outfit. )) Glissée dans la poche de son jean, les doigts à peine enfoncés à l’intérieur pour la sentir, la fleur donnée par Camille à son encontre ne l’a pas quittée. Pas vraiment. Les révélations se sont faites et, presque malgré lui, Haram n’a pu s’empêcher de songer qu’il trouvait l’histoire de Camille triste. Tant de mensonges dans une relation, un mariage qui ne ressemble pas à grand-chose, seulement bon à sauver les apparences… Toutefois, bien que sa situation soit un peu différente, cela semble lui faire écho. Faire semblant, sourire pour la couverture alors que dans le fond les sentiments sont en vrac et l’envie de tout foutre en l’air immense.

Rehaussant sa veste rouge sur sa chemise léopard aux qualités qui en ferait pâlir plus d’un, le gamin Myo rejoint la soirée à laquelle il a été invité. Rapidement, il se retrouve un verre d’alcool entre les mains et la chaleur s’insinue progressivement sur ses joues. Chevelure désormais brune, son faciès maquillé de touches blanches, ressort et attire bien des regards. Comment s’en amuser seulement quand, au coin de l’entrée, il aperçoit la silhouette particulière de Camille ? Coïncidence qui fait battre son cœur un petit peu plus fort – à moins que ça ne soit déjà les effluves de l’alcool. Il n’empêche pas son sourire sur ses lippes sans pour autant s’approcher de cet homme qui l’attire éhontément. Haram a souvent pensé à leur visite du musée, leurs mots sur les fleurs, sa main qui a attrapé la sienne et cette tendresse effective dans son regard. Ce n’est pourtant pas l’image qu’il renvoie de lui depuis ces dernières années. Non.

Haram doit conserver ce masque spécial apposé sur son visage. Demeurer dans la défensive quand les choses paraissent aller trop loin ; ou provoquer. Asséner des paroles qu’il finit toujours par regretter bien que les poings qui s’agitent ensuite sur son être semblent l’emporter dans un état d’ébriété bien plus conséquent que l’alcool. Auprès de Camille, dès la première rencontre dans les urgences de l’hôpital, Haram s’est senti différent. Peut-être un peu plus… lui-même ? Est-ce seulement possible ? Mais Camille est marié. Mais Camille n’est pas si facile à approcher. Mais Camille est probablement plus brisé qu’il ne le laisse supposer. Haram déglutit et prend un autre verre avant de s’aventurer sur la petite piste dédiée à ceux qui ont envie de danser.

Il abandonne sa veste sur une chaise et les basses de la musique résonnent en lui. Cognent à ses tempes avec l’espoir, par-dessus de nombreuses épaules, que ses prunelles capturent l’essence de l’infirmier. Lui intiment de venir au beau milieu de tous ses inconnus à ses côtés. Eux ne sont plus que de simples connaissances. La fleur en papier épouse la hanche contre laquelle elle repose, cachée. A l’abri de tous ces regards inquisiteurs.

outfit. )) Il était fatigué alors il avait cessé. De s’inquiéter, de rentrer et il n’y avait eu plus que le travail. Les beaux jours laissant place à une fraicheur bienvenue et des couleurs plus chaleureuses mais également plus mélancoliques. Le coeur en vrac de ces instants qui n’étaient plus partagés et de l’impression de recommencer à n’y voir plus clair. Il avait laissé tomber, s’était concentré autour de ses patients et avait commencé à songer à la suite. La page qui se tournait, effrayante, décourageante. Ce n’était pas ce qu’il avait eu envie à son âge et son entourage le ressentait. Ils essayaient de lui redonner le sourire et ils l’avaient invité à une soirée à laquelle il avait consenti à y aller.
Parce que parmi cette ritournelle incessante, y était resté graver l’image éternelle de cette fleur non éclose parce qu’elle attend qu’il ne puisse lui offrir plus d’attention. Ils n’avaient pas échangé leurs numéros de portable et il avait songé avec amusement que le tissage de leur lien était bien fait. Et il y avait ce même sourire plaqué à ses lèvres tandis qu’il l’aperçut à cette table alors qu’il venait d’arriver. Il le regarda agir avec des coups d’yeux discrets car il ne saurait nier que c’était agréable à ressentir cette maligne pression qu’il exerçait sur lui. Il se savait attirant, cependant, auprès de Haram, c’était différent et ce fut ce qui le poussa à aller vers lui. Le temps n’avait-il pas toujours fait les choses ? Qu’il le laisse faire, qu’il se laisse entraîner.
Il s’approcha de lui et il attendit qu’il ne se soit retourné afin de capter son regard. Ses prunelles fatiguées pourtant si vives. Il lui sourit doucement et il sortit son téléphone portable de sa poche. Il n’avait pas oublié, il y avait repensé et il n’y avait plus rien à craindre parce qu’il ne serait pas son patient ce soir.

