça peut bien faire que tu deviennes différent des autres ? Tu l’es déjà, idiot, fut-il pris par l’émotion, voix enrouée, Ne t’avises plus de dire que je n’ai plus besoin de toi car c’est faux. J’ai besoin de toi jusqu’à la fin car je t’aime. Je t’aime, je pourrais encore te le redire et sans toi, je n’y arrives pas. Alors tu peux prendre le temps qu’il te faut, Haryu, je serais juste là. Avec toi. Et tu y arriveras. »

Sa main avait froissé le papier de la revue et il contenait en lui ce flot d’émotions perturbants qui le rendaient fous pour ne pas perdre la face face à lui car le revoir après ces quelques jours loin de lui sans nouvelles était une source de joie. Il voyait qu’il était plus fatigué, la lueur dans ses yeux le trahissait, et il n’aspirait qu’à tendre la main vers lui. Le toucher et caresser sa joue de la pulpe de ses doigts. Le rassurer une fois de plus à ce geste qui prouverait toute la douceur éternelle qu’il éprouvait à son égard.

@na haryu

Mais il ne tombe pas, Haryu. Il ne tombe jamais. Toujours sur le fil du rasoir, toujours à être là, à valser dans un contretemps qui, aujourd’hui, ne signifie absolument plus rien. Parce qu’il les a entendu les mots de Shôta, ceux qu’il lui a lui-même donné pour le contraindre à s’échapper ; à ne pas le regarder dans ses plus gros travers. Il se déteste d’être de cette manière. Il n’aspire qu’à être comme tous les autres – c’était tellement plus facile avant. Avant ce qui lui est arrivé. Il chancelle, les poings rougis d’avoir frappé contre le mur. Se retient comme il peut, le cœur au bord des lèvres. Il a fait fuir Shôta et il ne le rattrape pas. Il prend seulement conscience de ses actes, de ses paroles, maintenant qu’il se retrouve seul. Mais, Haryu, c’est trop tard. Il serre ses poings, retient des larmes de rage qui embrument ses iris épuisés. Il craint s’effondrer là, dans cette entrée, face à cette porte qu’il désirait passer une minute plus tôt. Désormais, il n’a plus envie de quitter l’appartement ; tant pis pour les cours. Il a seulement envie de vomir. A cause de son oreille éteinte ou de son comportement grotesque.

Et deux jours filent, l’un à la suite de l’autre. Il n’a pas eu directement de nouvelles de son petit ami. Il a honte de ce qui a pu se dérouler et, en même temps, de quelle manière peut-il réussir à vivre en étant à moitié sourd ? La réalité l’a rattrapé et Haryu est effrayé par tous ces bruits qui le font sursauter plus qu’à l’ordinaire. Il se retourne pour un parapluie qui tombe à terre, pour un gravier qui ricoche contre une poubelle ; n’est-ce pas ridicule ? Il ignore de quelle manière appréhender tout cela. Les médecins lui ont dit, des années plus tôt, que cela finirait peut-être par arriver seulement… comment y être jamais prêt ? Ses rêves ne sont plus qu’une fumée saugrenue parce qu’il est trop conscient, Haryu, que le tir à l'arc, c’est terminé. Il arrive déjà à peine à aligner un pied après l’autre sans tomber, comment pourrait-il se remettre à viser ? La gorge serrée, il a fini par venir s’échapper à la bibliothèque de l’université. Il a demandé à un ami de lui donner les cours qu’il a manqué et cet endroit est le seul lieu calme dont il a eu l’idée.

Enfermé dans ses pensées, Haryu grimace sans même se rendre compte que même les plus petits bruits paraissent décuplés pour lui. Il pense à Shôta, bien sûr. Il s’en veut, se sait coupable et, aussi, ne sait pas tellement s’il est prêt à aller de l’avant. C’est trop tôt. Il a peur et se réfugie en son sein ; pourrait se recroqueviller sur lui-même sauf qu’Haryu ne le fera pas. Il est plus fort que ça, n’est-ce pas ? Pour son père. Il se mord la lèvre inférieure, glisse une main dans sa chevelure violette qui décolore à mesure des jours. Il ne s’attend pas à la présence de son petit ami et a un violent sursaut lorsque celui-ci vient abattre un journal sur la table devant lui. Son cœur heurte les parois de sa poitrine, lui coupant presque le souffle tandis que son regard remarque les mains abîmées de son cadet. Et Shôta explose et expose tout. Absolument tout. Haryu ne sait pas quoi dire. Il baisse les yeux, les détourne de cet article dont il est en partie la vedette. Toute l’attention des autres étudiants est venue se déposer sur leurs deux silhouettes et les paroles de Shôta remuent tant de choses chez lui – sans qu’il ne sache quoi.

