❝ blurred night ❞
-- ft reira

Astre lunaire perché haut dans le ciel, les douze coups de minuit ont depuis bien longtemps sonné sur Busan et bien des âmes sont couchés, plongé entre les bras de Morphée. Et puis il y a les autres, les esprits vagabonds. Ceux pour qui la nuit inspire bien d’autres choses. Il y a toi, Haru. Toi qui dessines sur les murs de cet entrepôt, exprime tes émotions à coup de peinture avant que le soleil ne vienne remplacer la lune. Quelques heures juste pour toi, quelques heures avant que tu n’aies à revenir de force à la réalité. Alors t’en profite comme si c’était ta dernière nuit, profite de chaque trait à la bombe acrylique pour sortir une à une les pensées sombre qui t’animes. Car t’es qu’un pauvre humain Haru, un simple mortel qui n’a pas la clé à tous les problèmes. Tu pourras pas changer le destin, changer ce qui est en train de se passer. Et parfois, lorsque tu te retrouves seul dans ton pauvre appartement t’as envie de te faire la male, tout abandonner pour ne pas avoir à penser à tout ce qui petit à petit est en train de changer. Les responsabilités que t’as tenues à prendre pour alléger le reste la famille mais qui tout doucement t’anéantissent.

Alors le jour, tu fais ton maximum pour la famille et la nuit tu vis pour toi et tes envies.

Pas de disputes entre les cadets de la fratrie pour nuire à ta tranquillité, pas de faux sourires exigés pour maintenir un équilibre familial au moment du diner lorsque la seule envie que chacun a en réalité, c’est d’aller se coucher le ventre vide, sans discuter ou voir votre père petit à petit se dégrader. La nuit comme refuge de tes angoisses les plus terrifiantes, les murs comme exutoire de tous les maux du monde ; de cette société dans laquelle tu ne te retrouve pas. Le silence nocturne qui te fait le plus grand bien jusqu’à qu’il ne soit perturbé par le bruit de ton téléphone niché dans la poche arrière de ton jean sombre. Un sms que tu tentes d’ignorer égoïstement, car c’est ton moment, que t’as peur de ce que tu pourrais découvrir en chopant ton tel et voyant ce qui est noté. Puis à cette heure-ci, qui pourrait t’envoyer un sms ? Haeseong ? Alex ? Ils peuvent attendre un petit peu encore. Juste quelques minutes que tu finisses ces ombrages, que tu donnes un peu de profondeur à ce projet qui te coutera quelques nuits de sommeil encore sans compter cette nuit-là.

Dix minutes passées à affiner tes traits, rentrer dans les détails avant que tu prennes place à même le sol, face à ton œuvre qui tout doucement commence à prendre forme. Les prunelles qui glissent alors sur ton téléphone voit le seul prénom auquel tu ne t’attendais pas. Car il est tard, que vous n’avez pas parlé depuis une semaine ou deux déjà. Y’a le palpitant qui s’arrête de battre un instant, le pire que tu mets à imaginer pour recevoir un sms si tardif mais la pression redescend déjà lorsque tu vois le contenu du message. Une photo, une putain de photo d’elle le sourire trop grand, les joues rosées.

Elle est bourrée Reira, t’es prêt à mettre ta main à couper qu’elle l’est.

Et t’hésites à lui répondre, hésite un instant avant de foncer tête baissée dans cette conversation qui n’aura ni queue ni tête, tu le sais. Quelques minutes à échanger avec elle pour confirmer tes dires. La brune semble éméchée à souhait et ne semble pas prête à envoyer un message à son petit-ami pour venir la chercher. Jolie poupée accompagnée d’autres filles surement toutes aussi jolies qu’elle. Un vrai nid à problème et tu t’imagines le pire, souffle en voyant l’obstinée qu’elle est ne pas vouloir rentrer chez elle.

Et si t’allais la chercher ? Si t'allais jouer le preu chevalier ?

Sauf qu’elle a un petit-ami pour ça Reira et toi, si t’était son mec t’aimerais pas qu’un autre aille la chercher, s’occupe d’elle. Mais c’est à toi qu’elle a envoyé un sms Reira. Vers toi qu’elle se tourne même si elle ne demande pas à ce que tu t’occupes d’elle. Alors tu vas y aller. Tant pis pour ta nuit de calme, pour cette moitié de dessin que tu laisses en plan sur les murs de cet entrepôt à l’abandon. Y’a mieux à faire, y’a Reira à aller récupérer dans ce bar que tu connais trop bien.

Les bombes aérosol de peinture que t’abandonne derrière une benne à ordure en espérant les retrouver le lendemain quand tu devras finir ce que t’as commencé aujourd’hui. Et déjà tu t’en va Haru, la capuche relevée sur la tête, les mains dans les poches de ta veste pour rejoindre la bouche de métro la plus proche, le dernier métro que t’arrives à prendre en direction de suyeong. La jambe qui tressaute tout le long du trajet, les yeux rivés sur la fenêtre à regarder la ville plongée dans la nuit se dessiner grâce aux mille et une lumière et lampadaires encore allumé à cette heure ci.

Dix minutes de métro et cinq à tout cassé de marche qui te semblent longue comme l’éternité pour rejoindre ce bar. Le fameux QG des sons of liberty, quelques têtes que tu reconnais en entrant dans celui-ci, les gens que tu saluts d’un mouvement de tête tout en cherchant son visage à elle. Aucune trace de Reira par ici et tu soupires sort ton portable pour l’appeler mais elle ne répond pas. Bien évidemment, ça serait trop facile. Alors tu t’approches du bar, montre la photo qu’elle t’a envoyé d’elle et demande à la serveuse si elle l’aurait vu dans les parages mais la blonde te répond par la négative.

- Super… Merci pour l’aide.

Et déjà tu quittes le comptoir, t’approches des tables ou seules des filles sont posées. Tu vas passer pour un putain de forceur mais tu t’en fous, tu demandes à chacune d’elles si elles connaissent une Reira. Non, non et encore non. Tu perdrais presque espoir, jusqu’à que tu tombes sur cette table-là, niché dans un coin que les deux filles qui rigolent à cœur joie te répondent qu’elle est partie aux toilettes y’a à peine deux minutes Reira qu’elle devrait revenir maintenant. Alors tu t’assois, blasé. Fixe la porte des toilettes tout en répondant aux questions un brin trop curieuses des deux demoiselles.

T’es qui ?

Le nouveau petit-ami de Reira ?

T’es intéressé par elle ?

Nous on est célibataire au cas où …

Des meufs éméchées quoi, complètement à côté de la plaque alors t’en tiens pas compte de leurs remarques, répond le plus simplement possible à leurs questions. Et enfin tu la vois passer la porte des toilettes Reira après de trop longues minutes à hésiter à aller la tirer par les cheveux d’où elle est. Reira et le regard rieur, les dents trop blanches qu’elle montre à tout le monde. Et tu tournes la tête, arrête de la fixer. T’agis comme si tu ne l’avais même pas remarqué et souri plutôt à ses copines.

- J’suis un ami d’enfance à Reira en fait, elle vous a jamais parlé de moi … ? Qu’elle égoïste …

❝ blurred night ❞
-- ft. haru

Le bout des doigts tapote délicatement les lippes pulpeuses pour les colorer ; replace soigneusement les mèches devant son visage. Sourire satisfait s’étire lorsqu’elle tournoie devant le miroir de sa chambre, la robe courte qui dévoile ses jambes, la sublime tant qu’elle peut – car Reira sait ce qui lui va le mieux, aussi porter ses propres créations lui assure toujours un sans-faute. Et le rictus ne cesse de s’élargir, trop grand ; la fierté qui embrase son regard fardé, poupée heureuse de voir ce qu’elle peut créer de ses dix doigts. Prête à aller souffler à l’extérieur avec son petit ami, laisser les tensions de la semaine passée de côté le temps d’une soirée. Et dans le fond, elle sait qu’il trouvera certainement à redire à sa tenue. Que contrairement à ce qu’elle aimerait, il ne restera pas bouché bée, ne lui dira pas qu’elle est magnifique dans cette robe de sa création – alors le ventre est noué lorsqu’elle rejoint le salon, un sourire de façade sur ses lèvres teintées. A se répéter que nul autre qu’elle ne peut décider de comment elle s’habille. A se persuader que peut-être cette fois-ci son comportement sera différent, peut-être finira-t-il par comprendre que ce n’est pas la descendre qui la fera changer. Peut-être.

Mais lorsque les billes noires quittent l’écran de la tablette pour se poser sur elle, la détailler des pieds à la tête, elle comprend que si l’espoir fait vivre, il ne se réalise pas toujours pour autant. Car elle voit ses sourcils se froncer, et son regard se durcir. Un éclat de rire glaçant qui s’échappe – l’habituel « tu comptes pas sortir comme ça, quand même ? ». Et les insultes fusent lorsqu’elle ose répondre par l’affirmative – et Reira serre les dents pour ne pas flancher, ne lui laisse que quelques instants avant de déjà tourner les talons, récupérer manteau et sac à main et claquer la porte d’entrée. Y a bien un « Tu crois aller où comme ça ? Reste ici, Reira. » qu’elle aura entendu, mais délibérément ignoré. Fuir plutôt que d’affronter la cruauté de ses mots – la froideur dans son regard, la chaleur dans son sang. Et lorsqu’elle se glisse dans l’ascenseur, elle entend la porte de leur appartement s’ouvrir – presse le bouton de fermeture des portes comme une folle. Lorsqu’elle passe la porte de son immeuble, c’est la porte de la cage d’escalier qu’elle entend, la voix de son petit ami qui l’appelle dans le hall, et elle se dépêche sur ses hauts talons, soupire de soulagement lorsqu’elle parvient à arrêter un taxi de justesse, s’engouffre dans le véhicule en le priant de bien vouloir démarrer, tout de suite. Et elle se laisse retomber dans le fond de son siège, ferme un instant les yeux en apercevant son petit ami dans le rétroviseur, à pester dans le froid de l’avoir laissé lui échapper.

Ce n’est qu’alors, en sécurité loin de la poigne ferme et des mots aiguisés, qu’elle peut enfin souffler. Laisser libre cours à ses pensées. Et peut-être eut-il mieux valu qu’elle continue de courir indéfiniment, car la gorge se noue et les larmes montent lorsqu’elle prend conscience du bourbier dans lequel elle s’est fourrée. Qu’elle n’a que trop rarement pris la fuite ainsi – le plus souvent, les mots l’accablent si bien qu’elle se voit paralysée entre les murs de ce foyer abject. Mais ces quelques fois lui auront suffi à comprendre qu’en agissant ainsi, elle ne fait qu’aggraver son cas – et il n’y avait qu’à voir la hargne dans le regard de Kai en la voyant lui glisser entre les doigts. Qu’il eut finalement mieux valu qu’elle reste à ses côtés, car à son retour la sentence n’en sera que plus terrible. S’échapper pour mieux redouter le moment où il lui faudra rentrer. Alors elle pince les lèvres pour ne pas craquer, sort plutôt son téléphone portable – déjà dix appels manqués de sa part – pour appeler quelques amies. Car elle s’est préparée, tout de même, alors il serait dommage de ne rien en faire. Qu’en plus de ça, elle n’a pas envie de passer le reste de la nuit à broyer du noir. Alors à défaut d’aller au Club Quartz comme prévu, par crainte que son petit ami vienne la chercher là-bas, elle propose de se retrouver à The Cave. Proposition acceptée, et déjà elle se sent un tout petit peu mieux.

