ft @Griffin Parker

“La sculpture, comme tous les arts, est une voie royale pour connaître le monde et en percer les secrets."

Le temps s'arrête.
Quand mes mains s'abandonnent à la glaise.
J'en oublierais presque de manger, de boire.
De respirer.
Me laissant gagner par mes idées, par mes envies. Mon existence depuis ces quatre dernières années étant bien plus bercée par les plaisirs de la sculpture que ceux de la vie en elle même. Pourtant aujourd'hui je délaisse avant l'heure mon atelier pour aller me préparer. Griffin arrive dans un peu plus d'une heure et je ne veux pas le recevoir en tablier avec de la glaise jusque sur le nez. J'angoisse un peu à l'idée de le revoir. Je sais combien j'ai été froide lors de notre première rencontre, même si j'ai fais de mon mieux au fil de l'entretient pour me montrer aimable. Mais c'était compliqué les traits de son visage n'ayant frappé en plein cœur me ramenant dans mon passé sans ménagement.
Mais je n'y étais pas préparé.
Et surtout je m'attendais à voir une femme.
Et non la copie conforme de l'homme que j'ai aimé.
Aujourd'hui tout devrait bien se passer. Je devrais pouvoir contrôler plus facilement mes émotions. Mettre de côté cette douleur vive qui pourtant ne devrait plus me faire souffrir. Mais il m'est difficile de la maîtriser comme si c'était hier que nous nous étions quitté. J'arrive déjà à ne plus prononcer son prénom quand je pense à lui. C'est un bon point. Je le sors de ma tête. Mais ses traits c'est plus complexe. Je me dis que la visite de Griffin sera un test pour voir si doucement je cicatrise. De toute façon il faut bien que l'on prépare l'exposition de Phoenix qui arrive à grand pas. Attendre ou faire reculer cette rencontre ne ferait que mettre à mal les préparatifs. Et pas question de tout faire à la va vite. Je suis trop perfectionniste pour ça et Griffin le semble aussi. Alors je dois me montrer forte et passer au dessus de cette ressemblance fatale pour mon cœur meurtri.

Je sors dont de mon atelier, laissant sous un linge humide ma dernière création. Je ne suis pas certaine qu'elle sera terminée pour l'exposition, mais si elle ne l'est pas pour celle ci, elle le sera pour la suivante. Je file dans ma chambre pour accéder à la salle de bain et prendre une bonne douche. Pour faire disparaître toute trace de terre glaise. Je suis pire qu'une gamine parfois et j'en ai même dans les cheveux. Mais portée par mon inspiration je ne retiens aucunement mes gestes.
Je me laisse juste guider par l'envie et le besoin de créer.
Je m'étonne moi même quand je regarde mes œuvres.
C'est comme si je devenais une autre.
Celle qui ose crier au monde.
Ses souffrances. Sa tristesse. Ses quêtes.
Et une fois terminé je redeviens juste Jun. Une femme qui devrait peut être se mettre en quête du bonheur. Du sens de sa vie ou lieu de se complaire dans la solitude et le passé. Mais si je me laissais aller au bonheur, l'inspiration serait-elle aussi puissante et touchante ? J'ai bien peur que non. Mais dois-je continuer à vivre ainsi dans cette douleur vorace d'avoir perdu l'amour ? Juste pour créer mes sculptures. Ou dois-je enfin accepter la vie sans lui et avancer vers une autre route ? Et perdre le risque de ne plus arriver à sculpter.
Mon cœur est écrasé sous le poids de cette quête.
Mon âme est tiraillé par tant de question.
Je réfléchis trop c'est sur.
Alors que je devrais juste me laisser porter.
Une fois douchée, je m'habille. Un pantalon en lin noir large et une chemisier fleuri dans des tons harmonieux, légèrement décolleté. Une tenue simple, mais qui me met en valeur. J'attache mes cheveux, un peu de maquillage, gloss sur mes lèvres, traits de crayon sous mes yeux. Une touche de parfum et me voilà prête. Je retourne à la cuisine ou je prépare tout ce qu'il faut pour faire un bon thé. J'ai fais quelques sablés aux saveurs diverses : noisettes, cannelles, nature, vanille, pour accompagner la boisson. Je jette un coup d’œil à l'heure. Griffin ne devrait plus tarder. J'espère qu'il trouvera sans problème. Je lui ai donné toutes les explications pour que se soit le cas.

Puis j'attends le moteur d'une voiture, je me dirige vers le couloir pour aller à la porte d'entrée. Je me rends compte que l'odeur des sablés a envahi l'espace mêlant adroitement les parfums. Me rappelant des moments de l'enfance et même de mes voyages. « J'espère que Griffin aime les gâteaux ? Et qu'il n'a pas d'allergie. » Il est vrai que je n'ai pas pensé à ce genre de détail en préparant tout ce matin. Puis la sonnette retentit et dans les secondes qui suivent j'ouvre la porte. Et je fais face au sosie mon ex. Hésitation avant de parler. « Bonjour Griffin. » Mon regard se pose sur son visage.
Respirer doucement.
Ne pas se laisser gagner par les souvenirs.
« Vous allez bien depuis la dernière fois ? » Je me reprends et le salue, lui tendant ma main. Ayant pas mal voyager je suis rompu à diverses coutumes. Il faut d'ailleurs que je fasse attention quand je rencontre certaines personnes. Les coutumes européennes divergeant des coutumes asiatiques. « Je vous en prie entrez. » Et je me mets sur le côté pour le laisser passer avant de refermer la porte. « Vous avez trouvé sans trop de problème j'espère ? » Il avait de toute façon mon numéro de portable si besoin. Je sens mon cœur s'emballer un peu plus quand mes yeux retrouvent les traits de son visage.
C'est vraiment frappant cette ressemblance.
Elle paraît impossible.
Mais elle est si réelle.
C'est presque étourdissant.
Mais je vais y faire face. Je me dois d'y faire face. « Je peux vous offrir un thé avant d'aller dans mon atelier. Je viens juste de le préparer. » Et je l'entraine vers le salon.  

ft @Griffin Parker

“La sculpture, comme tous les arts, est une voie royale pour connaître le monde et en percer les secrets."