Ce qui est certain, c’est qu’il se sent soulagé. Soulagé que son petit ami soit revenu vers lui, qu’il soit revenu le chercher malgré son discours de l’avant-veille. Shôta a bien plus de courage qu’il ne le pense et le fait qu’il lui avoue ainsi son amour rend Haryu pantois. Que faire ? Que dire ? Comment réagir ? Ne plus penser. Voilà peut-être la solution immédiate. Et c’est ce qu’il fait. Abandonnant toutes ses affaires derrière lui, Haryu saisit la main de Shôta pour l’entraîner à l’extérieur par la sortie de derrière. Il marche moins bien, cherche son équilibre car il veut être rapide, mais il finit à destination et plaque Shôta contre le mur pour l’embrasser sans se soucier d’être aperçu. Il l’embrasse avec une passion qu’il se découvre, comme un souffle nouveau qui s’éveille en lui. Le haut de ses oreilles rougit sous les émotions qui déferlent en lui. “Shôta…” Mais les mots coincent dans sa gorge. Son front vient cogner doucement contre l’épaule de son petit ami et Haryu ferme les paupières en s’imprégnant de son parfum, de sa présence. Il déglutit et ça fait mal. L’émotion est à son comble, humidifiant les cils de l’archer. Ses mains sont venues agripper le haut de Shôta, lui intimant en secret qu’il le serre dans ses bras de toutes ses forces. “Je suis désolé.” J’ai tellement peur dans cette nouvelle obscurité.

@Noh Shōta

ootd - C’était douloureux, leurs souffrances et cet amour partagé. Son coeur battait une démesure contre sa poitrine et il avait un peu de mal à respirer. Il n’y était pas accoutumé, pas encore, il ne le serait peut-être pas à l’avenir. Il n’avait pas réussi à s’habituer de ces sensations ressenties, parfois, à multiplications éreintantes, comment le pourrait-il en ressentant aujourd’hui le sentiment le plus prenant dans un corps humain ? Et il se voyait l’aimer comme un fou, continuer car c’était étonnamment ce qui le raccrochait à la vie. Avant Haryu, Shōta n’avait plus été certain de vouloir continuer à se battre. Il menait une vie ridicule où il croyait s’efforcer vers un chemin qui ne lui plaisait pas jusqu’à ce qu’il ne le rencontre. Ça avait beau être lancinant, cela était aussi vivifiant et lui procurait une incroyable sensation revigorante. Alors ce n’était pas grave, Shōta, il ferait avec.
Il venait même de se battre réellement pour la toute première fois pour quelqu’un. Il avait fait des efforts qu’il n’avait vu implicitement vains dès le départ, il les avait entrepris et il le percevait que ça portait déjà ses fruits. Il était celui qui était revenu vers lui quand, habituellement, il aurait attendu que ce ne soit l’autre personne qui fasse le premier pas. Haryu l’aurait-il fait ? Non qu’il n’ait pu en douter mais lui n’avait pas pu entrevoir la possibilité que cela aurait brisé leur complicité. Il ne le lâcherait pas et il avait accouru avec folie de conscience. Il avait attiré presque tous les regards sur eux et ça n’avait pas d’importance puisque la moitié du campus était au courant pour tous les deux. Ils ne s’étaient pas cachés, ça ne ferait que des murmures supplémentaires. Toute son attention n’était focalisée que sur son petit-ami et, quand il le vit se redresser, il eut une bouffée de joie qui prit part dans tout son être. J’ai eu peur de te perdre.
Il se laissa entraîner, bien que surpris lui aussi de ses gestes. Il répondit à son baiser avec autant de vigueur que lui n’en mit et il sut qu’il l’avait rattrapé. Il enlaça sa taille et ferma à demi les yeux. Il lui avait tellement manqué. Il s’accrocha à sa veste et le serra avec une force qu’il ne se serait pas cru capable d’avoir. Il laissa s’écouler plusieurs minutes et finit par lui faire relever la tête. Ses doigts retrouvèrent le contact de la peau de ses joues et il chercha au contact visuel. À cet éclat dans ses yeux qui l’avait fait tomber amoureux.