Boire pour oublier. Boire pour ne plus penser. Les heures ont filé, le sang s’est alcoolisé et les joues rosies, le sourire agrandi. Les larmes pantelantes au creux de ses yeux ne sont désormais plus qu’un lointain souvenir, et elle rit aux conneries qu’elles se racontent avec ses deux amies, laisse son corps se mouvoir paresseusement au rythme de la musique de fond. Aveugles à tout ce qui se trame dans leurs dos, simples clientes de ce bar si particulier. Le téléphone qu’elle avait abandonné pour ne plus voir les messages de Kai auquel elle finit par se réintéresser, a l’excellente idée d’ouvrir l’application appareil photo. Passe une main dans ses mèches sombres, dégaine sa plus belle pose et son plus sourire – et clic. Parfait, elle n’a sans doute jamais été plus belle sur une photo, Reira, alors il faut bien que quelqu’un la voit. Le portable qu’elle fait passer autour de la table, se fait complimenter par ses amies qui elles aussi la trouvent « en bombe » sur ce cliché. Mais ça ne lui suffit pas, et lentement elle fait défiler ses contacts pour voir à qui elle pourrait bien l’envoyer. Certainement pas ce connard de Kai, il ne mérite pas. Pas ses copines non plus, puisqu’elles sont à ses côtés et l’ont déjà vue… Et soudain, ses yeux se posent sur son prénom. Haru. Déjà une dizaine de jours qu’ils n’ont plus échangé, une perspective de se revoir laissée en suspens. Et sans plus hésiter, elle sélectionne son contact, appuie sur envoyer.

Quelques minutes filent, et face à son mutisme, elle finit par reposer son téléphone avec une déception non dissimulée. Ne cessera d’oublier le cellulaire pour plutôt se concentrer sur les conversations sans queue ni tête de ses amies, parviendra quand même à échanger suffisamment de messages avec lui pour qu’il sache où elle est et dans quel état, laisse échapper sans doute un peu trop clairement combien elle ne souhaite pas rentrer chez elle ce soir. Haru qui lui demande de ne pas bouger – et si elle acquiesce, le serment est oublié l’instant suivant, et sans doute aurait-elle pu suivre ses amies à tout instant pour peu qu’elles aient proposé de bouger. Mais heureusement pour tout le monde, les trois filles restent sagement à leur table – une envie pressante qui la pousse pourtant à se lever, rejoindre les toilettes du bar. Ne percute même pas qu’elle vient d’entrer dans les toilettes pour hommes, rigole toute seule de voir que des urinoirs ont été installés chez les femmes. Imbéciles. Les toilettes dans lesquelles elle passe un peu trop de temps, à se débattre tantôt avec ses vêtements, tantôt avec le papier toilette, finit pourtant par ressortir, l’équilibre instable sur ses chaussures à talon. Les yeux qu’elle plisse un peu pour retrouver sa table, un sourire immense qui étire ses lèvres en apercevant Haru – et elle ne remarque même pas les quelques feuilles de papier toilette qui se sont accrochées à l’un de ses talons. Alors même si le monde tangue tout autour d’elle, elle se rue vers eux – parle un peu trop fort lorsqu’elle s’exclame :

- Haruuu ! T’es venu finalement ! J’suis trop trop contente !

Et déjà elle s’échoue sur ses genoux, faute de banquette pour pouvoir sagement s’asseoir à ses côtés. Le jeune homme qu’elle serre dans ses bras en souriant avant de se tourner vers ses amies, leur lancer, un peu trop heureuse :

- Il nous a rejoint pour faire la feeete, on va trop s’amuser !! On te commande quoi ??

Attention déjà reportée sur l’ami perdu, son nez qu'elle vient tapoter du bout de l'index, faussement fâchée :

- Par contre t'as pris ma place, pas bien ça !

Et curieuse, elle demande déjà :

- Vous avez pu faire un peu connaissance, j’ai vu ? J’suis sûre vous allez trooop bien vous entendre !!

❝ blurred night ❞
-- ft reira

Elle est belle Reira, trop jolie et bien apprêté pour être dans ce repère à anarchiste. Elle détonne dans le décor et t’as pas besoin d’avoir fait science politique pour savoir qu’il y a bien trop de regards posés sur elle depuis qu’elle est sortie des toilettes, ton ancienne meilleure amie. Car la robe qu’elle porte ce soir est diablement courte, que la veste qu’elle a sur le dos ne cache en rien la longueur de ses jambes, la finesse de sa taille. Même toi, t’as du mal à détacher ton regard d’elle Haru, tu serais menteur de dire qu’elle ne tape pas dans l’œil Reira ; qu’elle n’accroche pas les regards de son charme naturel.

Même si elle semble déchirée à souhait, même si elle a du papier toilette coincé à un pied.

Mais t’es pas là pour la déshabiller du regard Reira, bien au contraire. T’es venu pour la sortir de là, l’empêcher de faire une connerie qu’elle pourrait regretter demain matin au réveil ou bien, de se faire emmerder par le premier connard en rut qui croiserait son chemin. Alors t’arrête de la fixer la brune, la laisse faire sa route tout en gardant un œil sur elle si au cas où, elle dévie un trop son chemin d’ici et fait semblant de t’intéresser soudainement à la discussion de ses copines YoungBae et … Aeji si t’as bien retenu ? Tu sais déjà plus, c’est pas faute de les avoirs entendus se présenter y’a à peine deux minutes pourtant mais t’avais la tête à autre chose Haru, les yeux perdus dans la salle à la recherche de la porte des toilettes pour ne pas rater la sortie de Reira.

Et voilà qu’elle arrive la principale intéressée, la jolie brune qui parle un peu trop fort, attire un peu plus l’attention sur vous encore en s’extasiant de te voir ici. Tu laisses alors tes prunelles roulées, t’apprête à lui répondre que t’es venu pour la récupérer et que la fête est finie lorsqu’elle décide un peu trop aisément à prendre place sur tes cuisses. Jolie poupée qui vacille, tangue même sur tes jambes et instinctivement tu passes le bras autour de sa taille, l’oblige à se tenir droite avant qu’elle ne tombe définitivement d’un côté ou de l’autre.

- Reira fait attention, t’as failli tomber …

Mais elle s’en fiche de ce que tu dis, s’en fiche de tout à vrai dire. Elle agit par instinct, sans réfléchir et son cerveau lui dicte de se coller à toi, de te serrer dans ses bras. Et tu la laisse faire, toise ses deux copines qui gloussent en voyant leur troisième amie se montrer si expressive, si affective alors que tu n’es pas son petit-ami. Et surement que t’aurais adoré ça plus jeune, te serais plu dans cette situation. Mais t’es plus ce gamin-là, tu sais qu’elle fait ça par dépit, car elle s’est surement disputée avec son petit-ami et qu’elle avait besoin d’un peu de réconfort et c’est sur toi qu’elle a jeté son sort.

- Non j’suis venu car t’es dans un sale état et j’pense que t’as assez bu pour nous deux ce soir non ? Ça serait cool si tu t’arrêtais ?

Que tu dis les yeux rivés dans les siens, l’air de dire « j’dis ça, j’dis rien ». Réponse qui ne plait pas trop à l’assemblée, y’a des plaintes qui sortent d’entre les lippes de ces demoiselles quand tu proposes d’arrêter pour ce soir et tu te dis que finalement, les femmes coréennes sont aussi saoularde et fêtarde que les hommes. Un soupire qui s’échappe alors d’entre tes lèvres, ton dos que tu viens enfoncer dans le dossier de la banquette tandis que Reira elle, vient tapoter le bout de ton nez du bout de son doigt en te sermonnant de lui avoir volé sa place. Et t’arques un sourcil, pense halluciner en l’entendant dire ça.

- Met tes lunettes, j’crois ta vision elle a baissé depuis le temps car de la place y’en a … J’pense juste t’es trop bourré pour le voir… Ou bien que t’avais juste envie de t’asseoir sur moi.

La tête que tu penches vers le reste de la banquette, vide à souhait. C’est le sourire en coin que tu te fais le malin plaisir de lui prouver qu’elle est ivre morte à tel point qu’elle n’a même pas remarqué qu’il y avait assez de place pour vous deux, voire plus encore. Comme elle, tu viens tapoter le bout de son nez pour appuyer chacun des mots de ta dernière phrase. Maintenant, à elle de faire le choix de rester ou bien de quitter tes jambes. Tu t’en fiche un peu, elle n’est pas si encombrante, pas si dérangeante.

Et peut-être qu’il vit encore un peu en toi finalement, l’adolescent d’antan.

Votre petit échange qui fait glousser ses deux copines, lui font les gros yeux pour qu’elle reste où elle est comme si tu ne les voyais pas faire, comme si elles étaient un brin discrète dans leur façon de faire. Et tu réprimes un énième sourire en entendant Reira faire sa curieuse, tu la regarde, fige sur son profil. Ses joues rosies, ses yeux brillants d’excitation. Et tu te demandes ce qu’à bien pu faire son mec pour qu’elle le haïsse autant ce soir, ne veuille pas le voir ni même qu’il vienne la chercher.

- Moi aussi je suis sûr qu’on va bien s’entendre mais uniquement si il nous autorise un dernier verre ou bien si il me donne son numéro de téléphone…  Enfin, si tu l’autorises Reira.

Les sourcils que tu hausses face à ce manque de pudeur, cette méthode si ouverte de drague. Elle a des copines bien désinvoltes Reira et surement que ça te plairait dans un autre cas de figure, surement que t’aurais donné ton numéro à cette jolie demoiselle qui n’a pas l’air de chercher du sérieux. Mais y’a Reira. Alors t’hausses les épaules et répond sagement :

- Reira doit autoriser quoi … ? Mais passez une commande hein, vous êtes plus à ça près j’imagine.

Une façon sage pour toi de décliner la seconde proposition. Et si les deux filles partent ensemble en direction du bar tu retiens Reira, l’oblige à rester avec toi en passant ton bras autour de ses épaules, non elle ne te filera pas entre les doigts. Pas dans cet état.

- Non, non tu restes là toi, elles n’ont pas besoin de toi pour commander.

Un regard que tu jettes vers les deux filles déjà bien loin de vous et déjà tu tournes de nouveau la tête vers ton amie d’enfance et lui demande curieux, replaçant une mèche rebelle de ses cheveux derrière son oreille :

- Tu m’expliques cet état un peu ? Tu fais souvent ça ?

Et est-ce qu’avant qu’on se revoit t’appelais un autre gars pour venir voler à ton secours ? Dit moi que c’est pas le cas.

❝ blurred night ❞
-- ft. haru

Poupée flouée par les liqueurs – un déséquilibre certain lorsqu’elle s’échoue sur les genoux d’Haru, son bras qu’elle sent se refermer sur sa taille. En sécurité. Des éclats de rire qui s’échappent à l’entente de ses mots, car la menace d’une chute ne lui fait plus peur lorsqu’il la tient fermement comme ça. Ses petits bras fins qu’elle vient serrer autour de lui – l’étreint avec entrain, le sourire trop grand de voir son ami d’enfance, bonheur ivre à l’idée qu’il se joigne à la fête. Comme avant, lors de leurs premières soirées d’adolescents, lorsque les premières bouteilles ont remplacé les boums prépubères. Comme si rien n’avait changé. Comme si huit années ne s’étaient pas envolées.

