(( outfit )) :: Je suis désolé.

Ça avait craqué dans ses esprits. Cela faisait longtemps que ça n’avait pas disjoncté et le souffle court, il avait cru étouffer. Il était sorti prestement du cours, avait à peine senti son ami le retenir, à peine entendu son professeur l’interpeller. Il avait eu le réflexe de ranger ses affaires et d’attraper sa veste avant de partir loin du campus universitaire. Il s’était mis à courir, il avait failli créer un accident en passant au feu rouge du passage piéton. Il avait trouvé le refuge de la plage et s’y était arrêté, respiration haletante se débattant avec sa carne effarée afin d’y trouver l’apaisement nécessaire vers un retournement à la normale. Rien à faire. Il avait laissé tomber son sac et s’était agrippé les cheveux. Qu’est-ce qui ne cloche pas chez toi ? Tout ! Tout, Shōta ! Les larmes s’étaient mises à couler à grosses gouttes et les sanglots l’avaient secoué avec une telle violence que ses jambes s’étaient dérobées sous lui. Instinctivement, il s’était recroquevillé sur lui-même en espérant que la migraine naissante ne disparaisse. Rien à faire. Et son téléphone portable commença à vibrer dans la poche droite de sa veste. Une sonnerie, deux sonneries, des milliers à lui en vibrer les tympans.

Je ne suis pas à la hauteur.

Une main s’apposa sur son épaule et il se redressa brutalement. C’était une dame âgée qui s’était inquiétée de le voir ainsi prostré et malgré ses joues burinées de larmes, il sourit et s’excusa. Il récupéra son sac et se réfugia dans un endroit où personne ne le trouverait. Il en connaissait des tas, Shōta, il avait vécu à la rue. Il lutta contre lui-même, se cogna une ou deux fois la tête contre le mur, souhaita que ses esprits ne soient plus désordonnées. Que les émotions n’affluèrent plus et ne causèrent plus de dommages mentaux à son âme dont les dérèglements crissaient avec virulence à ses oreilles. Il se les boucha, chercha à se couper du monde extérieur en songeant que ne s’intégrant qu’à son intérieur il serait mieux capable de retrouver le calme. Sauf que les pensées continuaient de l’assaillir et de lui souffler d’une petite voix maligne qu’il avait peut-être trop espéré. Il sombra.
Il faisait nuit noir lorsqu’il reprit conscience. La pluie martelait le sol et il était trempé. Il ne s’était pas détendu, c’était une autre forme de sensation qui s’était emparé de lui. Et premier venu, premier attrapé. Il cogna comme on le frappa, ils étaient jeunes comme lui et c’était amusant pour eux, pas pour lui. Pourtant, il le savait, Shōta, que ce n’était pas là non-plus qu’il retrouverait de la tranquillité. Peut-être qu’au fond il n’avait qu’à aller auprès de lui. Haryu. Son prénom résonna avec insistance en lui et il secoua la tête. Non, parce que c’était toute la quiétude autour d’eux qui avait lancé la minuterie de cette crise. Il ne ferait que le gêner, il ne ferait que lui montrer le côté de l’envers et il ne désirait pour rien au monde qu’il ne voit comme ça. Quoi, faible ? Il l’est tout autant que toi et tu le sais.
Au final, ce fut ce même ami avec qui il était en cours cet après-midi qui le retrouva. Il ne suivit pas ce qui se passa, les bruits se firent lointains et quand il réalisa sa véritable erreur, il était assis en tailleur sur la banquette à son balcon avec une tasse fumante entre les doigts. Il avait refusé qu’il ne le soigne, il était en piteux état. Certainement quelque chose de cassée. Il observait la ville, la vie qui s’activait, la sienne en parallèle, son existence erronée.

(( outfit )) :: Il n’est pas rentré.
Mais ça arrive pourtant. Parfois, Shôta n’est pas là quand Haryu rentre. Il n’est pas là, mais il sait qu’il va arriver. Il se doute que ses pas finiront immanquablement par le ramener jusqu’à lui. Qu’ils partageront peut-être un dîner sur le coin de la table, qu’ils s’offriront un sourire avant de se coucher sous les mêmes draps. Alors il imagine, un instant, qu’il est encore au travail, qu’il termine plus tard. Les phalanges se perdent rapidement sur l’écran tactile de son portable, en vain. Il ne veut pas être inquiété pour rien tandis que les heures s’égrènent dans une atmosphère particulière. Dans la cuisine, le repas a refroidi, les biscuits ont durci. Boulette se frotte contre les jambes de l’archer, l’observe de ses grands yeux verts comme pour lui dire que tout va bien se passer ; ou qu’il peut le caresser. Agenouillé, l’archer déglutit en choisissant de se concentrer sur un devoir qu’il doit rendre.

Cela ne fonctionne pas, pas vraiment.
Les coups d'œil jetés sur son téléphone sont fréquents : aucun message. Alors, finalement, Haryu s’agace et cherche le prénom de Shôta dans sa liste de contacts, l’appelle et tombe sur la messagerie. Il recommence, plusieurs fois, sans que rien ne se passe. Il tente un smiley, avec un point d’interrogation. T’es où ? L’inquiétude croît de minutes en minutes et Haryu tourne en rond dans sa chambre. Son chat noir le regarde sans comprendre, se retourne et se rendort à la place de Shôta. Il y a quelque chose qui ne va pas. Nerveux, le jeune homme se frotte l’oreille gauche, remet son appareil auditif en place en esquissant une brève grimace. C’est la première fois que Shôta ne lui répond pas. Haryu patiente encore quelques minutes qui lui paraissent être des heures avant de saisir son manteau, désireux de se rendre sur son lieu de travail en ignorant où il pourrait être sinon.

Mais son portable sonne enfin.
Il décroche sans regarder le prénom affiché, s’exclame avec celui de Shôta quand il est question de l’un de ses amis : Shôta est chez lui. Le reste des paroles qui sont déblatérées n’ont pas de sens pour l’archer qui se précipite à l’extérieur, attrape le premier taxi qui passe près de lui. Il a raccroché, se ronge les sangs. Il ne veut pas entendre l’état dans lequel se trouve Shôta, il ne veut pas savoir ce qui s’est passé. Il a juste envie de le retrouver et de lui dire : “T’es qu’un idiot.” Là, assis dans un fauteuil sur le balcon, il découvre sa silhouette abîmée et s’approche d’elle les mains enfoncées dans les poches de sa veste. Il frissonne en remarquant les blessures sur son visage et comprend vite qu’il n’a pas réussi à contrôler ses émotions. Il s’accroupit en face de lui, le regard dur et saisit l’une de ses mains. Il laisse un long silence s’étendre entre eux avant de reprendre la parole. “Tu n’es pas rentré alors que tu as dit que tu ne me laisserais pas.” Je suis peut-être sourd, mais je ne perds pas la tête.

Il ne l’incrimine pas, il ne fait que lui donner un constat.
Le cœur toujours battant, bien qu’enfin rassuré de le voir malgré les douleurs hurlantes et sourdes qui harcèlent son âme. Haryu a l’impression que ses mains tremblent en encadrant celle de Shôta. Il aimerait savoir, il aimerait comprendre, mais il sait que ce ne sont pas les questions auxquelles peut répondre son interlocuteur. Il se redresse alors, retourne à l’intérieur et demande de quoi le soigner à son ami avant de revenir tirer une chaise pour s’asseoir en face de lui. “Tais-toi, laisse-moi faire.” S’il ne peut panser ses maux, il peut au moins atténuer ses plaies. Il ne lui laisse aucun choix, s’impose là parce qu’il le retrouvera toujours.

N’est-ce pas ?