Avancer et ne plus regarder en arrière.
Pour reconstruire ce qui a été si facilement détruit.
C'est ce que j'essaie de faire. Doucement.
Sans me brusquer.
Je sais que rien n'est aisé et que mon équilibre reste fragile. Mais aller de l'avant est la meilleure chose à faire pour sortir définitivement de ce carcan oppressant. Bien sur j'ai peur que de retrouver le sourire, la joie de vivre écorche mon talent et bouffe mon inspiration. Vu que celle ci puisait surtout dans ma tristesse, dans ma détresse. Mais je crois en moi et en Phoenix. A ce talent que j'ai développé au cours de ces quatre années passées. Et puis il y a mon équipe toujours prête à m'aider si besoin. Et les gens que le monde de la sculpture me fait côtoyer, même si je garde cette part de mystère sur l'identité de Phoenix. Et à présent il y a Griffin. Il est très professionnel et m'a montré, malgré mes réactions froides et distantes, combien il voulait s'impliquer. Combien il aimait le travail bien fait. Combien il aimait mes œuvres. Je sais qu'il suivra mes directives, qu'il fera tout pour satisfaire mes idées au sujet de cette exposition. Tout en sublimant le rendu final et en protégeant mon secret.
Il y a juste ce petit hic.
Cette ressemblance frappante, troublante.
Parce que cela aurait été trop beau.
Que tout soit sans accro.
La surprise a été de taille ce jour là, mais je sais à présent que je vais devoir me faire à cette facette qu'il ne peut gommer. Et je suis tout à fait sereine à l'attendant. Peut être que par moment mon cœur ratera un battement en le regardant. Ou bien il s'emballera bouleversé par la vision de son visage. Mais je me sens prête à gérer mes émotions et à ne pas les laisser gagner en me mettant à mal. Et en le mettant à mal.
Après tout il n'est nullement responsable de ce fait.

Je l'accueille sourire aux lèvres, heureuse de lui faire découvrir mon antre et de pouvoir lui montrer comment sous mes doigts, une boule de glaise prend vie. Il pourra voir mes croquis et les diverses étapes de la création, tout comme mes œuvres inachevées, celles qui attendent que je leurs insuffle leurs derniers souffles. On se salue. « Je vais très bien. » Je m'assure qu'il est trouvé sans problème. Je rougis un peu quand il m'offre le bouquet de fleurs. « Il ne fallait pas, en tout cas j'apprécie le geste. C'est vraiment adorable merci. » J'ai du mal à cacher que son attention me touche. « Vous êtes un vrai gentleman. » Depuis un bout de temps les fleurs elles sont souvent pour Phoenix, même si elle ne les reçoit pas directement. Et qu'au fond elle et moi formons qu'une seule et même personne. C'est la star que l'on honore et non la jeune femme que je suis.
Mais là elles sont pour moi.
J'ai perdu l'habitude qu'un homme m'offre des fleurs.
La dernière fois c'était ..
Je ne préfère pas y penser.
Je me mets à rire à sa remarque, cela chasse un peu le trouble que les fleurs ont glissé dans mes yeux, sur mes joues. « J'espère qu'ils seront aussi bons que l'odeur est agréable. » Je réponds en souriant et je l'invite à me suivre. « Si vous voulez prendre l'assiette de gâteaux je m'occupe du plateau pour le thé. Merci. » Et vu que c'est une cuisine américaine, Griffin reste dans mon champs de vision. De toute façon tout était pratiquement prêt, je n'ai plus qu'à poser la théière entre les tasses. Je l'écoute attentivement quand il me parle de la future réunion. « Parfait je vois que vous maîtriser la situation. C'est vraiment rassurant une telle implication. » J'amène le plateau et je dépose le tout sur la table basse devant le canapé. « J'avoue que je commence à stresser un peu. Certainement le fait d'être à Busan qui est ma ville natale. Je suis impatiente de voir comment les gens vont accueillir mes œuvres, même s'ils ne seront pas qu'une c'est une fille d'ici qui les a faites. Et en même temps j'éprouve un peu la crainte de les décevoir. En tout cas pour moi cette exposition va être chargée en émotion, bien plus que toutes les autres. » Je sais le thé et dépose la tasse devant Griffin. Mes yeux croisent les yeux, avant de revenir sur la tasse, ma gorge se serrant un peu.
Maudite ressemblance qui met à mal mon palpitant.
 

ft @Griffin Parker

“La sculpture, comme tous les arts, est une voie royale pour connaître le monde et en percer les secrets."

J'essaie de rester moi même en accueillant Griffin.
En lui ouvrant la porte de mon jardin secret. Celui où Phoenix peut exploser sans que je doive me méfier. Car ici les deux s’entremêlent sans même que les gens qui y viennent en prennent conscience. Car ils sont peu et triés sur le volet.
J'essaie de ne pas me laisser emporter par cette ressemblance.
Domptant mes émotions pour qu'elles ne prennent pas le dessus. Je me dois d'accepter l'homme qui se cache derrière ce visage familier, sans le comparer à cet amour perdu, sans partir dans mon passé. La tâche sera peut être ardue mais c'est le prix à payer pour avancer. Pour me reconstruire et espérer un avenir meilleur. Un avenir ou les douleurs finiront par devenir minimes avant de disparaître, quitte à perdre une part de l'essence même de Phoenix. Vu qu'elle se nourrit de mes douleurs muettes pour faire naître ses œuvres.
Mes œuvres.

