Le service se terminait bientôt, pour être honnête, Jiwon n’attendait que ça. Ce travail au McDonald n’était clairement pas fait pour elle. Il fallait être réactif, faire preuve d’adresse, savoir rebondir au moindre problème et pour finir, être organisé. Dans toutes ces compétences, elle n’en avait aucune. La jeune était maladroite, incapable de se servir de ses deux mains. Alors parfois elle se demandait comment ses employeurs ont pu penser que c’était une bonne idée de l’embaucher. Enfin elle n’allait pas se plaindre. C’était leur erreur d’avoir admis cette catastrophe dans leur fast-food, pas la sienne.

Impatiente de rentrer chez elle pour faire une petite sieste, la coréenne préparait sa dernière commande de la journée. Elle faisait en sorte que tout soit parfait, ce serait dommage d’être retardée pour une simple erreur telle que mettre des potatoes à la place de frites. Suivant le bon à la perfection, elle avait fini de préparer les quelques sacs. Maintenant elle n’avait plus qu’à attendre le livreur qui devait l’apporter au client et elle allait pouvoir partir du fast-food pour retrouver son lit.

Enthousiaste à l’idée de quitter les lieux, Jiwon attendait avec impatience l’arrivé du livreur. Mais au bout de quelques longues minutes, elle commençait à en avoir marre. La patience n’était pas vraiment son truc. La jeune était plutôt du genre à vouloir dépenser son énergie à tout prix, faisant en sorte d’être toujours occupée. Mais là, elle n’avait rien à faire. Les minutes passèrent, volant à Jiwon du temps pour sa sieste. Temps précieux lui permettant de tenir pendant son travail de nuit au konbini. Lassée d’attendre comme une idiote, elle se dirigea vers la porte de service se rendant à l’extérieur, là où se trouvait la livreuse. Jiwon s’approcha de la jeune fille se tenant à côté de son vélo. Sans même essayer de comprendre la raison de son retard, elle l’interpella, contrariée. “Bon, excusez-moi, vous venez chercher la commande ou vous avez décidé de me faire attendre toute la journée ?” D’habitude si joyeuse, la livreuse avait réussi à agacer Jiwon.

Au volant de son vélo, Luna pilotait depuis quelques heures déjà à travers tout le quartier. Voyageant de restaurants en appartements, mais surtout de Mcdonald en appartements - c’était fou ce que les gens en mangeaient, la canadienne s'en était plusieurs fois fait la remarque. C’était là son tout premier week end de travail et la jeune femme trouvait ça reluisant de pédaler librement, le vent dans les cheveux. Le visage au frais face à ses bourrasques. Bien qu'elle sache pertinemment qu'en tant que petite princesse elle serait mieux installée dans un canapé, entre deux coussins nuages, à rire aux éclats devant une émission, reportage sur la bêtise humaine, entourée de délicatesse. Ou alors sur une chaise à humer une bonne odeur de cuisine, de vraie, qui allait pouvoir trouver place au chaud dans son estomac à elle. Luna, la petite, la précieuse, serait mieux chez elle, pas vrai ?

La jeune femme gardait ses objectifs en tête, comme un pare dans sa nuit, sa Vénus à elle. La douce enfant y mettait du coeur, faisait de son mieux. Malgré les gens désagréables qui lui ouvraient, et laissaient entendre qu’elle était longue et en retard. Leurs soupirs, leurs roulement d'yeux, leurs remarques chuchotées mais à peine cachés, Luna les balayait de l'éclat de son sourire et de son âme. Balayer les mauvaises ondes, les éclairer, les remplacer par les bonnes c'était tout ce qu'il fallait pour réussir. La jeune femme y croyait dur comme faire. La motivation faisait tout.

Et pourtant, regardant très vite son profil sur l’application, l’étudiante remarqua qu’elle n’avait que deux malheureuses étoiles pour ses trois dernières heures de travail. Il fallait avouer que c’était frustrant et que ça donnait plus envie de retourner sous sa couette si chaude et réconfortante que de continuer à travailler.

Si elle voulait quitter la maison de ses parents, payer ses études et un loyer, il ne fallait pas qu’elle abandonne.

Alors voilà qu'elle s'engagea dans sa dernière mission, Luna allait s'y appliquer comme si c'était la seule chose qui comptait. Peut être, ô peut être bien oui, qu'ne récompense de sa vitesse et de son service, elle recevrait un magnifique présent, rond, brillant, un peu lourd, peut être même doré. Afin de l'accomplir elle se rendit une fois de plus au McDonald.