(( outfit )) :: Il souhaitait respirer sans avoir peur que l’oxygène ne lui brûle les poumons. Tendre la main vers l’inatteignable et voir la joie transparaître à son visage. Au lieu de quoi la course continuait d’être effrénée, elle l’exténuait et les pieds s’enchevêtraient dans un pêle-mêle d’un cercle infini. Il n’avait perdu les esprits que rarement, il avait su sans se l’expliquer être capable de dévier le chemin avant de se prendre de plein fouet la tangente. Pas aujourd’hui, pas ce soir et il s’était senti abattu de la situation dans laquelle il se trouvait. Il n’y avait pas de malheur, que du bonheur, matérialisé sous ses yeux et auquel il prenait soin. C’était la première fois, c’était nouveau et il appréciait d’entendre les battements frénétiques de son coeur battre à ses oreilles. Mais le problème ne résidait pas là, n’est-ce pas ? Habitué aux désagréments malheureux, Shōta, de toute évidence, il préférait courir après la facilité plutôt qu’avoir à faire un choix. N’en avaient-ils pas déjà parlé tous les deux à ce sujet ?
Dans le battement au corps à corps, il avait cherché la délivrance des sentiments. Il n’était pas bête, il savait à qui s’attaquer et recevoir des coups avait été d’autant plus apaisant que d’en donner. Peut-être que de cette manière les réponses à ses questions viendraient lui expliquer ce qui lui arrivait parce qu’il avait peur d’être enfermé, Shōta, s’il venait à consulter un professionnel et qu’il avait besoin de liberté. Il avait besoin de s’envoler et de ne plus s’encastrer dans les moeurs dans lesquelles il s’était retrouvé piégé. Le sang avait coulé, le poignet avait craqué et la douleur l’avait irradié mais pas assez puissante comparé au reste. Alors il était prêt, prêt à frapper plus fort.
Il ne détournera pas le regard, il continuera de fixer ce point vide sous ses yeux car on l’avait ramené de force dans un endroit sûr. Ça martelait dans ses esprits, ça ne s’était pas calmé, contrairement à sa carne épuisée et violentée. La migraine s’était enjoint à la fête et l’endocarde avait baissé ses barrières de sorte que le myocarde s’échouait contre sa poitrine avec une force incontrôlable. Ici, il ne ferait aucun mal parce qu’il s’agissait d’êtres chers et que même s’il n’était pas mentalement présent, il avait entendu. Son prénom chuchoté au creux du téléphone et bientôt il apparaîtrait devant lui qu’il se sentirait n’être plus qu’un tas de poussière incapable de tenir ses promesses. Et, tout de suite, il retrouva la conscience de tout son être pris dans ce désarroi profond.
Sa tasse fut posée à côté, ses mains encadrées par la sienne. Haryu. Haryu. Il le suivit du regard, terrifié de ne le perdre subitement. Il ouvrit la bouche, la referma aussitôt quand il lui ordonna de se taire. Et impossible. Elles se remirent à perler, ces gouttes d’eau salées, sur ses joues, douleur vive que de passer par les plaies non superficielles. Il se mit à sangloter, d’abord silencieusement, puis plus bruyamment. Il retira vivement ses mains qu’il venait de lui panser et se plia en deux. Il avait honte de se montrer comme ça devant lui, il avait réussi jusqu’à maintenant à se montrer fort. Plus ou moins. Parce que son petit-ami n’était pas non-plus aveugle, il avait vu ses maux invisibles comme lui avait vu les siens. Pourquoi, Haryu ? Explique-moi pourquoi sommes-nous tous brisés ? Il n’attendit pas qu’il réagisse, il se redressa et se blottit contre lui. Il lui murmura qu’il était désolé, bien que ça ne rattraperait rien, et il s’accrocha à sa veste pour ne pas qu’il s’évapore sous ses yeux.

(( outfit )) :: Les blessures sur les mains, il est habitué à les panser, Haryu. Avec le tir à l’arc, nombreuses sont les fois où, trop vive, la corde est relâchée, emportant un morceau de sa chair au passage. Et il a beau grimacer, rien n’y change jamais. Alors, cette nuit, face à Shôta, il fait de son mieux pour soigner ces plaies-là ; car celles-ci, elles sont aisées à apaiser. A l’inverse de celles qui sévissent contre son cœur, l’archer est capable de les voir, de les nettoyer, de les rendre un peu moins douloureuses. Qu’en est-il des autres ? Sont-elles vouées à ne jamais cicatriser ? Il ne saurait expliquer la raison pour laquelle se tenir en face de son cadet en cet instant le rend différent. Les émotions de Shôta semblent déteindre sur lui, se mêler à ses propres ressentis et tout cela offre un cocktail implosif. Aussi, quand les larmes dévalent le visage de son petit ami, Haryu en demeure quelques secondes interdit. Shôta vient de décocher une flèche, là, en plein cœur. Il se mord la lèvre, l’entend suffoquer derrière ses sanglots qui résonnent dans la nuit. Il voudrait reprendre ses mains dans les siennes, les caresser, les bercer, lui promettre que demain sera un autre jour ; mais Haryu déteste les promesses, surtout quand elles ne peuvent pas être tenues. Il se contente donc juste d’être là, d’absorber ses peines du mieux qu’il le peut avant qu’il ne s’échoue entre ses bras. Ensemble, le plus âgé les conduit par terre où il encadre un peu mieux la silhouette de son amant. L’une de ses mains s’est glissée à son dos, lui procure de sa chaleur, lui insuffle un peu de cette respiration qu’il a du mal à retrouver. Haryu lui-même se sent à bout ; de tout. Quand les excuses fusent, les phalanges agrippées sur sa veste, il secoue la tête. Il n’en veut pas. Shôta n’a pas à demander pardon pour être qui il est. Il n’a pas le droit de déclarer cela. L’étreinte d’Haryu se resserre davantage et il se surprend, enfin, à le bercer tout doucement. Il souhaiterait le rassurer, lui communiquer qu’il est là pour lui et qu’il ne partira pas. Shôta est violemment entré dans sa vie pour tout retourner sur son passage. Aujourd’hui, les conséquences sont là et l’attachement que le plus âgé lui porte est sans appel. Un lien s’est tissé au fur et à mesure de leurs rencontres et l’histoire paraît en cet instant prendre un nouveau tournant. Haryu n’a pas besoin de mot pour lui montrer qu’il ne le laissera pas. Il espère que Shôta le comprend, autant qu’il l’accepte. Il lui dévoile ses souffrances pour une fois supplémentaire, avoue ses peurs et ses combats sans pourtant les proclamer à haute voix. Et ça ne fait rien, je suis là. L’étudiant en sport le console encore, essuie ses larmes du bout de la pulpe de son pouce en lui ayant doucement relevé le visage. Ses prunelles rencontrent les siennes, lui disent qu’il est en sécurité ; Haryu peut recevoir tous ses maux, sans bouger. Tu peux te laisser aller. Pour de vrai. Parce que les rares instants où l’un comme l’autre perd pied, le temps les bouscule et ne donne aucune opportunité. Toujours se relever. Oui, mais, on a le droit de s’effondrer. Il n’est pas impossible de suffoquer et d’essayer de hurler – en vain. Peut-être qu’il ne restera que des traces de cette nuit, peut-être qu’elle sera vite oubliée, mais quelque chose en eux sera né et perdurera. Une infime parcelle d’espoir. Il n’y a rien besoin d’autre quand les caresses emplissent l’atmosphère. Un baiser lentement déposé contre le front de Shôta. Le dos de la main qui glisse sur sa joue, évite ses petites plaies, son œil déjà violacé. Quels autres stigmates porte-t-il en son sein ? Ils se font face tel un miroir : deux reflets qui s’observent sans se juger. Haryu saisit les doigts de Shôta pour venir les déposer contre son oreille gauche. Les siens s'apposent sur le torse de son cadet. Tu peux t’effondrer d’épuisement, je te rattraperais. Et si, tout à coup, à l’intérieur de cette obscurité, ils n’y prêtent pas tout de suite attention, l’alarme se met à sonner. Prévient qu’Haryu aussi est tombé. Tombé pour lui.

(( outfit )) :: Et il pleurait, il pleurait à n’en plus pouvoir. Il s’épuisait entre ses bras et il ne s’arrêtait pas. C’était la toute première fois. De quoi ? De ressentir ces sentiments, de ne pas avoir de contrôle dessus et d’en avoir peur. De se dire l’espace d’une seconde qu’une simple petite chose qu’un baiser sur la joue puisse faire son bonheur. D’entendre le son de sa voix émettre son prénom et apprécier qu’il ne lui dise «  à ce soir » alors que c’était évident qu’ils se retrouveraient tous les deux à la fin de la journée. Et il avait perdu, et il était effrayé à la perspective que cet amour soit un début d’antidote à sa maladie dépressive. Vers quel endroit tendre la main désormais s’il n’y avait plus d’obstacles qui se présentaient sous ses yeux ? Ou bien était-il terrifié de montrer ses faiblesses, de lui communiquer son mal-être quand il le voyait lui-même chaque jour en proie à la souffrance de ce non-accident. Mais il n’y avait pas que ça. Et si, Haryu, tu ne finis par voir ma vision du monde, je ne suis pas sûr que tu me comprennes.
Pourtant, il n’avait pas envie qu’il ne s’éloigne de lui. Il ne souhaitait pas le repousser, il ne désirait que le garder tout près de lui parce que Haryu était la toute première personne à l’avoir regardé sous un autre oeil en découvrant qu’il soit malade. Il l’avait accepté sous son toit, dans ses draps, contre lui, et avait été ferme quand il avait fait sonner sa love alarm. Que la sonnerie avait retenti à leurs oreilles avec ce bruit assourdissant, entêtant et incroyablement vivifiant comme elle venait tout juste de le faire. Douce chaleur qui se répandait dans les veines et qui remontait jusqu’à l’organe orchestrant le corps afin qu’il ne comprenne qu’à l’instar de ses sentiments, peut-être qu’Haryu était-il capable d’en avoir pour lui. Il se raidit d’instinct, ne dit rien et ouvrit grand les yeux. Ce n’était pas qu’un rêve éphémère, il s’était propagé dans le silence pesant des lieux et il n’eut que pour toutes réponses les battements crépitants de son coeur moins douloureux contre sa poitrine. Ah, qu’est-ce que je t’aime, Haryu. Ne t’en vas pas, ne fais pas les mêmes erreurs que moi.
Sa respiration s’était calmée, elle repartit de plus belle au son de l’application et son être lui hurla de fuir. De s’en aller avant qu’il ne soit trop tard, et il était trop tard à l’instant où ses lèvres osèrent lui voler un baiser comme il avait apprécié celui de Haryu. L’un de ses doigts se fit lui-même enclin à caresser avec finesse cette oreille estropiée, ses yeux ne se détachèrent pas des siens. Cependant, ils ne pouvaient pas rester ici indéfiniment et ils quittèrent les lieux une dizaine de minutes plus tard. Il jeta un dernier coup d’oeil à son ami avant qu’ils ne prennent l’ascenseur et le baissa aussitôt en voyant la peine inscrite à son visage. À quelques pas de l’appartement, il s’arrêta et fixa ses pieds. Il ne se sentait pas mieux et ses mains tremblaient dans les poches de son jean. Il les retira, les regarda et releva le visage vers Haryu.

