(( outfit )) :: Il avait réussi. Il s’était présenté face à un jury, il avait démontré son talent à des professionnels et on avait échangé à son sujet jusqu’à convenir qu’il en vaille la peine. Il en valait la peine, il possédait quelque chose qui méritait qu’on ne puisse le mettre plus en valeur. À l’avant de la scène, au-delà des regards critiques et il s’exécuterait parce que c’était sa passion existentielle, celle qui l’emmenait haut et qui lui permettait de respirer plus facilement. Jusqu’à Haryu, avec lui et grâce à ce courage que lui ne possédait pas. Il l’avait pourtant eu, cette force, cette bravoure intrépide en passant le seuil de l’entrée de cette pièce. Il s’était agité, avait senti les remous dans ses esprits et avait cru qu’il n’en serait pas capable jusqu’au bout. Il avait été prêt à faire demi-tour mais il ne l’avait pas fait. Il avait songé à lui, à cet éclat énergique dans ses yeux, à cette douceur infinie glissée à ses doigts et à cette alarme sonnée dans l’obscurité envahissante. Il ne le laisserait pas, il le garderait à l’éternité.
Il pleurait donc, mesurait la cadence de ses émotions à contrecoups. Il régulait sa respiration saccadée, il se revoyait la veille en proie à l’indéniable. Les yeux fermés, contre lui, il s’efforçait. Il entendait les battements frénétiques de leurs coeurs, je sais ce que tu ressens. Car il serait plus apte à s’occuper de lui en grandissant dans un environnement meilleur à sa condition. Il l’aiderait comme lui agissait de-même en ce moment et il s’échinerait, il posséderait toujours cette violente envie de venir le secourir, le protéger. Simplement lui rendre la pareille et l’aimer plus fort parce que c’était ce qu’il en était. Là, il était épuisé et il ne lui servirait à rien d’essayer quand demain serait un autre jour. Le ciel n’était-il pas aujourd’hui moins assombri ? Il se mit à sourire après ce baiser, acquiesça à ses mots et s’accrocha à lui en se fichant lui aussi des regards inquisiteurs.
Et quand Haryu lui proposa d’aller déjeuner, il ne fit d’abord que l’observer s’éloigner et se retourner. Il tomba amoureux une nouvelle fois à ce sourire destiné qu’à lui seul et se mit à être égoïste. Espérer grandement, brutalement et possessivement. Ne pars pas, jamais. Ne sois qu’à moi et ne poses tes yeux que sur moi car je ne le supporterais pas. Qu’ils puissent croire que ma faiblesse puisse te nuire et que je n’en vaille pas la peine alors que ce sourire n’était pas éclairé de la même façon lors des premiers jours. Il le rejoignit et attrapa sa main.

« Allons manger des sushis ! »

Il n’avait pas spécialement faim, il s’effondrerait s’il tombait dans un lit ou sur quelque chose de confortable. Il tremblait, il continuait et ça ne le quittait pas. Néanmoins, il se tenait près de Haryu et il lui racontait les esprits ailleurs comment cela s’était déroulé. Puis, il s’arrêta avant qu’ils ne tournent au bout de la rue et il tira sur sa veste. Il avait l’impression de suffoquer d’un coup, c’était comme si on lui rappelait qu’avec ce pas en avant il se devait aussi de commencer à être honnête.

« Haryu, souffla-t-il, son regard troublé s’ancrant dans le sien, Haryu, j’ai besoin d’extérioriser et je, hésita-t-il, J’ai fait des erreurs. Quand tu m’as demandé si je m’étais déjà battu, je t’ai dit que oui et que j’avais arrêté après le lycée. C’est parce que ça a été trop loin, déglutit-il, Elle n’avait demandé qu’une explication… »

Et il n’acheva pas sa phrase, relâcha sa prise. Il baissa les yeux et enfouit ses mains dans les poches de son jean. Ce fut précisément à cette minute près que la pluie les surprit tous les deux, il l’entraîna avec lui au restaurant où Haryu travaillait qui n’était plus très loin. On les installa à une table et il s’assura que son petit-ami allait bien et que ça n’avait pas touché son appareil auditif. En attendant leurs plats, il sut qu’il n’y aurait pas de nouveaux imprévus et qu’il n’avait plus à tergiverser. Il se força à sourire et prononça ces mots dans un sanglot, ces mots qu’il n’aurait pas cru se voir prononcer un jour.