« Ce n’est pas grave, murmura-t-il, Je suis désolé moi aussi, dit-il, Haryu, je suis là. Ça va aller, caressa-t-il du bout des doigts ses joues, On va s’en sortir. »

Et peu importait comment. Il lui vola un baiser à son tour et glissa ses bras autour de son cou. À vrai dire, les gens savaient mais ils ne s’étaient peut-être pas autant montrés expressifs à l’extérieur. Ça le fit rougir et ça calma à contre-coup ses émotions qui semaient le double courant à l’intérieur de son corps.

« On est tous différents les uns des autres, Haryu, espéra-t-il le réconforter, Et c’est ce qui fait qu’on est uniques, tu ne crois pas ? Tu sais bien que même sans ça les gens t’auraient regardé différemment. Au moins parce que nous sommes ensemble. Pour toi, ça ne te parait pas être le cas, continua-t-il, Pour les autres ça l’est. Ils ne comprennent pas quand c’est évident. Et on s’en fiche, non ?, sourit-il, Ça va aller, lui murmura-t-il en caressant cette oreille où aurait dû se trouver son appareil auditif, Je ne suis pas très fort mais je vais t’aider du mieux que je le peux parce que c’est ce que tu fais toi-même envers moi. »

Ses yeux pétillèrent, il se retenait de craquer face à lui. Il ne se départait pas de son sourire, il voulait lui être communicatif parce qu’il n’était pas non-plus doué avec les mots. Il ne cessait de laisser ses doigts toucher la peau de son visage et Haryu était en train de la retenir, cependant, il la voyait : cette peur. Ils ne partageait pas la même, elle restait similaire et il aimerait qu’elle ne puisse s’évaporer avec le reste. Il glissa ses lèvres à son oreille fonctionnelle et il lui y chanta une mélodie connue de lui seul puisque c’était la sienne.

I'll cry with you
Stop holding it in, let it go, go, go
When you lose strength, I'll hold you
Just lean on me, 'cause I won't let you go
I don't think it's easy to just hold it in
There are many times when you can't even do so
If you don't feel like it, then why do you smile?
I'll say "It's okay" to you

@na haryu

Et cela fait neuf ans. Neuf années à se battre contre des démons qu’on lui a infligés, imposés. Haryu n’a pas craqué, n’a jamais faibli. Il a appris à vivre avec ce handicap qui n’a pas toujours évident à supporter. Pendant de longues semaines, il a dû se remettre debout, trouver son équilibre sans tomber. Il a fait de son mieux dans tous les gestes du quotidien, plissant le nez et les yeux lorsque les sons étaient trop forts, que son appareil auditif était mal réglé. Son combat a débuté de cette manière pour ne jamais s’éteindre. A mesure que les événements s’enchaînaient, Haryu a conservé cette façade qu’il s’est bâtie afin de ne pas s’écrouler. Il sait que son père, encore aujourd’hui, se sent coupable pour ce qui lui est arrivé, mais comment l’en blâmer ? Personne n’y peut rien. Alors, ensuite, le jeune adolescent s’est accordé à son arc, à ses flèches, à sa passion car il n’accepte que personne n’ait à s’ajuster à lui. Haryu s’est longtemps battu tout en sachant que ce jour arriverait. Celui où, prévenu par les médecins d’une façon peu rassurante, il perdrait définitivement son ouïe. Comment poursuivre le combat ? La peur gangrène tout son être.

Agrippées au vêtement de Shôta, ses mains tremblent. Ses jambes aussi. Contraint par ses gestes de le regarder, de plonger ses prunelles au sein des siennes, Haryu a l’impression d’offrir bien plus de lui qu’il ne l’a fait en ces mois de relation qu’ils entretiennent. Dans ses yeux, le plus âgé donne la vision à Shôta qu’il n’est pas aussi solide qu’il se rassure à le faire croire, il lui dit qu’il n’est qu’un homme parmi tous les autres et que ses failles sont grandes, que, parfois, oui, son dos s’avachit, emportant ses forces avec lui. Et, surtout, qu’il regrette les paroles qu’il a eu à son égard. Ses mots virulents qu’il n’a jamais pensé un instant. A ceux que son petit ami prononce, il acquiesce à peine d’un mouvement de la tête. La main de Shôta contre son oreille, sa chaleur contre sa silhouette défaite, le fait que les émotions du plus jeune sont indescriptibles, cette mélodie qui, doucement, vient se perdre à son autre oreille, Haryu étouffe un sanglot entre ses propres doigts ; et ses jambes ne le portent plus. Ses genoux rencontrent le sol tandis qu’il sent les larmes dévaler son visage. L’une de ses mains est accrochée à Shôta, l’autre a rabattu sa capuche sur le sommet de son crâne.

