❝ what's wrong with you? ❞
-- ft alex

(outfit) La nuit tombe sur Busan, et c’est seulement maintenant que Reira se décide à prendre le chemin du retour. Pourtant plusieurs heures se sont écoulées depuis que sa journée de travail est terminée, mais ces derniers temps, la jeune femme peine de plus en plus à trouver la force de regagner l’appartement qu’elle partage avec Kai. Car l’air y est de plus en plus irrespirable – ou peut-être est-ce simplement le fait qu’elle se souvient, peu à peu, que les instants sont tout de suite plus légers auprès des bonnes personnes. Alors elle traîne – repousse encore et encore le moment fatidique où elle devra regagner la grande bâtisse trop moderne. Et toutes les excuses sont bonnes – parfois simples flâneries au hasard des boutiques de vêtements et de tissus, des heures égarées sur la plage de Gwangalli Beach, ou, le plus souvent, Haru rejoint à la supérette ou dans les rues de Busanjin. Ami d’enfance retrouvé – le fil rouge jamais réellement rompu se retisse sur la mince fibre qui les maintenait liés.

Mais maintenant, il est temps de rentrer – et les pas de Reira se font plus lents qu’à la normale sur le bitume. L’œil attentif aux plus bêtes détails, à s’égarer volontairement sur le chemin du métro – et une silhouette au loin, familière, les sourcils qui se froncent tandis qu’elle s’approche. Incapable de démêler le flou des traits à pareille distance. Et à mesure qu’elle s’avance dans sa direction, elle finit par reconnaître Alex.

La fameuse.
La pote de Haru,
son Alex.

Et lui revient à l’esprit leur dernière entrevue – ce qui a dû être, finalement, l’une de leurs seules interactions en huit années passées à se côtoyer, d’aussi loin l’aient-elles fait. La boutique de vêtement. Sa réserve naturelle derrière laquelle elle s’est clairement cachée pour justifier la froideur avec laquelle elle a traité la jeune femme. La façon dont elle s’est énervée sur elle pour rien – pour tout, pour des années entières durant laquelle elle l’a tenue pour responsable de son amitié avortée avec Haru, lorsque les deux seuls fautifs dans l’histoire n’étaient autres que Reira et lui. Alex n’a été qu’un dommage collatéral ; un personnage secondaire dans cette triste histoire. Mais cela, il aura fallu qu’elle boive comme un trou et se confie bien trop honnêtement au jeune homme pour le comprendre – et avec cette nouvelle carte en main, elle a seulement honte lorsqu’elle repense à l’incident de la boutique. Alors, si la Reira de ces dernières années se serait contenté de baisser les yeux sur son portable pour éviter à tout prix qu’elle vienne lui parler, cette fois-ci elle ne bifurque pas. Se dirige frontalement vers elle – un sourire timide, presque gêné sur les lèvres.

- Salut Alex ! Tu vas bien depuis la dernière fois ?

Et la lèvre qu’elle se mord un instant, pensive, semble hésiter avant de se décider à lâcher :

- A ce propos, je voulais te dire… J’suis désolée pour la dernière fois, j’ai pas été très… engageante…

Excuses toujours trop dures à formuler pour la poupée trop butée – mais peu importe combien elles auront eu du mal à sortir, peu importe combien elles peinent à tenir debout, elles n’en sont pas moins sincères.

❝ what's wrong with you? ❞
-- ft Reira

(outfit)

Gamine, reine des emmerdes, au détour d'un croisement se heurte aux connaissances désespérées, les ennuis qui la guettent, les mesures oubliées, la soirée qui débute aux côtés des mauvaises personnes qui l'attirent sans ménagement de leurs bras démoniaques.

Ô Alex, lorsque tu conteras ton histoire, c'est qu'il sera déjà trop tard.

Les pastilles s'échangent et la vie devient trouble, les sens se réveillent et la tête ne fonctionne plus à pareille. Les yeux éteins de cette poupée de chiffon s'animent d'une lueur anormale et la gamine voit floue. « Fous-moi la paix Tae ! » Aboyé face à l'indésirable aux mains trop baladeuses. Elle titube en s'éloignant, se prend une jambe dans l'autre et manque de s'écraser au sol sous les éclats de rire des démons ravageurs. Regard noir et insultes lancées aux garçons qui se remettent à peine de leurs éclats. Elle ne semble pas rire la maudite, elle ne rit pas. « Oh, aller Alex, on rigole juste ! Reste-là c'est marrant avec toi ! » Le fauve qui sommeil en elle cherche à bondir, déchirer, mais la tête résonne encore un peu, alors elle se contente de lever son majeur pour, qu'une fois de plus la galerie décide de se noyer dans leur hilarité.

