ootd > Où est-ce qu’il est ? Lui-même se le demande. Là-haut, la main qui désire se dresser vers les astres brillants dans ce ciel si sombre. Il aimerait comprendre vraiment, Haryu, ce qu’il fait là. L’oreille en vrac, l’estomac à l’envers et cette peur effrayante de ne pas pouvoir regarder vers le bas. Il entend qu’on l’appelle, vaguement ; c’est vrai, qu’il n’est pas tout seul dans cet arbre. Défi idiot de deux âmes complètement saoules qui ont cru que le monde tournait mieux une fois élevés. L’étudiant en sport abandonne un soupir, s’agrippe un peu mieux à ces branches qui l’entoure. Frotte son oreille gauche en grimaçant. Prendre de la hauteur n’était peut-être pas une bonne idée après tout. A moins que cela ne soit ces quelques verres qu’il a bus sans même s’en rendre compte ? En ce moment, il a l’impression que toutes ses certitudes, toute sa petite routine bien tranquille, se disloquent. Petit à petit – et parfois, tout d’un coup.

« Je crois que j’ai gagné. Je suis monté plus haut que toi. » Il hausse les épaules, Haryu. Aucune satisfaction vraiment d’avoir remporté ce pari stupide. Entend la voix qui parle, qui lui répond d’en-dessous. De combien de mètres ? Peut-être pas tant que ça. Mais le garçon lui avoue qu’il a peur. Enfin, il pense avoir peur. Du vertige, ou de cette soirée ? Haryu pince les lèvres, sent un haut-le-cœur le submerger ; mais rien ne viendra pour le moment. Heureusement. « Pourquoi tu es grimpé si tu as peur ? » Et toi, Haryu, pourquoi es-tu là ? Question tout aussi idiote que cet événement. Alors il gigote, un peu, déglutit. Ne veut pas regarder vers le bas. Frissonne. Où est installé son camarade ? Il glisse son pied droit sur la branche inférieure, la tâte du bout de sa chaussure, comme à la recherche silencieuse de son coéquipier. Ah ! dans quelle galère vient-il encore de se fourrer, Haryu.

Et puis il a cette idée de fouiller dans sa poche, à la recherche de son téléphone portable. Il allume la lampe de poche et scanne les environs. « Tu vois la lumière ? » Il demande, les yeux vitreux, la gorge serrée. Et les grésillements dans son appareil auditif commencent à lui faire vriller le tympan. Mais s’il lâche sa main du tronc de l’arbre, c’est la chute assurée. D’aussi haut, Haryu n’est pas convaincu d’être capable de retomber sur ses jambes comme ces félins qu’il admire tant. Il se mord la lèvre, tente de ne plus bouger. Espère avec sincérité que son interlocuteur ne va pas le laisser là, au beau milieu de ce feuillage. En plus, malgré l’alcool, Haryu a l’impression d’avoir froid. « … tu es toujours là ? » Un souffle qui se perd dans les branchages.

ootd > Accroché dans les branches de cet arbre, les pensées remuent. Elles pourraient s’envoler parmi la brise d’air frais qui fait remuer les cheveux, pourtant, elles demeurent là, ancrées, bien présentes. Ces derniers jours n’ont pas été simples pour l’étudiant en sport et cette maudite oreille… Il y a des choses qu’il ne comprend plus – qu’il n’a peut-être jamais compris. Ses phalanges blanchissent tandis qu’il agrippe plus fort son corps à cet arbre, cherche la présence de celui avec qui il a eu la stupide idée de faire ce pari. Haryu a gagné, mais il n’est pas tellement satisfait. Cette victoire laisse un goût amer dans la bouche. Et ils se cherchent, tentent de savoir où ils sont. Haryu est plus haut, l’autre est un peu en arrière. Qu’importe. S’élever pour ne pas chuter. « Moi, je ne sais pas si j’ai peur. Mais je n’arrive pas à descendre. » Les mots sont dits, las dans sa bouche pâteuse à cause de ces nombreux verres d’alcool ingurgités. Haryu, tu n’es pourtant plus un enfant.

