✦ exctinction.
dernier client parti la peau fraichement painte d'un nouveau motif, après avoir laissé au tatouer le soin d'en faire une photo pour la publier, comme chaque fois qu'un projet se voit achevé. outils nettoyés, salon balayé, surfaces immaculées pour préserver l'hygiène autant que possible, parce qu'on peut vraisemblablement pas compter sur les autres pour le faire.
il a beau s'égosiller à leur dire que si le salon a l'air suspect les flics viendront et trouveront la came à l'arrière, y a rien à faire, ils laissent toujours tout dégueulasse ici.
un jour un de leur client va crever d'une septicémie, ils demanderont pas d'où ça vient.
comme d'hab kai est donc le dernier sur place, à jeter ses aiguilles, désinfecter ses machines, astiquer son fauteuil. et après avoir passé la serpillère, il attend que ça sèche assis en tailleurs sur sa chaise de bureau, déjà en train de publier son nouveau motif.

c'est sans compter sur une petite furie qui rentre en trombe dans le salon ; et il a à peine le temps de relever la tête en entendant la clochette que déjà la fourbe a mis ses gaudasses dégueu sur son sol immaculé.
"putain alex t'abuses j'viens de faire le sol !!" il s'insurge et se relève d'un bond, contrarié. même pas un bonjour non, ni de la part de kai, ni de la sienne. pour quoi faire après tout. d'un soupire il avance vers elle, puisque de toute façon, faudra tout refaire. et en plus elle lui demande si il peut la tatouer. quoi genre là, à cette heure ? elle a vraiment aucun respect cette gamine.

c'est seulement à sa hauteur qu'il remarque l'état dans lequel elle est. tailladée, blessée, couverte de sang. il hausse un sourcil, la première pensée le traversant étant qu'elle va en foutre partout alors qu'il vient de tout nettoyer.
putain, cette gonzesse...
il grogne intérieurement et soupire, la toisant de haut en bas.
"certainement pas. t'es pas du tout en état là, tu vas me faire un malaise. j't'ai tatouée assez de fois pour que tu saches qu'il faut être en forme non ?" il gronde kai, il a pas de honte à l'engueuler.
même si au fond elle doit bien savoir que c'est sa manière à lui de lui montrer qu'il s'inquiète. un peu.

"tu vas en foutre partout en plus là. amène toi."
et il attrape la demoiselle par le poignet, sans délicatesse, sans préavis, pour la tirer sur une chaise et l'y asseoir de force.
son tabouret roule vers lui avant qu'il pose ses miches dessus, inspectant les plaies d'un oeil dur et crispé. "sérieux regarde-toi. on dirait qu'tu viens de passer sous un bus."
non il ne lui demandera pas ce qui s'est passé ;
de toute façon, elle lui racontera sans doute d'elle-même, et ça même si il demande pas.

✦ soupire.
elle est dans un piteux état, la gamine.
toute cabossée, toute écorchée, toute lacérée. on dirait qu'elle vient de faire la guerre et pourtant elle tient sur ses pieds, elle réclame, elle fait ses caprices ;
elle veut même un tatouage que kai lui refuse, et il pourrait même lui fournir une liste des raisons pour laquelle il veut pas.
il est tard, tout est propre, il a les yeux fatigués par la grosse pièce qu'il afaite aujourd'hui.
des raisons égoistes oui, mais confirmées surtout par l'état dans lequel elle est.
oh il ira pas jusqu'à dire qu'il s'inquiète réellement, elle qui n'est pas son amie.
mais au fond kai, c'est qui tes amis ?
finalement la gosse est peut-être pour toi ce qui se rapproche le plus d'un ami.
c'est dire à quel point t'es pathétique.