« Je crois que je ne t’ai toujours pas donné mon numéro, dit-il assez fort, Aller viens. »

Et ce ne fut pas son bras qu’il prit cette fois-ci, ce fut sa main. Il l’entraîna jusqu’au comptoir et leur commanda deux verres. Il en attrapa un, le cogna contre le sien et il but. Son attention était braquée sur lui et sur cette tenue qui le seyait magnifiquement bien.

« Alors, dis-moi, j’ai l’impression que ça va mieux. »

Il fit un signe de tête vers ses mains et il fut ravi de constater que ça avait l’air d’être le cas. Il se demanda s’il s’était remis à peindre et il eut envie de voir ses oeuvres. Et peignait-il des fleurs ? Qu’en était-il de celle offerte ? Lui, seul signe distinctif depuis leur dernière rencontre était que leurs cheveux avaient encore poussé et il n’avait pas cherché à les couper. Ça avait l’air de plaire après tout.

outfit. )) Il sait qu’on le regarde, Haram. Il sait que de nombreuses personnes se demandent bien qui il est, à quel jeu il est en train de jouer. Il sait que, si ses prunelles à lui n’avaient pas aperçu la silhouette de Camille, il serait probablement allé voir quelqu’un au hasard, jeté son dévolu sur le premier homme qu’il aurait trouvé plutôt à son goût et la soirée aurait été semblable à tant d’autres. Juste l’instant de quelques heures dans les bras d’un inconnu afin de se sentir exister. Mais voilà, l’unique regard qu’il souhaite capturer et qui lui importe vraiment, c’est celui de cet infirmier. C’est un peu pour lui qu’il danse durant plusieurs minutes, un peu pour lui qu’il s’agite de la sorte, sentant bien malgré lui le rose lui grimper aux joues ; qui es-tu pour me rendre ainsi ? Qui est-il pour permettre à Haram de baisser ses armes et de s’autoriser à être lui-même ? Il l’ignore et c’est ce qui l’attire depuis leur toute première rencontre. — Tu vois, je sais me montrer patient. Il lui sourit, Camille est venu le chercher ; l’inviter. Avec plaisir, il le suit, sa main liée à la sienne, pour prendre place près du comptoir.

Un nouveau verre glisse entre ses phalanges et il ne peut détourner son attention de cet homme qui sait déjà comment s’y prendre à ses côtés. Le charme a-t-il fini par opérer des deux côtés ? Parce qu’il se rappelle bien, Haram, de la fois précédente où ils ont parlé du mariage de Camille. De cette fois où il a aperçu sa femme peu de temps avant qu’elle ne s’éloigne. Comment avoir seulement envie de quitter une personne telle que Camille ? A ses paroles, comme un enfant innocent, l’étudiant relève son poignet droit et le fait doucement bouger. — Oh, oui, tu as raison. Je ne porte plus de bandage depuis quelques jours. Il lui sourit avant de porter sa boisson à ses lèvres, de s’en délecter autant que ses iris s’abandonnent sur le visage gracieux de son interlocuteur. Haram aimerait glisser sa main dans les cheveux mi-longs de Camille. Les égrener entre ses doigts, découvrir leur texture pour, qui sait, peut-être parvenir à la retranscrire sur ses toiles. — J’ai repris le dessin. Une esquisse ou deux parce qu’avec les études… Il n’en dit pas plus, déteste déblatérer sur ses cours de droit qui n’ont de cesse de le faire penser à cet avenir désuet dont il ne veut pas.