Haryu se cache mais ne se retient plus.
Son impuissance face à cette situation le submerge et il se l’autorise enfin. Il a peur, oui, il est même terrorisé. Il ne sait pas comment il va pouvoir recommencer, il ne pense pas avoir assez de force et de courage pour se relever une fois supplémentaire. Il doute de tout et, en quelques secondes, il a fini par venir plaquer ses deux mains sur ses oreilles. Il entend mal, il n’entend plus. Mais pourtant Shôta l’atteint encore. De quoi est-il capable ? Haryu ne veut pas être un poids pour lui ; Shôta n’en a pas besoin. Les dents serrées, les lèvres entrouvertes, tout son faciès est humide de cette eau salée qui s’échoue au sol devant lui. Il ne voit pas son dos parcouru de spasmes, mais il ressent les notes de cette chanson que Shôta a composé. Haryu aimerait que tout cela cesse et qu’il puisse reprendre le cours tranquille de cette petite vie bien rangée qu’il avait mis des années à consolider. ça ne fonctionne pas comme ça. Plus maintenant. Ses phalanges se resserrent contre sa capuche, autour de son oreille sourde. Sourde. Sourde, sourde, sourde : c’est ce qu’elle est. D’un geste impulsif, il tire Shôta vers lui, un peu plus, viens, viens, ne me laisse pas ; et, enfoui contre son torse, Haryu pleure.

@Noh Shōta

ootd - Il ne se considérait pas réellement comme un bon petit-ami, pas plus qu’il n’avait de l’estime envers lui-même. Il était malade et il ne faisait rien pour s’arranger. Il avait eu la possibilité au moins de voir gratuitement un psychologue à l’université et il n’avait fait aucune démarche pour dater un rendez-vous. Pas plus aujourd’hui. Non qu’il n’ait honte, simplement qu’il n’était pas convaincu de son utilité. C’était ridicule. Il souffrait mais il était plus douloureux de voir qu’il n’avait guère les moyens d’atténuer les souffrances de Haryu. Ça l’écorcha et il eut envie de hurler à l’injustice. Haryu était le seul être au monde à l’avoir accepté dans son intégralité et il était dévasté de voir que la vie ne lui avait pas rendu équité pour toute sa bonté d’âme. Il le méritait, Haryu, il méritait que l’air s’adoucisse autour de lui et qu’il n’ait plus à suffoquer. Que les cieux ne puissent entendre ses souhaits à Shōta quand il menait un combat dévastateur à l’intérieur de lui. Il ne craquerait pas mais c’était dur.
Parce que ce n’était pas à lui de se laisser emporter à cet instant. Il le vit s’écrouler et il se vit ne pas le rattraper. Non ! Il prit peur et il mordit avec violence sa lèvre inférieure de cette fragilité qui continuait de gangréner dans son corps. Il aurait dû le voir plus tôt, il aurait dû venir lui en parler avant. Il aurait dû les écouter avec plus d’attention, il aurait dû être plus présent. Il aurait dû tellement de choses, tellement de fois. Et c’était complètement stupide ! Il savait que Haryu avait autant gardé ça pour lui parce qu’il n’avait pas désiré lui faire porter une charge supplémentaire. Et pourquoi cela serait-il comme ça ? Je ne vais pas m’écrouler, pas pour toi. Il se remit à trembler, cela lui fit mal dans les jambes, dans les mains jusqu’à ce qu’il ne l’attire vers lui. Ah, oui. N’en était-il pas capable ?

« Je suis désolé… », murmura-t-il dans un sanglot.

Ne pas pleurer. Il s’en fit rage, le laissa venir contre lui et posa son menton sur le haut de son crâne. Il aimerait tellement faire plus. Il caressa son dos, le cacha des autres et espéra que cela serait suffisant. Il ne le laisserait pas, il ne le laisserait plus et ne s’échapperait plus tant de temps. Il insisterait, il le prendrait dans ses bras et il le rassurerait avec ses chansons parce que c’était lui qui les lui inspirait le plus désormais. Il en fredonna une, légèrement, avec une pointe de maladresse car ses pleurs le mettaient à vif. Il ferma les yeux quelques secondes et sa main remonta jusqu’à son visage. Il y cueillit une larme et l’embrassa sur le front.
Il n’y avait rien à dire de plus mais, tu sais, Haryu, je ne suis peut-être pas courageux mais, ça, c’est ce que je crois. La vérité c’est que moi aussi je suis effrayé des vices mal cachés de ce monde. Nos existences ne sont peut-être pas destinés aux grandeurs mais qu’est-ce que la grandeur ? Pour moi, tu es ma grandeur car tu me portes haut alors, s’il-te-plaît, laisses-moi te porter haut. Laisses-moi prendre soin de toi et n’oublies pas que tu peux pleurer autant de fois sur mon épaule si cela peut t’alléger de cette douleur qui te suivra jusqu’à la fin. Laisses-moi t’aimer autant que possible, laisses-moi être ta grandeur.  