Et je suis touchée par son geste, quelle femme ne le serait pas. Un homme qui offre des fleurs est toujours un geste agréable à recevoir. En plus il n'y était pas obligé, j'ai tellement été garce la première fois. Et comme ces belles ont été cueillies, il me cueille par cette attention me faisant rougir. Je laisse mon nez s'enivrer de la douce odeur. Fermant un peu les yeux, me retrouvant dans un champs quelques secondes. « Oui elles sont parfaites, délicatement parfumées. C'est un régal pour les yeux et le nez. » Et je lui souris en essayant de ne pas une nouvelle fois rougir sous ses mots. « Merci .. »
Tout comme des fleurs.
Je n'ai pas reçu depuis longtemps de compliments.
Ou alors je n'y avais pas réellement prêté attention.
Comme à cet instant.
J'enchaîne en parlant de mes gâteaux, essayant de chasser ce trouble qui se glisse dans mon être. Certainement accentué par cette ressemblance bien trop frappante. De toute manière il pourrait venir de quoi d'autre ? Mon cœur s'est fermé à tout depuis ma rupture. Là il est secoué parce qu'en regardant Griffin je le vois lui. « Alors j'espère que votre gourmandise sera satisfaite. » S'il les aime, je pourrais en porter quand j'irais à la galerie pour tout mettre en place, même après quand l'exposition battra son plein et que je passerais pour me mêler à la foule et écouter les commentaires.
Les bons comme les mauvais.
Une fois la collation portée et posée, on s'installe. Parce que même si je l'ai invité pour lui faire visiter mon atelier, pour le plaisir de découvrir mon travail. Je sais que ce moment va être aussi mis à profit pour peaufiner les détails énoncés lors de notre première entrevue. Notamment en ce qui concerne la sécurité du mystère sur mon identité. Je sais que parfois c'est le côté le plus compliqué à gérer, mais là il semble que Griffin gère les choses à merveille. « Je n'y manquerais pas. En tout cas merci pour tout ce temps que vous prenez pour moi en tenant compte de toute la complexité de la situation. » Je lui souris tout en servant le thé.

Je parle ensuite, sans détour de mes ressentis, de cette angoisse qui monte avec la date qui approche. J'ai l'habitude de l'éprouver, mais ici à Busan elle est bien plus présente et puissante. Après tout cette ville n'est pas n'importe quelle ville. Et comme Griffin m'a écouté je l'écoute en retour, tout en buvant mon thé et en savourant un de mes biscuits.
Sereine et apaisée.
Surprise de ressentir cette paix.
Alors que son regard se pose sur moi avec intensité.
« Il est vrai que j'oublie parfois qu'ici certaines choses ne se font pas. En ayant voyagé j'ai adopté facilement certains mécanismes. Et là je dois me restreindre pour ne pas froisser. Nous les coréens on est bien moins tactiles et bien moins ouverts que les européens ou les américains. » Je souris, car en quatre ans j'ai vite mis de côté la distance que parfois on met en avant en se trouvant face à des gens. Des gestes comme tendre sa main pour serrer celle de son vis à vis. Ou faire une accolade, même amicale. Surtout quand il s'agit d'un homme face à une femme. « Après les gens qui me sont proches ne savent pas que je suis Phoenix. »
Que dirait mes parents ?
Que dirait Soo Hyun ou même Shin ?
« Même mes amis ne savent pas. Parfois je m'en veux,je me sens coupable de taire cette vérité. Ils vont penser que je n'ai pas confiance en eux. Ce qui n'est pas le cas c'est juste que je ne sais pas comment leurs dire. » Je soupire. « Mais je comprends votre ressenti. Cette sensation d'être perdu entre deux mondes si différents de vouloir appartenir aux deux et au final avoir la sensation de n'être ni de l'un ni de l'autre. » Je me suis souvent sentie perdue, surtout au départ, quand l'errance était renforcée par la douleur de mon cœur brisé. « Je l'espère. Je vais tout faire pour en tout cas. » Et une nouvelle fois Griffin fait preuve d'attention et de prévenance. J'apprécie, lui offrant un sourire sincère. « C'est vraiment gentil de votre part. Merci beaucoup Griffin. Je me demande ce que je fais pour mériter tant .... Moi qui était si horrible avec vous le premier jour. » Je me souviens encore de la froideur dont j'avais fais preuve.
Idiote que je suis.
Faiblesse de mon cœur qui ne m'avait pas laissé le choix.

« Est ce que vous voulez voir mon atelier ? J'ouvre très rarement sa porte. Vous êtes un des rares à avoir la chance de le voir. » Vu que dans mon entourage personne dans mes proches ne le sait. Il y a mon agente qui a cette faveur. Certains responsables des autres expositions internationales l'ont eu, mais il n'y avait pas autant de sculptures et surtout pas de sculptures en cours. Je me lève. « Il faut ressortir. » On se dirige vers la porte la porte d'entré, on sort de la maison et on suit la véranda construire le long du mur, elle guide vers une grande verrière qui renferme tout mon travail. Je sors la clé et ouvre la porte. Il règne dans la pièce un bordel ordoné. L'odeur de la terre glaise se fait dominante. Il y a des étagères sur lequel des sculptures attendent d'être vernis ou peintes. Deux tours y font face. Ainsi qu'une table où est posée divers outils et des croquis sur de grandes feuilles. Le four est un peu plus loin. Même si certaine pièce, pour un rendu différent je les laisse sécher au naturel. « Et voilà je n'ai plus de secret pour vous. »
Sauf celui qui fait que mon cœur bat plus fort quand je le regarde.
Mais que je tais pour le moment.
Comment avouer que ses traits me font penser à l'être jadis aimé.
 

ft @Griffin Parker

“La sculpture, comme tous les arts, est une voie royale pour connaître le monde et en percer les secrets."

