A sa demande, elle a enfilé ses plus beaux atours. A sa demande, elle a mis cette longue robe noire très habillée et sensuelle dont il raffole. A sa demande, elle a maquillé ses lèvres de pourpres. A sa demande, elle a mis la parure qu’il lui a offert à Noël. A sa demande, elle est devenue la vitrine de sa fortune. A sa demande, elle ne pipera mot ce soir si ce n’est pour les formalités de présentation et de salutation. Ce soir, elle sera sa potiche, juste un faire valoir, comme la plupart du temps lors de ces soirées. Ces soirées qu’elle n’apprécie que très moyennement. Le seul intérêt qu’elle y trouve c’est l’alcool. Mais elle n’aura pas accès au bar avant un moment, elle le sait. Alors elle se tient debout, simplement, à ses côtés, se tenant à son bras, souriant lorsqu’on leur adresse la parole ou lorsque quelqu’un complimente sa robe. Il lui a appris bien des formules de politesse, bien des réparties qui donnent l’impression qu’elle est éduquée, qu’elle appartient à son milieu. Mais la vérité est qu’elle n’en fait pas partie. Elle n’en fera jamais partie. Elle aura beau donner le change et paraître à l’aise, elle ne l’est pas. Elle reste la petite Malee, sauvée des griffes de sa mère, arrachée à une précarité proche de la pauvreté. Elle reste le moineau à qui l’on a coupé les ailes dès sa plus tendre enfance. Celle dont les expressions sont toujours absentes lorsqu’elles ne sont pas forcées.

Remontant sur son épaule, pour nième fois la bretelle, qui en glisse incessamment elle laisse dériver son regard sur la foule, sur les lieux, décorés avec raffinement puis enfin ses iris se noircissent d’un désir irrépressible lorsqu’elle le voit. Le bar. Elle attend pourtant la permission de son mari. Elle ne bouge pas, elle le suit, aussi élégante qu’elle le peut, perchée sur ses escarpins douloureux. Et finalement il prononce les mots qui la libèrent enfin “A plus tard.” Simplement. Et la voilà abandonnée, livrée à elle-même. Et dans la jungle mondaine, elle n’est qu’une proie insignifiante. Alors elle s’empresse de partir se poser au comptoir, se perchant sur un tabouret, galérant avec tout le tissu qui lui couvre les jambes. Puis elle commande un whisky sur glace. Pour commencer. Un de ses alcools préférés, qu’elle a appris à aimer grâce à son époux. Il lui en a appris des choses, elle doit bien l’avouer. Puis elle noie sa gêne, son malaise dans ce liquide ambré dont les gorgées lui brûlent légèrement la gorge.

Quelqu’un finit par venir se poser à ses côtés alors qu’elle demande à être resservi pour la troisième… hm non… quatrième fois ? Qu’importe dans le fond. Tant qu’elle n’ouvre pas la bouche, ça ne se voit pas, qu’elle a trop bu. En revanche, le moment où elle décidera de se lever signera la fin de sa dignité. Elle ne ralentit pas pour autant. Au bout de quelques minutes, elle comprend qu’il ne bougera pas non plus de là. Alors elle se tourne vers lui, cet inconnu, jeune, peut-être aussi jeune qu’elle et elle lui adresse un sourire, levant légèrement son verre en guise de salut. Ses yeux sont vitreux. Ses pupilles dilatées. Elle est bien trop alcoolisée. Pourtant elle ouvre ses lèvres parées de carmin. “V… vous êtes… euhm… Vous aussi vous vous faîtes chier ?” Il n’y a plus de filtre. Les mots jaillissent de sa bouche sans retenue, sans forme adéquate. “Moi j’me fais chier. Y’a personne qui m’parle. Et la musique est sinistre.” continue-t-elle sans réaliser que probablement, ce jeune homme pourrait la juger pour de telles paroles. “Heureusement, toi t’es là.” dit-elle en regardant le fond de son verre presque vide, presque en chuchotant, s’adressant au récipient comme à son meilleur ami. Pathétique. Malee a un problème avec l’alcool. Un gros. Un énorme même.

Lei se demandait réellement ce qu’il faisait à une soirée comme celle-ci, une soirée où il n’y avait que des personnes de la haute sphère alors que lui, il ne baignait pas du tout dans tout cela, pas depuis qu’il a coupé les ponts avec sa tendre mère, du moins, essayer. Et pourtant, elle avait réussi à traîner le petit robot dans ce genre d'événement. Le voilà alors dépité, dans un costard qui n’est même pas le sien, à éviter les personnes, le plus de personnes. Il se sentait un peu comme le cheveux qu’on a rajouté sur la soupe, alors qu’il n’était qu’un robot sans sentiment, le moins de personne il pouvait croiser, le mieux c’était pour le jeune chinois, il n’était juste pas spécialisé dans ce genre de situation, quoi dire, comment agir, quand est-ce qu’on pouvait couper court à la discussion ? Un verre d’alcool à la main, Lei s’était approché du bar, attendant alors le bon moment pour s’enfuir de cette situation, essayant alors de ne croiser personne mais surtout de ne pas avoir à ouvrir la bouche. Il restait là, droit comme un i, observant les invités, mais surtout en ayant aucune émotion sur son visage, pour ne pas attirer l’attention de certaines personnes mais ce ne fut pas le cas, une jeune femme venait alors à lui parler et à lui sourire, Lei avait l’impression qu’elle était légèrement alcoolisée, combien de verres avait-elle bien pris ? Il n’allait bien sûr pas demander, cela était son problème après tout. Est-ce que le jeune policier s’ennuyait ? Oui, beaucoup, énormément même, peut-être que parler à cette jeune femme fera passer le temps, peut-être.  “ Bonsoir. Oui, moi aussi je m’ennuie, c’est pour ça que nous sommes devant le bar, n’est-ce pas ? Pourquoi voudriez-vous que ces personnes vous parlent ? Ils ne sont pas si intéressants que cela entre nous. Et la musique.. Je l’aime bien moi. ” Politesse, encore et toujours, Lei était incapable de tutoyer des gens, qu’ils soient plus vieux que lui ou bien plus jeune, c’était son habitude après tout. Puis sincèrement, les personnes qui se trouvaient à cette soirée n’avaient que les mêmes sujets à la bouche, l’argent, la politique, qui a la plus grosse maison de la salle et tout ce qui s'ensuivait, rien qui n’intéressait le jeune robot.  “ Vous êtes venue avec vos parents ? Ou avez-vous une entreprise à votre nom ?  ” Il ne voyait que cela comme raison, ils avaient l’air d’avoir le même âge après tout et des personnes de leur âge, il n’y en avait pas beaucoup ici, voir quasi pas du tout d’ailleurs.