La silhouette traînante s'éloigne jusqu'à rencontrer sa semblable, Alex aux yeux voilés redresse un regard désintéressé vers la figure innocente de la brune au visage de poupée. « Mh ? » Grognement hostile face aux salutations trop joviales de celle qui ne l'avait pas reçue de si bon cœur la dernière fois. « Oh, Reira. » Elle se redresse à peine, renifle bruyamment tout en écoutant les balbutiements de la nymphe au regard ébène. Sans doute, l'aurait-elle prise dans ses bras, sans doute lui aurait-elle murmuré que tout va bien et sans doute se serait-elle à son tour confondu en excuses si elle n'était pas comme ça, mais l'Alex rayon de soleil n'est pas là, n'est plus, là.

Roi du silence, elle la jauge de ses pupilles dilatées sans rien répondre, les sourcils froncés. Reira sous tes airs de reine des glaces, tu caches sûrement un cœur trop bon, ou peut-être pas d'ailleurs... Le saura-t-elle un jour ? « T'as un problème ? » Finalement sortie de nul part, pour la prendre de court. Voyant sa surprise, elle enchaîne. « J'te demande si t'as un problème avec moi. »

❝ what's wrong with you? ❞
-- ft alex

Elle prend son courage à deux mains, Reira – fierté mise de côté pour s’excuser auprès de celle qu’elle n’a que trop longtemps détesté. Injustement. Égoïstement. Et un sourire se force sur ses lèvres pour dissimuler le malaise qui la gagne chaque fois qu’elle repense à cet après-midi de décembre. Mais la jeune femme semble mal lunée – les sons marmonnés sont peu engageants et l’attitude mal-élevée. Comme elle, ce jour-là, à la boutique – Ô avec quelle ironie les rôles se sont-ils inversés. Alors Reira se dit qu’elle doit lui en vouloir ; elle peut le comprendre, un peu, balbutie difficilement ce qui s’apparente à des excuses. Et pour toute réponse, la poupée désenchantée la fixe en silence – sourcils froncés, regard voilé. Et Reira demeure interdite face à la question aboyée. Pas certaine de comprendre d’où ça sort – ce qu’elle a fait pour lui laisser entendre qu’elle pouvait avoir un problème, lorsqu’elle venait justement pour s’excuser. Question répétée, une logique qu’elle tente de trouver là où il n’y en a simplement pas lorsqu’elle se convainc qu’elle fait référence à l’autre jour.

- Hein ? Euh… Oula, non, enfin peut-être un peu ?

Un éclat de rire lui échappe, la main se glisse dans ses cheveux. Gênée.

- Si je dois être honnête avec toi… Oui, y avait un problème, fut un temps… Pendant longtemps je t’ai tenue pour responsable du fait qu’on se soit perdu de vue, avec Haru… Pour ça aussi, je m’excuse.

Et pour appuyer ses dires, la jeune femme s’incline un peu, marque une pause avant de se décider à se redresser. Ajoute, un sourire aux lèvres – sincère volonté d’enterrer une hache de guerre qu’elle était jusqu’alors la seule à agiter :

- Mais comme tu le sais, on s’est retrouvé tous les deux, on en a parlé… J’ai bien compris que t’avais rien à voir avec toute cette histoire, puis de toute façon… Tu sais comment on réfléchit quand on est jeunes, on est cons.

Les lèvres se pincent – elle parle trop, Reira, bien plus qu’à son habitude, mais il y a ce silence étouffant qu’elle s’efforce de combler comme elle peut, le sentiment d’avoir fait bien pire que juste être désagréable avec elle dans cette boutique, lorsqu’elle la regarde comme ça.