Touchée par le geste.
Émue même.
Je me laisse aller à m'enivrer du parfum des fleurs offertes par Griffin. Il y a bien longtemps que je n'ai pas reçu ce genre d'attention et son geste me chamboule un peu. Il faut dire que je mets de la distance entre les hommes que je fréquente et moi, une manière de me protéger. Alors peu sont enclin à m'offrir des fleurs. Mais il semble que Griffin soit bien différent de tous ceux que j'ai fréquenté depuis ma rupture. Surtout que l'on ne se connaît pas et que je n'ai pas été des plus amicales lors de notre première rencontre. Mais il ne semble pas m'en tenir rigueur. Après il n'est pas à l'abri de se retrouver à nouveau face à une Jun rageuse et tranchante. Car son visage fait toujours sentir mon cœur au bord d'un précipice. J'espère que cette sensation se dissipera et que je finirais par juste voir Griffin et plus le reflet des traits de mon amour passé.
Je verrais bien au fil du temps.
Surtout que nous allons en passer pas mal ensemble.
Mais je ne préfère pas penser à demain, me concentrer sur l'instant T sera plus facile à gérer que de vouloir anticiper ce qui pourrait se passer. Et tant bien que cela n'arrivera pas, alors pas la peine de stresser à l'avance. Là c'est un moment tranquille, d'ailleurs le thé et les biscuits viennent nous caresser de leurs odeurs, de leurs douceurs. Je laisse dont de côté tous mes questionnements, ne voulant nullement m'encombrer l'esprit de mauvaises ondes.
Griffin est un homme adorable.
Un professionnel dans sa branche.
Et ce moment me permettra de le connaître.
Au delà des apparences que ses traits me renvoient.

Et doucement la discussion se met en place, alors que nous sommes installés sur le canapé autour de la table basse. L'échange se colore des finalités de l'exposition de Phoenix. Tout doit être parfait et certains détails demandent pas mal d'attention pour ne pas mettre en péril l'anonymat que je souhaite garder. Même si je me pose de plus en plus de questions à ce sujet.
Est ce la meilleure des solutions pour me préserver ?
En parler notamment à mes proches.
Me faciliterait certainement la tâche.
Mais comment aborder le sujet sans froisser personne vu que je garde le secret depuis quatre ans. Les craintes de les décevoir et de recevoir des reproches en dévoilant ce fait sont bien présentes. Et une nouvelle fois Griffin fait preuve de professionnalisme et d'attention. Nous parlons sans gêne du choc des cultures, j'ai voyagé alors je peux parfaitement comprendre son ressenti. « Au départ quand je suis partie de Busan j'ai eu du mal. Je restais sur mes réserves. Mais j'ai fini par comprendre que les gestes amicaux surtout ceux entre hommes et femmes n'avaient rien de déplacés et qu'une accolade n'était pas source d’ambiguïté. Me restreindre à présent est moins évident. Je peux dont parfaitement comprendre le choc que cela a été pour vous en revenant sur la terre de vos origines. » Je le regarde en réfléchissant à comment tourner l'explication sur le fait qu'aucun de mes proches ne sachent pour Phoenix.
Dois je dévoiler sa ressemblance ?
Ou dois je encore garder ce fait secret ?
« Je suis partie de Busan après une rupture. J'ai découvert plus tard que cette relation ne convenait ni à ses parents ni aux miens. Ils nous ont menti pour nous pousser à nous séparer. Je le pensais en danger à cause de moi .. et m'éloigner était la seule solution pour le préserver .. » Je soupire. « J'y ai cru et la séparation a été brutale et très douloureuse. On aurait pu fuir mais on m'avait bien fait comprendre que je le mettrais en danger n'importe où du moment que je serais avec lui. » Parler de cette histoire est compliqué mais cela peut aussi m'aider à avancer et l'aider à me cerner un peu plus. « J'étais jeune .. amoureuse ... et je n'ai pas cherché plus loin faisant confiance à mes parents. Et je préférais le savoir en vie loin de moi que mort en restant à ses côtés. Je suis dont partie m'éloignant de tout le monde, j'avais besoin de prendre mes distances .. et quand la vérité c'est dévoilé c'était trop tard. »  Un faible sourire apparaît sur mes lèvres. « Je me suis mis à vraiment sculpter une fois à l'étranger, une façon de faire sortir ma peine et ma rage .. et j'ai préféré à ce moment là garder mon identité secrète et depuis je n'ai rien dis .. mes parents ne savent même pas que je suis à Busan. » Triste réalité qui me mine.
Parfois j'ai envie d'aller les voir.
Car malgré le mal fait, ils restent mes parents.
Parfois je me dis qu'ils ont mérité de souffrir.
Comme je souffre encore.
Dilemme terrifiant qui m'arrache un peu plus le palpitant.
« Je sais que cette douleur m'a changé, m'a sculpté et j'ai peur qu'en dévoilant la vérité tout ce que j'ai construit en me nourrissant de la force de Phoenix soit détruit. » Cela peut paraître idiot mais cette part de moi m'a souvent maintenu la tête hors de l'eau. Alors faire le lien entre elle et moi me fait peur.
Si tout explosait après.
Je me survivrais pas une nouvelle fois.
A une telle épreuve.
« En tout cas merci. Je peux être tellement désagréable parfois. » Et encore je tais la réellement raison qui m'a fait réagir avec tant de violence. Griffin me prendrait peut être pour une gamine capricieuse s'il savait.