« Aides-moi. »

Mes parents ne l’ont pas fait parce qu’ils m’ont repoussé, mon grand-frère ne l’a pas fait parce que je l’ai repoussé. Et toi, j’ai besoin de toi. Ses doigts se crispèrent sous la table et il remercia le serveur qui vint leur apporter de l’eau. Il les servit, maladroitement, et la scène se rejoua dans sa tête. Il avait perdu le fil, encore une fois, et elle avait hurlé. Elle avait crié qu’il ne l’en avait pas supporté et c’était tombé. Presque fatal, et ça ne l’avait pas empêché de recommencer. Recommencerait-il ? Il souhaitait s’en sortir autrement, ne plus avoir à courir et au contraire, être capable de faire face. De vivre simplement avec ses différences.

(( outfit )) :: Haryu ignore les émotions que Shôta a pu ressentir tandis qu’il passait pour ce casting, mais il voit avec une évidence certaine la fatigue qui anime ses traits. C’est peut-être pour cela qu’il l’attire à lui avec tendresse, qu’il se moque bien de ces regards qui se sont tournés dans leur direction ; qu’il l’embrasse. Est-ce grâce à cette ébullition qui les submerge qu’il parvient lui aussi à aller de l’avant ? A imaginer que, dans le fond, être différent ne veut pas dire être inhumain ? Les lèvres pincées, il resserre ses bras autour du corps frêle de Shôta, épanche ses larmes sur son épaule, contre son torse. Haryu ne mentira pas en lui disant que tout finira par s’arranger – lui-même est incapable de voir l’avenir d’une manière évidente.

Finalement, les doigts de Shôta qui rejoignent les siens forment une sensation d’apaisement en son sein. Durant le trajet, il l’écoute avec fierté lui raconter comment s’est passée l’audition, ce qu’il a interprété et comment étaient les jurés en face de lui. La pression se ressent facilement mais Shôta peut désormais se rassurer et respirer pour de bon. Même s’il sait qu’il n’aurait pas dû fouiller dans ses affaires, l’archer est content de l’avoir fait. Il a permis à son petit ami de passer ce cap qu’il n’osait pas franchir et, comme il n’en a jamais douté, Shôta a réussi à se faire repérer. Tant de choses vont changer d’ici les prochains mois. C’en est un peu effrayant à présent qu’une douce routine s’est instaurée entre eux. Mais qu’importe, Haryu ne sera pas un obstacle pour que son cadet vive de sa passion.

Un peu avant d’arriver au restaurant, Haryu est retenu en arrière. “Shôta…” Il s’est retourné vers lui, un peu en retrait, qui tient sa veste. Les paroles s’échappent de ses lippes et les révélations se font à mesure que Shôta s’exprime. Les bagarres, les coups, les regrets… Cela ne date bien sûr pas de leur propre altercation voilà désormais plusieurs mois, ni de cette histoire de laquelle Shôta est parti se réfugier chez son ami la veille. Tous ces problèmes sont une part entière des pertes de contrôle du jeune homme, de ces émotions décuplées qui finissent indéniablement par exploser d’une manière ou d’une autre. Haryu ne comprend pas la globalité de ce passé narré, mais il n’est pas dupe et voit la douleur sur le visage de l’artiste en face de lui. Que s’est réellement passé ? Il n’en a toutefois pas le temps de l’interroger car la pluie les surprend et ils se réfugient à une table du restaurant.

Les minutes qui s’écoulent paraissent durer des heures jusqu’à ce qu’ils soient enfin en tête à tête. Les peurs de Shôta s’alignent parmi les couverts, ses sanglots jaillissent à l’instar de l’eau qu’il vient de leur servir. Haryu se rapproche, tend ses mains au-dessus de la table pour saisir celles de son camarade. Il les berce avec une tendresse qu’il se découvre un peu plus chaque jour, la gorge serrée de ne rien pouvoir faire de plus. Il déglutit, son attention toujours déposée sur le plus jeune. “Shôta… Je sais que je ne suis pas le plus à même de te déclarer tout ça, mais tu dois te concentrer sur ton présent maintenant et laisser le passé derrière toi. Tout le monde a fait des choses dont on n'est pas fier et je pense que tu as déjà payé pour ça. Les remords, les regrets, on vit avec. Regarde plutôt toutes ces choses que tu es capable d’entreprendre.” Il tente un léger sourire. “Je suis fier de toi et je… je ne te laisserais pas.” Nous sommes déjà allés trop loin ensemble. Une promesse offerte avec candeur quand le bout des oreilles s’est réchauffé. “Soignons-nous mutuellement, d’accord ?”