refrain qui passe à répétition dans les oreilles alors que les doigts pianotent sans arrêt sur la surface fraîche du bois. impression de calme quand pourtant à l'intérieur c'est une ébullition constante, une frénésie invisible qui pourrait agiter entièrement le corps si tu le laissais prendre le contrôle. mots qui manquent, encore, troisième fois cette semaine que le papier reste blanc et que la suite ne survient pas, reste jalousement gardée dans l'une des nombreuses cases de ton cerveau à laquelle tu n'as pas encore accès. c'est pire, quand tu devines ce que écoutes les autres, les joggeurs qui passent à proximité en courant, les groupes de gamins qui s'amusent à faire tonner les enceintes qui se balancent à leur hanche. et chul, perdu au milieu de tout ça, lunettes de soleil opaques et casquette vissée sur la tête pour être ce parfait monsieur tout le monde que personne ne remarque. silhouette assise sur le banc qu'un arbre protège de ses feuilles vertes. l'heure qui est passée, même repassée si tu osais le dire. habituellement le fautif des nombreux retards, connu pour ça à l'agence où à présent ta présence est réclamée avant pour ne bloquer personne. les iris bruns qui se promènent inlassablement entre la fontaine où des enfants barbotent, trempent leurs pieds sous le regard attentif des parents, quand à côté c'est un couple avec son chien qui se prélasse au soleil. mais le gok sauvage est éternellement seul, tristement seul si on venait à te poser la question. tu vérifies l'horaire, l'endroit, le message envoyé et même l'accusé de réception. relecture de la conversation une fois, deux fois, trois fois et finalement le soupir qui s'échappe des lippes avant de se transformer en claquement dès que tu reconnais l'ombre qui rôde. quinze minutes, trois fois cinq minutes, c'est long. mains qui s'enfoncent dans les poches du jean foncé dès que tu te lèves, gardes la moue pincée pour feindre l'agacement, mais la malice qui s'impose immédiatement quand tu observes les traits familiers. tu me dois bien un café, parce que si j'étais ton date, je serais parti depuis longtemps. mais non, chul ne part jamais quand il attend sa moitié, alors ton bluff il vaut rien du tout.

C'était bizarre pour Kain de revoir Chul. Il faisait partie d'une époque de sa vie qu'il voulait simplement oublier et ça lui avait peur de le revoir, à tel point qu'il avait simplement essayé de fuir quand il avait entendu son ancienne identité sortir de sa bouche.

Il est évident que le Heiran qu'il a connu s'est éteint. Il ne reste plus grand-chose de cet adolescent chétif, craintif. Au fond, il était toujours là, mais c'était un Kain avec beaucoup plus de prestance qui avait pris sa place ; beaucoup moins coopératif, beaucoup moins gentil.

Kain ne s'est pas encore ouvert à ce qui lui est arrivé pendant toutes ses années, ou même à l'époque, quand Heiran avait déjà commencé à s'éteindre. Il aurait pu lui en parler quand ils se sont retrouvés, malheureusement le garçon n'était pas prêt, et il n'est pas tout à fait sûr de l'être aujourd'hui aussi.

Il arrive en retard à son rendez-vous avec Chul. Le jeune homme avait un shooting photo une bonne partie de l'après-midi, et même si son professionnalisme permettait toujours  à son équipe et lui de finir le travail rapidement, aujourd'hui, ils avaient pris du retard. Ils avaient sous-estimé le temps nécessaire entre chaque changement de tenue, et le fait qu'il fallait parfois changer son maquillage, et un manque cruel d'organisation en général.

— Désolé. C'était pas prévu.

Il reste calme, Kain. Il pourrait donner une longue explication comme quoi il est réellement désolé, mais est-ce que ça les intéressait, l'un ou l'autre ? Et puis... le jeune homme sait qu'il aurait pu être plus en retard s'il n'avait pas pris en charge le problème lui-même, accompagné de sa propre équipe. Sa manageure était dans tout ses états aussi.

— D'accord, il dit simplement.

Il peut bien lui acheter un café pour se faire pardonner, si c'est tout ce que ça peut lui coûter pour se racheter. Force est de constater que Kain n'a pas réellement le sens de l'humour.

— Starbucks ? Il propose. Ou tu préfères ailleurs ?

l'opposition entre le feu et la glace qui avait toujours fonctionné à merveille, mais aujourd'hui l'iceberg kain fait de la résistance, s'oppose à tes tentatives vaines de faire miroiter plus de vulnérabilité. crispation dans la mâchoire, l'impression violente à chaque fois que la technologie a de l'avance sur son temps et que cette silhouette pourtant humaine en face de toi, n'a d'humain que l'apparence. attends-- tu t'approches, monture qui glisse sur le bout de ton nez quand tu baisses la tête, observes avec curiosité ses traits si lisses et parfaits, à se demander s'il est fait de peau ou de cire. attends encore. tu fronces les sourcils, étudies avec attention chaque centimètre du derme découvert quitte à empiéter sur l'espace vital avant de plonger ta main sans prévenir dans son cou. oof, tu m'as fait peur pendant une seconde. doigts baladeurs qui effleurent la nuque avant de la pincer et de te retourner l'air innocent, presque à siffloter la même mélodie qui te vient en tête. j'ai vraiment cru que tu faisais partie de ces gens qui arrivent à se faire un clone robotisé. mais pas d'interrupteur ou de circuit sous la pulpe de tes doigts quand tu t'étais aventuré là où il ne le faudrait peut-être pas. tu sais que tu ne devrais pas te risquer à ça, que ça ne l'amuse pas comme ça avait pu être le cas des années en arrière, presque une décennie maintenant. mais si heiran n'est plus, chul lui a bien demeuré et le temps n'a rien arrangé. me dis pas que tu fais de la chirurgie et qu'ils t'ont foiré et que du coup ça t'empêche de sourire ? parce que tu ne vois rien qui puisse présager le moindre amusement sur cette expression à la fois neutre et terrifiante si tu ne savais pas à qui tu avais à faire. starbucks ? tu répètes, excuse pour t'éloigner un peu plus et éviter de recevoir ses foudres après avoir une nouvelle fois pousser un peu trop loin.