Je profite de l'occasion de sa présence pour lui proposer de voir mon atelier. Surtout qu'ici il est vraiment plus conséquent que dans les autres villes où les expositions de Phoenix ont eu lieu. Et puis je le sens tellement investi dans le projet que cela me donne envie de lui ouvrir cette porte sur ma vie. Après tout il est dans la confidence de mon secret et je sais qu'il sera bien gardé. Et je lui ouvre la porte de mon jardin le plus secret. Je souris à ces mots. « Euh !! Peut être. Vous verrez au fil de nos rencontres que je suis une femme assez changeante, parfois femme enfant et à d'autre moment femme fatale, même si ce côté là il est à petite dose. » Je me mets à rire. « Mais ne vous ne faites pas la route est encore longtemps avant de connaître tout de moi. » Même si j'ai dévoilé les raisons de mon départ de Busan, Griffin a encore pas mal de choses à apprendre sur ma petite personne. « Je sais Griffin c'est pour cette raison que je vous ouvre cette porte sans aucune crainte. »
Mes craintes ne viennent pas de là.
Elles viennent plutôt de mon cœur.
Et de ce qu'il éprouve à chaque fois qu'il croise.
Les traits du visage de Griffin.
Ses yeux.
« Vous pourrez en prendre avant de partir, j'en ai fais beaucoup trop comme toujours. » Et je lui souris tout en le laissant s'imprégner de l'ambiance de mon atelier. Tout en le laissant découvrir croquis et sculptures. « Retrouver ma terre natale et les effluves d'Asie m'a un peu titiller. Du coup j'essaie de faire ressortir tout ce que les coutumes asiatiques m'inspirent. C'est encore qu'une ébauche mais elle prend forme doucement. » Je me dirige vers le socle et soulève le linge humide pour laisser apparaître le morceau de glaise qui doucement prend forme. « Je voudrais lier la symbolique de notre drapeau tant dans les couleurs que les éléments avec la beauté des paysages. J'y travaille encore dessus. J'ai fais plusieurs ébauches. » Je montre la table et les croquis qui s'y trouve. « Rien n'est définitif, c'est encore flou mais ça prend doucement forme. Peut être une sculpture que j'offrirais à la ville. » Je verrais quand elle sera finie.
Pour le moment tout n'est qu'idées jetées sur le papier.
Idées qui essaient de prendre racine dans la terre travaillée.
 

ft @Griffin Parker

“La sculpture, comme tous les arts, est une voie royale pour connaître le monde et en percer les secrets."

J'écoute Griffin.
Essayant de me laisser apprivoiser .
En oubliant cette ressemblance.
Qui pourrait en un claquement de doigt.
Devenir fatale. Pour lui. Pour moi.
Ne pas me laisser gagner par les souvenirs du passé, par cette mélancolie qui parfois prend des couleurs de tristesse, qui parfois prend des saveurs de colère. Juste vivre l'instant présent pour avancer et enfin me sortir de ce carcan porté depuis bien trop d'année. Être moi sans ce poids qui tient mon cœur éloigné de toutes émotions sauf celles liées à la douleur causée par cette rupture.
Tout est du passé.
Tout doit à présent s'envoler.
Et je me laisse porter par la conversation, me concentrant sur le fait que ce visage ne doit pas me bloquer et faire retomber sur Griffin la souffrance d'une histoire que je dois enterrer. Elle devrait déjà l'être depuis longtemps. Et puis il m'a montré dés le premier jour et ce malgré mes maladresses, malgré ma détresse cachée derrière mon agressivité qu'il était impliqué et prêt à tout pour Phoenix. Pour moi. Enfin dans le domaine professionnel bien sur. Loin de moi cette idée de voir notre relation aller au delà de cette barrière. De toute façon je n'arrive jamais à me projeter me disant que l'amour m'a fait souffrir une fois et que c'était une fois de trop. Et puis là avec cette ressemblance, même si les personnalités différent c'est encore plus compliqué et complexe à imaginer.

En attendant la discussion est fluide autour d'un thé et des biscuits que j'ai fais. Je suis même assez étonnée de divulguer certains faits sans difficulté. Griffin est bienveillant et ne me juge pas. Il se montre juste là, prêt à m'épauler.
Fait-il cela pour Phoenix ?
Ou le fait-il pour moi ?
C'est souvent cette pensée qui me retient de dévoiler la vérité. Les gens aimeraient-ils plus Jun ou Phoenix ? Verraient-ils les deux séparément ? Ou les lieraient-ils ? Moi même parfois agit comme si Phoenix était une autre personne. Alors qu'elle est juste une part de moi, celle qui s'exprime et ose laisser parler ses ressentis. Ayant voyagé et vu d'autres cultures, il n'est pas toujours évident de se plier aux règles que la culture coréenne demande. Je le vois depuis que je suis de retour, j'ai tendance à mettre en avant les libertés que les autres cultures m'ont offerte. « Je pense que cela doit être bien plus compliqué dans votre cas. Si vous avez besoin n'hésitez pas à venir vers moi. Je ne suis pas la meilleure mais je pourrais vous aiguiller. » Sachant que les anciens sont très à cheval sur le respect, même si les temps commencent à changer. Et qu'on avance un peu vers des améliorations, des choses sont encore mal vues. Je soupire. « Oui à ce qu'il paraît. »
Le sacrifice fait l'avait-il sauvé ?
Je n'en aurais jamais réelle confirmation.
C'était peut être mieux. « A vrai dire parfois je suis perdue. Parce que nos parents restent nos parents et qu'on reste leurs enfants. Et je me dis que pardonner serait peut être bien. Et puis parfois j'ai tellement mal que je me dis que je ne le peux car j'ai été trahi. » Et depuis que je suis à Busan l'envie d'aller les voir est plus forte. Peut être pour leurs montrer que malgré la douleur infligée j'ai réussi à m'en sortir. Et sans eux en plus. « Je suis désolé pour vous. Je vois que ni l'un ni l'autre n'avons été gâtés par la vie. » Je souris, au final cela fait du bien de parler. Et je découvre Griffin. Heureusement que je ne me suis pas arrêtée à cette ressemblance, même si je sais que je ne suis pas à l'abri qu'elle me joue un vilain tour. « Merci de votre gentillesse et de votre attention. » Mais je ne veux pas que mon passé plombe l'atmosphère et vu l'implication de Griffin dans l'exposition de Phoenix je décide de lui montrer mon atelier. Je suis sûre qu'il va adorer. Et je pense que cela l'aidera aussi à me comprendre et à visualiser tout ce que je souhaite pour cet événement spécial.