- C’était finalement ridicule toute cette histoire, tu peux te moquer… Je comprendrais…

❝ what's wrong with you? ❞
-- ft Reira

(outfit)

Amertume de ce malheur incessant qui lui colle à la peau, ce qu'il y a de terrible avec sa dépression, c'est qu'Alex devient insensible à ceux qui l'entoure. Elle les entend, les tentatives d'apaisement, les encouragements et les discours de héros, mais elle ne les écoute pas forcément, et il n'y a rien ni personne, qui puisse la tirer de son cocon de ténèbres. C'est une phase qu'elle se doit de vivre seule, douleur de l'esprit, douleur du cœur, douleur tout cours, et elle n'a pas d'autres choix que de supporter le brouillard épais qui s'abat sur son être, celui qu'elle ne cherche plus à masquer tant il est devenu imposant. De ses yeux vides la maudite toise la nymphe en face d'elle, l'oreille à demi-attentive, le cerveau incapable de réfléchir au sens des phrases qu'elle articule honnêtement. Elle a pourtant toujours fait preuve de respect envers Reira auparavant, mais cette fois les conditions ne sont pas les mêmes, et elle espère que la belle est assez intelligente pour ne pas le prendre personnellement, même si cela semble difficile, car elle n'est pas au courant des maladies qui la gangrènent.

« Ah ouais... » Souffle-t-elle avec nonchalance avant de soupirer lourdement. Elle laisse un rire incontrôlé s'échapper tandis que l'esprit divague à nouveau dans les tréfonds d'un univers parallèle. Prisonnière de sa propre inconscience, elle n'a plus aucun discernement, et Reira a beau continuer de parler, de s'excuser, Alex n'écoute rien. « Reira, Reira... » Elle la coupe à la fin de son discours, s'approchant un peu plus pour venir poser ses mains sur les épaules de la brune tout en plongeant son regard de droguée sur le sien. « T'sais les meufs à caprice comme toi, franchement ça fatigue. » Immondices recrachées alors qu'elle n'en aurait jamais eu l'intention autrement. Elle ne se rend pas compte du fossé qui continue de se creuser alors que les demoiselles ne cherchent qu'à se rapprocher l'une de l'autre, mais leurs intentions manquent de coordination, elles ne peuvent qu'espérer atterrir un jour sur la même planète. « Fin bon... T'habites loin Reira ? Je te raccompagne ? » Plus rien ne fait sens, elle se perd dans les souvenirs de cet esprit meurtri, et elle peut se réjouir de ne pas être encore remontée trop loin. Libérant la demoiselle de son emprise, elle s'écarte pour la laisser passer avant de venir attraper son bonnet qu'elle tire de sa tête pour glisser ses doigts dans sa crinière. « J'ai chauuud ! J'ai soif... Reira y a de l'eau chez toi ? Y a forcément de l'eau chez toi, viens, on y va ! »

❝ what's wrong with you? ❞
-- ft alex

Les excuses sont difficiles dans la bouche de Reira – et les mots se heurtent à la barrière de ses lippes, semblent se perdre en route. Poupée malhabile lorsqu’elle doit mettre son cœur à nu, avouer ses torts – mais elle se fait violence pour le faire. Pour Haru. Mais ses efforts sont bien mal récompensés lorsque la jeune femme laisse échapper un lourd soupir, lui rit au nez avant de lui couper la parole pour l’insulter à moitié. Et elle reste bête, Reira ; un pauvre son parvient à sortir de sa bouche lorsqu’elle demande :

- Hein ?

Décontenancée par le manque de respect de la jeune femme – et l’obscurité tombante l’empêche de bien discerner ses yeux, lire dans son regard qu’Alex n’est en rien dans son état normal.

- Tu sais quoi, Alex…

… j’vais rentrer, ça vaut mieux, qu’elle s’apprête à lâcher. Car Reira à la fierté loin d’être étouffante a été piquée par la réaction d’Alex ; piquée de voir que si elle s’est fait violence pour s’excuser après toutes ces années, l'autre a en plus l’audace de se foutre d’elle. Alors soit, elle ne s’attardera pas en sa compagnie si elle est la seule prête à mettre de l’eau dans son vin ; la familiarité de la jeune femme lors de leur dernière entrevue lui donnait pourtant bon espoir quant à la tournure des choses, mais il faut croire qu’elle s'est fourvoyée. Mais elle n’aura pas le temps de mettre un terme à cette brève esquisse de relation que l’ennemie offre de la raccompagner – et à ces mots les sourcils se froncent, elle recule tant que son emprise le lui permet, sans comprendre. Jeune femme au comportement étrange – et c’est ce même comportement étrange qui la poussera à répondre :

- Euh… Okay, on fait ça, si tu veux.