« Haryu, dit-il et quand il se tourna vers lui, la boule au creux de sa gorge se distordit, Haryu, je suis désolé, laissa-t-il retomber ses bras le long de son corps, Je ne sais pas comment expliquer ça mais c’est à l’intérieur de moi et il fallait que ça sorte. Les émotions, mes émotions, je les ressens plus que les autres et c’est une part de moi intense, ravala-t-il ses larmes péniblement, C’est la première fois que je suis amoureux, Haryu, et je ne sais pas comment faire. Mais je ne veux pas partir. »

Mince. Mince, mince, mince. Ne pleures pas, Shōta. Ça craint.

« Je serais rentré, sanglota-t-il en essuyant ses joues des manches de son pull, Je serais revenu vers toi parce que tu m’apportes beaucoup même si cela m’effraie. Même si j’ai honte de me montrer comme ça devant toi parce que ce n’est pas ce que je veux !, s’emporta-t-il, Je ne veux pas être faible devant toi, je n’en ai pas le droit. »

Ah, ça craignait vraiment. Était-ce en train de remonter ? Il se recroquevilla sur lui-même et cacha son visage à ses jambes. Accroupi, il se demandait par quelle force il tenait debout. Il avait mal partout, particulièrement au coeur et ça n’aurait pas dû être le cas puisque son rythme élancé n’était plus que dû à l’amour éprouvé envers Haryu.

(( outfit )) :: Quand la sonnerie retentit, brève, mais assourdissante, le corps d’Haryu se tend. Comme son arc, il a l’impression que la flèche s’est décochée d’un coup, le rendant pantois de cet instant qu’il ne contrôle pas. Quelque chose vient de se passer et, sous sa poitrine, son cœur bat plus fort. Plus vite, aussi. Il ne sait pas tellement comment faire, que dire, comment agir. Alors il n’en fait rien, continue de bercer Shōta dans ses bras, soutenir ces sanglots qui, désormais, ont fait place à la surprise dans ses yeux mouillés. Haryu ignore pourquoi mais il aimerait être capable de s’excuser. Il n’est pas dupe, se doute bien que toutes les émotions qui envahissent aujourd’hui son petit ami sont en partie dues à leur relation. Ils ne sont pas très doués, ne savent pas toujours de quelle manière agir l’un envers l’autre. Ce n’est pas évident de vouloir construire et cultiver cet amour ; parce que c’est bien de cela dont on parle, n’est-ce pas ? C’est au-delà de l’attirance et l’archer se sent trembler ; une seconde ou deux. Ne dis rien, je t’en prie. Il ferme à demi les paupières quand les phalanges de son cadet s’égarent contre son oreille, touchent son appareil auditif qu’il déteste tant. Nous ne sommes pas beaux, Shōta, mais n’est-ce pas cela qui nous rend meilleurs ? Ce grotesque qui les éprend. Il ne lui rend pas son baiser, se contente de l’accepter et de l’aider à se relever. Ils ne peuvent pas rester chez son ami indéfiniment. Ce dernier les a déjà fait se retrouver, il est inutile de l’inquiéter davantage. Haryu va prendre soin de Shōta. Alors ils s’échappent dans la nuit, retracent le chemin jusqu’à l’appartement en colocation, mais se stoppent un peu avant. Les vagues refont surface au sein de la poitrine de l’étudiant en ingénierie et Haryu se mord la lèvre en l’écoutant. De nouvelles larmes s’évadent de ses iris éreintés, de nouveaux propos s’ajoutent à tous les maux déjà ouvertement abandonnés. Shōta s’excuse, Haryu secoue la tête. Shōta s’affaisse, se recroqueville sur lui-même et Haryu s’avance, reste juste là auprès de lui avec ses propres sentiments qui virevoltent, lui donnent mal au crâne. « Ne sois pas égoïste comme moi. Tu as le droit d’être faible, tu as le droit de reconnaître tes faiblesses. » Un frisson le submerge et il finit par s’approcher plus, s’accroupît face à son cadet. « Shōta… je te crois quand tu me dis que tu serais rentré. » Parce que l’évidence est qu’il n’aurait jamais eu envie d’en douter. Même s’il ne serait pas revenu ce soir, même si cela aurait peut-être pris plusieurs jours, Shōta serait rentré. Malgré le fait qu’ils ne parlent que peu de tous ces sentiments, dans leurs yeux se lisent des promesses plus faciles à taire. Haryu dépose sa main sur l’avant-bras de Shōta, glisse jusqu’à ses doigts. Il n’est pas très doué pour rassurer, lui-même incapable de s’apaiser depuis toutes ces années. « Toutes ces émotions te rendent plus vivant que la plupart d’entre nous… Est-ce que tu veux bien les ressentir pour moi ? » Un murmure affranchi jusqu’à sa silhouette avachie. C’est une drôle de demande, car il est un drôle de garçon, après tout. Dès l’instant où tout a explosé autour de lui, Haryu s’est retranché dans des couloirs imprenables. Il a décidé d’affronter cette adversité contre laquelle il était impossible de lutter et de prouver à son père qu’il n’est pas coupable de ce qui lui est arrivé. L’étudiant en sport a persévéré, a tout donné en pensant bien faire — et il s’est oublié. Haryu s’est mis en mode automatique, minutant sa vie en imaginant qu’ainsi il n’arriverait rien d’autre. Jusqu’à lui. Jusqu’à toi, Shōta. Et même s’il ne peut pas comprendre réellement ce que signifie le son qui a retenti quelques minutes plus tôt, il sait déjà qu’il ne veut pas le quitter. Je ferais de mon mieux pour t’aider.

(( outfit )) :: Je ne te comprends pas, Shōta, tu n’es pas le deuxième enfant que j’aurais imaginé avoir. On avait placé beaucoup d’espoirs en toi. Et ? Et quoi ? Ces mots avaient achevé de briser la glace. Miroir dont les morceaux jonchaient le sol qui ne lui renvoyait plus qu’un reflet incompréhensible de sa personne vers tous les chemins qu’il avait essayé de gravir dans l’unique espoir de ne pas le décevoir. Seulement, il avait compris trop tard que ce serait impossible et c’était normal qu’aujourd’hui il soit terrifié. Pourtant, ce n’était pas grave si Haryu ne le comprenait pas du moment qu’il se tenait à ses côtés. N’est-ce pas ? Il pourrait toujours essayer d’apposer des mots, les assembler et les lui montrer que ça ne l’atteigne un petit peu. Il n’y avait pas besoin de plus, il n’avait pas à se ronger les sangs à ce sujet. N’est-ce pas ? Bien sûr que si ça avait son importance, imbécile, car s’il arrivait qu’un jour Haryu soit capable de le comprendre, il n’entrevoyait que sa silhouette s’éloignant de lui car sa vision du monde n’était pas belle. Elle était laide et elle lui écorchait l’âme. Haryu en souffrirait et il ne désirait que son bonheur. Le mieux serait qu’il ne fasse demi-tour là, tout de suite, que ses mains ne se décrochent de lui mais il ne le ferait pas. Il lui avait dit qu’il ne partirait pas.
Il se montrerait faible comme il était en train de le faire. Il flancherait plusieurs fois, probablement, il chuterait mais se relèverait. Il l’avait toujours fait auparavant, pourquoi pas maintenant ? Parce qu’ils était deux et justement pour ça il trouverait plus le courage et la force d’aller de l’avant. Il n’en avait pas envie, il ne souhaitait plus se laisser aller, bien qu’il n’avait de temps en temps pas le contrôle sur ses émotions déglinguées. Par honte, par fierté. Ah, cette fierté. Cependant, il était un être humain avec tous ces défauts et il l’était davantage que les autres. Il avait ses hauts, ses bas, et il s’en retrouvait submergé sans avoir simplement lu le manuel d’explications. C’était peut-être là tout le noeud du problème autre que l’intensité explosive des sensations émises à double contre-courant.