Ses pieds allaient en grand rond, enfoncés sur leurs pédales. Luna le voyait ! L'endroit que lui indiquait sa carte de quête, en face d'elle, tout près. Elle voyait la place qui lui était réservée. Libre. La canadienne ralentit, prête à mettre un pied à terre. Voulant freiner, l'étudiante tourna par inadvertance la manivelle. Et alors qu'elle était presque à l'arrêt, en donnant une toute dernière impulsion, un tout dernier coup de pédale pour se placer correctement sur sa place, elle sentit son pied pousser dans le vide. Etrange sensation. Sautant de son vélo, Luna marcha au coté de son fidèle - mais défectueux - compagnon, pour le placer correctement toute seule et tirer la béquille. Elle s'agenouilla ensuite et observa, bien malheureusement la mécanique ne faisait pas partie de ces domaines de compétence dans lequel elle pouvait être... compétente. Tout ce qu'elle voyait c'était une chaîne, pendante. Luna tenta une approche et y mot les doigts mais très vite elle crut sentir une substance visqueuse sur ses petits bouts de peau. Elle les retira pour observer et remarqua qu'une couleur s'était ajoutée. Noir. L'impureté totalement. Au moins, la jeune femme fit la constatation que ça n'avait aucune odeur. Mais c'est alors qu'ne ombre fit irruption. Apparemment agacée, et peu commode, elle lui lança une phrase sans grande politesse ou compassion. Mais après tout, l'ombre n'avait sûrement rien vu de la mésaventure, et le corps de l'être que rien, à part le cambuit, ne pouvait assombrir en apparence le cachait de sa vue. Après un sursaut, Luna se permit de lui répondre d'un air gêné "Excusez moi, madame, j'ai juste un petit contretemps...". La jeune femme se permit alors de se tourner complètement vers l'ombre, une employée du fast food, alors pleine d'espoir. "Vous vous y connaissez vous en mécanique de vélo ?" Se décalant elle laissa voir le problème à la demoiselle, qu'elle avait madame par maladresse et politesse.

Personnage peu aimable quand elle était contrariée, Jiwon est habituellement très radieuse. Toujours à sourire, raconter n’importe quoi et rigoler à tout bout de champ. Mais là, elle souhaitait juste quitter le fast-food au plus vite. Enfin, elle avait remarqué que dernièrement elle devenait de plus en plus ronchon et il fallait que ça change ! C’était un petit rayon de soleil tout mignon Jiwon, pas une tempête. Alors, essayant de ne plus être autant contrariée, elle écoutait la jeune femme. Elle devait sûrement avoir une bonne raison, les livreurs essayaient généralement d’être à l’heure. Enfin, c’est leur métier, non ?

Madame ? Ca faisait vieux, pourtant elle n’avait pas l’air autant âgé, si ? Au contraire, elle était au milieu de sa jeunesse ! Et puis, elles avaient l’air d’avoir le même âge… Bien qu’elle ait un peu blessé son égo, elle n’en tenait pas compte, décidée à retrouver son bon caractère. Constatant les traces noires sur ses doigts, elle se doutait que son vélo eut un souci. Bien joué Jiwon, en plus de t’être emportée, c’était pour rien. On ne décide pas de casser son vélo. Enfin si, certains le font exprès, mais là ça ne semblait pas être le cas. Comme pour se faire pardonner de ses paroles, la coréenne avança vers le bolide et se baissa, arrivant à la hauteur des mécanismes. Ca ne devrait pas être bien compliqué, si ? Confuse devant l’objet, elle pencha la tête. Jiwon n’était pas très activités manuelles. Elle n’avait jamais eu à réparer quoi que ce soit de sa vie. Elle préférait de loin les bouquins et son ordinateur plutôt que de mettre ses doigts dans l’huile, mais ça lui semblait tout de même amusant. Enfin, elle était très bon public, un rien la divertissait.  “mmmh ça a pas l’air si évident que ça... Tu penses qu’il faut remettre le bidule dans le machin ?” Elle pointait la chaîne, ne connaissant évidemment pas les termes techniques du vélo, elle ne savait même pas en faire. Elle se redressa, et dans un élan de gentillesse, elle proposa : “Bon, si tu veux je peux t’aider !” Oui, elle avait arrêté d’utiliser les formes de politesse. Ca lui échappait tout le temps, trop habituée à être familière avec n'importe qui. Elle la pointa du doigt, un petit sourire aux lèvres. “Mais déjà, avant de pouvoir collaborer il me faut des informations. T’es qui ?” Question simple et efficace. Rien à ajouter.