Le rictus s’efface déjà ; les sourcils se froncent, la bouche se plisse en une moue boudeuse. Car à l’entendre, elle serait dans un sale état. A l’entendre il serait même temps d’arrêter, et tous ces mots lui semblent être d’une absurdité affreuse lorsque l’alcool panse si bien la fierté ravagée, noie si bien les pensées peinées.

- N’iiimporte quoi… Il est super mon état, tu sais plus t’amuser ou quoi ? Fais pas ton relou, t’étais plus marrant avant…

Et comme pour appuyer ses dires, des plaintes sonores résonnent autour de la table. Les sourcils qu’elle hausse un peu, l’air de dire tu vois, j’suis pas la seule à le penser, et le jeune homme qui se laisse retomber en arrière, soupire lourdement. Caractère d’emmerdeuse qui se manifeste déjà lorsqu’elle vient tapoter le bout de son nez, lui fait remarquer qu’il lui aurait volé sa place. Ce qui est vrai, dans les faits, c’est bien à cet endroit qu’elle était installée avant de se rendre aux toilettes ; mais le fait que la banquette n’est pas franchement étriquée, qu’elle pourrait tout aussi bien s’installer ailleurs si elle le souhaitait est tout aussi vrai. Et de nouveau elle fait la moue, Reira, entre l’évidente véracité de ces propos et le fait qu’il l’accuse d’être trop bourrée. A deux doigts de se décaler, prendre place à ses côtés, non, carrément à l’autre bout de la banquette – juste pour lui prouver qu’elle n’a pas spécialement envie de s’asseoir sur lui. Mais son bras est toujours glissé autour de sa taille pour ne pas qu’elle vacille, et un sourire étire de nouveau ses lippes lorsqu’elle baisse les yeux vers sa main.

- T’as pas l’air décidée à me lâcher, c’est plutôt toi qui a pas l’air de vouloir que je bouge…

Œillade en coin, et si ces mots pourraient sembler charmeur, ce n’est pourtant pas l’intention qu’elle y met. Simple volonté de lui prouver qu’elle a raison et qu’il a tort ; remporter une manche de ce débat claqué. L’évidence par A+B. Et la tête qu’elle tourne vers ses amies en les entendant glousser, croise leurs regards plus qu’équivoques ; le sourire qui s’agrandit encore, amusée. Pas franchement décidée à bouger. Ses amies qu’elle a trouvé en train de discuter avec Haru, un peu plus tôt – alors la question se fraie un chemin entre ses lippes, et ses copines qui vont dans son sens, déclarent être elles aussi persuadée que l’entente sera facile avec le jeune homme. A une condition, cependant : qu’il leur autorise un dernier verre ou qu’il leur donne son numéro, et sur ce dernier point c’est apparemment à Reira de donner son aval, Haru qui fait mine de ne pas comprendre, donne cependant son feu vert pour une nouvelle tournée.

- Ouuuh, alors toi aussi tu veux bien t’entendre avec elles, hein, si d’un coup t’es okay pour faire la fête… Trop mignon !!

Lueur espiègle dans ses yeux flous, sa joue qu’elle vient pincer doucement ; sincèrement persuadé que s’il leur a autorisé cet énième écart, c’est uniquement pour se faire bien voir par l’une de ses amies – si ce n’est les deux.

- Mais bien sûûûr que j’autorise, j’suis sûre qu’il sera trop content de vous le donner ! Juste me le piquez pas trop, ça reste mon pote à moi !!

Et la langue qu’elle tire à ses amies, son bras auquel elle vient se cramponner – possessivité crasse qui transparaît, des blessures adolescentes qui ressurgissent sous ces mots trop innocents. Son bras qu’elle lâche pourtant déjà, amorce un mouvement pour se relever et suivre ses copines au bar, lorsqu’elle sent son ami glisser un bras autour de ses épaules – la retenir. Paraît qu’elles ont pas besoin d’elle pour commander, et l’expression se fait boudeuse lorsqu’elle tente de protester.

- Mais…

Mais tant pis, et déjà elle tourne la tête en direction du bar, crie à ses amies ce qu’elle souhaiterait qu’elles lui commandent. L’attention déjà dérobée par la voix d’Haru, ses doigts qui replacent une mèche derrière son oreille. Lui font cligner des yeux un instant, avant que les sourcils ne se froncent un peu sous le poids de ses questions.

- Olalaaa, c’que t’es devenu rabat-joie… Il est passé où le Haru rigolo qui faisait la fête avec moooi ?

Et doucement, elle penche sa tête sur son épaule. L’air presque triste de voir qu’il a tant changé – avoir le sentiment de se faire enguirlander par un père à qui elle ne parle même plus, avec ces questions lourdes de sous-entendus.

- Y a rien à expliquer toute façon. Je m’amuse juste…

Et le ton qui se fait presque celui d’une petite fille boudeuse, lorsque la vérité n’a rien de l’innocence juvénile. Des nuits entières passées à courir les clubs de Busan, au bras de son petit ami – les verres dans les mains et les lèvres sur les siennes. Mais pas ce soir. Car ce soir Kai s’est comporté comme un connard – et si seulement c’était la première fois.

- Et toooi ? Tu fais souvent ça ? De sortir à l’improviste en pleine nuit pour aller boire avec des jolies filles comme nous ? Car ça se voit t’avais pas prévu ce genre de sortie…

Les yeux qu’elle baisse vers son sweat, tire un peu sur les ficelles de sa capuche, sans jugement, simple constat. Car il serait bien malvenu de critiquer sa tenue lorsque même les vêtements les plus simple flattent son beau visage – la seule évidence qu’il était sans doute sagement chez lui, a enfilé les premiers vêtements lui tombant sous la main avant de venir les rejoindre. Et Reira se penche vers lui, lui glisse sur le ton de la confidence, son souffle ricochant contre son oreille et la main pour cacher sa bouche, comme si elle craignait que l’on lise son secret sur ses lèvres lorsqu’elle oubliera bien évidemment de chuchoter :

- J’suis sûûûre y a moyen de moyenner avec YoungBae… Même avec Aeji aussi en fait. Tu veux je t’arrange quelque chose ?

Et déjà elle s’éloigne un peu, le sourire trop grand sur les lèvres. L’air un brin trop fière d’elle, de son meilleur ami de toujours aux traits un peu trop agréables à regarder ; persuadée que c’est là l’idée du siècle.

❝ blurred night ❞
-- ft reira

Parait que t’es devenu chiant en grandissant Haru, que t’es plus l’adolescent plein de fougue et téméraire que t’étais avant. Et le pire dans tout ça, c’est qu’elle a raison Reira. Mais ça, c’est la faute au fait que tu t’occupes constamment des autres ; que tu passes les trois quarts de ton temps à courir après Seokji et Eunchang ; dire à Noona, Yewon et Alex de faire attention à elles. Tu passes ta vie à devoir voler aux secours des uns et des autres et quand vient le moment de se détendre t’as du mal à lâcher la pression. Surtout quand c’est avec des gens que t’aimes et à croire que tu l’affectionnes beaucoup encore Reira, assez pour t’inquiéter pour elle.

Ne pas avoir envie de la laisser en galère en pleine nuit un soir d’hiver.

Même si elle te fait regretter d’être venu jusqu’ici la chercher quand elle fait sa chieuse, joue à la plus maligne avec toi avec son air satisfait, son sourire trop grand sur les lèvres. T’as presque envie de la laisser tomber quand elle ose insinuer que t’es celui qui ne veut pas la lâcher, qui veut la garder près de soi. Ça te brule les méninges d’écarter les jambes et la laisser finir sa course au sol. Ou bien, de la pousser sur la banquette comme un vulgaire sac à patate mais ça lui ferait trop plaisir, lui donnerait raison alors tu fais comme si tu n’avais rien entendu, la garde sur tes jambes sans lui prêter plus d’attention que ça. Car le silence est le meilleur des mépris. T’as au moins appris ça en grandissant Haru, t’en a fini avec le temps où tout était provocation, le temps ou t’étais incapable de ne pas répondre ou agir en conséquence pour emmerder le monde. T’es dorénavant plus sage.

Mais la sagesse ça ne paie pas forcément. T’as beau tenté d’être altruiste, ne pas t’amuser de leur état d’ébriété les filles à cette table semble être bien moins raisonnable que toi. Elles souhaitent boire les deux autres diablesses ou bien, récupérer ton numéro de téléphone si Reira le veut bien. Comme si la brune avait son mot à dire, comme si vous étiez assez proche pour que vous ayez quelque chose à rétorquer sur les relations de l’autre. Et apparemment si, apparemment Reira elle, peut se permettre de te jeter en pâture à ses copines. C’est d’un air étonné que tu tournes la tête vers elle, la fixe donner son aval tant qu’on ne lui vole pas son ami. Jolie poupée qui s’accroche alors à ton bras, comme une enfant de huit ans qui ne voudrait pas qu’on lui vole son jouet préféré. Et tu te demandes si elle pense réellement ce qu’elle dit ; si derrière ce trop grand nombre de verres qu’elle a bu ce soir elle ne dit pas ce qu’elle a sur le cœur à sa manière et tu souris, viens lui coller une pichenette sur le bout du nez en disant :

- Tu veux me couper la circulation du bras ou quoi ? Fait gaffe, elles vont croire que t’es amoureuse de moi à me coller comme ça !

Des gloussements qui se font entendre à cette réponse de ta part, les deux jolies demoiselles qui partent chercher leur dernière tournée de la soirée. Elles te demandent si tu souhaites boire un truc et tu fais signe que non de la tête car tu sais que tu vas boire le verre de Reira et ne lui laissera pas le choix. Reira que tu bloques d’ailleurs, Reira que tu questionnes sur le pourquoi de cet état lamentable. Et parait que t’es trop curieux, pas très drôle voir même rabat-joie.

- Pourquoi t’as pas appelé ton mec si j’suis si chiant … ? Peut-être lui il est plus drôle que moi ?

Les sourcils que t’arques, pas un brin vexé juste curieux de savoir ce qui la poussait à t’appeler toi plutôt que lui. Lui qui est là depuis tant d’année ; lui qui ne l’a jamais lâché et avec qui elle est censé passer le reste de sa vie. Et pourtant c’est sur toi qu’elle est assise, avec toi qu’elle veut faire la fête ce soir. Alors bien évidemment que t’es curieux, bien évidemment que t’as envie de comprendre pourquoi t’es là ce soir. Mais elle ne semble pas prête à te donner les réponses que t’attends Reira, t’as l’impression qu’elle se referme sur elle-même du moment que tu lui demandes ce qui l’a mise dans cet état.

- Et c’est cool que tu t’amuses, t’as le droit de le faire hein qui suis-je pour te juger après tout hein.

Toi qui aimes tant sortir aussi que ce soit pour faire la fête comme elle ou pour trainer dans les rues de ta ville à la recherche d’un coin calme pour y colorer les murs de tes idées sordides. Et comme elle tu caches des choses, comme elle lorsqu’elle te demande si ça t’arrive souvent de rejoindre un groupe de fille à l’improviste dans la nuit tu réponds qu’à moitié et à côté de la plaque pour être toujours pire.