Car elle lui inspire de drôles d’ondes, Alex, ce soir, et qu’elle aime mieux rester un peu avec elle que de la laisser dans la nature comme ça. Au moins pour s’assurer qu’elle se fait seulement des idées. Jeune femme qui commence déjà à s’agiter, réclame à boire, et Reira de suggérer :

- Tu veux pas qu’on t’achète une bouteille quelque part ? Ce serait plus vite réglé…

Mais non, apparemment Alex tient absolument à la raccompagner, à goûter l’eau de chez elle – à croire que l’eau de son robinet tient de la fontaine de Jouvence, pour qu’elle insiste autant. Aussi elle hausse discrètement les sourcils, finit par capituler.

- Okay, okay, tu boiras chez moi. Bon, tu viens ? On doit prendre le métro.

Et elle reprend sa route là où elle l’avait laissée – s’assure que Alex la suive bien, finit par se décider à demander, presque à contrecœur :

- Tout va bien, Alex… ?

❝ what's wrong with you? ❞
-- ft Reira

(outfit)

Et comme pour forcer le destin, Alex force pour suivre Reira, un semblant d'appel à l'aide, car c'est sur les pavés froids du trottoir qu'elle risque de passer la nuit si elle ne prend pas de décision. La jeune femme enclenche la marche sans la repousser, ce qui étonne un minimum celle qui a perdu ses facultés à penser rationnellement. Sourire béat qui s'installe dès lors, Alex lui emboîte le pas en jouant avec le bonnet qu'elle fait tourner autour de son doigts. Elles alternent entre pénombre et lumière sous les lampadaires de la ville, un peu comme ce qu'il se passe dans son esprit. Un pas à gauche, les ténèbres étouffants, un pas à droite, la divine luminescence. Bientôt ses pensés se bloquent sur cette observation, elle s'amuse étrangement, sautant entre les flaques de lumière pour éviter l'ombre. Elle oublie Reira, la soif qui irrite son gosier, les circonstances de cette rencontre qui n'a ni queue ni tête.

C'est la voix de sa comparse qui la tire de ses enchantements, Alex redresse un regard absent vers la brune avant de lever son pouce vers elle, lâchant son bonnet qui chute au sol par inadvertance.« Ouais, c'est trop cool la nuit ! » Lâche-t-elle d'une voix qui part dans tous les sens. Elle baisse alors les yeux, aperçoit son bonnet et laisse un cri de surprise percer le silence de la nuit. « Ah nooon ! Il va être tout sale ! » Le sol lui paraît soudainement extrêmement bas, elle essaye de se concentrer, mais est prise d'un vertige dangereux. « Reira ! Reira mon bonnet, je peux pas l'attraper, il est trop bas ! » Elle tend son bras et finit par basculer à son tour, rejoignant le trottoir avec un couinement sourd.« Oof... » Elle roule sur le côté, se retrouve face au ciel, éblouie par la lumière du lampadaire. Le sol n'est pas si inconfortable lorsqu'on s'y essaye. Sa main trouve son bonnet qu'elle vient serrer dans sa main avant de venir poser son bras contre le haut de son visage. Des pleurs ? Non, un rire qui s'élève dans la nuit, elle se fend ouvertement la poire, pour une raison assez débile.

« J'en peux plus, je suis tombée comme une merde c'est trop ! »

❝ what's wrong with you? ❞
-- ft alex

Poupée pantoise, à suivre des yeux l’imprudente qui sautille sur l’asphalte. Qui semble papillonner d’une idée à l’autre ; la supplierait presque de l’emmener chez elle, pour sembler l’oublier l’instant suivant. Comportement suffisamment étrange pour qu’elle finisse par lui demander si elle va bien, à se demander si elle est peut-être tout le temps comme ça ? Car déjà à la boutique elle était quelque peu difficile à suivre, mais force est de constater que cette nuit, elle bat des records. Et le regard qu’elle porte lui ferait presque peur ; si bien concentrée sur ce dernier qu’elle ne remarque même pas que la jeune femme a lâché son bonnet. Il faudra qu’elle pousse un cri perçant pour qu’elle songe à baisser les yeux vers le bitume, remarque le couvre-chef abandonné au sol.