« … Alors toi aussi, tu as le droit d’être faible et de reconnaître tes faiblesses dans ces cas-là, murmura-t-il en relevant la tête, Ça n’équivaut pas que pour moi. »

Sinon, ça voudrait dire que tu es bien égoïste toi aussi, même si tu l’es un peu dans ta demande. Mais j’accepterais parce que tu ne peux pas nier ce soir que tes sentiments ne ricochent pas avec vivacité contre les miens. Il déglutit et il se redressa avec lui. Le seuil de l’entrée de leur appartement franchi, il partit s’enfermer dans la salle de bain et y passa du temps. Il observa sa silhouette dans le miroir, constata que son poignet n’avait rien de grave, se remit à pleurer sous l’eau et laissa son corps épuisé perdre le fil contre le carrelage glacé de la pièce. Il s’emmitoufla ensuite sous la couette, ferma les yeux et s’endormit sous les ronronnements affectueux du chat noir allongé contre lui avec une pointe au coeur. Le sentiment de culpabilité qui le pesait d’avoir vrillé face au flot de bonheur ressenti dernièrement avec Haryu. Dans quel état d’esprit avait-il désormais pu le plonger ?
Il se réveilla en pleine nuit, suite à un rêve affolant qu’il ne saurait expliquer. Il se redressa, grimaça en prenant appui avec la main dont le poignet avait craqué. Il le regarda, pas aisé dans l’obscurité, et le fit tourner avant de sentir bouger à ses côtés. Il tourna la tête, vit qu’il n’était pas le seul à mal dormir. Il quitta le lit et disparut de la chambre le temps de récupérer et mouiller un gant dans la salle de bain. Il le posa sur le front de son petit-ami, trempé de sueur, et le glissa dans son cou. Ce ne serait pas la première fois. Devrait-il le réveiller ? Boulette apparut et miaula, le fit rire.

« Chut, souffla-t-il en souvint, tu vas le réveiller. Essaie plutôt de l’aider à faire de beaux rêves. »

Il laissa le gant contre la peau de Haryu et prit le chat sur ses jambes. Il le caressa, embrassa le bout de son nez et chanta à voix basse doucement l’une de ces chansons apaisantes qui l’aidait souvent à dormir mieux lorsqu’il l’écoutait le soir. Il se rallongea, récupéra le gant et passa un coup près de son oreille endommagé. À toi non-plus la vie ne t’a pas épargné. Dis-moi quelle raison nous pousse-t-elle encore aujourd’hui à croire en la vie.

(( outfit )) :: Et même si cela n’a pas de sens, même si tout cela ne veut pas dire grand-chose, Haryu se tait et acquiesce à son tour. Il peut faire des efforts, lui aussi. S’il en fait, est-ce que les maux de Shôta s’apaiseront ? Au moins un peu ? Juste assez pour lui permettre de respirer avec plus de facilité. Parce que l’archer n’est pas idiot et s’aperçoit bien qu’il ne s’agit pas que d’une fois. Toutes ces douleurs sont inscrites dans son âme et l’engloutissent avec une véhémence contre laquelle il ne peut pas se débattre. Haryu ignore ce sentiment-là. Il ne sait pas combien cela doit être difficile à contenir, à gérer. Ce soir, Shôta a explosé ; jusqu’à la prochaine fois. Ses doigts liés entre les siens, la pluie commençant à les geler sur place, ils rejoignent le petit appartement en colocation pour un peu de chaleur. Le nez enfouit dans le pelage de Boulette, Haryu se berce tendrement tandis que l’eau de la douche coule durant un moment. Quand Shôta revient, ils n’échangent qu’un regard sans paroles. Le plus âgé a la gorge nouée de tout ce qui s’est déroulé et il se doute bien que son petit ami n’a aucune envie d’en reparler. Pas maintenant. Pas encore. Peut-être qu’ils choisissent juste de clore ce chapitre pour permettre à un autre de s’ouvrir. Enfoncés sous les couvertures, toutefois, Haryu encadre la silhouette glacée de Shôta. Le sommeil n’est pas long à venir, tout comme les cauchemars qui, de temps en temps, s’invitent alors qu’ils ne sont jamais conviés.

Derrière les paupières closes, Haryu ne se rend pas compte de la sueur qui perle à son cou, à son front. Les sourcils plissés, il gémit à peine de toutes ces images qui sévissent dans son esprit. Il a l’impression que les bruits sont trop forts, tout le temps. Lui parle doucement quand le monde autour de lui hurle – jusqu’à se taire. Et l’inverse se produit. Haryu hurle de toutes ses forces mais personne ne lui répond. Parce que personne ne l’entend. Il se démène, avec son arc et ses flèches, court dans toutes les directions sans que quiconque ne tourne le visage vers lui. Il se sent perdu et ses doigts se resserrent, ses phalanges blanchissent sur la corde tirée à son apogée. Ses oreilles crissent, comme des pas dans la neige, dans un son continu et discordant. C’est désagréable. Il continue de marcher, longtemps, sans savoir exactement où il va. Cherche-t-il quelqu’un ? Quelque chose ? Est-ce que dans ces cauchemars, Shôta se cache dans un lieu quelconque ? Peu à peu, sans savoir l’expliquer, une douce mélodie paraît retentir jusqu’à lui. Il se demande s’il l’a déjà entendu. Dans le lit, Haryu finit par se tourner sur le côté. Sa respiration s’apaise à mesure que Shôta continue de murmurer. C’est passé, au moins pour cette fois.

Quelques heures plus tard, les premières lueurs du jour percent déjà à travers les rideaux tirés de la petite chambre. L’étudiant en sport remue doucement, rabat la couette sur son visage le temps de s’éveiller tout à fait, d’instinctivement déposer une main à ses côtés : la place est vide et froide. Il se redresse aussitôt, le cœur battant. Petit à petit les événements de la veille remontent à son esprit et sans prendre la peine d’enfiler son appareil auditif, il saisit Boulette qui dormait à ses pieds pour se hâter dans le salon – à la recherche de Shôta. Il a l’impression que son cœur va sortir de sa poitrine plus vite que lorsqu’il se lève pour partir courir près de la plage. Et si son camarade était parti ? Et s’il n’avait plus envie de l’écouter ? Son regard s’étire dans la pièce, jusqu’à ce qu’il voit sa silhouette sur le balcon. Haryu ne se rend pas vraiment compte de ses cheveux en bataille, de son pyjama de travers ; de cette inquiétude visible sur ses traits. “Ah, tu… tu es là.” Comme pour se rassurer davantage, demandant à son myocarde de se calmer à son tour. Il demeure quelques secondes face à lui avant de se baisser pour libérer son chat noir de ses bras. “Je vais préparer le petit-déjeuner. Tu as envie de quelque chose en particulier ?” Au moins, de cette manière, l’archer n’aura pas trop à se justifier de quoi que ce soit.

Hier soir, l’alarme de Shôta a pourtant bel et bien sonnée.