On sort donc de la maison pour rejoindre la verrière qui cache mes trésors. Ceux qui sont déjà terminés comme ceux qui sont en pleine création. « C'est une belle qualité la patience. » Peut être que grâce à elle, il arrivera à adoucir cette part amère qui vit en moi. Je vois dans les expressions de Griffin son intérêt grandissant, il est un peu comme un enfant à qui on ouvre la porte d'un magasin de jouets. Je le laisse observer, je réponds à ses questions et je dévoile ce qui est encore qu'une ébauche. Une idée frappante pour lier une œuvre de Phoenix à mes racines profondes. « Les occidentaux ont même certaines réserves au sujet de nos cultures. Des images faussées qui auraient bien besoin d'être mise au goût du jour. » L'inverse est aussi vrai, surtout chez les anciens. « J'espère avec sculpture ouvrir les yeux encore fermés. »
Une pierre dans l'océan.
Mais si on est plusieurs en a jeté.
Un jour tout sera plus simple.
« C'est souvent la nuit que je travaille. Les heures sombres sans sommeil ont nourri mon imagination au départ. Et j'ai gardé ce rythme. La journée je pars à la recherche de ce qui pourrait m'inspirer, le soir je laisse mes mains retranscrire mes ressentis. » Je souris, alors que mes doigts après avoir levé le chiffon humide caresse la glaise. « C'est une sensation d'apaisement à chaque fois. Mon cœur se laisse dompter et se plie au calme dont Phoenix a besoin pour mettre mes pensées dans son travail. C'est assez difficile à expliquer mais la souffrance m'a détruite et a permis à Phoenix de naître. Je ne sais pas où j'en serais à présent s'il n'y avait pas eu cette expansion de moi dans l'artiste. C'est aussi pour cette raison que je garde mon identité secrète. » Je me tourne vers Griffin. « J'ai peur qu'en dévoilant tout, tout disparaisse. Que Phoenix meure. C'est idiot n'est ce pas ? » C'est une crainte profonde, un ressenti angoissant. Et je souris face à la petite gêne du jeune homme. « Ne vous en faites pas j'ai compris le sens. » Et c'est moi qui rougit à ses compliments. « Bon on va avoir deux plans de tomates. Quoi que sous cette verrière ils pourraient bien pousser. » Et j'éclate de rire pour chasser cette rougeur de mes joues. « Je sens que bosser avec vous va être très divertissant. Certains responsables de mes expositions étaient si collé monté et froid que c'était pesant. Mais vous  .. vous vous êtes rafraîchissant. » Et mon sourire se fait plus grand.
Puis une idée folle me vient.
Peut être que c'est la situation qui la glisse dans mon esprit.
« Vous voulez essayer ? Juste pour vous montrer les sensations que ça procure. » Si Griffin est d'accord je lui sortirais une blouse et un tablier pour qu'il ne se tâche pas. J'ai un tour de libre pour poser un morceau de glaise. L'expérience peut être enrichissante pour lui et lui faire découvrir ce que j'éprouve dans ces moments là.
 

ft @Griffin Parker

“La sculpture, comme tous les arts, est une voie royale pour connaître le monde et en percer les secrets."

Essayer de tisser doucement un lien.
Malgré cette ressemblance qui me bouleverse.
Essayer d'oublier ce passé.
Pour ne voir que l'avenir.
Écrire une nouvelle histoire, faite du talent de Phoenix et de nouvelles choses à découvrir. Rien n'est évident je le conçois, chaque jour est un combat dans lequel je cherche ma place. Dois-je libérer Phoenix ? Dois-je laisser éclater cette vérité pour pouvoir vraiment avancer ? Après tout elle est née pour soulage la douleur de la rupture, de la perte. Elle est née pour soulager mon cœur et pour apaiser mon âme. Dois-je la laisser s'en aller ? Et juste accepter que j'ai du talent et qu'au final je n'ai pas besoin d'elle. Qu'elle a été l'exécutoire de ma peine. Et que cette peine là doit être enterré pour vivre ma vie.
Toutes ses questions je me les pose.
Elles m’obsèdent.
Car la peur de demain se trouve dans chaque réponse.  
Peut être que parler me permettrait d'effacer doucement tous mes ressentis. Parler permettrait à d'autres de naître. Mais suis-je prête ? En tout cas une chose est sûre je ne peux nier le fait que j'apprécie Griffin, cette patience qu'il a avec moi alors que je ne lui ai pas facilité les choses. Alors que je l'ai puni d'un fait dont il est innocent. Et que je le laisse dans le noir complet sur la réalité de la situation. Sachant que la froideur dont j'ai fais preuve pourra revenir. Elle reviendra tant que je n'aurais pas tirer un trait sur les fantômes de mon passé. Tant que je n'arriverais pas à avancer sans regarder en arrière.