il peut cependant pas la laisser comme ça, la jeter dehors sans savoir ce qui risque de lui arriver. elle a l'air d'un gibier blessé toute prête à être dévorée par toutes sortes de bestioles dehors.
et ça tle fait chier lui-même de se dire qu'il tient à elle, même juste un peu, même juste assez pour la garder là et lui filer un coup de main.
même si c'est que pour une heure ou deux.
parce que c'est peut-être un con kai, mais c'est pas un connard.
pas assez pour laisser une femme en détresse se démerder toute seule.
alors il attrape sa boite de premier soin - apparement c'est obligatoire à avoir dans un salon de tatouage, comme si ils respectaient les lois ici -
et sans se soucier de savoir si ça pique ou si ça fait mal, il entamme de soigner ses plaies,
non sans garder sa mine fermée.

la gamine s'excuse et elle sait probablement même pas pourquoi ;
elle s'excuse peut-être plus envers elle-même qu'envers lui.
alors kai répond rien et l'écoute pleurnicher sans sourciller, autant concentré sur ses soins que s'il était effectivement en train de la tatouer ;
quoi que bien moins habile dans la tâche.
"pourquoi, t'as des tendances suicidaires toi ?" il demande pour dédramatiser ;
ou alors pour l'enfoncer, il est pas bien sûr.
et il devrait pas rire avec ça kai, il sait mieux que personne ce que c'est de vouloir mettre fin à ses jours,
mais faut croire que voir la misère chez les autres l'empêche de voir la sienne.
l'arbre voit la forêt mais pas ses propres branches.

alors il décore la frimousse de la gosse de tout plein de pansements colorés aux motifs bien trop gamins - mais il trouve que ça lui va bien.
elle a pourtant bien moins l'air d'une gamine quand elle lui demande de la came.
il la toise de haut en bas, les yeux plissés, peu convaincu.
si elle est pas en état de se faire tatouer, elle l'est encore moins de s'enfiler dieu sait quelle substence.
mais c'est pas ton problème kai ;
elle est assez grande pour savoir ce qu'elle veut faire.
en tant que tatoueur t'as pas le droit d'exercer si les conditions sont pas respectées,
mais en tant que dealer y a rien qui te regarde à part la came que tu peux faire passer.

"mh. tu veux quoi ?" il finit donc par demander, convaincu que c'est pas bien grave.
après tout c'est pas la première fois qu'elle vient acheter autre chose que ses dessins sur sa peau blanche.

✦ dubitatif.
ils parlent d'envie de mourir comme ils parleraient du temps qu'il fait, et kai sait pas s'il doit trouver ça réconfortant d'avoir quelqu'un avec qui presque plaisanter, ou tout simplement tragique. leurs vies ayant si peu d'importance à leurs yeux qu'ils se permettent de parler de comment les achever avec autant de relachemement. et kai il sait pas trop s'il doit la prendre au sérieux quand elle parle de ça, quand elle dit qu'elle s'y prendrait autrement si elle voulait vraiment le faire ;
est-ce que c'est son rôle au fond de se soucier d'elle ?
le rôle qu'elle a fini par lui donner sans qu'il soit trop d'accord,
sans en être vraiment consciente.
ce rôle de frère protecteur chez qui elle se réfugie quand tout va mal, pour chercher une sorte de soutien, un appui, ou simplement de quoi se foutre en l'air pour oublier toutes les merdes qui semblent toujours lui tomber dessus.
cette gamine est un réel aimant à poisse, c'est à se demander comment elle a réussi à survivre jusqu'ici.

c'est pourtant pas un rôle qu'il est bien ravi d'endosser kai ; pas un rôle dont il se soucie assez pour lui poser trop de questions ou se sentir trop concerné par son état. ou alors il se figure juste qu'il serait à chier dans la peau de celui qui prend soin des autres, alors qu'il sait même pas prendre de soin de lui-même. alors quand elle annonce sa commande de substence qu'elle veut se foutre dans e sang ce soir, il a pour seule réaction d'aller lui chercher ce qu'elle demande, dans la planque tout au fond de son arrière-boutique.

c'est pas grave.
c'est pas la première fois.
elle s'en remettra.
elle s'en remet toujours.