(( outfit )) :: Quand les mauvais rêves avaient jonché nombreuses de ses nuits, il avait pris l’habitude de fredonner, chanter des mélodies calmes aux esprits. Il les avait cueillis dans l’obscurité, les avait laissé l’engloutir sans défaillir en sachant pertinemment que, elles, elles ne lui feront aucun mal et ce soir, elles atteignaient avec onctuosité le coeur de son petit-ami dont la respiration se fit moins saccadée quelques minutes écoulées. Il sourit légèrement et retira le gant qu’il posa au sol. Il se retourna vers lui, l’observa et garda ses bras contre son torse. Ai-je réellement le droit de prétendre à l’égoïsme, Haryu ? Il se mordit la lèvre inférieure, souffla un gémissement en ayant oublié les dommages collatéraux causés par sa folie excentrique. Celle-là même qui l’avait inquiété et avait probablement pollué ses songes. Il sentit les larmes revenir l’assaillir, il était pitoyable. Cette nuit, les chansons ne s’infiltreraient pas jusqu’aux tréfonds de son âme et les esprits continueront de batailler dans des sens le plus souvent contradictoires. Il en serait même incapable de se mettre derrière son ordinateur portable et cela le troublerait. Vers quel chemin se dirigeait-il ?
Il trouva refuge à la petite terrasse, observa la vie qui termina par s’activer sous l’astre lunaire qui n’avait pas terminé sa ronde. Il songea à ses erreurs, à ce qui s’était passé et qu’il n’avait pu contrôler. Il n’avait fait que lui ajouter un fardeau à ses épaules quand les siennes étaient déjà alourdies du passé. Il aimerait lui demander ce qui avait pu arriver et une fois, ses doigts avaient tapé son identité dans la barre de recherche sur internet. Il n’avait pas cliqué pour la lancer, il était resté suspendu le doigt au-dessus du pad. Haryu était la première personne qu’il aimait, son premier petit-ami qui s’efforçait de voir un sourire sur son faciès décousu en se souciant peu de sa signification. Ce ne serait pas juste et il en était venu à la conclusion qu’il en obtiendrait la réponse s’il lui demandait parce que ce n’était plus pareil désormais. Il avait envie de savoir autant que de lui expliquer que ses maux n’étaient pas anodins. Qu’il avait besoin d’une aide supplémentaire, professionnelle et qu’il en était effrayé. Il n’avait pas cherché à tomber malade, il n’avait souhaité qu’être comme tous les autres. Vous savez, ces êtres humains issus de familles aimantes, capables du pire comme du meilleur. Avec ses défauts et ses qualités et que ses premiers soient capables à la grande surprise de tous de surpasser ses deuxièmes. Qu’au final l’inatteignable ne soit qu’à portée de main.
Et il se remit à pleurer. Il se contorsionna de sorte à être recroquevillé sans se faire mal et il tirailla sur ses cheveux. Il s’en voulut d’exister, de devoir essayer de s’accommoder à son environnement alors que tout ce qu’il avait à faire c’était de se conditionner d’abord à lui-même. Haryu, je suis désolé d’incarner avec tant d’exactitude l’imperfection. J’aurais aimé t’offrir le meilleur, me raccrocher plus à la vie. Haryu, je suis tellement malheureux, tu sais. Pourquoi es-tu en train de tomber pour moi ? Arrêtes. Finalement, cela cessa tout seul et il était en train de fumer une cigarette lorsque Haryu déboula dans son champ de vision.

« Oui, je suis là. »

Surprise ? Perturbé qu’il ait pu songer qu’il serait parti, le myocarde partit en vrille. Il murmura qu’il n’avait pas spécialement faim, le vit s’éclipser dans la cuisine. Il écrasa sa cigarette à moitié consumée dans le cendrier et se releva. Il le rejoignit et l’enlaça par derrière. Ses bras entourèrent sa taille et son visage retrouva son odeur dans le creux de son cou. Lui aussi était effrayé de le voir disparaître sous ses yeux et ressentir sa présence contre son corps à cet instant le rassura.

« Je suis désolé, Haryu, dit-il la voix enrouée, Je… »

J’ai besoin d’aide. Sauf que personne n’avait le courage de prononcer ces mots. Il ferma les yeux quelques secondes, les rouvrit et se détacha de lui. Il l’aida en installant au moins sur la table des verres et des couverts ainsi que leurs serviettes. Il récupéra son téléphone portable dans la chambre, s’arrêta net une fois qu’à la distance réglementée son alarme se mit à sonner. Il avait presque oublié. Il s’installa sur une chaise, ramena ses jambes contre son torse et fit un tour sur son téléphone en faisant comme si de rien n’était. Il faudrait bien en parler, expliquer pourquoi elle s’était mise à sonner hier soir. Cependant, il en était terrorisé et tous ses membres tremblants le prouvaient bien assez. Il n’y aurait pas cru.

(( outfit )) :: Oui, il est là. Il est là et c’est probablement tout ce qui importe, n’est-ce pas ? Alors c’est pour cela qu’Haryu n’a rien ajouté de plus, s’est contenté de déposer Boulette par terre pour se diriger vers la cuisine, occuper ses mains. Il se rappelle avec bien trop de véhémence des événements de la veille, de cette peur en lui d’avoir perdu Shôta. Pour quelle raison ? Il l’ignore. A moins qu’elle ne fasse écho avec ce qui lui est arrivé voilà quelques années à présent. Comme il est si facile de voir le monde s’effondrer. Haryu déglutit en extirpant des aliments du réfrigérateur. Cette nuit, il a en revanche oublié ses cauchemars. Ils sont récurrents, la plupart du temps, ils sont seulement des petits démons tapis dans l’ombre. Tout le monde en possède et jamais le jeune homme n’a jugé utile d’en faire mention. L’évidence est qu’il n’est pas non plus dupe : Haryu ne peut duper Shôta, comme l’inverse est tout aussi réciproque.

Les œufs sont cassés, battus, pour en faire des brouillés qu’il cuit à la poêle. Il ne l’entend pas arriver, sursaute à peine lorsque les bras de son petit ami viennent encadrer sa silhouette. Les gestes de l’aîné se sont stoppés, arrêtés dans le vide, quand les excuses caressent ses oreilles. Shôta est assez proche de lui pour qu’il puisse l’écouter et ne pas avoir à le faire répéter. “Ne t’excuse pas.” Parce que peu importe désormais, n’est-ce pas ? Je te retrouverai à chaque fois. Je n’attendrai pas. Il l’observe quelques secondes s’éclipser dans la chambre, presque avec cette drôle de sensation d’être incomplet à présent que son étreinte s’est défaite. Combien de temps a-t-il fallu pour qu’il s’attache autant à ce garçon ? Combien de temps lui faudra-t-il encore pour comprendre que, peut-être, il ne s’agit pas que d’une question d’attirance ? Shôta réveille des choses profondément enfouies chez Haryu et il s’aperçoit aussi que l’inverse est tout autant réel. Ils sont différents, ne se complètent pas vraiment, pourtant, leurs êtres se sont épris d’une lueur particulière qui a fini par naître entre eux, leur appartenir. Aux jours d’aujourd’hui, Haryu serait incapable de poser un mot pour qualifier leur relation. Oui, ils sortent ensemble. Oui, ils sortent ensemble. Oui, ils couchent ensemble. Mais c’est tellement plus que ça.

Instinctivement, il porte une main à son oreille gauche dénuée de l’appareil auditif qu’il a laissé sur la table de chevet. L’archer a l’impression que tout se rapporte à ça. A ses maux, à ceux de Shôta qui revient près de lui pour prendre son petit-déjeuner. Les phalanges de l’aîné se resserrent sur le manche de sa cuillère en bois quand il sert leurs assiettes, que l’alarme résonne encore. Comme hier soir. Comme sur le balcon de leur ami. Il choisit de ne rien en dire, de manger un peu avant de quitter la table à son tour pour y revenir avec une enveloppe. “Shôta, j’ai… j’ai quelque chose pour toi.” Il avoue ainsi sa culpabilité, sa curiosité qui a été trop imposante et à laquelle il a succomber. Il fait glisser l’enveloppe jusqu’à son petit ami en ayant aucune idée de la manière dont il réagira à ça. A son insu, Haryu l’a inscrit il y a quelques semaines pour une audition qui a lieu ce jour. “Je crois beaucoup en ton talent et je sais que tes études ne font pas vraiment partie de tes rêves. Je ne veux pas que tu passes à côté de quelque chose, je t’accompagnerai.” Avec embarras, un délicat sourire s’étire sur les lèvres de l’archer tandis qu’il est venu replacer une mèche des cheveux de Shôta derrière son oreille.

(( outfit )) :: Il n’en laisserait rien paraître. Haryu avait refait sonner sa love alarm et ça l’avait légèrement stoppé dans ses gestes. Il n’avait pensé qu’à une douce rêverie la veille, il n’avait pas cru cela possible. Les esprits toujours en ébullition à la clarté de l’astre lunaire, cela aurait pu n’être qu’un mirage censé peut-être un peu le rassurer. Aujourd’hui il s’avérait vrai et il le redécouvrait en y voyant plus clair. Il n’en parlerait pas, ça l’effrayait et il était rassuré qu’Haryu n’en parle pas non-plus. Cela ne signifiait pas spécialement qu’il y avait des sentiments… comment en être certain ? Si Haryu n’avait pas un minimum d’affection pour lui, il n’aurait pas accepté de sortir avec lui. La question finit par lui brûler les lèvres sans qu’il ne résolve à la poser, il désirait le respecter. Ce serait à lui de lui en parler et il patienterait comme il avait attendu sagement qu’il ne puisse s’attacher plus à lui. Cela lui donnait également du temps à s’y adapter, à accepter que cette relation ne deviendrait pas un faux-semblant et qu’au contraire ils se tournaient vers un chemin moins sinueux.
Il n’avait pas mangé depuis la veille au déjeuner et il n’avait pas faim. La nourriture délicieusement préparée par son petit-ami ne le lui donnait pas envie, cela lui retournait presque les entrailles. Il ne porta à ses lèvres que le thé infusée avec soin qui le réchauffa quand le temps était loin d’être propice à la fraicheur en cette nouvelle journée. Il devait faire peur avoir, il avait mal partout et il voyait se former sur ses bras des ecchymoses. Il n’avait pas lésiné sur les coups, il s’était laissé emporter dans la folie de ses émotions emmêlées. Il observa ses mains tremblantes et songea à ses erreurs du passé. Il avait été imprudent et le dernier coup donné avait failli être reçu par la mauvaise personne. Il avait reçu un message de son ami ce matin, il n’avait pas répondu. Il préférait être égoïste que d’avoir à se rappeler la souffrance qu’il avait instauré en son sein. Tu as le droit d’être égoïste. Il ferma les yeux, expira avec difficulté. La journée risquait d’être longue.
Et quand il les rouvrit, ce fut pour découvrir cette enveloppe sous ses yeux. Étonné, il reposa sa tasse sur la table et l’attrapa entre ses doigts fébriles. Il fronça légèrement les sourcils, ne comprit pas où il voulait en venir alors que c’était faux. Il savait, il le savait.