- Qui te dit j’étais pas déjà dehors ? Occupé à autre chose … ?

Que tu réponds le ton désinvolte lorsqu’en réalité tu vaquais juste à tes propres occupations, t’es habillé tout en noir pour mieux passer inaperçu dans la pénombre. Prêt à fuir comme un fugitif à la moindre sirène se faisant entendre.

Qui te dit que j’ai pas tout lâché pour toi surtout, juste pour te voir.

Elle est là, l’évidence. La pure et dure réalité des choses. T’as tout abandonné pour elle, sans réfléchir une seule seconde. Poussé par cette envie de renouer des liens avec le passé, cette partie de ton enfance qui t’as trop manqué. Reira que tu vois se pencher sur toi, glisser ses lippes jusqu’à ton oreille pour te demander si tu souhaites qu’elle t’arrange un coup avec l’une de ses copines et tu souris, recule ta tête un instant pour la fixer en ricanant avant de te pencher à son oreille et dire à ton tour :

- T’as pas peur que je brise le cœur de tes copines ? Tu sais j’suis pas trèèès sérieux en amour Reira…  

Ton ancienne meilleure amie que tu préviens car t’as pas envie qu’elle perde une copine inutilement, qu’elle t’offre à ses copines en s’imaginant que vous allez pouvoir faire des soirées de couple avec son gars, la flemme qui s’accapare de ta carcasse à peine l’idée effleure ton esprit alors tu te penches aussitôt contre son oreille, te permet de lui chuchoter :  

- Puis t’as pas dit que tu voulais me garder pour toi plus tôt ? Je suis presque sûr de me rappeler sentir tes griffes s’agripper à mon bras en disant un truc du genre … J’l’aimais bien cette idée aussi, qu’on ne se partage pas totalement.

Et les voix de ses copines qui se font entendre derrière vous, les verres de bière qu’elles posent sur la table mettant prématurément fin à votre discussion. Reira que tu décales de tes genoux à la banquette, les cuisses que tu frottes un instant à l’aide de tes mains comme si elle les avaient réellement engourdies.

- Vous parliez de quoi les « ami-moureux » pendant qu’on n’était pas là ? On vous a vu de loin vous chuchotez des trucs à l’oreille …

Que demande soudainement Youngbae à votre attention. Œillade complice entre les deux copines de Reira, des gloussements à la con qui t’irrite un peu. Mais aller, tu sais qu’elles agissent aussi puérilement car elles sont bourrées. C’est trop à l’aise que t’attrape le verre destiné à Reira, en boit une gorgée comme si les gamineries qu’elles sont en train de sortir ne t’agaçait même pas un peu.

- Votre copine s’imagine juste que je suis sourd comme un pot, n’allez pas vous imaginez j’sais pas quoi hein … Puis elle est en couple ? N’est-ce pas Miss Jun ?

Regard intrigué que tu lui lances en la regardant sirotait sa bière. Et si ils s’étaient séparés avec Kai ? Et si c’était pour ça que dans votre échange par messages elle ne voulait pas le voir ? Trop de questions dans la tête soudainement, t’as peut être juste rien compris depuis le début à son appel à l’aide.

❝ blurred night ❞
-- ft. haru

Ce sont les relents d’années passées qui la gagnent, transparaissent dans le moindre de ses gestes lorsqu’elle demande à ses amies de ne surtout pas lui voler Haru. Ces mots qu’elle aurait aimé pouvoir oser dire à l’époque, oser lui exprimer sa peine de se sentir délaissée, sa crainte de voir leur amitié agonir – qui sait où ils en seraient si elle avait eu ce courage ? Mais Haru se moque d’elle et de ses peurs ; une pichenette sur le bout du nez, paraît qu’elle le colle et que ses amies vont s’imaginer tout et n’importe quoi. Palabres qui déclenchent des pouffements autour de la table, palabres qui la poussent à déjà libérer son bras, avec une précipitation rendue presque coupable par l’ébriété. Soucieuse à l’idée que son attitude puisse renvoyer pareille image – elle a simplement toujours été tactile avec les gens dont elle était réellement proche, Reira, et Haru a fait partie de ces rares exceptions, et l’alcool la pousse à oublier que huit années sont passées, qu’ils sont censés avoir tout perdu de cette évidente proximité.

Moue boudeuse, la bonne humeur revient pourtant sitôt ses amies parties, lorsque sa voix résonne pour ne pas qu’elles oublient de lui prendre un verre à elle aussi. Reira qui ne comprend pas pourquoi il ne les suit pas en commandant avec elles. Reira qui aimerait voir son ami s’amuser avec elles ; se joindre à la fête. Mais loin de là, Haru lui demande de lui expliquer pourquoi elle a fini dans un tel état, et ces questions l’ennuient, et elle ne se gêne pas pour le lui faire comprendre. Sans se douter un seul instant que cela ne le poussera qu’à lui poser des questions plus fâcheuses encore ; un soupir arraché, le ton geignard lorsqu’elle répond :

- Nooon, ce soir il était encore pire que toi… Pas envie qu’il vienne gâcher la fête.

Elle le voit déjà arriver avec ses gros sabots, le regard furibond et le visage fermé. A refermer sa main sur son poignet, l’entraîner vers la voiture. Qu’elle le veuille ou non. A déverser son fiel sur tout le chemin du retour, et même après. La colère accumulée, croissante chaque fois qu’il se heurtait à sa messagerie. Elle est mieux avec Haru, malgré ses remarques chiantes et ses questions qu’il devrait ravaler. Elle est mieux avec Haru, car lui est doux et lui inspire la sécurité d’un ami d’antan ; d’une présence qui a toujours été là – jusqu’au jour où elle ne l’a plus été. Mais à l’entendre, c’est cool qu’elle s’amuse. Il se qualifie lui-même comme mal placé pour la juger, et un sourire amusé s’étire déjà sur ce visage changeant bien trop vite au gré de l’alcool.

- Sérieux ? Sous cette façade de rabat-joie se cache un vrai fêtard ? Qui l’eut cru…

Peut-être le Haru qu’elle a connu n’a-t-il pas totalement disparu, tout compte fait. Ce serait bien – ça la rassurerait. La tête qui s’incline sur le côté lorsqu’il suggère être déjà dehors, les yeux qui s’illuminent. Curiosité piquée.

- Tu faisais quoooi ? Dans cette tenue ?? T’es allé braquer une banque ou quoi ??

Palabres toujours moins sensées, la faute à l’alcool – la voix bien trop forte pour émettre pareilles suspicions. La voix toujours trop forte lorsqu’elle se penche vers son oreille, lui glisse une proposition – elle sait qu’elle n’aura aucun mal à le vendre auprès de l’une de ses amies s’il le souhaite. Car il est beau, Haru. Mérite une jolie fille comme ses amies – et la réciproque n’en est pas moins vraie. Mais loin d’accepter son aide, le jeune homme la regarde en ricanant, finit par s’approcher à son tour pour lui glisser qu’il n’est certainement pas l’homme le plus fiable, pas le meilleur parti à qui confier ses précieuses amies.

- Beeen… J’allais dire que j’te connais, j’sais que t’es un mec bien et j’préfère les savoir avec toi qu’avec le premier inconnu maaais… Si tu dis toi-même que t’es pas sérieux en amour… Tu l’es même pas en amitié, alors c'est facile de te croire.

Moue qui prend place sur ses lippes, elle ne s’aperçoit même pas que l’alcool la rend trop honnête – presque cruelle. Laisse libre cours à ses sous-entendus habituels teintés de rancœur, leur laisse tout loisir de se déployer, de ne même plus s’en tenir à leur classe de simples sous-entendus. Pourtant les mots ne sont même pas crachés, dénués de toute méchanceté propre ; simple constat teinté d’amertume, la souffrance pourtant datée mais jamais effacée. Et sans doute est-ce ces mots qui le poussent à remettre sur le tapis les paroles prononcées plus tôt. Le refus évident de le partager ; ses mains – ses griffes – cramponnées à son bras.

- Y a un juste milieu… Tu peux rester mon ami et quand même sortir avec une de mes copines, en soi…

Mais même elle n’est pas convaincue par ce concept – trop possessive, échaudée par leur dernière expérience en date, de nouveaux amis et plus jamais il ne s’est retourné vers elle. Jusqu’à ce qu’elle se décide à entrer dans cette supérette où il a fini par travailler. Hasard sans l’être ; et les amies à peine revenues qu’il la pousse sur la banquette, les sourcils qui se froncent en le voyant se masser les jambes. J’suis pas si lourde que ça, t’abuuuses, qu’elle aimerait lui répondre, mais le claquement des verres de bière sur la table détourne déjà son attention, lui redonne déjà le sourire. Les joues déjà rosies qui s’empourprent pourtant aux paroles de ses amies – embarrassée à l’idée que l’on puisse se méprendre sur son attitude avec Haru lorsqu’elle a déjà un petit ami, le constat, une fois de plus, que ses gestes sont ambigus, lorsqu’à ses yeux il n’y a rien de plus normal puisqu’elle s’est toujours plus ou moins comportée ainsi avec lui. Et parce que c’est plus simple, elle ignore les palabres embarrassantes, aime mieux s’ulcérer de voir Haru se jeter sur sa bière avant elle.

- Eh ! Fallait t’en commander une si t’en voulais, donne-moi ça !

Elle a le teint encore carmin lorsqu’elle lui prend le verre des mains, le porte à ses lèvres – se cache à moitié derrière. La tête qu’elle hoche vivement en entendant les mots de son ami, repose la bière sur la table.

- Bien sûr ! Arrêtez de vous imaginer n’importe quoi, c'est Kai mon copain.

Et la voix s’étrangle un peu sur ces derniers mots, car soudainement elle a peur. Craint le pire si ce genre de rumeurs arrivaient à l’oreille de son petit ami, déjà si jaloux lorsqu’elle ne fait rien. Mais elles ne lui feraient pas cela, de toute manière, n’est-ce pas ? Elle a confiance en ses amies, redoute pourtant qu’il apprenne cela d’une manière ou d’une autre. Et Reira qui se tasse un peu sur la banquette, soucieuse des réactions de son petit ami, soucieuse pour Haru, pour elle-même ; referme déjà ses doigts sur le verre – dans l’espoir de noyer les pensées qui soudain altèrent la joyeuseté de son humeur. L’alcool qui coule dans sa trachée, le bout des doigts qui joue avec la buée sur son verre lorsqu’elle déclare :

- De toute façon, on parle beaucoup d’Haru mais à tout moment il est pris lui aussi… Alors pouet pouet !

Palabres prononcées en dépit du célibat annoncé lors de leur dernière entrevue, du fait qu’il lui ai rappelé ne pas être l’homme le plus sérieux en amour à peine quelques minutes plus tôt. Mais un mois est passé depuis qu’ils se sont vus, et ne pas être très sérieux n’empêche pas un revirement soudain – une fois la bonne personne rencontrée. Alors Reira laisse place au doute, car qu’en sait-elle, après tout ? Son portable posé sur la table qu’elle retourne discrètement, retient un soupir en constatant que le nombre d’appels manqués et de messages a encore augmenté – et de nouveau elle reprend quelques gorgées de sa boisson, compte sur l’alcool pour lui faire retrouver la légèreté trop vite perdue. Car elle n'est plus que l'ombre de la bonne humeur qui l'animait quelques instants plus tôt ; poupée devenue silence sur sa banquette, calme extérieur lorsque tout s'agite à l'intérieur.

