(( escape road )) — De toutes les saisons, le printemps était la préférée de Seungkwan. Il aimait contempler le réveil de cette nature endormie que beaucoup avaient oubliée. Il aimait découvrir, les yeux avides, les rayons du soleil qui régnait sur la ville sans se poser de question, alors que la saison commençait en douceur. Les mains dans les poches de son pantalon, c’est sur le paysage que les yeux de Seungkwan étaient rivés, et non sur un écran comme c’était le cas de bien des passants autour de lui. Quand tous observaient les pavés ou les messages qu’ils venaient de recevoir, le pharmacien contemplait les cieux et leur couleur bleue, qui aurait pu suffire à rendre heureux le plus bougon des hommes. Du moins, c’est ce la façon dont Seungkwan voyait les choses.

Il était perdu dans ses pensées, à songer à Munhee et à tant d’autres choses, quand un homme était venu le percuté. Surpris plus que blessé, il avait observé un instant cette rencontre imprévue, qui semblait en vérité toute aussi confuse que lui. « Ce n’est rien. » avait-il répondu de son ton calme et bienveillant. Il ne s’était pas fait mal, après tout. Une distraction arrivait, et s’il n’avait pas vu passer l’anima qui avait causé cet événement fâcheux, cet inconnu ne semblait pas noyé dans ses ondes au point d’en oublier le monde qui existait autour de lui. Non, c’était probablement autre chose. Il pouvait comprendre.

Seungkwan allait lui demander s’il avait besoin d’aide quand il l’avait entendu reprendre, et il avait hoché la tête en riant doucement. Bienveillant, oui. Il l’avait toujours été. Il n’était pas de ceux qui souhaitaient du mal aux autres. «Ne vous en faites pas… Et Calmez-vous, je vais vous aider. » avait-il ajouté avant de chercher du regard le félin qui s’était enfui et qui, pourtant, semblait encore les observer, là où il s’était arrêté. À croire qu’il les narguait. « Le mieux ça serait de pouvoir le rabattre à un endroit où il ne pourrait pas s’enfuir… » Mais où trouver cela, dans un parc ? Les cachettes étaient si nombreuses que c’était peine perdue. Mais Seungkwan n’abandonnait pas. Par malchance, il fallait que ses seuls animaux soient des poissons…

(( escape road )) — Courir après un chat n'était pas vraiment une chose que Seungkwan avait eu l'intention de faire en quittant l'appartement ce jour-là. Pourtant, en voyant ce garçon dans une telle situation, il n'avait pas forcément eu d'autre choix que celui de l'aider. Après tout, il n'était pas pharmacien pour rien. S'il avait choisi ce métier parmi tant d'autres, c'était notamment pour pouvoir aider les autres, même si cela n’impliquait pas forcément leur santé. Alors forcément, quand il avait vu ce gars en train de courir après un animal qui avait visiblement dérobé quelque chose, il n’avait pas pu se permettre de l'ignorer et de continuer son chemin en fermant les yeux sur la situation. Bien évidemment, il ne lui en voulait pas de lui avoir foncé dedans. Cela aurait été plutôt stupide. En plus, ce n'était pas comme s'il était en train de marcher avec les yeux rivés dans son téléphone, absorbé par son écran comme un zombie, comme c'était le cas de bien trop de monde à cette époque.

Il lui avait poliment demandé de se calmer car aider une personne qui était dans tous ses états, n'était pas non plus une chose facile. Ensuite, il avait commencé à réfléchir à une approche qui allait leur permettre de rattraper le chat qui s'était enfui avec la nourriture de son interlocuteur. Un léger rire avait filé entre les lèvres de Seungkwan quand il avait entendu sa réaction. Bien évidemment qu'il allait l'aider. Ce n'est pas comme s'il était du genre à fermer les yeux sur les problèmes des autres. La description du chat aussi était assez amusante, il devait bien l'avouer. Mais dans l'immédiat, tout ce qui préoccupait Seungkwan, c'était de trouver une façon dont ils allaient pouvoir l'arrêter et récupérer ce qu'il avait volé. D'ailleurs, il avait hoché la tête quand il avait entendu l'autre mentionner un plan. C'était vraiment nécessaire, même s'il ne fallait pas une stratégie profondément poussée pour réussir à attraper un pauvre chat qui s'était enfui.