Mais pour le moment, l'instant est plaisant. On papote se livrant un peu. Dévoilant les différences entre les coutumes, surtout qu'on a eu l'occasion en voyageant de comparer. De voir le positif et le négatif dans chaque facette de nos pays. Et de ceux visités. Puis on parle de nos familles, le sang peut être un liant, mais aussi un poison. « On ne choisit pas sa famille, on l'a subi. On essaie d'en tirer le meilleur mais ce n'est pas toujours facile. Après c'est aussi ce qui nous forge et nous permet de tenir. Tout comme les épreuves de la vie. Si tout était plat on trouverait l'existence sans saveur. La souffrance nous aide à voir ce qui est important et à donner aux autres instants plus de force. Faut juste qu'on en prenne conscience. » J'ai mis du temps pour le réaliser, préférant parfois sombrer que nager. Phoenix m'a permis de tenir, elle a été bien plus forte que moi. « Je fais de mon mieux. C'est aussi pour cette raison que je suis revenue à Busan. La boucle est bouclée, il me sera peut être plus facile à présent de passer à autre  chose. »
Avancer sans regarder en arrière.
Et les confidences sortent sans être brutales ou fatales. Elles viennent seules. Rendant l'évidence des choses plus claire. Je sais qu'un jour mon cœur battra pour un autre, je suis jeune et même si je me suis fermée durant ces années. Finir seule n'est pas mon but premier. Je veux partager, donner et recevoir. Je veux ressentir. Je me laisse juste le temps. Celui de guérir. « Je verrais bien je ne me forcerais pas de toute manière. Je sais juste que j'ai qu'un père et une mère et que même si je leurs en veux peut être qu'un jour je pardonnerais. En attendant je dois d'abord finir de surmonter cette épreuve. Mais j'arriverais. Oui on était peut être fait pour se rencontrer. Merci. » Et je souris.

Je profite de l'occasion pour montrer à Griffin mon atelier, peu de personne ont cette chance. D'abord parce que lorsque j'expose je n'en ai pas toujours privé à ma disposition. Et puis surtout parce que je ferme le cercle de ceux qui font le lien entre Phoenix et moi. Quand j'ai décidé de venir à Busan j'ai cherché une maison qui pourrait me permettre sculpter. Étant dans mon pays de naissance, je ne suis dis que mon imagination serrait décuplé et je ne voulais nullement laisser s'échapper des moments d'inspiration. Même si je les aurais dessiné sur mon carnet, les voir prendre vie dans de la terre est beaucoup plus jouissif.
Secret dévoilé en parlant de mon futur projet.
Une envie de lier mes univers.
Celui qui a bercé mon enfance et celui qui berce ma vie.
« Je pense qu'en effet Busan c'est l'endroit idéal pour l'exposer. » Et une nouvelle fois Griffin me complimente ce qui me touche, je sens sa sincérité. Il parle sans détour, ne prend pas de gant comme certains ont tendance à le faire. Préserver l'artiste ou la femme pour éviter le courroux. Lui il se montre honnête et c'est plaisant. Pas de faux semblant, des mots justes et vrais. Au moins il ne se cache pas derrière un masque. Contrairement à moi. « Trouver un équilibre. Oui c'est une idée. J'avoue que tant ma douleur nourrit Phoenix certaines questions se posent moins. Peut être que je recule l'échéance aussi. Mais vos mots me touchent. Et je vous remercie pour votre honnêteté. J'ai du mal à parler de tout cela et si je parle de l'avenir de Phoenix certains évitent ce sujet. Ce serait un peu tuer la poule aux œufs d'or si tout s'arrêter. Enfin pas pour moi. Je n'ai pas commencer la sculpture au départ pour l'argent, c'était pour me soulager. Le succès a suivi mais je ne l'ai pas cherché à la base. » Je souris. « J'aurais apprécié de vous avoir à mes côtés dans mes moments de doute. Parce que vous êtes de bons conseils et vous me cernez bien. » Ce qui me fait regretter encore plus mon comportement lors de notre première rencontre. Ce qui me fait dire que je me dois de faire des efforts et de ne pas lui faire retomber dessus le fait qu'il ressemble à mon amour de jeunesse.
A cet amour perdu et si difficile à oublier.

En tout cas le moment de partage est agréable, empli d'émotion et de sincérité. D'ailleurs on rougit tous les deux des mots échangés. « Oui. » Griffin me troublerait-il plus que je ne le pense ? Il faut dire que j'ai tellement mis de distances et de barrières entre les hommes et moi depuis quatre ans, que là les mots me mettent à fleur de peau. C'est peut être les circonstances, le lieu. J'en viens même à lui proposer de s'essayer à la sculpture. Je me rends compte que je le surprend avec mon idée , mais il accepte. « Parfait. Vous allez voir ce n'est pas compliqué. Vous avez fait de la patte à modeler enfant. Et promis je ne me moquerais pas. Je vous guiderais. » Je n'ai jamais joué au professeur de sculpture mais je me dis que cela peut donner au moment une touche plus complice. Et puis Griffin aura une idée plus grande du ressenti qu'on éprouve quand la forme prend naissance entre les doigts humides.
C'est presque sensuel dans les mouvements.
Même si ce n'est pas dans cette idée que je pars.
« Je vais vous prêter un tablier. » Je m'éloigne et je reviens avec deux tabliers, je lui en tends un et j'enfile l'autre. Puis je sors un boule de glaise humide et je la pose sur le tour. « Je vais vous montrer comme on fait. » Je positionne mes mains de chaque côté et active le tour doucement, laissant mes doigts glisser sur la terre pour la lisser. Je creuse la terre en fait un bol avant de la remettre en boule, le tout très lentement pour que Griffin comprenne les mouvements. « A vous maintenant. » Et je lui laisse ma place me positionnent derrière lui. « Mettez une main là et une main ici. » Je lui montre l'aidant même. Et puis j'actionne le tour, tout en lui laissant le temps de s'habituer. « Vous permettez. » Je pose mes mains sur les siennes pour l'aider à dompter la boule et le rythme même lent du tour. « Il faut caresser. »
Comme on le ferait sur des courbes.
Que veut faire frissonner.
Avant de les aimer.
 

ft @Griffin Parker

“La sculpture, comme tous les arts, est une voie royale pour connaître le monde et en percer les secrets."