Délicat soupir entre ses lippes, le gamin Myo a déjà repéré l’alliance autour du cou de Camille, non autour de son doigt. Il n’en dit rien. — Camille, parmi toutes les personnes présentes dans cette salle, pourquoi est-ce que c’est moi que tu es venu chercher ? Il ne lui sourit pas, se contente de l’observer et, un bref instant plus tard, il extirpe la petite fleur en papier que son vis-à-vis a fait apparaître lors de leur précédente rencontre. — Est-ce que je t’ai manqué ? Il la manipule doucement sans chercher à la cacher de la vue de Camille, bien au contraire. Puis, finalement, en se penchant vers lui, il la fait glisser sur le comptoir, près de sa main. J’ai souvent pensé à toi. Heureusement, dans l’obscurité du bar, son visage rosé par les libertés qu’il se permet ne risque pas vraiment d’être repéré.

outfit. )) Mais il n’irait pas nier, Camille. Il n’irait pas nier qu’il était accroché à ce qu’avait été sa mère. Pas une seule femme ne parviendrait à sa hauteur malgré qu’elle ait pu incarner tous les défauts de cette planète. Cependant, elle les avait prévalus à la pointe de la perfection qu’il en était venu à plus haïr cette société sur laquelle ils s’étaient élevés qu’à la détester elle. Elle et ses élucubrations parce qu’elle s’évertuait maladroitement et qu’elle lui avait souvent causé du tort. Maman, pourquoi saignes-tu à la lèvre ? Maman, tu es belle même en étant fatiguée. Maman, tu devais venir me chercher à l’école. Maman, quelle est cette fleur que tu as peinte avec des couleurs fades à en pleurer ? Maman, tu sais, j’aimerais être assez ton bonheur quand j’ose dire que tu es le mien. Maman, pourquoi ne te réveilles-tu pas quand il ose à son tour lever la main sur moi ? Maman, tu as disparu. Et du haut de ses quelques centimètres, il avait cherché à recoller les morceaux brisés à en devenir pire que ce qu’elle n’avait pu être. De quel droit se permettrait-il de se plaindre quand il ne valait qu’à peine la moitié de ce qu’elle avait pu représenter ? Elle, cette femme qui avait tenu à prouver qu’elle serait capable d’élever un enfant et au fond, n’avait-elle pas réussi ? Même s’il ne voyait pas en quoi il avait mieux fait, Camille.
Pathétique. Il n’aimait pas cet état d’esprit qui s’imposait à lui, il avait quitté Los Angeles par ses propres moyens et n’était devenu infirmier que grâce aux efforts qu’il avait entrepris afin de ne pas se noyer dans le néant. Ce mariage était son premier échec, avait-il réellement à s’en faire ? Elle lui avait appris à ne pas tomber, à toujours savoir se redresser. Alors redresses-toi. Et il espérait que c’était ce qu’il était en train de faire en se laissant emporter par l’effluve entêtante que dégageait Haram. Qu’il ne puisse ne pas n’être qu’illusion, parce que sa vue n’était bien pas en train de lui jouer des tours. Il avait porté son attention sur son poignet qui avait l’objet de leur rencontre, désormais, il percevait les lumières danser dans sa chevelure brune qui ne possédait plus aucun reflet blond. Ses doigts partirent d’eux-mêmes s’y perdre et il se remit à sourire.

« Je suis ravi de l’entendre, dit-il, J’espère avoir le privilège un jour d’y jeter un coup d’oeil. »

Il retira sa main, but une nouvelle gorgée. Gamin fier qui en dévoilait un peu plus ce soir et ses mots résonnèrent à ses oreilles avec délice. Néanmoins, il n’irait pas se montrer indécent et s’ajusterait à lui en prônant la franchise à son tour.

« Pourquoi pas ?, répondit-il en faisant tourner les glaçons dans sa boisson, Je n’irais pas jusqu’à dire que tu m’as manqué mais j’ai pensé à toi, oui. À ta façon d’être, à ce voile dans ton regard diminuant les jolis couleurs de tes yeux et à ses mains qui sont, je pense, capables de créer des histoires réelles grâce à la peinture. Puis, peut-être d’atténuer l’espace d’une heure ou deux cette douleur qui te traverse. »

Et ses prunelles de se river enfin sur cette fleur qu’il lui a offerte ; de l’attraper et de la glisser derrière son oreille. De se pencher vers lui et d’effileur d’abord ses lèvres des siennes avant de s’en saisir, de l’emporter dans un baiser rempli de douceur et d’indélicatesse. Ils étaient exposés, mais au fond ils ne l’étaient pas pour autant. Et il s’en fichait.