La bravoure du jeune coréen n’avait été que passagère. Ce jour-là, où du haut de ses 18 ans à peine, il avait tenu tête à l’un de ses créanciers, n’était plus que du passé. A présent, il avait dû faire face à la réalité de la chose : Les dettes de sa mère étaient bien trop élevées, et même si le restaurant n’était pas au bord de la faillite, elle arrivait tout juste à payer le loyer, les matières premières. Si Seung Gi avait assuré ce jour-là qu’il payerait lui-même les créanciers, c’était simplement pour laisser sa mère tranquille. Avec le lycée, et les maigres bénéfices que dégageait le restaurant en fin de mois, il n’avait clairement pas pu avancer la somme dûe pour le mois. Jusque-là, son intervention ce jour-là avait plutôt bien marché : le fameux inconnu n’était jamais revenu devant le restaurant pour s’en prendre à sa mère. Il savait cependant que ce n’était qu’une question de temps, puisqu’il fallait bien finir par payer un jour ou l’autre. Seung Gi était bien conscient que la méthode employée par ces escrocs ne rentrait pas entièrement dans la légalité, mais il n’avait clairement pas les moyens de se payer un avocat de toute façon. Même s’il se pointait à la police, la partie adverse n’aurait qu’à montrer le contrat signé par sa mère et affirmer qu’ils attendaient sagement le remboursement. Un véritable traquenard. Il n’en voulait pas à sa mère, cependant. Il était conscient qu’elle avait fait tout ça pour payer son opération. Il se sentait même coupable, dans le fond.

Quoi qu’il en soit, ce jour-là, il venait de faire le chemin du retour avec Jihan. Elle habitait un peu plus haut, alors elle fut la première à rentrer. Sa destination suivante fut, bien évidemment, le restaurant. Il y faisait toujours un saut, ne serait-ce que pour saluer sa mère, puisque leur logement se trouvait juste à côté. Cependant, il n’arriva pas jusqu’à destination. Au détour d’une ruelle, un visage familier s’interposa face à lui, en lui bloquant le chemin. « J’attends toujours, tu sais ». Lançait-il comme salutation. Seung Gi le reconnaissait très vite, c’était lui. « J’ai dit que j’allais payer, donne moi encore une semaine… ». Ce fameux rire. Puis la douleur immédiate dans l’abdomen. Le coup lancé par l’homme ramenait Seung Gi à la réalité : Il n’était qu’un lycéen de 18 ans, face à un colosse avoisinant la trentaine et qui, de toute évidence, n’avait pas peur de se salir les mains. Seung Gi tombait à genoux, se tenant fermement l’abdomen. Avant de pouvoir rétorquer, il sentait le pied de l’homme s'écraser contre ses côtés, le faisant rouler sur le côté. L’instant d’après, il s'élevait dans le ciel, tenu par le col. « T’es pas en charge ici, c’est bien compris ? On est déjà sympa d’avoir payé ta putain d’opération, j’en ai rien à foutre si vous devez vendre votre baraque et vivre dans la rue. Ce serait dommage que je doive te renvoyer dans ton fauteuil roulant, tu crois pas ? ». Il envoyait son poing dans la figure de Seung Gi, comme pour appuyer ses propos. Un filet de sang s’écoulait de ses lèvres, alors que son abdomen continuait de le lancer.

Le créancier lâchait alors sa poigne, laissant le corps dénué de force de Seung Gi tomber au sol. Il ne se fit pas prier pour rajouter quelques coups de pieds dans le ventre du lycéen. « Va falloir se bouger, sinon la prochaine c’est ta mère… ou ta petite copine, elle est souvent au restaurant, non ? ». L’impulsivité de Seung Gi aurait voulu le faire se relever et rendre les coups, en l’entendant menacer sa mère et Jihan, mais rien n’a faire. Il se contentait de cracher le sang qu’il avait en bouche sans même pouvoir regarder son agresseur, impuissant. Il entendait alors ce rire, à nouveau, puis le calme.

Écouteurs vissés dans les oreilles pour écouter les dernières sorties, sac de courses en main, Jae Sung freudonnait distraitement certains passages. Sa bonne humeur sautait aux yeux. Comment ne pas heureux ? Cela faisait quelques mois qu'il exerçait officiellement en tant que procureur, les coupables finissaient derrière les barreaux et même le caractère violent de certaines affaires ne semblait pas le décourager. Mieux, grâce aux économies accumulées au fil des années et l'aide de leurs parents, sa femme et lui avaient pu s'acheter un appartement idéalement situé, parfait pour fonder une famille. Ce qui ne pouvait pas mieux tomber, le mariage arrivait après tout à grands pas. Une certaine fierté le fit sourire comme un idiot, du haut de ses 24 ans, il avait travaillé très dur pour avoir ce qu'il voulait, pour forcer la chance.