Seungkwan avait pris quelques secondes pour y penser, secouant la tête en entendant l'autre le remercier. « Ne vous en faites pas, c'est tout à fait normal. » Avait-il répondu en souriant, avant de commencer à chercher le chat du regard. Il avait disparu, le fourbe. Quand son interlocuteur s'était finalement présenté, Seungkwan avait arboré un nouveau sourire. « Moi de même, moi, c’est Seungkwan. » Il avait ensuite cherché le chat du regard et il avait hoché la tête à la question de son interlocuteur. « Non, je pense qu'on peut faire comme ça. On finira bien par le trouver. » Et sur ces mots, il avait commencé à chercher du regard l'animal qui demeurait toujours invisible. Au bout d’un moment, il l'avait aperçu, ou du moins était-ce qu'il avait pensé, et il avait cherché du regard son interlocuteur pour faire un geste désignant l’animal. « Je crois qu'il est là. » avait-il montré d'un mouvement de lèvres sans pour autant hausser la voix. Il n'avait pas envie de se faire remarquer par le félin. D'ailleurs, l'animal était en train de l'observer au bout de la rue, comme s'il était au courant de ce qu'il prévoyait. Avec un peu de chance, ils allaient parvenir à l’attraper, mais cela n'allait pas être une mince affaire. Il pouvait déjà l'imaginer.

(( escape road )) — Malmené à cause de son inattention ? Seungkwan ne put dissimuler sa surprise face à une telle annonce. Les gens étaient-ils si peu civiliser qu’il était impossible de leur faire entendre raison, au point où ils allaient agresser un inconnu simplement parce qu’il leur avait foncé dedans ? Si c’était le cas, il pouvait se rassurer : Seungkwan n’était pas de ce genre de personnes. D’ailleurs, il avait légèrement incliné la tête, un petit sourire aux lèvres. Le pharmacien ne savait s’il était vraiment question de destin favorable ou non, mais dans tous les cas, il était particulièrement heureux d’avoir la chance de venir en aide à quelqu’un. Tout ce qu’il restait à voir, désormais, c’était s’ils parvenaient à faire équipe pour arrêter le félin qui avait commis l’odieux larcin, ce qui n’aurait pas été une mauvaise chose.

Le pharmacien avait hoché la tête, alors qu’ils décidaient de la façon dont ils allaient procédés, et il avait commencé à avancer dans la direction prévue, cherchant des yeux l’animal tout en essayant de lui faire croire que son attention n’était pas sur lui. Si on lui avait dit qu’il allait devoir attraper un chat, il aurait certainement porté autre chose. C’était là toute l’ironie du hasard, ou du destin, comme certains l’auraient appelé. Seungkwan avait hoché la tête en voyant que Qiao avait bel et bien repéré l’animal. Il avait tourné dans sa direction : c’était parfait. Seungkwan avait essayé d’attirer l’attention du félin qui se trouvait non loin de lui, espérant que Qiao allait parvenir à l’attraper sans trop de difficulté.

Mais tout allait vite. Bien trop vite pour qu’ils parviennent à l’attraper, et c’est avec difficulté que Seungkwan avait essayé de saisir l’animal qui, non content de lui échapper, lui avait griffé l’avant-bras. « Il est agile ! » Il avait grimacé en reposant les yeux sur son bras. Rien de très grave, il n’aurait qu’à désinfecter en entrant. « Mais qu’est-ce que tu vas faire avec tout ça ? » avait-il lancé à l’adresse du chat, comme si cela allait le convaincre de rendre le fruit de son larcin. « On n’a plus qu’à réessayer… » Avec un peu de chance, la deuxième fois serait la bonne. Il avait espoir, en tout cas. D’ailleurs, le chat semblait à nouveau s’être arrêté.

(( escape road )) — Il était fourbe, l’animal, à se jouer d’eux comme s’ils n’étaient qu’une vague distraction dans sa journée si bien planifiée. C’était profondément agaçant à ses yeux. Il s’était légèrement massé à l’endroit où l’animal l’avait griffé, répondant d’un mouvement de tête à celui qui s’adressait à lui. « Non, ça va. Ne t’en fais pas. » avait-il répondu en un léger sourire avant de reposer les yeux sur l’animal qui se trouvait un peu plus loin. « Je doute vraiment que ça soit bon pour sa santé, en plus… » Le sucre n’était-il pas nocif pour les animaux. « J’ai lu qu’un chat ne sent même pas le sucre, en plus… »

C’était encore plus absurde, quand il y pensait. Pourquoi cet animal s’était-il permis de voler la nourriture d’un autre ? Pourquoi, de manière générale, les chats s’amusaient-ils à voler ce qui ne leur appartenait pas ? Le mystère restait entier.