Il bouge la lueur de la lampe torche de son téléphone portable, fait de son mieux pour que son objet électronique ne vienne pas à s’écraser des mètres plus bas. Il sait qu’il n’aurait clairement pas les moyens pour s’en offrir un autre aussi performant. Il esquisse une vague grimace, secoue la tête quand bien même l’autre jeune homme ne peut pas le voir. « Non, c’est promis. » Les esprits sont de travers. « Viens vers moi, au moins on ne sera pas tout seul. » Les êtres humains possèdent cette dépendance particulière et cette incapacité à vivre éloigné les uns des autres ; c’en est presque plus effrayant que le vertige qui s’empare d’eux. « Je m’appelle Na Haryu, et toi ? » Connaître l’identité de ces yeux brillants dans le noir semble une bonne idée. Elle est sans doute bien moins dangereuse que cette escalade. Haryu soupire, range son téléphone. Gigote un peu pour espérer trouver une position plus confortable dans les branchages.

Est-ce qu’il s’agit de ce regard qui lui a ouvert la porte à ce genre d’idioties ? Haryu apprécie son confort, sa petite routine. Seulement, depuis quelques temps, il a l’étrange impression que tout est en train de foutre le camp. Les ennuis s’accumulent, les drôles de rencontres aussi. La preuve, il est assis là, à des mètres du sol avec un peu trop d’alcool dans le sang. Il grimace, sait que demain il ne tirera pas vraiment droit lors de son entraînement. Il ne touchera pas la cible en plein cœur. La loupera de plusieurs centimètres. Mais ce n’est pas si grave, n’est-ce pas ? « Pourquoi tu es là, toi ? » Et sa main se tend en contrebas, espérant aider son camarade à se hisser un peu plus près de lui. Ou des étoiles. Parce qu’Haryu n’a pas beaucoup l’impression d’avoir grand-chose à offrir.

ootd > « Ah oui, je vois. » Et il se met à sourire, là, accroché à sa branche d’arbre. Dans l’obscurité de leurs bêtises, Haryu ne manque de replonger dans ses propres souvenirs incluant à l’évidence ses parents. « Ashley, c’est quand ta mère est sur ton dos, n’est-ce pas ? Ashley, range ta chambre ! Ashley, va chercher les courses ! Ashley, dépêche-toi sous la douche ! » Il rigole tout seul, grisé par la sensation de l’alcool qui l’a envahi et cette altitude qui l’ébahi un peu. D’ordinaire, Haryu n’est pas si expressif. Bien sûr, il sourit, sait s’amuser, mais c’est un peu plus dans la retenue. Ce soir, il se dit qu’il n’y a rien ni personne qui ne peut le voir. Pas même Ashley, avec la lumière de leur téléphone. Il finit par lui tendre la main pour l’aider à se rapprocher d’où il se tient. Ainsi, ils ne sont pas d’une part et d’autre de cet arbre. Quelle drôle d’idée d’avoir fait ce pari inutile. Au moins, grâce à l’alcool, ils n’ont pas froid. Haryu ne prête même pas attention que son interlocuteur conserve sa main dans la sienne.

Ashley semble être un personnage haut en couleurs en ces quelques minutes où il parle, parle, parle. Haryu est plus silencieux, tout à coup, se contente d’écouter. Se doute bien que son interrogation va finir par lui revenir. « Tu poses trop de questions, Ashley. » Mais ça continue de le faire sourire. « Je voulais juste me changer les idées, oui. Parce que c’est compliqué en ce moment. Depuis des semaines. Tu sais, moi, je ne suis pas vraiment du genre aventurier. J’aime bien le calme plat de ma vie. » Il hausse les épaules ; tant pis s’il passe pour un vieil homme. La routine a quelque chose de réconfortant pour Haryu qui a ce besoin vital de constance. « Je suis archer, et toi ? Tu as dit que tu ne connaissais pas beaucoup de monde. » Cela ne doit peut-être pas faire longtemps que son camarade est dans le coin. Au moins, depuis là où ils sont, Ashley a le loisir d’observer une partie de la ville s’étendre en contrebas. A un moment donné, il va bien falloir qu’ils descendent. Ils aviseront à cet instant.

« Tu lances souvent des paris aussi nuls ? » Parce que moi, c’est la première fois que j’en relève un de la sorte. Ses lèvres s’étirent en un léger sourire tandis qu’il finit par lâcher les doigts de son vis-à-vis. Ils ne se distinguent pas très bien dans la nuit et Haryu a même l’impression de ne pas tout entendre quand il lui parle. D’instinct, il approche sa main de son oreille gauche pour s’assurer que tout est en place. « Ash, pourquoi est-ce qu’on a ce besoin de vouloir être comme tous les autres ? » ça cogite et ça tourne, là-dedans. Quelques pensées s’échappent, virevoltent vers un prénom rencontré voilà près d’un mois. Parce qu’il sait, Haryu, que lui aussi il aimerait être comme tous les autres.