Avec grand soulagement Luna constata que la jeune femme s'adoucissait à la vue de son problème. Comme quoi, de simples explications pouvaient tout arranger. C'est dans ces moments là que la canadienne ne comprenait pas les gens qui mentaient et se cherchaient des excuses. Elle pouvait parler. Elle n'avait pas été meilleure à certains moments - récents. Toujours est-il que l'employé avait l'air sûre d'elle quand elle s'approcha de la bicyclette. La douce jeune fille retrouva l'espoir d'accomplir sa mission dans les temps, à deux on était plus forts. Et quand on était plus forts on accomplissait des quêtes. Comme des héros ! Et les héros sauvaient toujours la mise, ils arrivaient toujours à temps, ils n'avaient jamais de mauvaises notes sur les applications de livraison à domicile. Et donc ils avaient des pourboires. Le saint Graal. La réussite et son trophée.

Ses yeux bridés ouverts en grand, tout rond, ne se détachait du visage de sa futur collaboratrice, compagne, pleine d'espoir elle lui envoyait de la force silencieuse, lui adressant une petite prière dans sa tête. Puis la livreuse aperçu un mouvement de tête. Etait-ce sa façon de réfléchir ? Elle en était sûre ! Après tout, si la madame - moins contrariée - ne savait pas vraiment comme s'y prendre elle lui aurait dit. Puis soudain elle ouvrit la bouche. C'était un problème que même elle, apparemment douée, ne pouvait pas résoudre aussi facilement ? Elle devait même demander son aide à la novice. Toute nouvelle dans le domaine. Tout cela en lui montrant la chaîne pendouillante et le mécanisme qui avait l'air compliqué. D'habitude à chaque fois qu'elle avait un problème de ce genre, Luna pouvait compter sur son père ou sur sa mère, mais elle ne savait pas comment ils s'y prenaient. Depuis toute petite ça relevait surtout de la magie. "Ouais, je crois que le bidule est pas censé pendre. Par contre je sais pas du coup comment il faut le placer dans le machin." Langage familier, de ceux qu'elle utilisait volontiers de partout sauf dans ses traductions. Elle comprenait les phrases à base de "trucs", de "bidule", elle savait les décoder et faisait même partie de ses adeptes. Cette employé avait finalement l'air toute gentille, même si la "proposition" la laissait perplexe. Luna pensait qu'elle était déjà entrain de l'aider. "Merci, c'est super sympa de ta part." Sincère avec un grand sourire plus si gêné.

Elle appréciait que les gens soient familiers avec elle, tant qu'ils étaient gentils bien sûr. Au moins tout était clair, il n'y avait pas de place pour le doute. La canadienne se redressa pour faire face à sa nouvelle coéquipière. "Luna Yang ! J'ai 19 ans et je suis toute nouvelle dans la livraison, comme tu l'auras sûrement remarqué." Ponctué d'un rire nerveux, la jeune femme passa une main dans ses cheveux attachés pour se gratter la tête. Tic nerveux. Répandu et commun. "Et toi du coup ?"

Jiwon n’a jamais eu de difficultés à aborder les inconnus, encore moins quand ils avaient le même âge qu’elle. Ça a toujours été naturel chez elle de faire la conversation, raconter n’importe quoi à n’importe qui. Elle avait développé cette habilité lors des dîners d’affaires, ceux qu’organisaient ses parents visant à regrouper d’autres familles aisées. N’ayant jamais eu l’occasion de se rendre à l’école pour rencontrer d’autres jeunes de son âge, ces événements étaient les seuls où elle pouvait en rencontrer. Les familles entières étaient invitées, moyen de mieux connaître les autres et de vanter à quel point son enfant est incroyable. Alors Jiwon, souvent si seule, se devait de se faire des amis à ce genre d’événements, sinon elle n’en n’aura jamais. C’est là où elle en avait rencontré plusieurs mais elle n’avait presque pas gardée contact. Juste avec une. Voilà pourquoi elle n’hésitait pas à aborder la jeune femme. Et comme elle l’avait si bien deviné, elles avaient le même âge. Grand sourire aux lèvres, elle se présenta sans hésiter. « Baek Jiwon, 19 ans également. Et si c’est pas déjà évident je travaille ici. » Elle pointa le petit logo sur sa veste à l’effigie du restaurant.