« Peut-être… » Le plan n’était pas mauvais, après tout. Seungkwan avait commencé à s’intéresser à autre chose. L’écran de son téléphone, par exemple, chose qu’il ne faisait que très peu. Cela allait-il suffire à détourner l’attention du chat ? Le pharmacien avait fait en sorte de se déplacer afin de pouvoir bloquer l’animal si ce dernier tentait de prendre la poudre d’escampette et, quelques instants plus tard, leur chasse prenait fun. « Oh, ce n’est rien. » avait-il répondu en souriant. Il l’avait fait de bon cœur, après tout. « Ils sont bons à ce point ? » avait-il demandé en riant. « Merci. » Il avait été un peu surpris par la proposition, mais dans le bon sens, alors il avait hoché la tête sans perdre le sourire. « Avec plaisir. C’est gentil. » Il avait regardé dans les alentours, à la recherche de l’enseigne d’un café. Ils étaient si nombreux que le choix était un peu difficile à faire. « Là-bas ? »

(( escape road )) — Le conseil de Qiao avait arraché un léger sourire au jeune pharmacien, qui n’avait pas tardé à hocher la tête. « Oui, ne vous en faites pas. » Il savait l’importance de ne pas laisser sa santé empirer à cause d’une blessure qui avait l’air aussi petite, mais qui ne l’était pas. Il suffisait de peu pour que des problèmes surviennent, après tout. Ils avaient fini par attraper le chat qui leur posait quelques problèmes depuis son arrivée, et face à l’intérêt que cet homme semblait avoir pour les biscuits, Seungkwan n’avait pu que sourire un peu plus. « Je vois ça. » C’était assez amusant, et quelque part, réconfortant, aux yeux d’une personne comme le pharmacien. Il avait toujours été déçu par ceux qui ne se satisfaisaient de rien, alors voir une personne trouver le bonheur dans un paquet de biscuit, c’était parfait pour le mettre de bonne humeur.

« J’avoue que je n’aurais pas imaginé ça non plus. » Mais contre toute attente, Seungkwan en était plutôt heureux. Rencontrer de nouvelles personnes sans passer par les réseaux sociaux et tous leurs artifices, même s’il fallait un chat pour cela, n’était pas une chose dont il aurait pu se plaindre, de toute façon. Il était un peu trop solitaire, de manière générale. « Ah, je suis pharmacien, je travaille dans une petite pharmacie de quartier. Et vous ? » Il n’allait pas s’étendre sur la situation de la pharmacie en elle-même, c’était parfois un peu trop compliqué, mais il était assez content qu’on lui pose la question. Il avait regardé autour d’eux un instant. Il faisait beau, il n’y avait pas trop de monde, et c’était une chose vraiment agréable à ses yeux.

(( escape road )) — Seungkwan ne pouvait qu’approuver ce que Qiao avançait. Les gens accordaient trop d’attention à ces petits appareils qu’ils transportaient partout avec eux. Ils en oubliaient les autres, ceux qui les entouraient, et c’était bien dommage. Il avait une mentalité d’un autre temps, il en avait conscience, mais il n’avait jamais été intéressé par toutes ces choses. Elles le rendaient anxieux, l’empêchaient d’avoir les idées claires, et elles faisaient perdre bien trop de temps, de son humble avis. « C’est vrai, et bien triste d’ailleurs. » Mais que pouvaient-ils y faire ? Rien, hélas.

Il avait hoché la tête et avait trouvé une place pour eux, regardant le serveur qui approchait déjà. Il n’avait rien demandé de très compliqué : profiter de l’argent d’un autre n’était pas non plus une chose qu’il appréciait, alors il n’était pas de ceux qui, une fois invité, prenaient les choses les plus chères. Un simple café lui suffisait.