« Qu’est-ce que tu racontes ? »

Ses yeux s’apposèrent sur le papier de la convocation à une audition pour une agence célèbre qui engage les nombreux talents que l’on pouvait voir dernièrement sur les grands écrans. Il le froissa entre sa main et sentit son regard se brouiller.

« Co-comment peux-tu être convaincu que je puisse en être capable ? »

Il lâcha le papier et se leva. Lui n’en était pas certain et il retourna dans la chambre. Il y attrapa son ordinateur portable qu’il ramena avec lui dans la cuisine et il le déposa sur la table. Il l’ouvrit, écrivit maladroitement son mot de passe et ouvrit l’un de ses nombreux dossiers de compositions. Il en lança une au hasard et fit volte-face vers Haryu. C’était reparti, différemment, sauf que ça l’était.

« Dis-moi, Haryu, dit-il d’une voix enrouée, Dis-moi en quoi est-ce que ça vaille la peine que je me présente à cette audition. Réécoutes-la plus attentivement, et dis-moi que je ferais mieux de ne pas y aller, le supplia-t-il, Haryu… pourquoi est-ce que tu as fouillé mon ordinateur ? »

Il ne lui en voulait pas, il n’aurait pas pu lui cacher éternellement. Ils vivaient ensemble et il aurait été à sa place aussi curieux. De là à avoir le courage de l’inscrire à une audition unique, là-dessus il en avait des doutes. C’était le fait qu’il ait placé cette confiance aveugle en lui qui le rendait triste et ça le submergeait sans qu’il ne puisse refouler cette nouvelle vague de sensations à coups vifs. Il voyait les expressions qui se peignaient sur son visage et il le décevait. Mais il ne repartirait pas. Malgré cette respiration irrégulière et son visage qui se tordait sous la douleur, je sais que j’exagère. Je sais ce que je vaux et ça me terrorise. Tu le sais aussi, n’est-ce pas ? Il passa une main dans ses cheveux et il partit à l’évier. Il se servit un verre d’eau et le but d’une traite. Il se laissa ensuite glisser jusqu’au sol le long des meubles et caressa Boulette qui vint vers lui. Je vais y aller, n’est-ce pas ?

(( outfit )) :: Comme il s’y attendait, Shôta perd à nouveau ses moyens et Haryu le voit chuter durant quelques secondes qui paraissent durer une éternité. Il l’observe dans ses méandres, il lit dans ses prunelles la peur de tout perdre, de n’être capable que de s’enfuir ; pourtant, le jeune homme demeure là, incrédule. Et l’archer ne sait plus parler, n’en a peut-être pas tout à fait le temps. Il avoue, de cette manière, avoir regardé dans l’ordinateur de son petit ami, avoir fouillé dans ses secrets. Haryu n’est pas très à l’aise malgré l’impression qu’il essaie de donner – parce qu’il croit avec sincérité à cette lettre envoyée, reçue, avec le nom de Shôta. Il mérite de passer cette audition car le plus âgé a bien remarqué que l’ingénierie n’est pas ce qui le passionne. “Shôta, je…” Mais Shôta s’est levé rapidement pour aller dans la chambre.

En revenir.
Son ordinateur est déverrouillé et la tornade n’a de cesse de fluctuer. Toutes les émotions sont là, mêlées à tant d’autres choses envers lesquelles Haryu n’a aucun pouvoir. Il déglutit, regarde les phalanges de Shôta s’agiter, tente d’entendre toutes les paroles qu’il lui envoie et de mettre de l’ordre dans tout ça. Par où commencer ? Il a glissé une main à sa nuque, se mord la lèvre inférieure. Haryu a besoin de quelques secondes pour se reprendre et être capable, il l’espère, de porter le poids des émotions qui s’égarent. Les rassembler, tendrement, en refermant le clapet de l’ordinateur de Shôta. Ses prunelles reviennent trouver les siennes et ses doigts crochètent les siens en s’agenouillant en face de lui. Boulette est près d’eux, miaule d’un air inquiet et Haryu l’entend à peine. ça ne fait rien. Il gèrera cela plus tard. “Je n’ai pas fouillé, c’est juste… tu t’étais endormi et j’ai vu ces fichiers. Je suis désolé, Shôta, je n’aurais peut-être pas dû les regarder mais j’ai toujours senti cette part de toi.” Il a voulu bien faire, même si la curiosité est un vilain défaut. Mais Haryu est loin d’être parfait.

Il caresse doucement le dos de sa main de son pouce. Secoue la tête. “Je n’ai pas besoin d’écouter encore tes compositions. Tu es doué, je t’ai entendu fredonner plusieurs fois.” C’est toi qui m’as apaisé cette nuit, n’est-ce pas ? C’est vers toi que je me suis dirigé dans mes songes. Parmi mes ténèbres, tu as ouvert une voie différente. “Tu mérites cette audition. Tu la mérites vraiment et je ne veux pas que tu passes à côté.” Haryu finit par rompre leur étreinte pour venir s’asseoir à côté de lui, lui faire signe de laisser sa tête se déposer sur son épaule. Son oreille droite, et fonctionnelle, tournée vers Shôta, c’est plus facile. Boulette vient se blottir avec eux, sur ses jambes repliées en tailleur. “Je ne suis pas très doué, mais je peux t’aider à te maquiller un peu si tu veux. Je vais t’accompagner.” Même si, bien sûr, le cadet a le choix de refuser son aide, de dire qu’il ne désire pas y aller, Haryu insiste encore un peu pour que Shôta ne passe pas à côté de cette chance qui s’est ouverte à lui.

De tous les instants qu’ils ont passés ensemble, Haryu apprécie avec une tendresse infinie celui-ci. La chaleur de Shôta, la présence de Boulette, les sentiments en vrac et l’oreille fichue, qu’importe. L’archer se sent bien même si les erreurs sont là, même si rien de tout cela n’a vraiment de sens. “Shôta ?” Les prunelles d’Haryu s’égarent, devant eux, balayent la petite cuisine, le petit salon, le petit appartement partagé. “Tu en es capable.” Et il lui sourit en venant déposer un baiser contre son crâne, s’enivrant de son parfum.

(( outfit )) :: La musique. Unique accalmie dans les esprits désordonnées. La musique avait une échappatoire et elle ne l’avait pas abandonnée au cours du temps. Elle s’était même intensifiée au creux de son être et il en était devenu addictif. C’était sa tranquillité consolatrice, il l’avait attrapée entre ses mains tremblantes et ne l’avait lui non-plus pas laissé tomber. Il se souvenait précisément de ce jour où il s’en était passionné et il s’était pris un refus catégorique de la part de ses parents. Ses parents attendaient tellement plus de lui et ne pas s’embourber dans un domaine où les débouchés étaient surréalistes. Il avait un talent, Shо̄ta, il le savait. Il n’avait pas besoin d’aller voir des professionnels pour se l’entendre dire et il s’était vu chuter face à cette négation ferme et irréfutable. C’était peut-être à partir de là que les nerfs avaient lâché, il avait cru voir son monde s’écrouler. Il aurait pu se plier à leurs exigences, jouer les bons fils comme son grand-frère et croire à cette joie factice, il avait préféré se planter une lame dans le pied. La musique était son tout et c’était elle qui lui avait permis de tenir bon jusqu’à aujourd’hui. Puis, qui avait amené peut-être Haryu à mieux le comprendre et à croire à l’impossible.
Une convocation à une audition. Ce n’était même pas lui qui s’y était inscrit, c’était son petit-ami qui l’avait fait pour lui. Il n’avait même pas pris le courage de le faire, il avait toujours bêtement cru qu’il n’en était pas capable quand d’autres croyaient déjà en lui alors qu’il n’avait pas percé. Et s’il ne réussissait pas ? Il chuterait, où ? Il n’aura pas les moyens de se redresser, pas cette fois-ci. Il avait eu du mal après cette crise, elle subsistait encore en lui et il voyait l’inquiétude qui ne quittait pas les traits épuisés de Haryu. Il s’en voulait, énormément, de lui infliger ces maux inconsolables et il aimerait lui promettre des jours meilleurs. Ils avaient passé de beaux jours tous les deux, il avait cru à une stabilité. Le malheur restait actif, il somnolait dans un coin de son âme. On n’effaçait pas d’un claquement de doigts ce qui s’était brisé, on n’avait qu’à espérer aller de l’avant et avec lui, il y avait cru. Alors pourquoi est-ce que ça revient constamment, Haryu ? J’ai mal, j’ai mal, j’ai mal et ça ne s’en va pas. Je hurle et je vois que tu ne sais pas quoi faire. Il le laissa se rapprocher, sentit les larmes lui brûler les yeux. Je suis fatigué, Haryu.
Ses doigts dans les siens, ils étaient malgré tout rassurants. Il l’écouta vaguement, ça bourdonnait à ses oreilles. Il avait mal à la tête et il avait du mal à se concentrer. Il entendait par bribes ses mots, les plus importants, et il songea que ce n’était pas de lui qu’il aurait aimé les entendre. C’était normal, tout enfant s’attendait un jour à les recevoir de ses parents, n’est-ce pas ? Il fut secoué de tremblements mais c’était parce qu’il se retenait de ne pas pleurer. Il déposa sa tête sur son épaule et reprit sa main dans la sienne. Il l’observa, osa enfin un petit sourire gêné.