Maintenant que les présentations étaient faites il était temps de s’occuper du vélo qui avait mauvaise mine. Se baissant à nouveau pour mieux regarder la chaîne, elle approcha son visage de celle-ci. Plus elle la regardait, plus ça avait l’air compliqué. Enfin c’était bien beau de la contempler, il fallait agir. Sans attendre elle attrapa la chaîne qui pendouillait pour essayer de la replacer au bon endroit, mais pour une raison inconnue celle-ci ne voulait pas se mettre correctement. Après plusieurs essais elle la laissa retomber, les deux n’étaient pas bien avancées… Elle se tourna alors vers Luna qui se trouvait à côté d’elle, lui montrant ses mains. « Regarde ! On a toutes les deux les mains sales maintenant, tu trouves pas qu’on a l’air de deux bricoleuses supers expérimentées ! » Elle pouffa. Oui, il lui fallait peu pour s’amuser. Jiwon était heureuse de pouvoir vivre ce genre de choses, il y a encore quelques mois elle n’aurait jamais envisagé se salir les mains pour réparer un vélo. Enfin le réparer, ce dernier était loin d’avoir meilleure mine. Les deux jeunes filles avaient essayé de nombreuses fois, mais rien ne changeait. La chaîne n’était pas très coopérative… Impatiente, la coréenne se leva et soupira. « Bon, j’en peux plus, pourquoi ça marche pas ! » Elle avait haussé le ton, frustrée de n’y être pas encore arrivée. Elle lâcha le vélo du regard pour venir le poser sur la livreuse. « C’était prévu pour quelle heure ta livraison ? A ce rythme là elle n’arrivera jamais à destination… » Elle réfléchit quelques secondes avant de continuer. « C’est où ? Si c’est pas très loin on peut l’amener à pied et on s’occupe du vélo après non ? » Le malheureux client n’avait pas de chance, face à leur détresse la commande était toujours dans le restaurant. La livrer n’est-il pas l’objectif principal ?

Jiwon ... Jiwon... Luna trouvait que c'était un nom qui sonnait bien, elle pourrait le retenir facilement. Bien qu'elle n'ai jamais eu de mal à garder en mémoire les prénoms. Cerveau de la famille. Cerveau parmi les cerveaux à vrai dire. Une famille de chercheurs dans des domaines spécifiques et intellectuels, difficile d'y trouver une place ou une certaine passion. La douce jeune fille regarda alors sa nouvelle coéquipière observer méticuleusement le vélo apparemment cassé. Fidèle destrier à terre, on ne pouvait pas le laisser dans cet état là. Jamais on ne laissait un soldat à terre. Soudain la canadienne cru apercevoir une illumination chez Jiwon quand celle ci mit les mains dans la mécanique. Luna la regarda, l'observa avec admiration, tenter le tout pour le tout avant de se retrouver un peu déçue face à l'échec. Au final l'employé du fast food ne s'y connaissait peut être pas en bicyclette. Il n'empêche que sa remarque sur le cambouis, fit rire avec légèreté la jeune femme. Elle en oublierait presque qu'elle faisait face là à une situation critique. "Haha ! C'est vrai qu'on a l'air de vraies pro' !" Répondit-t-elle en levant fièrement ses mains devant ses yeux, faisant gigoter ses doigts noircis.