@na haryu

Sans que personne ne le lui ait jamais demandé, Haryu a construit ses propres barrières dans l’unique but de protéger ses parents, son père. Il n’a jamais vacillé, autrement qu’à cause de cette ouïe défaillante. Il marchait sur une corde au-dessus du vide sans se plaindre, sans regarder en arrière, sans regarder sous ses pieds ; jusqu’où pouvait-il bien se rendre de cette manière ? Aujourd’hui, il a compris qu’elle était là, sa limite. Elle se situait précisément à l’instant où il perdrait définitivement son audition de cette oreille maudite. Comment se redresser à présent ? Cette corde tendue entre le tout et le rien n’existe plus, n’est-ce pas ? Haryu ne parvient plus à la visualiser. Elle s’est rompue en l’emportant avec elle. Il n’y avait pas de filet pour le retenir.

Mais peut-être qu’il peut accorder l’entrée à Shôta dans son monde. Un petit plus que ce qu’il y a déjà entre eux. Avachi sur le sol à l’arrière de la bibliothèque universitaire, les larmes et les sanglots de toutes ces années à tenir son dos droit se déversent et explosent. Ses mains s’agrippent aux vêtements de son petit ami, seule personne à laquelle il parvient en ce moment à s’abandonner. En a-t-il le droit ? Peut-il lui donner ce poids sur ses épaules déjà épuisée par les propres événements de sa vie ? Haryu a toujours pensé qu’il fallait qu’il soit le plus fort, qu’il parvienne à tout encaisser sans affecter être bousculé. C’est pour cela que les gens autour de lui lui font confiance, ils savent comment il est. Tellement de choses sont bouleversées désormais que cet handicap a pris une place plus importante encore au sein de son existence.

Il l’entend, l’excuse de Shôta. Il l’entend à peine au travers des pleurs qu’il étouffe dans la veste du garçon. Haryu pleure à chaudes larmes comme un enfant de cinq ans qui se serait blessé en jouant un peu trop fort. Il s’enferme dans l’étreinte que lui offre son petit ami sans se soucier des éventuels regards qui peuvent se perdre sur leurs deux silhouettes enlacées. Shôta a raison, leur relation, unique, est une source de différence. Un peu plus, un peu moins, avec une oreille sourde, qu’est-ce que cela peut-il bien changer ? Beaucoup. Tout est remis en cause et Haryu préfère aujourd’hui se perdre dans ce chagrin qui le consume tout entier depuis ce qui est arrivé. Enfin, il s’épanche, s’autorise à succomber à cette douleur parfois invisible qui le grignotait chaque jour.

Il continue de renifler, l’une de ses mains finalement capable de venir frotter son visage, ses yeux, le bout de son nez. La mélodie de Shôta l’atteint tout comme sa voix étranglée au fond de sa gorge. Haryu réussit à déceler tout cela et, au fond de lui, il est très reconnaissant à Shôta de ne pas l’avoir quitté. D’être revenu le chercher pour lui mentionner que le passé vit toujours dans son présent. Lentement, au bout de plusieurs minutes, ses sanglots cessent et les larmes tarissent dans ses prunelles humides. Il ne bouge pourtant pas encore, laisse sa respiration recouvrer la normale avant de relever la tête d’une expression presque timide. “Je…” Il déglutit, les yeux rouges et le visage défait. “Je veux rentrer.” Retrouver la chaleur de leur colocation, la tendresse des draps et la présence de Boulette à ses côtés. “Shôta… merci d’être revenu me chercher.” Malgré toutes ces paroles affreuses débitées. Haryu n’en pensait pas un mot.

Je ferai de mon mieux pour ne pas être une enclume à tes chaînes. Je suis désolé de ne pas être aussi courageux que je voudrais l’être. Je m’excuse pour cette fois où, aveuglé par cette soudaine surdité, je n’ai pas su te prouver combien tu es important auprès de moi.

@Noh Shōta