« Tu crois ? », souffla-t-il.

Il se redressa, attrapa son regard et fut pris d’effroi de cette chaleur qui s’empara de lui. Je t’aime. Je t’aime, je t’aime, je t’aime. Il se laissa guider jusqu’à la salle de bain après avoir changé de vêtements et se demanda comment allait-il réussir à les convaincre hormis la musique vu l’allure qu’il présentait à ce jour. Devant le bâtiment de l’agence, il reçut parcouru de spasmes et il se retourna vers Haryu.

« Je ne vais pas y arriver, dit-il la voix chevrotante en faisant tourner, tourner la clef usb dans la poche de sa veste, Haryu, je n’en ai pas été capable avant, pourquoi maintenant ? S’il-te-plaît, rassures-moi. »

Il partit chercher ses mains et colla son front au sien. Il ferma les yeux et inspira, expira avec difficulté. Il ne s’était pas reposé, il avait les esprits qui virevoltaient et tapaient contre son crâne. Il avait cette boule dans la gorge, ce mal de ventre d’avoir si peu manger depuis des heures et ses jambes menaçaient de se dérober sous lui. Quand il rouvrit les yeux et qu’ils se plongèrent dans ses prunelles aussi lasses que les siennes, il sut qu’une fois qu’il aurait parlé ce serait pour lui qu’il le ferait. Il ne le ferait que pour lui et sa belle gueule. Sa tendresse invisible aux yeux de tous, réservée étonnamment pour lui et qui le faisait tomber chaque jour de plus en plus entre ses bras. Il ne souhaitait pour rien au monde ne le perdre, il était son son défaillant préféré.

(( outfit )) :: Non, Haryu ne croit pas : il en est certain. Certain d’affirmer que Shôta est talentueux et qu’il mérite plus que quiconque de s’offrir un instant hors du temps. De se permettre d’aller de l’avant et d’ouvrir ses horizons en gravissant peu à peu les marches restantes pour qu’il puisse rêver vraiment. Parce qu’à l’inverse de lui, Shôta a de grands rêves et il peut y arriver. Alors il acquiesce avec sincérité, l’aidant à se relever pour l’amener dans la salle de bain, le maquiller un peu, juste ce qu’il faut pour atténuer les ecchymoses violacées sur son visage. Haryu n’est pas très doué pour cela, aurait pu demander à Harin s’il avait été là. Mais c’est suffisant et ça ira pour cette fois. Ils s’habillent, rejoignent le cœur battant le bâtiment où a lieu l’audition. L’endroit est impressionnant et réveille l’anxiété de Shôta.

Haryu attrape ses mains qui viennent chercher les siennes, caresse de ses prunelles ouvertes le visage crispé de son cadet. Il ne dit rien dans un premier temps, se contente seulement de lui donner un peu de sa présence. Il sait que ça ne suffira pas, alors c’est à son tour de s’ouvrir un peu. Un tout petit peu plus. Montrer à Shôta que leur relation est loin d’être désuète quand bien même l’archer est incapable d’apposer un nom dessus. ça ne fait rien. “Shôta, tu vas y arriver. Tu peux le faire. Je…” Il déglutit, se perd aussi dans le regard qui vient de s'installer à l’intérieur de son âme. Haryu inspire doucement. “J’ai peur de ne plus pouvoir t’entendre.” Même si son ouïe de l’oreille droite fonctionne bien, les craintes demeurent entières et de l’oreille gauche, les sons s’effacent, ne sont plus ceux qu’ils étaient. Ils se dégradent et Haryu se tait, encaisse, sait aussi qu’il ne pourra pas se voiler la face indéfiniment.

Lentement, il relâche les phalanges de son interlocuteur. Il lui sourit du bout des lèvres, permet une brève seconde à sa main de venir caresser la joue de Shôta. D’un signe de la tête, il lui indique le bâtiment. C’est l’heure. C’est le moment. “Je serais là quand tu auras terminé. Je t’attends.” Ses mains glissent dans les poches de son jean et il recule d’un pas, ou deux, offre un regard bienveillant et encourageant vers Shôta, laissant ses iris s’étendre sur la silhouette qui s’éloigne en direction du bâtiment. A l’instar des nombreuses compétitions que fait Haryu, il se doute de cette peur qui régit l’être, il connaît aussi l’excitation, l’adrénaline qui se décharge dans les veines et permet, enfin, de se libérer et d’être qui l’on est vraiment.

Mais si Haryu a promis d’attendre Shôta, il ne reste pas là, planté devant l’immeuble. Lui aussi désire se montrer courageux, prouver à son petit ami qu’ils peuvent avancer ensemble même si c’est difficile de toujours y croire. Ses pas l’entraînent jusqu’à un salon de coiffure où il demande un changement plutôt radical. Il a lui aussi besoin de respirer un peu, penser que demain sera plus facile qu’aujourd’hui. Qu’avec Shôta, les choses seront naturelles. C’est quelque chose de rassurant après sa routine qui s’est vue complètement ébranlée, mise sens dessus dessous. Un soupir s’échappe de ses lippes quand il se reconnaît à peine en face du miroir. Il touche sa chevelure d’un air un peu perdu, mais il dit oui quand on lui demande si ça lui plaît. Il remercie la coiffeuse, paye et, avant de revenir au pied du bâtiment, achète une boisson pour Shôta qu’il lui tend une fois qu’il l’aperçoit. Il lui sourit, essaie de déchiffrer l’expression sur son visage ; cette myriade de sentiments et de sensations qui le font parfois exploser.

(( outfit )) :: J’ai perdu lorsque je suis tombé amoureux de toi. Il n’avait pas eu la vie facile lui non-plus, il avait grandi dans un espace étriqué et ça l’avait déréglementé. Il avait quémandé de l’attention, hurler sans qu’on ne l’entende et ça l’avait profondément affecté. Il avait quitté le domicile familial en connaissance de cause, n’avait pas plus retrouvé le goût à la vie. Qu’est-ce qui le retenait ? Une passion pour laquelle il ne se donnait même pas la peine de se battre ? Une maladie qui le brûlait à petit feu et qui inscrivait des inquiétudes irascibles sur le visage des êtres chers dont il n’était même pas lié par le sang. Qu’est-ce que ça lui apporterait de plus de participer à cette audition quand tout semblait perdu d’avance ? Les beaux yeux d’une âme aussi brisée que la sienne, pour laquelle il était tombé, retomberait jusqu’aux confins de l’infini. Haryu était en train de devenir petit à petit son antidote, quoi qu’il en dise. Il s’accrochait à ses prunelles avides de combativité et il revoyait sa position. Peut-être qu’il en était capable.
Il ne regrettait pas de l’avoir rencontré malgré les circonstances atténuantes de la collision qui avait eu lieu entre eux. Est-ce qu’au contraire cela n’avait été que pour souligner le fait qu’ils étaient tous les deux fatigués du ressenti de ce monde ? Même douloureusement, il revivrait tous ces instants à ses côtés afin qu’ils en arrivent à celui-ci parce qu’il ne s’agissait pas que de lui. Si Haryu avait osé envoyer sa candidature, s’ils étaient devant ce bâtiment dans l’espoir qu’il ne puisse montrer avec brillance éclatante son talent, c’était que lui aussi avait besoin qu’on ne puisse l’élever. Que les couleurs s’éparpillent partiellement à son visage et ne l’aident à percevoir les sons qui découlaient de sa voix avec plus de clarté. Ils avaient chacun leurs démons intérieurs, démolisseurs à grands ordres, et ils s’étaient trouvés pour mieux se hisser.