❝ blurred night ❞
-- ft reira

Hochement de tête rapide. Ok, t’as bien compris que t’en sauras pas plus ce soir sur le pourquoi de leur dispute à elle et Kai. Parait qu’il s’est montré lourd, plus chiant que toi encore son mec. Et tu pourrais te vexer d’être comparé à lui mais tu préfères ne pas faire attention à ce qu’elle dit. Car elle est bourrée Reira, ne se rend pas compte que t’es pas là pour la faire spécialement chier mais plutôt pour l’aider puisqu’elle ne semble pas prête à passer l’éponge et demander à son petit-ami de longue date de venir la chercher. Sujet sur lequel vous ne vous éternisez pas de toute manière, par manque commun d’envie d’alourdir la conversation. Reira qui semble choquée de te voir soudainement lâcher un peu prise, lui dire qu’elle peut bien faire ce qu’elle veut et que t’es pas le mieux placé pour la juger puisque toi-même t’aime un peu trop festoyer autour d’un verre, boire jusqu’à ne plus te souvenir de tout ce qui a pu se passer la veille.  

- J’suis presque triste que tu sois étonné, à croire que t’as oublié les quelques soirées qu’on a pu faire ensemble.

Avant qu’on n’arrête de se fréquenter, moi j’m’en souviens tu sais, j’ai jamais pu oublier.

Le regard qui se perd dans le sien un instant avant que tu ne tournes la tête, regarde où sont les deux autres filles. Tu t’inquiètes pas trop pour elles mais ne sait-on jamais. Mais comme tu t’y attendais, elles sont déjà au bar, semble discuter avec la barmaid en attendant leur commande alors tu te focalise de nouveau sur la brune assise encore sur tes genoux dont la curiosité semble décuplée ce soir à cause de l’alcool. Et malheureusement, elle n’obtiendra jamais de réponse Reira, jamais tu ne lui diras que cette nuit comme tant d’autres tu trainais dans les rues de Busan pour refaire la façade des murs à l’aide de ton imagination. Car c’est un truc de voyou, que c’est mal vu dans la société actuelle. Surtout quand on sait ce que t’y marques comme types de messages sur ces murs. Y’a rien de mignon, tu dépeins la réalité sur ce qui te dégoutes dans cette nouvelle génération qui se laisse berner, se laisse endormir par toutes cette nouvelle technologie qui vous entoures, vous uniformises. L’anarchiste en toi qui hurle, l’anti nouvelle-technologie qui aimerait que son message soit entendu. Et peut-être qu’un jour t’assumera ce que tu fais. Mais pas ce soir, pas devant Reira. Car t’as l’impression que vos avis seraient trop différents sur le sujet. Qu’elle est pour toutes ces nouveautés, pour vices et ses dérives en tant qu’influenceuse alors que tu tiens un avis à l’opposé. Et t’as pas envie de te prendre la tête, pas envie de lui donner une mauvaise impression. Car son avis compte à tes yeux encore. Malgré le passage du temps ; malgré le fait que votre relation ne sera jamais comme celle que vous aviez avant.

Amitié à peine renouée, trop fragile pour qu’un tel sujet soit déjà balancé. Alors tu te tais Haru, la laisse croire tout et n’importe quoi plutôt que lui dire la vérité.

De toute façon vu dans l’état d’ébriété dans lequel elle est actuellement, c’est en à peine quelques secondes qu’elle passe à autre chose la brune, telle une tornade de pensée aléatoire elle se plait à jouer les entremetteuses Reira. Tu l’écoutes alors te vendre ses copines, sauf que t’es pas intéressé par elles, que t’es pas venu pour repartir accompagné. T’es venu pour t’occuper d’elle, venu pour la ramener chez elle plutôt que de prendre le risque de la laisser se débrouiller seul et rester avec la boule au ventre toute la nuit de pas savoir comment sa soirée s’est terminé.

Alors tu lui donnes des arguments pour qu’elle lâche l’affaire Reira, qu’elle se contente d’abandonner sa mission couple improvisé. Des arguments que tu ne pensais pas qu’elle retournerait contre toi. Effet boomerang instantané, elle tacle là où ça fait mal et tu ne peux même pas te défendre Haru, lui dire que si t’en es venu à la lâcher c’est parce que ça te coutait trop de faire semblant de l’aimer comme une simple amie lorsqu’elle, représentait tout pour toi. Ça devenait trop compliqué de l’avoir s’enticher d’un autre lorsque toi, t’attendais encore et toujours qu’elle finisse par te regarder de la même manière que toi, tu la regardais. Ça te brulerait presque les lèvres de tout balancer une bonne fois pour toute, de mettre les points sur les i sur cette conversation qui revient sans cesse, vient parfois même se faufiler dans vos échanges par sms. Mais tu te rappelles rapidement qu’elle est bourrée ce soir la brune, tu vois dans son regard qu’elle ne fait même pas exprès de te dire tout ça. Alors tu te ravises, ravale ta boule de vérité et lâche irrité :

- Non franchement elles m’intéressent pas tes copines, laisse tomber.

Tu te montres catégorique Haru, lui fait comprendre que tu ne veux pas un mot de plus sur le sujet. Reira que t’obliges à prendre place sur la banquette à coté de toi d’ailleurs, proximité qui te gêne soudainement, t’agaces plus qu’autre chose. Heureusement que les filles arrivent, détendent l’atmosphère qu’aurait pu être pire qu’électrique. Elles ont beau dire des conneries, vous inventez un lien qui n’existe pas au moins elles ont le mérite de faire rire. Une grande gorgée de bière que tu prends – surement trop grande puisque Reira s’en offusque récupère son verre déjà à moitié vidé.

- J’avais soif sale radine, puis bon j’te dis c’est pour ton bien t’as déjà trop bu.

Mais ça elle ne veut pas l’entendre, comme une gamine elle vient boire une longue gorgée de sa bière et fait rire ses copines. Des copines à l’humour lourd, à l’éthique pas très présente. Elles ont beau savoir qu’elle est en couple avec Kai elles ne cessent d’agir comme si entre elle et toi il y avait un truc. A tel point que t’en viens à douter de la relation entre Reira et Kai, vient lui demander confirmation l’air de rien. Et comme tu t’en doutais, le couple est bel et bien toujours en vie. Toujours debout. Aussi chiant Kai soit-il apparemment. De quoi te faire rouler des yeux, récupérer le verre d’entre les mains de Reira et dire :

- T’en parles tellement pas de Kai qu’on peut s’imaginer tout et n’importe quoi aussi … Mais non, s’teu-plait, évite-nous la conversation sur Kai quand même. C’est barbant.

- Ou peut-être que tu trouves que c’est barbant de parler de lui car t’es amouuuureux

Les yeux que t’ouvres en grand, outré qu’elle ait pu sortir de tels mots si aisément sans te connaitre. C’est faux bordel, c’est plus le cas depuis des années. L’envie de rétorquer dans le sens inverse des palabres qu’Aeji vient de lâcher qui te prend mais heureusement que Reira prend le relais, spécule sur le fait que toi aussi t’es peut-être en couple. Et tu tournes la tête vers elle, te demande d’où elle sort des conneries pareilles.

- Quel dommage si il est en couple …

- J’suis pas en couple mais on peut quand même arrêter de parler de moi … Vous agissez comme si vous n’aviez jamais vu de mec de votre vie là. Ça fait peur hein….

Le verre que tu rends à Reira, les quelques dernières gorgées de sa bière que tu lui accordes pour qu’elle ne se mette pas à chouiner que t’as tout bu et que tu ne lui as rien laissé. Reira que tu te mets à sonder, Reira qui semble ailleurs et muette tandis que les deux autres filles n’arrêtent pas de jacasser pour un oui et pour un non. Tu te demandes ce qui peut la rendre si triste soudainement, te demande si ça a un rapport avec sa dispute avec Kai plus tôt dans la soirée. Très certainement. Tu ressens alors de la tristesse pour elle, le cœur qui se serre en imaginant qu’elle soit si mal pour une dispute que t’imagine banal.

- Bon, on va y aller. Reira a fini son dernier verre j’ai peur qu’elle se mette à dormir si on attend encore un peu et j’ai la flemme de la porter … Donc rentrez en taxi ensemble et faites attention à vous … hm ?

Leur regard des deux filles que tu soutiens en te levant, comme un grand frère regarderait ses sœurs pour leur suggérer d’écouter attentivement les directives et de ne pas s’en éloigner si elles veulent rester en vie tandis que t’aides Reira à enfiler sa veste puisque seule, ça semble être une épreuve qui prendrait deux jours et demi.

- Ton sac Reira, n’oublie pas ton sac et ton portable.

Que tu dis en pointant du bout du nez ses affaires qui trainent respectivement sur la banquette et la table et qu’elle a l’air d’oublié. Les mains que tu plonges dans les poches de ton pantalon, attendant qu’elle ait tout récupéré et qu’elle ait dit au revoir à ses copines pour que vous puissiez partir en paix. C’est ainsi cote à cote que vous quittez le bar, c’est ensemble que vous affrontez le froid qui s’est un peu plus installé en une bonne grosse demi-heure sur Busan. Ton portable que tu sors alors de ta poche pour y voir l’heure. Souffle en voyant que c’est foutu pour chopper le dernier métro.

- Bon … Inutile de te dire que y’a pas de métro avant cinq heures du matin … T’habites à quoi ? dix ou quinze minutes d’ici ? Tu te sens de marcher ?

La tête que tu penches pour sonder son état, pas très clean mais pas non plus au point de s’évanouir. Au pire, t’appelleras un taxi en cours de route si elle n’arrive pas à suivre la cadence.

❝ blurred night ❞
-- ft. haru

Ton catégorique, et Reira se vexerait presque de l’entendre ainsi rejeter ses deux amies. Ses amies trop belles, trop agréables pour mériter pareil traitement. Heureusement qu’elles ne sont plus là pour entendre ça ; heureusement qu’elle est là pour désamorcer la bombe à temps, s’assurer que le brun ne leur réponde pas sur le même ton une fois de retour à la table. Haru qui fait preuve d’un agacement soudain dont elle ne perçoit la cause – et la jeune femme qui se voit repoussée sur la banquette, un instant hébétée avant que ne reviennent ses copines. Les verres de bière claquent sur la table, débordent un peu sous l’instabilité des mains ivres ; et elle n’a pas le temps de refermer ses doigts sur le dernier des trois que Haru le lui subtilise, les conneries débitées par ses amies en musique de fond. Musique qu’elle n’écoute pas ; choisit d’ignorer. Proteste plutôt quant au braquage opéré par le jeune homme, se fait traiter de radine, fronce les sourcils lorsqu’il lui rétorque qu’elle a déjà trop bu.

- N’iiimporte quoi… J’suis trèèès claire moi, t’avais juste besoin d’une excuse pour vider mon verre.