Pour l'aider Luna s'y remis aussi, apparemment elles étaient toutes les deux au même niveau concernant le bricolage. Alors elles essayèrent encore et encore, avec beaucoup d'acharnement. Employant différentes techniques, plus sophistiquées les unes que les autres. Mais rien n'y faisait. La chaîne restait pendante, le vélo défectueux. Luna en aurait presque oublié où elle était et pourquoi, si seulement Jiwon, après un long râle, ne lui avait pas rappelé, proposant gentiment de l'accompagner pour la commande. Ouvrant son téléphone pour pouvoir lui répondre, elle s’aperçut que la résidence en question était vraiment à un pâté de maison. Ça n'étonnait pas forcément Luna, elle aurait aussi été capable d'appeler un livreur au lieu de se déplacer, même tout prêt. "C'est juste à côté ! Mais tu sais tu n'es pas obligée de m'accompagner, tu dois aussi avoir du boulot. Je n'aimerai pas abuser de ta gentillesse." C'était vrai, Luna se sentait un peu mal de ne pouvoir être utile à cette jeune fille, ne pas pouvoir lui rendre la pareille, alors que de sa grande sympathie elle l'avait aidée. Et puis... n'était ce pas revenir sur son rêve d'indépendance que d'accepter aveuglement cette aide ? Mais en tout cas Jiwon n'avait pas tord, autant se débarrasser de cette dernière commande avant de pouvoir prendre le temps de s'occuper du soldat à terre.

Comment avaient-elles pu s’éloigner autant de leur objectif principal ? Il était pourtant simple, livrer la commande à l’heure. Ne voulant pas mettre la jeune femme dans l’embarras, et souhaitant quitter le fast-food le plus vite possible, la meilleure solution était de l’emmener à pied. Enfin, si le client habitait à côté, sinon son plan de génie tombait complètement à l’eau. Regardant au-dessus de l’épaule de Luna, elle constata également que c’était très proche. En plus, elle connaissait la route, c’était à côté de chez elle. Enfin, connaitre est un bien grand mot… Elle arrivait encore à se perdre alors qu’elle prenait ce chemin tous les jours, résultat d’un sens de l’orientation plus que douteux. Il était facile à reconnaître que la coréenne n’était pas très douée, même si elle ne l’avouera jamais. “C’était ma dernière commande alors j’ai plus rien à faire ! Et puis j’ai dit que j’allais t’aider alors je vais pas t’abandonner maintenant. Quelle mauvaise collaboratrice je ferais !” Adieu sieste tant attendue. Enchaînant sa phrase par un simple clin d'oeil, elle se dirigea vers le restaurant. “Tu peux prendre la commande sur le comptoir en attendant que j’aille me changer rapidement ? J’ai l’air d’une plouc là dedans.” Les tenues du fast-food mettaient rarement ses employés en valeur. Alors, ne souhaitant pas se promener partout dans la ville avec les vêtements de l’enseigne elle faisait mieux de se changer.

Guidant la jeune fille dans le restaurant, elle lui pointa du doigt l’endroit où était la commande avant de se dirigeait vers les vestiaires, se changeant en vitesse. Quelques minutes plus tard, elle retrouva la livreuse dehors, à-côté du fameux vélo. “On peut déposer ton vélo chez moi avant d’aller chez le client si tu veux, on ira plus vite sans lui. J’habite pas très loin, on aura pas de détour à faire, t’inquiète pas ! Et puis comme ça, on trouvera peut-être des outils là-bas ou juste quelqu’un pour nous donner un coup de main…” A ce rythme, le bolide resterait cassé pour l’éternité. Les deux ne semblaient pas très habiles en mécanique, leurs multiples essais prouvant leur incapacité. Prenant la commande des mains de Luna pour qu’elle puisse faire avancer son vélo, elle marcha à côté d’elle en direction de son appartement, bâtisse qui n’avait pas fière allure. Une fois arrivée devant celui-ci, elle s’arrêta. “Voilà mon chez-moi ! Passe ton truc je vais le ranger dans le local à vélo.” Oui, comme il était cassé c’était devenu un simple truc. Sans attendre, elle tapa le code du bâtiment avant de disparaître dedans quelques secondes, le temps de ranger le véhicule. Elle se dépêcha de sortir, ne voulant pas mettre Luna plus en retard qu’avant. “C’est bon, allons-y !” Elle laissa la jeune femme la guider, ne connaissant pas la suite de l’itinéraire.