- Mais non, tu vas le mettre à la machine et il sera comme neuf…

L’air vaguement irrité de la voir faire une affaire d’état d’un si mince incident – et Reira, si elle savait qu’elle est loin d’être au bout de ses peines, avec elle. Car l’âme égarée plisse les yeux vers le sol, tend la main en réclamant qu’elle lui attrape le bonnet pourtant à portée de doigts. Comportement puéril qui aurait le don de l’agacer si son état ne la rendait pas si soucieuse, et c’est désemparée qu’elle balbutie :

- Mais… Non enfin, tends ta main, tu peux le prendre hein, j’te promets…

Et peut-être n’aurait-elle pas dû lui conseiller cela, car à l’instant où Alex tend la main, elle tombe tête la première. Un bras replié sur ses yeux, le corps agité de soubresauts – et Reira, inquiète, qui la fixe sans trop savoir quoi faire. Car elle la connaît si mal ; ignore si elle est tout le temps comme ça ou non. Ignore si elle doit appeler quelqu’un – Haru, les secours ? Mais si elle s’inquiétait pour rien ? La boule au ventre à l'idée de prendre la mauvaise décision, et elle se risque à demander :

- Ca va Alex, tu t’es pas fait mal ?

Mais elle comprend alors que ce sont bien des éclats de rire et non de larmes qui lui échappent, et elle pousse un petit soupir, pince les lèvres. De plus en plus convaincue que quelque chose ne tourne pas rond.

- Allez, relève-toi si t’as rien de cassé. On n’est pas arrivé hein si tu dois faire la larve par terre pendant dix minutes.

Sa main qu’elle lui tend, regard insistant. Je t’en prie, Alex, prends ma main, qu’on en finisse. Ne rends pas tout ça plus pénible que ça ne l’est déjà. Mais c’était sans compter sur le manque de motivation de la jeune femme, qui la contraint à s’accroupir à côté d’elle pour refermer ses doigts sur les siens, puisqu’elle ne semble pas décidée à s’emparer de la main qu’elle lui tend.

- Allez Alex, on y va. Si tu continues j’appelle Haru hein, j’suppose que toi non plus t’as pas envie qu’on le dérange pour ça ?

A ne pas comprendre que le problème est bien réel ; que tout serait sans doute plus simple si elle ne faisait pas l’effort de couvrir Alex, et appelait déjà leur ami à la rescousse.

❝ what's wrong with you? ❞
-- ft Reira

(outfit)

Les mirettes levées vers le ciel, elle reste silencieuse un moment, se laissant portée par les nuages colorés qui danse devant elle. Le temps semble infini, elle oublie le sol dur et froid, la réalité écrasante, et puis un visage, penché au-dessus du sien, Reira qui lui apparaît, coupant court à sa contemplation. La jeune femme est belle, elle l'a toujours pensé, si seulement la glace parvenait à être brisée... Ses mots résonnent affreusement, elle grogne, l'inconsciente, lève mollement son bras avant de le refaire tomber. Elle n'a pas envie de se lever, elle est bien là, avec le goudron. Elle pourrait mourir ainsi, l'idée est déjà dix fois moins pénible que toutes les crasses qui s'entassent dans le fond de son cerveau brisé. Et la drogue, oh la drogue, si terrible mais si apaisante, pas moins dévastatrice. Dans ses prunelles, danse la lueur d'un appel à l'aide, mais cet appel à l'aide est présent depuis le tout début de sa vie, elle n'a pas encore trouvé l'élément qui pourrait la sauver, et sans doute qu'elle ne le trouvera jamais, parce que la maladie est destructrice, et sans traitement, il n'y a rien qui puisse l'aider, rien.