il se repète ces pensées en boucle pour se persuader qu'il est pas en train de faire une connerie à refourguer de la drogue à une gamine qui est dans un état aussi pitoyable que sa vie. c'est pas la première fois alors il sait exactement ce qu'elle prend, pour quel montant, avec quelle dose. alors il récupère les deux petits sachets et revient dans la salle principale de son salon où il a laissé en plan la gonzesse couverte de pansements ridicules. ainsi balance-t-il devant elle le premier sachet rempli à ras bord de multiples cachets colorés. "tiens, ta dose habituelle. tu sais combien ça coûte." il annonce et récupère sa place sur son tabouret, l'autre sachet rempli d'herbe toujours dans la main, alors qu'il fouille dans sa poche. "ça j'te l'offre." un geste sympathique, allez, parce qu'elle a vraiment l'air d'en avoir besoin.

récupérant le nécéssaire dans sa poche, il se met immédiatement à l'ouvrage pour rouler un joli mélange de tabac et de cette herbe largement dosée. s'appliquant autant que pour un tattoo, il se dit qu'il peut bien se détendre lui aussi parès sa journée de boulot ; et après avoir bien refermé son petit tube, se  l'allume pour en tirer une longue taffe. il ferme les yeux et expire la fumée par le nez, savourant l'effet appaisant du cannabis sur son organisme ; puis lui tend la marchandise pour qu'elle prenne sa part.
ça non plus, cet instant de partage et de laisser aller comme ça,
c'est pas la première fois.

✦ nécrose.
bientôt les senteurs toxiques flottent dans tout le salon, devenu pour quelques minutes refuges de deux âmes essaulées qui ne se retrouvent que dans les vices les plus bas. quand le monde entier les persécute, quand plus rien ne va droit et que la route n'est plus qu'un tumutle de centaines de chemins différents sans aucune indication sur lequel emprunter, eux deux préfèrent putôt rester sur place et creuser un trou dans lequel s'embourber plutôt que réfléchir à comment faire pour s'en tirer. vaste tombe creusée par les toxines qu'ils s'infligent en trop grande quantité dans l'organisme, par le peu d'intérêt qu'ils ont pour leur propre vie ; ne comprenant qu'à peine l'intérêt de vivre chaque jour, eux les âmes qui èrent sans but.

les lattes sont lentement tirées et la fumée recrachée, alors qu'il savoure les effets quasiment immédiats sur son organisme qui se détend immédiatement. pendant une seconde il ne fait même plus attention à alex en train de préparer son propre tube de poison à côté de lui, se contente de se recentrer sur lui et ses sensations de flottement. jusqu'à ce qu'elle ne lui rappelle sa présence par une question si simple ; à laquelle la réponse est, elle aussi, si simple. si tragiquement simple. "hm. banale."

et c'est bien ça qui est dramatique, kai.
le fait que tout ça,
toutes ces merdes que tu t'injectes dans le corps,
tout ce laisser aller
et toute cette volonté absente,
ce soit
banal.

elle le dit être ton sauveur et pourtant il ne perçoit rien kai, il perçoit pas l'attachement qu'il a développé pour elle sans s'en rendre compte, perçoit pas le fond d'inquiétude qui pince ses tripes quand il la voit débouler dans son salon la gueule explosée, ni même quand elle lui parle de se foutre en l'air au point de même plus vouloir vivre. il le perçoit pas, ou alors fait semblant de pas le percevoir, parce que ça lui fout la trouille, kai, de se dire qu'il s'est attaché plus que de raison à cette gamine. de se dire qu'il a pas envie d'la perdre, qu'il a pas envie qu'elle se laisse fracasser jusqu'à être laissée sans vie, ou qu'elle réalise ces autres moyens qu'elle semblait fantasmer pour en finir. et c'est bien ça qui lui fout les jetons, kai.

depuis quand t'as peur de la perdre ?

les pensées s'emmêlent autant que les toxines dans son cerveau, et il préfère changer de sujet, parler même, pour pas trop s'aventurer dans les méandres de son subconscient. pas se risquer à ce que la drogue ingérée lui fasse comprendre ce qu'il a pour le moment pas du tout envie de voir. alors il repose ses pupilles scandaleusement dilatées sur la gamine aux pansements colorés, et se risque enfin à lui demander. "et toi ? s'est passé quoi pour que tu finisses comme ça ?" que s'est-il même passé pour qu'elle se laisse finir dans cet état. quel genre de merde elle a bien pu vivre aujourd'hui pour en arriver là. pour panser ses plaies par des cachets multicolores et de l'herbe nécrotique. et toujours sans jugement dans la voix, juste un simple fond de curiosité, il l'observe et attend qu'elle lui raconte.

hey, alex,
et si ce trou dans l'quel on tombe,
on l'creusait à deux ?