La remarque de Qiao lui avait arraché un léger sourire. « Oui, en effet. Mais vous ne pouviez pas le savoir. » Et il n’était pas du genre à dire ‘je sais, je suis pharmacien’ face à un conseil si bienveillant, en vérité. « Ah? » Il avait attendu la révélation, qui lui avait en effet arraché un rire. « Ah oui ! J’imagine déjà les animaux qui courent dans tous les sens en volant vos affaires… » Il avait souri. « Ce n’est pas trop difficile, de travailler avec des animaux ? Surtout dans un bar, ça doit être un sacré exercice d’équilibre. » Il était curieux, désormais.

Il avait remercié le serveur qui venait leur apporter leur commande, avant de remercier une fois encore Qiao, qui l’avait gentiment invité, et il avait reposé les yeux sur lui. « Hm… Oui, ça me plaît beaucoup. On a souvent des gens qui viennent vers nous avec des petits problèmes et on essaie de faire de notre mieux, même si parfois on est obligés de les envoyer chez le médecin parce qu’on ne peut pas leur vendre n’importe quoi. » Il avait froncé les sourcils à cette pensée, avant de retrouver le sourire. « Elle n’est pas très loin, attendez. » Il avait trouvé dans son petit sac un sachet de ladite pharmacie, qui contenait encore quelques produits qu’il avait achetés, avant de lui montrer. « C’est ça, l’adresse. » avait-il répondu en lui montrant la ligne qui se trouvait en bas. « On n’est pas hyper technologiques, mais ça me convient bien comme ça. » Mieux, même.

(( escape road )) — Ce genre de situations donnaient espoir à Seungkwan, qui était bien incapable de supporter la vie au travers des écrans, telle que la société l’imposait de plus en plus à leur époque. Il était heureux de ne pas devoir faire partie de ces gens qui ne vivaient que par procuration, accrochés à ces écrans comme à des machines supposées les garder en vie. Il aimait discuter de vive voix avec des êtres de chair et d’os, partager des moments qui s’ancraient dans le monde réel et non dans l’univers numérique ou chacun pouvait être ce qu’il voulait, mais où tous cessaient d’exister en même temps. Il craignait cette dématérialisation de l’âme qu’avait apporté la technologie, et l’esclavagisme auquel était soumis l’homme qui, de plus en plus, apprenait à utiliser des machines qui l’assistaient au lieu de survivre par lui-même. Qu’allait-il devenir, si tout cela disparaissait un jour ?

« Et ils ne mangent rien en présence des clients, alors ? » Il avait hoché la tête en écoutant l’explication de l’homme qui se trouvait en face de lui, intéressé par son explication. « J’ai lu un jour que les chats avaient un bon sens de l’orientation pour retrouver le chemin de chez eux, quand ils se perdaient. » avait-il répondu en souriant. « C’est vrai ? Vous avez déjà eu des vols ? » Après tout, les gens n’étaient pas tous bons, hélas. Il le savait, quand bien même il se montrait très souvent idéaliste, à certains niveaux. Il refusait de s’exposer à l’image négative que transportaient les médias, même si elle était souvent le reflet de l’horrible réalité des choses.

« Exactement. Beaucoup pratiquent l’automédication, et c’est très dangereux pour certains d’entre eux. » avait-il avoué en poussant un soupir. Il remerciait l’existence des ordonnances et des consultations qui leur permettaient parfois d’éviter des drames. Il y avait toujours une partie qu’il ne pouvait contrôler, hélas, mais il n’était pas non plus trop souvent confronté à ce genre de situation. « Ne m’en parlez pas… » avait-il répondu en riant doucement. « C’est bien ce que je crains, quand je vois la tournure que prennent les choses. L’autre jour un client m’a expliqué qu’ils travaillaient sur un genre de seconde peau qui permet d’avoir les constantes de la personne qui la portent ? » C’était effrayant, ce que les hommes essayaient de mettre au point. « C’est pareil pour moi. Je l’emporte uniquement au cas où le travail m’appelle, mais je ne suis pratiquement jamais dessus. C’est quelque chose qui m’insupporte. » avait-il continué en riant doucement. « Les gens n’arrivent même plus à partager un repas sans être accroché à leur écran. Le pire c’est que c’est blessant pour la personne qui les invite. Je ne sais pas comment je le vivrais, si ma petite amie me faisait le coup. »  Ah, sa petite amie. S’il avait su de quel genre de personne il s’agissait, il n’aurait certainement pas été aussi heureux à l’idée de penser qu’elle n’était pas ce genre de personne.  « Vous aimez la randonnée, alors ? » Voilà longtemps qu’il n’en avait plus vraiment fait, à vrai dire.