La conversation se fait fluide.
Les confidences s'échangent.
J'en suis même étonnée.
Moi qui le premier jour est gardé mes distances
Voilà que j'apprécie cet échange spontané.
Je me laisse guider et parle avec plus de facilité, de mes douleurs cachées. De cette peur de dévoiler que je me cache derrière Phoenix. La peur que mon choix ne soit pas compris par ma famille. La peur une nouvelle fois de souffrir comme par le passé. Même si Phoenix m'a permis au fond de survivre à mon chagrin d'amour, mais parents le comprendraient-ils ? Eux qui ont mal vécu mon départ. Mais ne dois-je pas plutôt regarder vers l'avenir que de me tourner encore vers mon passé ? Lui ne pourra être changé. L'avenir reste à écrire même si pour le moment c'est le présent que j'essaie de stabiliser. Trouver un réel point d'ancrage serait une bonne chose.
Et je ne peux que me dire.
Que Griffin sait trouver les mots.
Il les avait déjà trouvé lors de notre première rencontre.
Mais là ils sont plus vrais.
Ou c'est tout simplement moi qui suis plus réceptive.
« Vraiment merci pour vos mots Griffin. Ils me font du bien. Je les sais sincères. Et en effet il faut se donner du temps pour soigner toutes les blessures. » Admettre aussi qu'il est le moment que les plaies cicatrisent. Parce qu'au fond je gardais un espoir fou, l'espoir de le retrouver. Et cet espoir m'empêchait de vraiment sortir du tunnel dans lequel je ne faisais que m'enfermer un peu plus. Revenir à Busan à réveiller des douleurs, mais va également me permettre de guérir. Enfin.

Et pour que cette guérison avance, j'ouvre un peu plus les portes à Griffin, lui laissant voir mon atelier. Sachant que mon secret est bien gardé. Et puis j'ai vu combien il aimait ce que je faisais. Alors autant lui montrer l'envers du décor et lui permettre de me cerner un peu plus. De cerner l’œuvre de Phoenix qui prend vit grâce à mes mains et aux douleurs de mon cœur. Avoir son avis, je trouve cela important sur le coup. Voir dans son regard ce que je ne vois pas dans le regard des autres.
Parce qu'ils ne savent pas.
Ou en savent très peu.
Je lève le voile. J'ouvre une porte. Plus intime. Celle qui verrouille mon cœur depuis des années. Pour moi c'est un pas de plus vers l'avenir. Parce que j'ai une crainte c'est qu'en guérissant, tout cette flamme d'inspiration s'envole. Que Phoenix meure quand ma douleur ne sera plus qu'un souvenir. Mais Griffin se fait rassurant à ce sujet. Le talent je l'ai et il ne va pas disparaître juste parce que je ne souffre plus. Il me faudra juste trouver un autre sujet d'inspiration. Et le monde en est rempli. Suis-je prête à le parcourir pour le trouver ? Reprendre mes voyages avec dans la tête un autre optique que celui que j'avais jusqu'à présent.
Sûrement.
« J'aime votre façon de voir les choses. Et encore merci pour vos conseils et votre soutien. Il y a bien longtemps que je m'étais pas confiée de la sorte. » Et je ne pensais pas le faire alors que lorsque je regarde Griffin, je vois les traits de celui que j'ai aimé avec passion. La passion de la jeunesse certes. Mais cette passion a été dévastatrice. Et l'instant se fait plus riche en émotions, avec cette rougeur qui naît autant chez lui que chez moi. C'est amusant que voir que les mêmes sujets nous troublent. Et vu que je me sens à mon aise, j'en profite pour lui proposer de vivre une autre expérience. Celle de découvrir le plaisir que l'on prend à caresser la terre glaise. Tablier mis et mains posées sur la terre, la séance commence doucement. Je guide ses gestes pour que la forme prenne vie.
Instant suspendu dans le temps.
Ou les émotions se mêlent.
Et s'entremêlent.
Vibrantes. Déroutantes.
J'aurais aimé faire par le passé.
La même chose avec LUI.
Mais il s'est envolé.
Et je dois vivre le présent.
Pour me reconstruire.

Et mon rire éclate au constat de la sculpture qui est plus bancale que réellement satisfaisante. « Désolée je ne me moque pas. J'ai juste trouvé ça amusant. Mes œuvres sont plus tirées de mes tristesses  .. » Ma voix s'éteint un peu avant de revenir plus franche. « Mais là cela fait du bien de faire quelque chose qui vient juste de l'instant que l'on vit. Même si ce quelque chose n'est pas réussit. » Il montre que tout peut se surmonter. « Je suis sure qu'à force de travail vous pourriez y arriver. En plus je suis une personne persévérante. Alors vous allez avoir droit à d'autres cours. » Et mon rire se fait plus fort.
C'est quand la dernière fois.
Que j'ai ri avec tant de clarté.
Et d'envie.
Sans me sentir coupable de ne pas pleurer.
« Et je serais ravie de voir votre atelier et de me salir de peinture. Je ne suis pas douée avec des pinceaux mais si je peux utiliser mes mains je pourrais bien m'en sortir. » En tout cas je lui rappellerais cette proposition d'atelier peinture. « En attendant je vais garder cette première œuvre, la faire cuire et la vernir juste pour voir l'évolution du terrible élève. » Puis on va se nettoyer les mains, je sens mon cœur plus léger. Moins torturer.
Jusqu'à quand ?
Je ne le sais.
Mais je veux savourer cet instant.
Et ne pas penser à demain.
Et c'est sourire aux lèvres qu'on sort de mon atelier.
Griffin semble comme un baume sur mon cœur.
A voir ce que demain nous réserve.