In the frozen dark of your winter,
the coldest wind cruelly blows

Une énième crise.

Une détresse incommensurable, à revivre son passé en boucle. Des flashbacks qui le rappelait toujours à l'ordre, le remettait dans les clous des mauvais schémas. Craindre les autres ; ne faire confiance à personne ; partir du principe qu'on lui veut forcément du mal.

Kain avait fini à l'hôpital parce qu'il n'avait pas réussi à se calmer tout seul. Les symptômes de son trouble avaient empiré simplement parce qu'il vivait dans le déni depuis huit ans.

Le jeune homme se laissait consumer par ses traumas parce que c'était beaucoup trop dur d'admettre qu'il avait vécu des choses horribles ; des choses auxquelles peu de personnes aurait certainement survécu. S'il en parlait, il avait l'impression qu'il allait mourir sur le champ et que la cassure serait réellement irréparable, tout en ignorant le fait qu'il est déjà complètement cassé.

Il avait peur, pour beaucoup de raisons différentes, quand il faisait face à la psychologue qu'on lui avait assigné de force. Cela faisait plusieurs fois qu'il se présentait aux séances, refusant catégoriquement de parler de ce qui faisait vraiment mal. Et malgré tout, même s'il payait de sa poche et qu'il n'était pas vraiment obligé d'y aller ; Kain reprenait rendez-vous pour la semaine suivante.

A chaque fois, il était terrifié ; les mains tremblantes, pour aucune raison apparente. Kain a peur de vraiment craquer. Au fond, il sait qu'il va mal ; c'est juste plus facile de faire comme si tout allait bien.

Et après, tout, qui le croirait ?

Quand il avait essayé de donner sa version des faits, on l'avait traité de menteur. Si ses propres parents le traitaient de menteur, qui pourrait bien le croire ?

Il était assis devant sa psychologue attitré, les poings serrés et posés sur ses genoux, pour qu'on ne le voit pas trembler. Il essayait encore de garder la face, comme il le faisait devant tout le monde. Le mannequin était loin de s'imaginer ce que son interlocutrice s'apprêtait à faire.

In the frozen dark of your winter,
the coldest wind cruelly blows

Assise sur son siège derrière son bureau, stylo en main, Da Won observait en silence le garçon installé en face d’elle. Elle l’avait salué poliment lorsqu’il était rentré, une esquisse chaleureuse au bord des lèvres, mais était restée silencieuse après l’avoir invité à s’installer. Tout d’abord, elle avait commencé à écrire quelques notes sur son papier puis ensuite, elle avait commencé à le détailler discrètement. C’était son travail de regarder, prêter attention à chaque détail, chaque expression, chaque geste, alors qu’elle n’oubliait jamais de relire le dossier. Pourtant, ce jeune homme, elle savait qui il était, elle avait étudié son dossier à plusieurs reprises et les séances le concernant étaient toujours quelque peu compliquées. Hors, la psychologue ne se laissait pas à abattre, dans le métier qu’elle effectuait, il fallait être en mesure de s’armer de beaucoup de patiences ; elle avait conscience, mieux que quiconque, qu’elle n’obtiendrait pas d’informations simplement en claquant des doigts. Si certains de ses patients s’ouvraient sans qu’elle n’ait besoin de demander quoi que ce soit, il y en avait d’autres pour qui cela s’avérait plus compliqué. Ca dépendait en fonction des traumatismes, en fonction des problèmes psychologiques mais également de leur personnalité.

Le garçon devant elle n’était pas à l’aise, il était tendu et pas besoin de le voir entièrement pour deviner comment il se sentait. C’était son travail, elle avait l’habitude de traiter avec ce genre de cas toutefois c’était vrai aussi que, malgré tout, chaque personne était unique. L’apprivoiser n’était pas une tâche facile, mais c’était la raison pour laquelle il était primordiale de prendre son temps, d’y aller doucement, puis de le laisser venir dés que lui se sentirait prêt. « Comment te sens-tu aujourd’hui ? » L’avait-elle alors interrogé d’une voix douce, son regard à présent plongé dans le sien. La réponse, elle la connaissait parfaitement cependant ce n’était pas pour obtenir la vérité qu’elle la lui avait posée, juste pour le motiver à parler, s’exprimer. Ils pouvaient parler de tout et de rien si c’était ce que Kain désirait, toute stratégie était bonne à prendre puis si cela pouvait l’aider à se détendre, Da Won n’en demandait pas plus. « Comment c’est passé ta journée ? » Evidemment qu’elle espérait l’entendre se confier à un moment ou un autre néanmoins elle n’était pas de ceux qui mettaient la pression ; elle n’avait pas envie que son patient se braque parce qu’elle avait été trop brusque, alors elle commençait à chaque fois par de simples questions, mais n’en oubliait jamais le mal qui touchait ceux qui la consultait.

In the frozen dark of your winter,
the coldest wind cruelly blows

Peut-être que Kain avait peur de la psychologue parce qu'il avait peur qu'elle le juge aussi, qu'elle dise aussi que c'était lui le problème, que tout était de sa faute ou qu'il n'était qu'un vulgaire menteur qui avait besoin de dire qu'il avait vécu toutes ses choses horribles pour se sentir exister. Et ce, même si c'était son travail, parce que ses propres parents avaient trahi sa confiance, ne l'avaient pas cru, l'avaient abandonné, maltraité. Alors quid d'une totale inconnue ?

Kain avait vu un autre psychologue avant elle, une fois. On le lui avait imposé aussi parce que ses crises étaient ingérables, comme en ce moment. On lui avait assigné un homme psychologue. Cependant, Kain se sentait extrêmement mal à l'aise à l'idée de parler de ce genre de choses avec un homme. La peur d'être jugé et moqué était encore plus grande encore. Ils avaient essayé de le forcer mais Kain avait bien fini par avoir le dernier mot.
Il sait aujourd'hui qu'il ne peut plus s'échapper. Les crises d'angoisses ainsi que tous les autres symptômes, impacte sa vie professionnelle et commence à prendre de plus en plus de place.

Dans tous les cas, difficile pour le mannequin de lâcher prise et d'être honnête pendant une seconde. Il avait beau essayer de se cacher et ça marchait peut-être auprès du comment des mortels, son petit manège n'échappait pas à la femme face à lui.

— Ca va.

Kain était loin d'être des plus loquaces en temps normal ; et même avec la psychologue, il retenait toujours ses mots. Et quand il disait qu'il allait bien, il s'agissait d'un mensonge sans en être un. Pas de crises d'angoisses, pas de crises existentielles ; Kain n'avait pas trop réfléchi à la raison pour laquelle il avait survécu a tout ça, ni à pourquoi il était toujours en vie, pourquoi il n'était pas mort, et pourquoi il n'avait jamais essayé de mettre fin à ses jours.

Kain se pensait être lâche de ne pas réussir à trouver la volonté d'en finir, sans réaliser ce que cela pouvait impliquer ; qu'il voulait peut-être vivre, finalement, et profiter de cette vie qu'on avait failli lui voler. Le jeune homme n'avait cependant pas assez de recul pour se rendre compte de tout ça.

Concernant sa journée... Il n'y avait pas grand-chose à dire non plus.

— Rien de particulier… J’ai fait un point avec ma manageure, j’ai eu un shooting en début d’après-midi et voilà…

Trés factuel. C’était plus facile pour Kain.