Kain était seulement moins gentil, mais il était aussi plus distant. Il gardait constamment une certaine distance avec tout le monde. Chul n'y faisait pas exception ; car il est incapable de faire confiance à qui que ce soit.

Le jeune homme essaye de cacher à quel point il est cassé ; camoufle l'anxieté de l'autre derrière un masque de méchanceté, fuit quand les crises d'angoisse le prennent en tenaille, que les souvenirs s'immiscent dans son cerveau et lui font revivre les pires moments de sa vie. Si sa vie est aujourd'hui bien mieux qu'il y a plusieurs années, et que son vieil ami ignore tout des problèmes par lesquels il est passé, à quel point il est passé prêt de la mort, et ce, à plusieurs reprises.

L'autre s'approche, Kain est surpris, alors qu'un "attends" glisse sur les lèvres de son interlocuteur. Il ne peut s'empêcher d'avoir un léger mouvement de recul, avant de se rendre compte qu'il ne fait que le regarder. Puis c'est à son tour de froncer les sourcils, ou plutôt d'un hausser un, ou alors l'un après l'autre alors qu'il doit rester immobile plus longtemps.

Puis la peur traverse ses traits, sincèrement pendant une courte seconde. C'est l'horreur dans les yeux de Kain.

— Ne fais pas ça, il s'écrie, malgré lui.

Les mots s'échappent tout seul de sa bouche alors qu'il peine à contrôler ses émotions. Mais ce n'est qu'une plaisanterie de la part de son ami. Le mannequin ne rit pas cependant.

— Ce n'est pas drôle.

Kain est terrifié à l'idée que les souvenirs ressurgissent malgré lui, que les flashbacks l'immobilisent et le montre dans sa plus grande vulnérabilité.

Parce qu'il n'a jamais oublié la sensation de cette main derrière sa nuque. Ca le dégoûte rien que d'y penser, il pourrait vomir.

— Je n'ai pas fait de chirurgie.

Il aurait pu, pour se cacher, mais il n'avait jamais pu s'y résoudre, peu importe les raisons qu'il pouvait se trouver pour le faire. S'il pouvait sortir de sa peau pour être définitivement libérer d'Heiran et ne plus vivre dans la peur que sa famille puisse éventuellement le retrouver, et lui faire du mal, à nouveau.

Kain reste immobile, laisse l'autre s'éloigner, avant de marmoner.

— Tu n'as rien dit à ma famille, hein ?

Il n'avait pas confiance, Kain. Après tout, Chul était très insouciant. Ca ne faisait pas si longtemps que cela qu'ils avaient repris contact. Et ça, ça lui faisait tout aussi peur que ses souvenirs.

est-ce que t'as déjà connu quelque chose de similaire avant ? jamais, jamais il n'avait haussé le ton de cette façon ou jamais tu n'avais cru percevoir cette lueur inqualifiable dans son regard. kain, ou qu'importe le prénom qu'il préférait entendre filtrer des lippes, ne semble être devenu qu'une ombre par moment. insaisissable, incompréhensible, du genre que l'on ne peut définir tant elle vous échappe et qu'elle ne se laisse approcher. tu joues avec le feu, mais tu n'oserais te prononcer à savoir s'il se risquerait à réellement te brûler. l'attaque frontale qui n'est pas la meilleure, mais pourtant la seule que tu connaisses réellement, chul loin d'être aussi précieux et délicat qu'une rosée venant magnifier la rose épineuse que représente son ancien alter ego. tu n'es pas drôle. tu rectifies en sifflotant à moitié, air détaché de ce grand gamin qui ne se soucie de rien, alors que dans le fond tu t'inquiètes de tout pour lui. pas qui s'éloignent, creusent l'écart jusqu'à percevoir la voix encore basse, qui interpelle et retient, comme à chaque fois. y'a quelque chose à dire ? beaucoup en réalité, mais pourtant tu hausses les épaules en te retournant vers lui, les silhouettes qui se font face de loin avant de secouer doucement la tête. rien. t'avais tout gardé pour toi, des mauvaises émotions aux meilleures, en passant par ce moment de vide éprouvé quand tu avais compris qu'il était de retour, mais qu'il ne serait certainement jamais le même. allez, viens avant de t'enraciner ici. tu pousses, le pied qui tapote le sol avant de te décider à te rapprocher, te retenant de la toucher mais juste assez pour l'inviter à te suivre jusqu'à l'intérieur du café où les lunettes sont ôtées pour venir se poser sur le sommet de ton crâne. alors ... quoi d'intéressant à raconter ? tu tentes à chaque fois, de grappiller un peu d'informations, par-ci, par-là, mais jusqu'à aujourd'hui ton journal de bord est bien vide, les souvenirs qui sont plus attrayants que la vie actuelle.