Elle grogne à nouveau alors que son corps est arraché de force à la fraîcheur du trottoir. Un nom sort des lippes de la belle, le même nom encore et toujours, celui qui est inconsciemment responsable de cette situation. Les rivalités jamais avouées, et pourtant Alex n'avait pas la prétention de voler quelqu'un à personne, et pourtant, Reira a dû se sentir abandonnée. Haru. C'était un sacré connard qui lui servait de meilleur ami, mais ça la fait sourire Alex, car les gens sont comme ils sont, leurs défauts les faisant autant rayonner que leur qualités. « On va voir Haru ? Reira, dit, on va voir Haru ? J'ai son numéro de téléphone si tu veux ! » Elle se relève difficilement, toujours assistée par la jeune femme, qui fait preuve d'une patience absolument phénoménale sur le moment, alors que la gamine fouille dans sa poche pour ressortir son téléphone portable. « Tiens, regarde, regarde, le code c'est heu.... » Elle se gratte la tête en lui tendant l'appareil. « 2021 ! Oui comme mon tatouage 2021 regarde !» Elle redresse sa manche, tourne son coude en direction de la demoiselle. Ne venait-elle pas de lui révéler une des clés de son existence ? Peu importe, elle ne sait pas ce que ça signifie de toute manière. « Reira, j'ai faim. J'ai vraiment très très faim. Tu veux que je cuisine pour toi ? »

❝ what's wrong with you? ❞
-- ft alex

Et d’inquiète, Reira devient irritée. De plus en plus à chaque instant, chaque fois que Alex a le malheur d’ouvrir la bouche. Car elle est en train de porter le coup de grâce à sa patience. Qu’elle l’agace à babiller ainsi au sujet de Haru. Haru par-ci, Haru par-là, et moi j’ai son numéro de téléphone… Car tu crois que moi je l’ai pas ?, qu’elle se retient de lui aboyer. Tu te crois à ce point privilégiée ? Reste à ta place, ici c’est pas toi qui l’a connu avant même de savoir lire. Alex, lorsqu’elle se comporte ainsi, elle fait ressortir de vieilles rancœurs qu’elle croyait désormais domptées. Réveille le cœur meurtri de l’adolescente délaissée. Elle l’agace si bien qu’elle en oublie qu’elle n’a pas l’air dans son état normal ; elle l’agace si bien qu’elle est à deux doigts de la planter là, et tant pis pour elle. Elle avait qu’à l’écouter un peu plus.

Et si elle ne le fait pas, c’est seulement pour Haru.
Car elle sait que cette gamine aussi capricieuse qu’insupportable compte pour lui –même si elle ne se l’explique pas.

- Non, on va justement éviter d’aller le voir, t’as pas envie qu’il te voit dans cet état et je parie que lui non plus.

Réponse sèche, sa main qu’elle garde dans la sienne pour la forcer à la suivre, car à ce rythme-là l’aube se lèvera qu’elles n’auront toujours pas bougé. Regarde son téléphone d’un œil mauvais, lève les yeux au ciel en l’entendant continuer avec son charabia. Sérieusement, qui se fait tatouer son code PIN sur son bras ?

- Range ce téléphone, par pitié, t’es capable de le faire tomber dans une bouche d’égouts.

Soupir las, et déjà elles se remettent en marche, un sourcil peu impressionné qu’elle arque dans sa direction lorsqu’elle déclare vouloir cuisiner.

- Réussis à mettre tes pieds l’un devant l’autre sans te casser la figure, ce sera déjà un bon début. Tu sais quoi, Alex ? Si tu te tiens tranquille et que tu me suis sagement jusqu’à chez moi, t’auras de l’eau et à manger. Okay ? On fait ça ?

Reira contrainte de marchander avec elle comme on le ferait avec un enfant, avec l’espoir désespéré que cette promesse pousse la jeune femme à la suivre plus aisément. Et lorsqu’enfin une bouche de métro se profile à l’horizon, elle l’entraîne dans les escalators, se dirige vers les portiques :

- Epargne-moi une crise cardiaque et dis-moi que t’as pas perdu ton portable en chemin s’il te plaît, tu vas en avoir besoin pour payer ton trajet.

❝ what's wrong with you? ❞
-- ft Reira

(outfit)

Une moue se dessine sur son visage fatigué, Reira elle dit toujours non, ça doit être son mot préféré, qu'elle pense, alors que la jeune femme l'entraîne avec elle, la forçant à sa suite pour être sûre de ne pas la perdre en route. Son téléphone retrouve le fond de sa poche, elle garde sa main serrée autour, traînant ses pieds, le regard fixant la silhouette devant elle. Elle sourit bêtement aux mots de la brune, car c'est vrai qu'elle serait capable de faire tomber l'appareil, peut-être même que, dans son état, elle serait capable de le mettre elle-même dans une bouche d'égout, juste pour voir quel sentiment ça fait de voir un bien à elle lui échapper sans qu'elle ne puisse faire quoi que ce soit pour le rattraper. « Oui maman, je l'ai rangé maman ! » Répond-elle finalement sur le même ton insolent qu'elle utilisait envers sa mère ou ses professeurs avant.