✦ lésion.
sans dire un mot il l'écoute, alors qu'il lui a demandé de lui raconter ce qui s'était passé pour qu'elle déboule dans son salon la gueule complètement arrachée. et c'est bien la première fois qu'il pose directement la question ; d'habitude elle lui raconte d'elle même dans des mélodrames exagérés combien le monde est cruel et injuste et combien tout le monde est un connard sans considération ici-bas. et sur ces points il peut que lui donner raison kai ; la vie est une race pour les pauvres âmes paumées comme eux. la sienne n'a été qu'un tumulte houleux d'emmerdements et de traumatismes. lui qui s'est forgé dans la haine et la violence, ne peut qe comprendre qu'on puisse penser comme ça. que la terre entière est persecutrice.

pourtant cette fois c'est bien lui qui a posé la question, et c'est calmement qu'il écoute, sans interrompre, sans juger. alors que son joint se consume lentement et que les fumées s'évaporent de ses narines, ses traits se crispent un peu alors qu'elle raconte qu'elle s'est fait tomber dessus par un connard qui avait juste envie d'emmerder quelqu'un, et qu'il la tabassée parce qu'elle a eu le malheur de pas se laisser faire. elle est comme ça cette gosse, elle sait pas encaisser en se taisant, faut toujours qu'elle sorte les poings et montre les crocs. et c'est tout à son honneur ; même si ça la met en danger. "putain. heureusement que j'étais pas là, j'lui aurais explosé la gueule à ce connard"." il grogne, et c'est peut-être la drogue qui le fait parler ; mais l'idée qu'on s'en prenne à sa protégée le fait vriller, surtout parce qu'elle a juste exercé son bon droit en se défendant d'une remarque déplacée.

elle est comme ça alex, kai,
elle a arrêté d'attendre un héros
et elle en est devenue un pour elle-même.

dans l'euphorie criminelle du moment il a soudain envie de plus, aussi il se permet de chiper le petit sachet payé par la jeune femme pour en sortir un des nombreux cachets colorés. il se le permet ouais, parce que déjà c'est sa marchandise, parce qu'il lui a offert de l'herbe, parce qu'il se trouve bien sympa de l'accueillir ici aussi, et puis, au fond s'il avait demandé, elle lui aurait laissé sans hésiter, non ? sauf qu'il demande jamais la permission kai, il se l'accorde tout seul. alors la pillule se coince sous sa langue pour qu'il la laisse fondre, fermant les yeux dans un soupire satisfait pour apprécier ces nouveaux effets. laisse son cerveau s'éteindre petit à petit, arrête de réfléchir, retire ses barrières ; et c'est peut-être bien ça qui lui tire des mots qu'il se serait jamais permis dans son état normal. "t'es bien brave à te défendre toute seule alex, mais quand même, regarde dans quel état tu finis." il commente, rouvrant les yeux pour se retourner vers elle et la fixer droit dans les yeux, les pupilles tellement dilatées qu'il est preste impossible de discerner la couleur de ses iris. "la prochaine fois qu'on t'emmerde, appelle-moi directement. j'aime pas t'savoir en danger." oh ces mots-là il les regrettera probablement quand il sera redescendu ; comprendra qu'il est allé trop loin, qu'il a trop ouvert son coeur à cette gamine bien plus importante pour lui que c'qu'il veut bien admettre. mais pour l'heure il la fixe avec sérieux, et tant qu'il sera sous l'effet des substences ingérées, il en démordra pas.

tu sais alex,
y a des jours comme ça
où ce héros dont t'as besoin,
j'aimerais que ce soit moi.