Et la moue se fait contrariée, car il a déjà vidé son verre de moitié. Sans doute va-t-elle être obligée d’aller elle-même en chercher un autre, à ce rythme-là. Mais avant d’en arriver là, elle lui prend le verre des mains, en prend elle-même une grande gorgée – les joues rosies, un peu par l’alcool, beaucoup par la gêne occasionnée par les mots de ses amies. Ses amies qui lui prêtent des intentions qu’elle n’a pas – tendancieuses, lorsqu’elle est déjà en couple, et certainement pas avec lui. Alors lorsque Haru lui demande de confirmer qu’elle soit toujours avec Kai, elle s’empresse de le faire ; saute sur cette occasion pour remettre les points sur les I. Le verre qu’il lui dérobe de nouveau – un peu trop tôt à son goût –, se permet de remarquer qu’elle en parle si peu que le doute est permis. Palabres contrariantes, elle s’apprête à lui rétorquer que c’est justement pour ne pas être cette fille reloue qui ne parle que de son couple, ne vit que pour son couple qu’elle évite de trop en parler – et absolument pas car parfois le cœur n’y est simplement plus, lorsqu’une réalité noire a remplacé le passé doucereux –, mais déjà l’une de ses amies suggère qu’il pourrait être amoureux d’elle, et les mots qui se bousculaient sur sa langue sont chassés par un éclat de rire sincère. Hilarité exacerbée par l’alcool, motivée par le fait que ce ne peut qu’être une blague – car y a pas plus absurde que ça, d’autant plus lorsqu’on sait comment leur amitié s’est terminée, la facilité qu’il a eu à s’en détacher. Y a quelques larmes qui perlent aux coins de ses yeux, font un peu plus encore couler son eyeliner, et le souffle qu’elle reprend tant bien que mal, un sourire idiot sur les lèvres lorsqu’elle rétorque à son amie :

- Nan mais t’as fini de dire des conneries toi ? J’te rappelle que j’suis avec Kai, K-A-I, arrête de vouloir nous mettre ensemble à tout prix !

Mais sans doute vaut-il mieux que ses amies se concentrent sur elle plutôt que sur Haru. Si cela peut leur éviter de se faire recaler avec la froideur dont il a fait preuve plus tôt, elle est prête à prendre cela sur elle. Et comme pour mieux les décourager discrètement, elle fait remarquer qu’il est peut-être en couple, après tout ; le regard du jeune homme qu’elle sent peser sur son profil, YoungBae qui rétorque que ce serait bien dommage – et manifestement, le message a du mal à passer dans leurs cortex avinés. Tant et si bien que Haru finit bel et bien par les recaler, comme elle le craignait ; la conversation qu’elle n’écoute que d’une oreille, l’attention soudain portée sur son téléphone. Les notifications qui s’y bousculent, font monter une bouffée d’angoisse qui la pousse à déjà reposer le cellulaire ; rétorquer au brun :

- Tu peux pas leur en vouloir Haru, c’est le prix à payer quand on est un beau garçon…

Et des sifflements résonnent à la table ; ses deux amies qui approuvent bruyamment ses dires. Logique qu’elle n’aurait pas en temps normal, plutôt persuadée que l’on n’est pas responsable de la tête que l’on a, que le physique ne devrait pas être justification pour qui que ce soit de faire quoi que ce soit. Mais l’ivresse rend bête, et déjà ses doigts se referment sur le verre qu’il lui tend, vide les quelques gorgées restantes d’une traite. Avec l’espoir que les liqueurs noient les pensées qui l’assaillent. Avec l’envie de s’y noyer elle-même. Ses doigts qui courent distraitement sur le verre embué en attendant que la magie opère ; l’humeur chagrine, poupée soudain renfermée. A se demander ce qui l’attend à la maison. A évaluer combien de temps il lui faudra cette fois-ci pour redevenir gentil. A quelles sucreries écœurantes elle pourra se raccrocher une fois le cœur un peu plus morcelé. Mais la voix de Haru l’arrache à ses pensées, et la tête qu’elle tourne dans sa direction en l’entendant annoncer leur départ, les sourcils qui se froncent un peu, son bras auquel elle se cramponne en le voyant déjà se lever.

- Nooon, pas déjààà… Viens on reste un peu, on prend un dernier verre… Tu m’en dois un vu comment t’as vidé le mien…

Les mots se pressent dans la bouche engourdie – animés par un besoin désespéré de ne surtout pas quitter ce bar.

S’te plaît Haru, me ramène pas.
J’veux pas rentrer.
J’veux pas y retourner.
J’ai peur de lui.
De ses mots et de ses regards ;
de la haine dans les gestes qu'il a parfois.

Mais rien à faire ; rien à en tirer. Ils s’en vont, qu’elle le veuille ou non, et Reira est trop fatiguée pour se battre. C’est le cœur gros qu’elle se relève, exacerbe volontairement la difficulté avec laquelle elle remet sa veste. Juste pour gagner du temps ; quelques secondes de paix dans ce bar bruyant. Ce sera toujours ça de pris. Mais Haru ne fait vraiment rien pour aider ses plans secrets ce soir, vient déjà guider ses bras pour qu’en deux temps trois mouvements la veste soit enfilée. Prête à partir – déjà. Alors elle se dirige vers ses amies, les serre fort dans ses bras couverts de fourrure synthétique. De gros baisers qu’elle dépose sur leurs joues, perd encore du temps à leur répéter encore et encore :

- C’était trooop bien ce soir, merci d’être venues les filles ! J’vous aime trooop, faites attention à pas tomber dans un trou en rentrant heeein !! J’vous aime trop trop trop !!!

Mais Haru commence à s’impatienter, alors elle finit par s’écarter, commence à s’éloigner – revient sur ses pas lorsqu’il lui rappelle de prendre sac et portable, les affaires oubliées à la table dont elle s’empare, tourne définitivement les talons en faisant au revoir de la main à ses deux amies.

- Pff, elles ont trop de la chance de pouvoir rester encore…

Et les joues se gonflent en une moue contrariée lorsqu’ils passent la porte du bar, un cri lui échappe en sentant le froid glacial de la nuit sur sa peau brûlante.

- Aaaah ! Mais il fait trop froooid olalaaa, j’vais finir congelée comme le glaçon dans Tutunic moi !

Les bras qu’elle croise sur sa poitrine pour se réchauffer – une technique plus efficace que, à tout hasard, de fermer sa veste, c’est bien connu –, relève les yeux vers Haru en l’entendant lui demander si elle se sent de marcher. Et de nouveau le visage se rembrunit. La tête qu’elle baisse vers leurs pieds, hoche la tête pour répondre mollement :

- Hm hm…

On lui a connu plus d’entrain, à Reira, et pourtant ils se mettent en route, la jeune femme qui ne regarde pas un seul instant où ils vont, se laisse guider par Haru – une confiance aveugle malgré le passage du temps, un peu motivée par son état, aussi, on ne va pas se mentir. La démarche un peu vacillante, son sac qui se balance mollement au bout de ses doigts ; l’moral dans les talons. Elle a vraiment pas envie de rentrer – et Reira n’en fait qu’à sa tête, quitte le droit chemin pour aller s’asseoir au bord du trottoir, le béton gelé sous ses cuisses nues. Comme une gamine capricieuse ; sa voix qui perce dans le silence de la ville assoupie.

- J’ai mal aux pieeeds, j’en ai marre de marcheeer.

Ça ne fait pourtant que quelques dizaines de mètres depuis qu’ils ont quitté le bar. Sa patience qui joue les funambules sur un fil trop fin – et toutes les excuses sont bonnes pour ne pas rentrer. Une main qu’elle tend vers celle d’Haru, referme ses doigts sur les siens pour le pousser à s’asseoir à ses côtés – doit certainement jouer avec sa patience à lui aussi.

- Alleeez, rejoins-moi. Tu peux pas me laisser tomber.

Et elle referme ses bras autour de ses genoux, Reira. La tête posée sur ses genoux – petite boule de fausse fourrure et de cheveux trop longs abandonnée sur le bord de la chaussée. Abandonnée. Et les yeux s’embuent sans raison, ou peut-être que si, peut-être la faute à la dispute – à toutes ces disputes –, la crainte de rentrer chez elle, le trop-plein de souvenirs qu’il fait affluer. Sa présence à ses côtés. L’alcool tonitruant a tiré le rideau pour laisser champ libre à l’alcool triste, la poupée tourne la tête vers lui, le fixe trop intensément, trop tristement lorsqu’elle demande :

- Tu vas plus me laisser tomber, hein Haru ? Tu vas plus me remplacer ? Promets-le-moi.

Et les yeux se noient de larmes lorsqu’elle lui tend un petit doigt tremblant – la faute au froid, à son état, aux sanglots qui bientôt secouent son corps. C’est la Reira de dix-sept ans qui soudain est blottie à ses côtés, dans le froid de la nuit – le cœur brisé de s’être fait abandonner par son meilleur ami.

Rassure-moi, Haru, je t’en prie.
J’me chie dessus depuis que je t’ai revu,
à l’idée qu’on reproduise le passé.
Alors dis-le-moi tout de suite si t’es revenu pour mieux repartir,
car moi j’suis pas prête à souffrir une deuxième fois comme ça.

❝ blurred night ❞
-- ft reira

Elle te supplie de rester au bar Reira, sort son plus doux regard pour t’amadouer. Et tu serais tenté d’accepter sa proposition Haru, car t’aimes bien faire la fête toi aussi ; que tu la sais en sécurité avec toi et qu’au bout de la nuit tu l’amèneras à bon port ton ancienne meilleure amie. Sauf que tu penses à lui, Kai. Son petit-ami que t’imagines ce soir accablé par le poids du monde après une supposé dispute, la sensation désagréable dans le bide à ne pas avoir de nouvelle sa copine depuis x heures maintenant. Tu t’imagines à sa place, aussi démuni que lui face au silence qu’elle lui inflige en ignorant ses messages et ses appels. Car tu les as vu, ton regard s’est peut-être montré indiscret une fraction de seconde quand elle a retourné son téléphone un peu plus tôt lorsque vous étiez encore assis sur cette banquette. T’as vu son prénom s’afficher, un chiffre ahurissant de notification qu’elle a préférée ignorer. Et t’as eu de la peine pour ce type que t’as exécré un bon bout de temps durant ton adolescence, assez de peine pour ne pas jouer les égoïstes et profiter que Reira soit énervée contre lui pour passer ta meilleure soirée à ses côtés.

Faut que tu la ramènes Reira ; qu’elle règle ses problèmes.

C’est ton rôle de lui donner les meilleurs conseils possibles, ceux qui n’aggraveront pas son cas. Aujourd’hui t’as le recul que tu n’avais pas il y a des années, l’adolescent plein de rancœur et bouffé par ses sentiments a laissé place à un jeune adulte raisonnable, capable de laisser de côté son amertume des années passés pour ne souhaiter que du bonheur à une vieille amie. Et n’en déplaise à ses copines qui semblent sûr et certaines qu’il y a plus que de l’amitié entre vous, tu t’en fous de ce qu’elles pensent ; des sentiments qu’elles peuvent t’inventer et des messes basses peu discrètes qu’elles font entre elles pour prévenir Reira sur le point de partir que tu la raccompagne dans le seul et unique but de passer un moment seul avec elle. Tu roules des yeux, souffle un long coup pour leur faire comprendre qu’elles sont lourdes. Extrêmement lourde même avant de leur tourner le dos, partir avec Reira qui peste contre toi, chouinerait presque en disant qu’elle est la malchanceuse du groupe.