Luna la trouvait adorablement gentille cette Jiwon. Alors comme ça elle allait vraiment l'accompagner jusqu'à la fin de son aventure. Alors la livreuse lui répondit avec un grand sourire et un hochement de tête. Peut être aurait elle tenté une petite blague sur ses vêtements si elles avaient été un tout petit peu plus proche. Mais la jeune femme ne voulait pas faire fuir une compagne d'aventure aussi fidèle et déterminée. Alors elle la suivit seulement dans le fast food, se séparant d'elle au moment de d'aller chercher la commande, objet de la quête. Au moment de prendre le paquet, la canadienne prit le temps de vérifier le numéro de la commande afin de ne pas se tromper comme ça lui était arrivé plutôt une fois ou deux... Bon peut être quatre. Mais c'était pour elle une bonne leçon pour apprendre qu'il ne fallait pas confondre vitesse et précipitation. Une fois sortie, Luna dû attendre sa coéquipière, elle baissa un instant son regard sur ses mains toutes noires avant de lâcher pour elle même "Toi aussi t'as un peu l'air d'une plouc" avec un petit rire. Jiwon ne tarda pas à la rejoindre. Cette dernière lui prit la commande des mains, afin que l'étudiante, en bonne commandante d'opération, soutienne le soldat blessé pour l'emmené avec elles. Non on n'abandonne pas les camarades à terre. C'était une règle tacite. Evidente. Et en aucun Luna n'aurait dérogé à cette règle pour rien au monde. C'est alors que Jiwon proposa de déposer la bicyclette sur le chemin, à son chez elle. Il est vrai qu'il était un peu le poids mort de l'équipe. Alors qu'il devait aider à aller plus vite, il les ralentissait. "Je pense que ce sera plus pratique oui." Assura-t-elle avec son doux sourire. Puis elle eu envie de faire un brin de conversation en marchant, apprendre à connaître cette nouvelle camarade avec laquelle, elle le sentait, elle pouvait devenir amie. "Tu habites toute seule ?" A elle c'était son nouveau rêve, projet à court terme. Quitter enfin le nid.

Arrivée devant un immeuble crasseux, Luna se tourna vers Jiwon, l'air interrogateur, mais avant qu'elle puisse dire quoique ce soit sa coéquipière avait déjà fait les présentations entre la bâtisse et la livreuse. C'était donc là qu'elle habitait. "Encore un autre qui a l'air d'un plouc." Elle lança un regard amusé à Jiwon, cette fois elle s'y risquait, en montrant ses petites mains tout aussi crasseuses que le bâtiment. Elle récupéra la commande le temps de faire l'échange entre "le truc" et le paquet. L'employé du fast-food disparu un instant avant de réapparaître les mains vides. C'était maintenant à Luna de prendre les devants de l'expédition, téléphone en main. "Et sinon, qu'est ce que tu fais quand tu ne travailles pas au McDo ?" Lança-t-elle en douceur avec un petit regard en arrière. Après seulement quelques minutes de marches, les deux jeunes filles arrivèrent devant l'immeuble tout propre qu'indiquait le cellulaire. La livreuse professionnelle sonna à l'interphone et annonça d'une voix guillerette sa venue. "Bah vous en avez mis du temps putain." Bizarrement Luna commençait à avoir l'habitude de ce genre de réponse. Ca avait été la même chose presque toute la soirée. Un bip sonore se fit entendre avant que la jeune femme pousse la porte vitrée. Elle grimpa au premier étage où une dame à l'air sévère attendait sur le pas de sa porte. Sans un bonjour ni un merci, elle prit sa commande et claqua la porte. "Bonne journée madame !".

Redescendant avec un sourire sur ses lèvres, Luna se tourna vers son acolyte, prête à se rendre vers l'immeuble en piteux état qui l'abritait.

Marchant au côté de Luna et de son fidèle vélo, la jeune ne pensait même pas à faire la conversation. Elle était bien trop occupée à ne pas se perdre, cherchant à éviter cette erreur qui pouvait leur être fatale, retardant encore plus les deux demoiselles. Enfin, elle n’était pas non plus contre une petite discussion, au contraire, elle ne pouvait juste pas improviser un sujet. Ayant déjà des difficultés à rester concentrée sur une seule tâche, plusieurs étaient impossible. Elle bougea la tête de haut en bas pour confirmer les propos de son compagnon d’aventure. “Oui ! Ca fait pas très très longtemps que c’est le cas mais je m’amuse bien !” Elle oublia volontairement de préciser pourquoi c’était le cas. La jeune n’aimait pas spécialement le mentionner. Puis elle pouffa à la remarque de son acolyte. C’est vrai qu’il n’a pas fière allure cet immeuble. “J’espère qu’on n’est pas aussi pitoyables que lui, sinon on a du soucis à se faire…!” Malgré une apparence qui laisse à désirer, la beauté n’était pas vraiment le critère principal de Jiwon quand elle a décidé d’y vivre. Disons que le prix se justifiait facilement à la vue du bâtiment. Enfin Jiwon s’y plaisait bien, il y avait un lit, un canapé et une cuisine aménagée. Assez pour survivre.