Ce jour-là, comme souvent en sortant du travail, le kiwi en profitait pour traîner un peu, acheter quelques paquets de nouilles au passage. Pas qu'il ne pouvait pas se permettre d'acheter de vrais ingrédients pour un vrai repas, il n'en avait juste pas l'habitude. En choisissant de passer par un chemin différent pour rejoindre l'appartement, Jae ne s'attendait pas vraiment à tomber sur une personne ensanglantée. Sans se préoccuper de la possible présence d'agresseurs, il s'approcha, s'agenouillant à ses côté pour mieux voir l'étendu des dégâts. Clairement, son coeur de justicier n'appréciait pas du tout le spectacle.

-What happened to ya ?

S'il y avait bien quelque chose qui collait à la peau, c'était bien le fait de parler dans sa langue maternelle sous le coup de l'émotion. Lentement, comme par peur de l'effrayer, l'homme tendit une main vers le blessé, dégageant ses cheveux du passage. Pas possible de faire semblant de n'avoir rien vu.

-Listen..Oh yeah, korean ? Écoute, je sais pas qui t'a fait ça, mais c'est pas beau à voir.

En parlant, le plus grand fouillait dans son sac à la recherche de mouchoirs et de la bouteille d'eau fraîchement achetée. Si il voulait le ramener chez lui sans créer un trop gros bordel, fallait le nettoyer un peu, puis ça permettrait de voir l'étendue des dégâts. Selon la gravité, ça finirait aux urgences, mais là, ça semblait pas trop sérieux. Juste impressionnant à cause de la quantité de sang qui venait de sa bouche. Sans doute la joue ou la langue un peu coupée, il n'y avait pas de dents qui traînaient par terre.

Seung Gi ne sait même plus combien de temps il est resté là, étendu de son long sur le sol, le visage en sang et les côtes qui piquent, qui brûlent. Sûrement quelques minutes, au plus, mais il avait l’impression que c’était une éternité. A vider des larmes de colère, de honte, de douleur. Seung Gi savait que la situation de sa famille était déplorable, mais il n’aurait jamais pu imaginer se prendre un revers de baton aussi puissant, et aussi vite, surtout. Sa mère lui avait caché la gravité des dettes avant qu’il ne le découvre malgré elle, et ça ne faisait que quelques semaines tout au plus. Il va sans dire que la patience n’était pas de mise lorsque des sommes d'argent étaient attendues.

Puis des bruits de pas, qui se rapprochent de plus en plus et son coeur qui se met à battre à tout rompre. Il n’en était pas au bout de ses peines et lorsque l’homme s’agenouille à ses côtés, Seung Gi balance ses bras devant son visage par réflexe de survie. Il entend alors une voix différente, une langue différente. De l’anglais assez basique, mais dans son état il n’a pas la foi de réfléchir. Il relâche doucement la pression. Cet homme n’est pas son créancier, et s’il était un complice, il n’aurait sûrement pas pris le temps de lui adresser la parole et se serait contenté d’enchainer les coups. Il entend alors la voix de nouveau, du coréen, cette fois-ci. « C’est personne », réplique-t-il. Parce qu’il ne peut pas désigner de coupable sans craindre des représailles. Seung Gi essaye tant bien que mal de se redresser légèrement. Immédiatement, il ressent les impacts sur son ventre l’électriser de part et d’autres et abandonne très vite ses efforts, se contentant de s’adosser au mur à ses côtés, préférant rester assis que debout dans l’immédiat. « Vous ne devriez pas rester là, je vais bien », lance-t-il à l’étranger en regardant, inquiet, autour d’eux. Un peu parano sur les bords oui, peu de chances que ses créanciers se mettent à cogner sur la première personne qui lui adresse la parole. Surtout que son agresseur était sûrement déjà loin, maintenant. Malgré le fait qu’il assurait aller bien, Seung Gi crachait un léger filet de sang sur le sol, avant de récupérer les mouchoirs tendu par l’homme. « Merci… », glissait-il doucement avant de venir s’essuyer le coin de la bouche.