- J’avoue t’as vraiment pas de chance que je sois venu te chercher car ça m’inquiétait que tu sois dans cet état, puis que je te ramène jusqu’à chez toi plutôt que de te jeter dans un taxi… Vraiment la fille la plus à plaindre du monde …

Tes prunelles marrons qui se figent dans les siennes ; juste un instant. Qu’elle comprenne ô combien t’es sarcastique quand tu lui réponds ça. Car t’es sûr que des idiots comme toi, qui accourt dès qu’une ancienne amie les appels et qui se montrent assez intelligent pour la ramener chez elle plutôt que de se mettre une mine à ses côtés… y’en a pas beaucoup en Corée, encore moins à Busan. Mais soit, qu’elle joue les ingrates Reira, tu te feras un plaisir de lui rappeler son comportement quand elle ira mieux, que vous vous reverrez à l’occasion. Car tu sais que c’est qu’une question de temps avant que vous ne vous revoyiez encore et encore.

Vous avez besoin de vous retrouver, c’est une évidence.

Vous avez besoin de parler aussi, à cœur ouvert. Mettre des mots sur les maux qui vous ont éloigné l’un de l’autre ; repartir de zéro pour espérer que cette fois soit la bonne. Mais surement pas ce soir, pas dans cet état. Elle est incapable de tenir une conversation pareille Reira ce soir. Alors ça attendra, de toute façon il fait trop froid pour trainer et discuter. Comme elle, tu te rends compte des températures une fois que vous avez le nez dehors. Comme elle tu te contracte sur place, serre les dents. T’aimerais pouvoir lui filer ta veste mais surement que tu crèverais de froids en dix minutes top chrono si tu te retrouvais en simple t-shirt sous ce vent. Alors tu tires sur sa manche, l’oblige à se rapprocher de toi et tu passes ton bras autour de ses épaules, frictionne son bras à l’aide de ta main comme si la proximité de vos corps aller la réchauffer instantanément.

- Avec un petit effort de ta part on rentre vite Reira, plus tu marches moins t’auras froid…

Que tu lui dis, les palabres accompagnés d’un petit sourire encourageant. La pilule que t’essaie de faire passer et voilà que le périple commence. Et t’avais presque oublié ce que c’était de devoir t’occuper d’une fille bourrée lorsque toi, tu ne l’es pas. Reira qui se montre diablement distraite, s’arrête pour tout et n’importe quoi dès qu’une question lui traverse l’esprit. Le chemin se fait alors encore plus long, surtout lorsqu’à deux reprises tu dois ramasser son sac car madame s’amuse à le tenir du bout des doigts. A croire qu’elle fait tout pour vous ralentir. Et ta patience en pâtit, ton flegme naturel s’étiole alors bien évidemment que tu t’agaces en la voyant s’éloigner de toi une énième fois, la voyant flotter comme une âme en peine jusqu’au premier croisement et prendre place sur un trottoir. Alors tu croises les bras Haru la fixe d’où t’es se plaindre une énième fois.

- T’as vu la taille de tes talons aussi ? Tu m’étonnes que t’as mal aux pieds là. C’était quoi le but de toute façon en mettant des échasses ? Draguer un clown ?

La critique facile mais en réalité, tu la trouve super jolie Reira ce soir. C’est plus la gamine que t’as lâché en terminale celle qui te fait face, elle connait ses atouts et sait les mettre en valeur. Mais c’est plus simple de faire de l’humour, plus simple de se moquer d’elle que de lui dire qu’elle est belle, que tu te sens vraiment con de pas être venu en voiture pour la soulager d’une marche en pleine nuit dans ce froid glaciale. Tu ne pourras pas lui éviter les cloques et les ampoules alors quand elle te tire, t’oblige à t’asseoir à ses côtés tu te laisses faire. Elle mérite au moins ça, juste quelques minutes pour se reposer.

- Mais non j’te laisse pas ça va …

Que tu dis sans peser le poids de tes mots, sans penser un seul instant que d’une minute à l’autre elle va craquer comme si cette simple réponse réveillait en elle bien d’autres démons, d’autres questionnements. Pourtant tu la vois passer les bras autour de ses maigres genoux, tu la vois mettre sa tête dans le creux de ses bras. Mais t’imagine qu’elle va juste fermer les yeux un instant, calmer les battements de son cœur tandis que toi, tu fixes le mur d’en face. Tu vois du coin de l’œil qu’elle tourne la tête Reira, qu’elle se fait observatrice mais à aucun moment t’aurais pu prévoir que les mots qui sortiraient d’entre ses lippes seraient aussi triste. Tu l’entends à sa voix, reconnait ces trémolos que tu n’avais pas entendu depuis des années. Elle va pleurer Reira et tu tournes vivement la tête vers elle, la fixe s’en comprendre ce qui peut bien lui arriver.

- Mais... ? Hein ? Non ???

C’est précipité, pas réfléchis ce que tu dis et tu te rends bien compte qu’il va falloir que tu sois un peu plus déterminé pour la calmer. Car elle te tend en plus son petit doigt Reira, promesse d’enfant qu’elle souhaite renouer avec toi. Ce soir sous le clair de lune, à même l’asphalte goudronné sur laquelle sont posés vos deux culs. T’as le cœur qui te fait mal Haru, l’envie de l’arracher ce putain de palpitant pour ne plus jamais ressentir un tel mal-être, dégout envers ta propre personne et le mal que t’as pu lui faire en voyant son si joli regard baigné de perle saline qu’elle n’arrive pas à retenir. Alors t’attrape sa main, la coince entre les tiennes et prend la parole, enfin :

- Eh Reira … Regarde-moi, calme-toi … Reira, je te jure que cette fois je ferais pas les mêmes erreurs, que je te lâcherais pas. Je l’ai fait une fois et j’l’ai regretté ok ? J’étais trop con, trop jeune et j’arrivais pas à supporter … Enfin bref on s’en fou du pourquoi c’est des trucs de gamin. Je veux juste que tu comprennes que si on s’est revu c’est qu’on devait rattraper le temps non ?

Et enfin tu crochètes ton doigt au sien, vient essuyer de ta main de nouveau libre une larme roulant sous ses yeux, ton index qui vient recueillir la goutte, l’essuie contre ton sweat et reprend :

- Pleure pas … Tu sais que je t’ai jamais remplacé quand même ? J’ai connu pleins de filles, j’ai plusieurs amies mais t’es Reira. C’est différent hein… Fait pas ta drama queen …

Jolie poupée que tu viens serrer dans tes bras, ton nez qui se perd dans ses cheveux empestant la vieille clope et l’alcool comme tout bon fêtard. Et tu déposes un baiser au sommet de sa tête, frotte son dos pour la consoler avant de finalement te lever, tirer sur sa main pour l’obliger à en faire de même.

- Aller relève toi… Tu veux pas que je te porte quand même ? Bon aller … j’peux faire un effort j’imagine.

Et sous son regard encore larmoyant tu finis par t’abaisser, t’accroupir pour qu’elle puisse grimper sur ton dos, quelques secondes que tu passes ainsi sans pour autant sentir le poids de son corps finir par se poser sur ton dos alors tu tournes la tête, arque un sourcil et lâche :

- J’vais pas t’attendre toute la nuit, aller plus vite que ça !

❝ blurred night ❞
-- ft. haru

Et sa main se referme sur sa manche, l’attire vers lui. Tout contre lui, au creux de son bras, sa main qui s’efforce tant bien que mal de la réchauffer dans la nuit glacée. Comme avant, lorsque déjà Reira ne se couvrait pas assez, c’est la mode, qu’elle répétait, tu crois pas que j’vais mettre cinquante couche et ressembler au bibendum quand même ? Comme avant, leurs corps un peu trop proches et le souffle qui s’accélère un instant – mais c’est seulement le froid qui lui porte au cœur, la fait haleter ainsi. C’est évident. Mais déjà il la libère, car le chemin du retour ne va pas se faire tout seul. Qu’il est déjà tard, et Haru semble pressé de la déposer à bon port – pour une sombre raison, une raison qui lui échappe totalement, car n’est-elle pas charmante ce soir ? Mais soit. Ses talons claquent dans la rue endormie, le sac à main au bout des doigts, la démarche mal assurée. Prête à vaciller à tout instant. Et les pieds lui font mal, et son cœur aussi, toujours autant, plus encore à l’idée de seulement rentrer. Elle ne veut pas rentrer. S’y refuse, et déjà elle s’éloigne du droit chemin, s’échoue sur le rebord glacé d’un trottoir. Hurle à qui veut bien l’entendre qu’elle ne veut plus marcher davantage – rejette la faute sur les orteils réduits en charpie par les talons trop hauts, supposés être portés seulement le temps d’une course en taxi, de se déplacer du véhicule à la table d’un club. Tout, sauf rentrer chez soi à pieds. Et Haru lui rétorque qu’il n’y a rien d’étonnant, au vu de la taille de ses talons. Lui demande avec humeur quel était son but à porter pareilles chaussures, et la jeune femme relève les yeux vers lui, chouine, l’expression contrariée :

- T’es trop méchaaant ! Moi j’voulais juste être jolie pour Kai…

Et la voix faiblit un peu sur ces derniers mots, la tête se baisse, prunelles rivées sur les pieds rougis par le froid et l’inconfort. Elle voulait juste voir son regard s’illuminer, briller comme le sien lorsqu’elle le voit. Elle voulait juste le voir se lever de ce foutu canapé car il l’aurait trouvé si jolie qu’il aurait plus su se retenir de venir l’embrasser. Elle aurait juste voulu se sentir aimée par l’être aimé. Mais comme trop souvent ces derniers temps, la réalité s’est révélée bien plus décevante que les attentes. Et malgré les piques, Haru a fini par s’approcher – alors Reira referme ses doigts sur les siens, le tire comme une gamine capricieuse pour le pousser à la rejoindre sur le bitume glacé. Lui demande de ne pas la laisser tomber – et ces mots qu’elle a elle-même prononcé résonnent trop douloureusement, dans le myocarde plus que dans le cortex. Des flots de souvenirs qui remontent tout à coup, étouffant – étreignent le cœur comme si la trahison était fraîche de la veille. Cela fait pourtant huit ans, huit ans qu’il s’est détourné d’elle pour ne plus jamais la regarder – mais elle n’a jamais oublié, n’y est pas arrivée, de la même manière qu’elle n’est jamais parvenue à oublier leur amitié et tous les instants partagés.

Et même si le jeune homme s’assoit bel et bien à ses côtés, même s’il lui répond qu’il ne la laissera pas, cela ne réfrène en rien les réminiscences assassines. N’empêche pas les yeux de devenir humides dans le froid sec de ce mois de janvier. N’étouffe pas les mots qui se perdent sur ses lèvres lorsqu’elle ose libérer les palabres contenues depuis tout ce temps.