Elles marchent, et Reira se remet à lui parler comme on parle à une gosse incontrôlable. Elle n'est pas offensée, Alex, elle sait très bien qu'elle peut être difficile à maîtriser.  « De la nourriture ? Gratuite ? T'es vraiment trop gentille, promis, j'arrête de faire des bêtises ! » Une promesse douteuse, mais qu'elle aime croire sincère. Reira doit souvent tirer Alex afin qu'elle ne s'échappe pas, car elle s'émerveille de tout ce qui les entoure, comme une gosse qui découvre le monde pour la première fois.

Les filles rejoignent l'entrée du métro, Alex regarde autour d'elle avant de concentrer son regard sur celle qui lui parle. « Téléphone... Ah ! Oui ! » Elle ressort sa main de sa poche et présente l'appareil à celle qui patiente, un grand sourire peignant son visage. Elle laisse un rire échapper avant de le ranger à nouveau dans son pantalon. « Tu sais à quoi tu ressemble, Reira ? Tu ressembles à une grande personne, une adulte qui fait genre elle en a trop vu pour daigner s'amuser. Tu veux pas t'amuser un peu ? Si on retourne en arrière, je pourrai te présenter à des gens sympas, ce sont eux qui m'ont donné le médicament. » Elle avale bruyamment et soupire, essayant de faire passer le léger tournis qui la prend soudainement. « C'est un médicament vachement fort, et crois-moi, j'en ai eu ma dose de médicaments forts. Une fois j'ai fait une grosse crise, on a dû m'emmener à l'hôpital et ils m'ont donné un sédatif pour que je me calme. Ça aussi, c'était vachement fort... En 3 secondes, bam ! K.O. » Elle explique tout ça en regardant les rails, les yeux écarquillés, comme si quelque chose la surprenait. Le bruit du train monte à leurs oreilles et bientôt, celui-ci s'arrête devant elles. Alex ne se rend pas compte de ce qu'elle vient de raconter, elle ne réfléchit pas et monte une fois les portes ouvertes, tirant cette fois-ci Reira avec elle.

❝ what's wrong with you? ❞
-- ft alex

Les prunelles rencontrent le ciel lorsque Alex l’appelle maman, le ton insolent sur cette poignée de mot. Comme si toute cette situation l’amusait ; comme si c’était la manière dont elle rêvait de passer la soirée. Et sans un mot de plus, elle tire la jeune femme derrière elle, en lui intimant de ne surtout pas faire tomber son téléphone. Il ne manquerait plus que ça. Contrainte de marchander avec elle pour pouvoir espérer qu’elle lui facilite un tant soit peu la vie – et elle n’y croit qu’à moitié, lorsqu’elle promet de se calmer.

- Bien sûr que j’suis trop gentille…

Un petit soupir lui échappe, et elle s’efforcera de ne pas trop penser aux mots qu’elle a pu lui dire plus tôt ; à la douleur qui lui étreignait le cœur chaque fois qu’elle voyait Haru avec elle, le sentiment qu’elle lui avait volé son meilleur ami, lorsque Haru et elle étaient les seuls responsables de cette histoire gâchée. Et une fois descendues dans la station de métro, elle l’invite à sortir son téléphone. Retient un nouveau roulement d’yeux en la voyant la fixer d’un regard vide, se voit contrainte d’expliciter :

- Ton téléphone… Pour payer ton trajet…

Le ton se fait lent, et la patience est feinte – au creux de sa voix résonne l’aigreur d’une Reira trop agacée, trop fatiguée pour gérer ce genre de crise en fin de journée. Et ses sourires et ses éclats de rire, comme si elle s’amusait follement, ne font qu’amoindrir un peu plus encore sa patience. C’est encore pire lorsqu’elle commence à sous-entendre qu’elle est ennuyeuse ; qu’elle ne sait plus s’amuser. Et si tu savais, Alex… Elle pourrait lui répondre qu’elle sait très bien s’amuser, seulement elle aime le faire avec ses amis, et pas avec des inconnues aux attitudes imprévisibles. Elle pourrait lui répondre qu’elle n’a pas envie de rencontrer ces gens sympas, ou qu’elle a peut-être ses raisons, pour ne pas vraiment avoir le cœur à s’amuser, parfois. Elle pourrait lui répondre beaucoup de choses, mais ses derniers mots lui font froncer les sourcils, et elle répète, incrédule :

- Le médicament ?