Une fois en dehors de l’appartement, elle alla rejoindre son acolyte pour prendre la route direction l’habitation du client. Elles y étaient presque ! Sur le trajet, elle fit la cosette avec la jeune fille, comme ça, le voyage semblait encore moins long. “La nuit je travaille dans un 7-eleven et sinon le reste du temps…” Elle réfléchit quelques secondes. “Bah… Je dors !” Heureusement que quelques journées de congés et des petits événements comme celui-ci venaient briser cette routine de temps à autre. Alors sans hésiter, elle retourna la question à la jeune fille, curieuse. “Et toi ? Tu dois être étudiante non ? Attends, laisse moi deviner en quoi !” Elle accéléra le pas pour se retrouver face à sa camarade d’expédition, la regardant. “Mhhhh… Je sais ! Tu as une tête à faire des sciences ! Les gens qui font des sciences sont tous drôles.” La coréenne n’a jamais été très douée aux devinettes, elle cherche surtout une autre fan de science pour pouvoir discuter de choses en apparence bien trop compliquées pour une jeune de 19 ans.

Une fois arrivée devant l’immeuble, Jiwon écouta la brève conversation entre la livreuse et la cliente. Décidément, l’amabilité n’était pas au rendez-vous. Enfin, même si le retard pouvait énerver, ce n’était pas une raison pour jurer. Laissant Luna donner la commande à la dame, la coréenne attendait seule dehors, pensant à ses heures de sommeils sacrifiaient. Mais elle ne regrettait pas ! C’était tout de même divertissant d’être avec la jeune fille. Se perdant un peu plus dans ses pensées, le retour de la livreuse la fit revenir à la réalité. Les deux se rendirent à nouveau dans l’immeuble gardant bien sagement l’arme du crime, la cause du retard. Une fois dans le garage à vélo, Jiwon s'assit à côté du bolide. “Bon, on s’y prend comment ?  Je crois qu’on a tout essayé…” Un long soupir suivit sa phrase, elle n’aimait pas échouer. Puis un éclair de génie traversa sa petite tête. “Je sais !” Elle se releva subitement. “Mais qu’est-ce qu’on est bêtes ! Je suis sûre qu’il y a un tuto Youtube, on trouve tout là-dessus !” Alors elle sortit son téléphone de sa poche, à la recherche de leur sauveur. “Comment réparer un vélo qui a déraillé”. Elle lança la vidéo, rapprochant l'écran de Luna.

Elles papotèrent paisiblement sur le chemin. Ainsi Luna en apprit plus sur Jiwon. Elle savait à présent qu'elle vivait seule et qu'elle devait cumuler deux jobs pour subvenir à ses besoins, elle travaillait même de nuit dans un 7-eleven. La livreuse la trouvait très courageuse, elle qui peinait déjà avec un seul travail la jeune femme trouvait ça très impressionnant. Mais elle se sentit mal en pensant au fait qu'elle lui coupait quelques heures de sommeil bien méritées. Elle fit une petite moue afin de s'en excuser. Puis sa compagne d'aventure avança la théorie selon laquelle Luna était étudiante - gagné ! - puis tenta de deviner sa branche, son domaine et sur ce coup là Jiwon s'était totalement plantée. Une rire cristallin, aussi innocent que celui d'un enfant, franchit ses lèvres. Elle voulut reprendre son sérieux pour lui répondre mais elle semblait si sûre d'elle que Luna trouvait cela vraiment très drôle. Cette fille était si adorable. "Ça aurait pu... mais non." Puis elle continua entre deux gloussements. "J'étudie les langues, je fais de la traduction et tout. Mais je pense qu'étudier les sciences m'aurait aussi plu." Après tout entre un père océanologue et une mère archéologue elle baignait dans la science depuis sa plus tendre enfance. D'autant plus qu'elle aurait pu partir dans une filière de biologie ou de physique, mais voilà, en plus de la catastrophe du lycée - faisant nettement baisser ses notes et faisant apparaître des lacunes - cela l'ennuyait fortement de travailler. Le fait est qu'elle avait moins à travailler que les autres dans sa promotion puisque l'anglais et le coréen était ses langues natales.