« Je sais, lui répondit-il sans faillir, Je le sais. »

Infime particule qui s’était insinué dans la silhouette svelte de son petit-ami. Il l’avait vu perturbé de petits gestes qui, autrefois, étaient machinales et il avait compris. Il n’avait rien dit, Haryu ne lui communiquait pas plus vocalement son inquiétude vis-à-vis de lui. Il s’était d’abord dit que cela passerait avant de voir que la nuisance progressait. Après lui, ce serait à lui de s’occuper de Haryu et qu’ils ne découvrent ce qui n’allait pas.
Il entra dans le bâtiment, déglutit en voyant le nombre de personnes présentes. Le temps s’étira, il pianotait sur sa jambe, celle-ci s’agitait et il fermait les yeux lors des secondes étoilées où il songeait qu’il valait mieux que plus de la moitié des personnes réunies pour cette compétition. Et on l’appela. Il perdit le fil, la confiance n’avait jamais été son fort. Cette scène ne s’était présentée à ses esprits que lors des séries télévisées, il ne s’était que peu de fois imaginé à leurs places. Comment le faire quand on ne pensait pas en avoir les moyens ? Il ne les avait pas plus aujourd’hui et il se présenta maladroitement. Ces regards le jugeaient, l’appréhendaient et seraient prêts à le mettre plus bas s’il le fallait. En valait-il la peine ? Il avait passé des années à plonger dans la musique, à s’inspirer des plus classiques aux contemporains, à chercher toujours plus à s’améliorer et des heures, des heures incomptables, immesurables dans les salles des karaokés à faire exploser sa voix devant l’incompréhension de la réalité.
Et il osa. Il n’avait pas d’autres choix, il ne souhaitait pas décevoir Haryu. C’est pour toi que je chante. Je sais, Haryu, que tu finiras par ne plus entendre de l’oreille gauche et qu’il ait plus facile de parler avec toi par le biais de ton autre oreille. Et je sais aussi que ce n’est pas que ce qui te taraude. Alors, Haryu, ces mots sont pour toi. Qu’ils n’atteignent ton âme et qu’on ne comprenne qu’on ne cherche juste qu’à vivre. Nos vies sont désuètes, malmenées, on s’est pourtant trouvés et tu es mon plus cadeau. Je ne peux te faire de promesses mais je te promets au moins d’essayer malgré la fatigue.


C’était sa plus belle création, la mélodie avait siffloté à ses oreilles lors de cette nuit où leurs deux corps s’étaient essoufflés sans craindre l’un contre l’autre. Les paroles étaient survenues le lendemain, tremblotantes mais étincelantes à cette réponse qu’il avait pourtant cru erronée. Il avait attendu qu’il ne rentre du travail le soir malgré l’heure tardive, il était en train d’écrire quand il avait ouvert la porte de sa chambre et il avait su que lui non-plus ne le laisserait pas partir. Il le garderait près de lui quoi qu’il en coûte. Plus nerveux que l’instant d’avant, il attendit qu’on ne lui autorise de partir quand l’un des examinateurs lui demanda s’il serait capable de leur chanter une chanson à la langue anglaise. Perplexité non feinte, il s’exécuta néanmoins et s’arrêta à son signe de la main. Il les vit chuchoter entre eux et on le pria de sortir. Il restait quelques uns à passer et on les rassembla tous dans la même pièce où ils avaient dû démontrer ce qu’ils valaient.
Il ressortit et il l’aperçut rapidement. Il s’approcha de lui, ouvrit la bouche et la referma. Il glissa ses doigts dans ses cheveux et ne sut pas quoi penser.

« Mais pourquoi, commença-t-il à sangloter, Et le pire, c’est que tu es encore plus beau comme ça. »

Il se mit à pleurer, les nerfs se relâchaient encore une fois mais pour de bon. Il attrapa la boisson, but et ses larmes ne cessèrent de couler. Il y avait été, il avait réussi et on souhaitait le revoir même le plus tôt possible. Il continua de boire, de chercher à comprendre la raison qui avait poussé Haryu à changer radicalement de coiffure et se mit à rire légèrement. Sa consommation terminée, il la jeta à la poubelle, il n’avait pas réalisé à quel point sa gorge était en feu. Il tira sur son haut, le rapprocha de lui et ferma les yeux. Ses doigts déliés de tout trouble parcoururent la distance jusqu’à l’emplacement de son coeur et il s’en imprégna en espérant que cela ne l’apaise en totalité. Mais plus que tout appréciait-il cet instant hors du temps où il entrevit que l’on pouvait parfois dévier de la mauvaise direction prise.

(( outfit )) :: Un aveu, murmuré du bout des lèvres. Un secret qu’il n’a pas envie de partager, et pourtant. Avec Shôta, peu à peu, les choses sont devenues différentes. Aujourd’hui est un moment très important pour le plus jeune, alors son aîné a fait des efforts lui aussi. Il a cette envie en lui de lui prouver qu’il est capable de le soutenir dans ses bons comme dans ses mauvais moments et que cette confiance, bien que récente, devient réciproque. Tout au fond de lui, Haryu espère un jour être en capacité de se laisser aller de la même façon que Shôta. Libérer toutes ces émotions qui gravitent dans son être et qu’il essaie au mieux de faire taire.

Shôta, ce n’est pas aisé pour moi d’être différent.
En vérité, Haryu n’a jamais voulu l’être. Il est le genre de personne qui recherche la banalité à tout prix, vite dépassée par les événements qui dérangent le quotidien. Comment réagir ? Que faire ? Comment se comporter ? Haryu déteste cela – et ça n’en a été que plus fort depuis ce qui s’est déroulé dans cette boulangerie. Au mauvais endroit et au mauvais moment. Il aurait pu mourir. Il ne s’en est sorti qu’avec une oreille abîmée et quelques traumatismes. D’autres n’ont pas eu sa chance. Alors c’est ainsi qu’il se berce, le jeune homme. En mettant les douleurs et les violences des autres au-devant des siennes. Il dit qu’il relativise quand devenir une personne différente est sa peur la plus grande.

C’est pour cela qu’il l’a avoué à Shôta, bien qu’il se doute que son petit ami n’est pas aveugle à propos de sa condition. Ils n’en parlent juste pas ; parce qu’Haryu éluderait les questions et les réponses. Pour tous les pas que l’artiste a fait dans sa direction, l’archer en fait un vers lui. C’est bien de cette manière que ça fonctionne, n’est-ce pas ? Alors durant les deux heures que Shôta passe à auditionner pour cette maison réputée, Haryu prend ce qui lui reste de courage pour changer davantage. Une transformation plus visible avant celle qui, défaillante, finira par irrémédiablement se faire. Couleur sombre tirant sur le violet, c’est avec une boisson entre les mains qu’il accueille les nouveaux pleurs de Shôta qui s’accroche à ses vêtements. Haryu ne lui répond que par un sourire avant de glisser un bras dans son dos, l’approcher davantage et qu’importe les regards qui se sont déjà tournés dans leur direction.

Il n’a pas besoin de l’interroger pour savoir que tout s’est bien passé, que Shôta a été retenu pour s’élever dans un métier pour lequel il est clairement passionné depuis bien des années. Haryu est heureux pour lui, fier de lui. Il le lui dit doucement au cours de cette étreinte avant que le plus jeune ne s’éloigne à peine, revienne vers lui. Haryu l’observe agir, s’étonne de sentir son cœur battre plus rapidement à la vision de cette silhouette qui surgit dans la lumière. “Shôta…” Mais à quoi bon ? L’alarme a déjà sonné, l’attirance est évidente. Haryu choisit donc d’agir, rejoindre les doigts de Shôta qui se baladent sur son torse ; les lier. L’embrasser. C’est un baiser tendre qui a le mérite de ne pas être caché, comme une preuve supplémentaire pour les barrages qui n’auront de cesse de se positionner sur leur chemin. “Tu as réussi.” Son front vient rejoindre celui de son interlocuteur, les paupières à demi-closes. Je n’en ai jamais douté.

Et les minutes s’égrènent sans qu’ils ne bougent, sans que l’un ou l’autre ne semble avoir le désir de se défaire de ces instants décousus du reste du monde. Pourtant, Haryu n’a pas envie de s’arrêter maintenant. Il souhaite faire plus plaisir encore à Shôta, le féliciter, l’aider à progressivement retrouver le contrôle de ses émotions qui doivent encore être chamboulées. “Viens, allons déjeuner où tu veux.” Il est le premier à avancer, à s’éloigner un peu de son petit ami. Ne le voyant pas à ses côtés, il finit par se retourner, sourire et tendre une main vers lui.