Faut pas être Einstein pour comprendre de quoi elle parle – elle savait bien qu’aussi étranges soient ses comportements habituellement, elle ne pouvait juste pas être dans son état normal ce soir. Et docile, Alex lui donne plus de détails. Raconte que c’était vachement fort – elle veut bien la croire –, et parle d’une fois où elle a dû être amenée à l’hôpital pour une « crise ». Le regard presque fou – rivé sur les rails –, et l’expression de Reira de plus en plus confuse, à se demander pour quelle sombre raison elle s’est embarquée dans cette histoire.

- Alex…

Mais elle n’a pas le temps de poser la moindre question que les portes du métro s’ouvrent devant elles, et que la jeune femme l’entraîne derrière elle. Reira contrainte de la suivre, bon gré mal gré ; elle se laisse tomber sur un siège et la brune la suit dans sa chute. Dans une posture enfin plus ou moins propice à parler.

- Alex, de quoi tu parles ? Ils t’ont filé quoi, ces types ?

Le regard inquisiteur, la tête penchée sur son épaule. Un petit soupir lui échappe lorsqu’elle se risque à demander :

- Rassure-moi, tu l’as pas pris sans savoir ce que c’était, quand même ?

❝ what's wrong with you? ❞
-- ft Reira

(outfit)

Les portes se ferment, les filles s'affalent sur les sièges libres avant que le train ne démarre et se mette à filer. Alex a le nez presque collé à la vitre, hypnotisée par le défilement qui s'offre à elle tandis que Reira cherche à la faire revenir sur Terre. L'ahurie se tourne peu à peu vers son interlocutrice, captant ses paroles avant de s'enfoncer dans son siège en soupirant. L'inquiétude est marquée dans la voix de celle qui se trouve à côté d'elle, mais Alex se contente de sourire bêtement, insensible. « Bien sûr que je sais ce que c'est. » Répond-elle d'un ton chantant en étirant ses bras devant elle. « Mais c'est plus rassurant de dire médicament, en général. » Oh que oui, c'est toujours plus simple de se voiler la face plutôt que d'affronter les réalités. Elle sait pertinemment que la drogue fait des ravages, et elle ne devrait pas se laisser tenter par une chose pareille, elle se l'était jurée, une fois que sa mère est partie, sa mère biologique, et pourtant ces jours-ci Alex ne parvient pas à trouver de moyen moins dangereux que les stupéfiants pour faire disparaître sa peine. Elle ne demande qu'à être heureuse la jeune femme, mais avec le temps, elle a fini par apprendre que le bonheur n'est peut-être pas si simple à atteindre, alors elle trouve d'autres moyens.

Posant son regard absent sur Reira, elle garde le silence un moment avant de se décider à rouvrir la bouche. « Du LSD. Tu sais ce que c'est ? » Révélation glissée comme la plus simple des futilités, Alex détourne à nouveau la tête, attirée par ce qu'il se passe à l'extérieur. Elle pourrait se justifier, lui expliquer la raison de cette imprudence, mais elle n'aborde jamais le sujet, encore moins avec des personnes qu'elle ne connaît pas vraiment, et de toute manière, elle n'est pas en état de le faire.

Le métro glisse à travers la nuit, le silence s'est installé entre les deux jeunes filles, Alex arrive bientôt au terme de son voyage, et physique, et spirituel. Le le train arrive à une certaine gare et la demoiselle se lève. « C'est là que j'habite moi ! » S'écrit-elle en quittant le carré où elles étaient installées. « Je m'en vais Reira ! Prends soin de toi ! » Et sans laisser le temps à l'autre de répondre ou de la rattraper, la canaille se faufile hors des rames, sautant sur le quai avant de disparaître par le couloir qui mène à la sortie.