La commande arrivée à bon port, les deux jeunes filles retournèrent chez Jiwon, récupérer le soldat blessé, jouer les infirmières ou plutôt les chirurgiennes comme dans les séries télévisées. S'asseyant aux cotés de Jiwon, elle plissa les yeux, l'air très concentrée même si tout tourbillonnait dans sa tête. "Je ne sais pas... Peut être que... on ne voit pas le problème dans son ensemble... ?" C'était clairement une réplique digne d'une de ces séries. Sans le coté épique évidemment, au vu de son hésitation. Puis vint un éclair de génie. Jiwon frappé par la foudre la logique dégaina son téléphone. Riant de nouveau, il fallait avouer que les deux jeunes femmes et leurs situations étaient ridicules, elle lui répondu. "On est vraiment pas douée !" Luna glissa un peu plus près de sa camarade afin de pouvoir regarder l'écran. Après le visionnage elle appliqua à la lettre le tutoriel. Que ferions-nous sans technologie ? "Je crois que ... c'est bon!" Nouveau sourire aux lèvres, elle tourna la pédale du vélo afin de vérifier que tout fonctionne comme il le fallait. Les mains toutes noirs, elle s'en ficha et voulut s'essuyer le front de toute sa sueur. Ensuite la livreuse tourna la tête vers sa nouvelle amie et leva une main pour qu'elle tape dedans. "Merci beaucoup pour ton aide. La guéris... euh.. la réparation de ce vélo signe le début d'une grande amitié, tu ne crois pas ?" Fouillant ses poches, elle sortit un stylo et griffonna son identifiant Instagram sur le dos de la main de Jiwon. Remontant sur son destrier, presque remis à neuf et totalement fonctionnel, Luna prit le chemin de la maison, contente de cette rencontre et de cette fin de service. Il y avait toujours du positif dans chaque journées. C'était tout ce que retenait Luna. Adieux mauvais avis, bonjour nouveaux amis.

La devinette de Jiwon faisait rire sa camarade d’expédition, elle ne savait pas vraiment ce qu’elle avait dit de drôle, peut-être était-ce le commentaire sur les scientifiques ou bien elle s’était complètement trompée, ou alors les deux à la fois. Tout de même confuse, elle laissa tomber sa tête sur le côté, attendant de connaître la véritable spécialisation de Luna. Alors en l'entendant dire qu’il s’agissait d’une littéraire, elle éclata de rire à son tour, rejoignant sa camarade. Elle s’était bien trompée, ça c’était certain. “Non mais… Ca veut pas dire que t’es pas drôle non plus hein ! Et puis… Ça a l’air fun, je crois…!” La coréenne n’a jamais été très passionnée par la littérature et les langues. Certes, elle avait appris à parler anglais plus jeune, incitée par ses parents, mais ça ne lui plaisait pas spécialement. Jusqu’au bout elle soutiendra les sciences, voilà tout.

Retrouvant le compagnon à terre après avoir livré la commande avec succès, les deux filles avaient hésité pendant bien trop longtemps avant d’avoir trouvé LA solution ! Jiwon trouvait ça à la fois drôle et rageant d’avoir attendu autant de temps alors que c’était évident qu’il leur fallait de l’aide. Internet était bien pratique pour cela. Aidant Luna du mieux qu’elle pouvait, les deux filles avaient enfin réussi ! La coréenne applaudissait la livreuse, heureuse de revoir le bolide sur pied et en pleine forme. “Yay, on l’a fait !” Sourire aux lèvres, elle tapa dans la main tendue vers elle. Puis il s’intensifia quand elle mentionna leur amitié naissante. “Oui ! Au final, c’était peut-être le destin !” Dit-elle en rigolant, c’est vrai que sans le vélo, rien de tout cela ne serait arrivé. Surprise, elle laissa sa nouvelle amie écrire sur le dos de sa main son identifiant Instagram. Elle avait bien fait de prendre cette initiative car Jiwon n’y avait absolument pas pensé ! Raccompagnant Luna jusqu’à la sortie de l’immeuble, elle lui fit des grands gestes de la main en guise d'au revoir puis remonta dans son appartement. Trouvant sur Instagram l’identifiant de la livreuse, elle s’abonna sans hésiter, lui envoyant un premier message. “Coucou ! C’est Jiwon, j’espère que tu es bien arrivée et que ton cher compagnon pête la forme !”