Et immédiatement il tourne la tête dans sa direction. C’est brouillon lorsqu’il lui répond par la négative, l’incompréhension tangible dans sa voix, dans ses yeux. Alors elle lui présente son petit doigt, comme lorsqu’ils étaient enfants. Comme si elle ne savait pas que les promesses juvéniles sont faites pour être rompues, que ce geste, aussi important soit-il a leurs yeux, n’a en rien préservé leur amitié. Mais elle a trop bu pour considérer ce genre de paramètres pragmatiques. Toute lucidité a déserté son cerveau lorsqu’elle lui demande de réitérer un pacte qu’ils ont l’un comme l’autre violé, et elle reste bête, un instant, sa main dressée dans l’air froid, à attendre un geste de sa part qui n’arrive pas.

Jusqu’à ce qu’il se décide à prendre la parole.
Ses mains chaudes qui se referment sur la sienne, désormais glacée.
Les palabres rassurantes,
bien qu’incompréhensibles
(qu’est-ce qu’il n’arrivait pas à supporter ?)
Mais déjà elle passe outre,
trop bourrée pour seulement s’y arrêter.

- Hein ? Quoi ? Je… Tu promets ?

Palabres libérés entre les hoquets de ses sanglots, la tête qu’elle hoche doucement en baissant les yeux vers leurs doigts enfin crochetés. Le cœur qui s’embrase face à cette vision rassurante, apaisante – comme au contact d’un souvenir familier. Confortable. Gamine satisfaite qui déjà redresse la tête, car elle sent son index glisser sur la peau de son visage, en chasser une larme ; l’entend lui assurer que s’il a connu d’autres filles depuis toutes ces années, il ne l’a pour autant jamais remplacée. Car elle est elle. Et la brune reste sourde à ses injonctions, son « fais pas ta drama queen » qui ne l’empêchera pas de se remettre à sangloter lorsqu’elle lui répond :

- Mais ça empêche pas qu’on s’est plus parlé pendant huit ans çaaa, forcément que tu m’as remplacé…

Car il ne pourrait en être autrement, c’est évident. Et même cuite comme elle est, elle ne perd pas le compte des années – car elle s’est trop souvent demandé depuis combien de temps ils avaient cessé de se parler, de seulement s’intéresser à l’autre pour se permettre de perdre le fil du temps. Huit années. Et le compteur est à jour, quelles que soient les circonstances. Même en plein cœur de la nuit ; même avec bien trop de verres dans le sang. Le jeune homme qui l’attire contre lui, et c’est bien trop facilement qu’elle le laisse faire, referme ses bras autour de son torse. Comme si ce n’était pas la première étreinte qu’ils s’offraient en huit ans. L’alcool qui noie toute esquisse de gêne, la pousse à enfouir son visage dans son épaule pour y étouffer ses derniers sanglots – et sous le parfum différent, car en huit ans Haru a changé de lessive et de produits, sans surprise, perce l’odeur familière. Réconfortante. Ses lèvres qu’elle sent se poser sur le haut de sa tête, sa main frotter son dos avant qu’il ne vienne la tirer pour la relever. Reira qui pèse comme un poids mort au bout de son bras. Reira qui relève les yeux vers lui, le fixe avec ses larmes qui s’accrochent à ses cils et son nez qui renifle dans la nuit. Reira qui n’a toujours pas envie de rentrer, aime mieux fuir ses responsabilités. S’attarder quelques instants encore sur la chaussée congelée. Mais Haru propose de la porter, alors comment refuser ? Cette perspective suffit à faire diversion, détourner suffisamment longtemps ses pensées du retour angoissant pour plutôt les rediriger vers des souvenirs partagés. Haru qu’elle revoit parfaitement, des années en arrière, s’abaisser un peu pour lui permettre de monter sur son dos – râlait trente secondes plus tard qu’elle était trop lourde avant de de nouveau la laisser glisser au sol.

- C’est vrai ? Comme avant ?

Et le sourire sincère sur ses lèvres, car cette idée réchauffe son cœur meurtri. Pourtant, il faudra attendre que le jeune homme s’abaisse à son niveau, tourne la tête vers elle pour lui demander de se dépêcher pour qu’elle se décide à se bouger. Et c’est en râlant qu’elle déplie son corps meurtri par le froid, se redresse tant bien que mal sur ses jambes instables.

- Ca va, ça va… Minute Polux…

Et elle ose soupirer, Reira, avant de se hisser sur le dos de Haru, refermer ses bras maigrichons autour de son cou. Le jeune homme qui finit par se redresser, et comme l’idiote qu’elle est – particulièrement ce soir, dans cet état –, elle s’écrie :

- Allez, hue dada !

La bouche qu’elle approche de son oreille, lui glisse – toujours trop fort pour justifier qu’elle s’approche ainsi :

- J’espère que tu réussiras à me porter un peu plus longtemps qu’à l’époque…

Reira toujours plus chiante, comme s’il n’avait pas le pouvoir de la lâcher à tout moment pour punir ses palabres moqueuses. Mais il la garde sur son dos, Haru – et les soubresauts de ses pas la vont valdinguer dans tous les sens, ce qui ne serait pas gênant si elle n’était pas déjà vaguement nauséeuse du fait de son état. Sauf qu’elle l’est, et le contenu de son estomac qu’elle sent de plus en plus prêt de remonter, la pousse à demander plus doucement :

- Haru… Tu peux marcher plus doucement s’te plaît…

Mais le brun ne l’écoute pas, les mètres continuent de s’enchaîner, et bientôt ce qui lui pendait au nez finit par arriver. La jeune femme qui s’agite sur son dos, bat des jambes, des mains pour le pousser à la reposer – juste à temps pour que la bile se déverse seulement sur ses chaussures. Quelques hoquets qui résonnent dans le silence de la nuit ; les yeux de nouveaux humides qu’elle détourne, fuit son regard à peine a-t-elle pris conscience de la situation. Affreusement embarrassée. Et c’est pourtant bien un rire nerveux – idiot – qui s’échappe lorsqu’elle lâche bien trop spontanément :

- Oups…

❝ blurred night ❞
-- ft reira

Elle voulait être jolie pour lui ce soir Reira, souhaitait lui plaire comme si elle n’était pas magnifique qu’importe le jour et le moment. Elle voulait lui plaire mais il n’a même pas profité de sa soirée avec elle. Elle voulait qu’ils passent une superbe soirée ensemble mais à sa façon de prononcer les mots t’as l’impression que ça a plutôt tourné au vinaigre. Alors tu regrettes tes mots, pince les lèvres en la voyant toute attristée que toi aussi tu te ligue contre elle et sa tenue pourtant si bien assemblée.

Mais t’es belle Reira, ne croit pas tout ce qu’on te dit merde,
Qu’on aille se faire foutre nous les mecs.

Car vous n’y comprenez rien, que t’es prêt à blâmer tous les hommes de la Terre pour redonner le sourire à ton ancienne meilleure amie. Si Kai n’a pas réussi à s’empêcher de lui gâcher sa soirée alors qu’il aille se faire voir et toi par la même occasion avec ta bonne volonté d’arranger les choses. Kai qui semble lui avoir vraiment fait de la peine ce soir, au point de la faire pleurnicher. Tu t’attends à la consoler à ce sujet, lui dire que ça finira par aller. Sauf qu’elle ne pleure pas pour Kai la brune, si elle déverse autant de larmes et semble si chagrinée c’est par ta faute et uniquement la tienne. Car tu l’as lâché y’a huit ans, tu l’as abandonné et elle ne semble pas prête à te le pardonner définitivement. Et même lorsque tu lui promets de ne plus refaire ça ; lui jure que cette fois tu feras bien les choses elle ne te croit pas Reira. Confiance bafouée il y a bien des années. Huit ans en tout et pour tout. Huit longues années que vous ne pourrez jamais rattraper. Et pourtant t’as pensé à elle, trop de fois durant toutes ces années. T’as pensé à elle durant chaque voyage, chaque étape de ta vie. Elle ne t’accompagnait pas dans tes périples mais elle était là d’une manière ou d’une autre. Que ce soit lorsque tu regardais un paysage ; lorsque tu tombais sur une boutique de vêtement dans laquelle elle aurait pu te forcer à rentrer. Dans les boites de nuit ou dans tes relations lorsque tu te demandais qu’elle avis elle aurait eu sur certaines de tes copines.

- J’dois en déduire que toi tu m’as remplacé si tu penses comme ça… Mais c’est pas grave, j’l’ai mérité j’imagine.

Son dos que tu frottes toujours pour tenter de la réconforter, un sourire que tu lui adresses aussi. Car tu ne lui en veux pas de t’avoir remplacé, si elle a trouvé quelqu’un en qui avoir confiance c’est le principal. Tu le souhaites tout le bonheur du monde à Reira même si ça peut vouloir dire t’éloigner d’elle ; que plus jamais vous ayez la relation que vous aviez il y a des années. En attendant toi, tu te comportes encore comme l’adolescent d’antan, lui propose de monter sur ton dos si marcher est si pénible avec ses talons. Quand elle te demande si c’est réel, si tu lui propose réellement ça tu te mets à hocher de la tête Haru et lui dit :

- Bah oui, aller !

Et voilà qu’elle grimpe sur ton dos la brune, laisse ses fins bras enveloppés dans de la fourrure s’accrocher à tes épaules avant de se glisser jusqu’à ton cou. Reira qui te semble légère, bien plus légère que lorsque t’étais un adolescent pas encore totalement développé physiquement. Petit garçon est devenu un jeune homme fort, assez pour porter une fille sur son dos sans trop galérer. Même si celle-ci gesticule dans tous les sens, ne semble pas prête à dessaouler d’aussitôt tu ne la lâcheras pas, pas de sitôt. Reira qui te prend pour son cheval ; vient te quémander en criant dans les oreilles si tu seras capable de la porter plus longtemps qu’à l’époque. Tu laisses tes prunelles rouler lentement en l’entendant, en sentant dans son souffle chaud l’odeur des alcools qu’elle a dû mélanger tout au long de la soirée. Et tu te ferais un malin plaisir de lui pincer le bras pour ce manque cruel de confiance, ce toupet à te parler ainsi alors que tu te montres bien plus que conciliant avec elle. Reira mériterait presque que tu la lâches, la laisse se débrouiller seul juste un instant tout juste assez pour qu’elle ne finisse par te supplier de l’aider.

- Ha-ha, on se fend la poire avec toi. Tu t’es jamais dit que le problème venait peut être de ton poids à l’adolescence hein ?

Sauf qu’elle n’a jamais été bien épaisse Reira, tu le sais. Elle le sait. Mais ce soir, sous ce ciel étoilé c’est sa parole contre la tienne. Personne ne pourra donner raison à l’un ou bien l’autre et c’est pour ses même raisons que t’arrête d’argumenter, te contente de marcher assez rapidement pour la déposer au chaud chez elle. Ses jambes que tu sens gelée à chaque fois que tes mains agrippent le bas de ses cuisses pour l’obliger à remonter sur ton dos puisque d’elle-même elle se laisse glisser, finirait presque les pieds au sol si tu la laissais faire.

Quelques minutes de marche effectuée, le souffle qui commence à se faire un peu plus court, les muscles à se bander et se congestionné. Et tu l’entends se plaindre la brune, te demander de t’arrêter sauf que vous êtes à quelques rues de chez elle et instinctivement tu te mets à croire que c’est un énième de ses stratagèmes pour ne pas rentrer.

- Aller fait pas ta chochotte, on est chez toi dans cinq minutes si tu restes tranquille.

Sauf que ça ne peut pas attendre. Tu ne mesures pas l’urgence de sa demande jusqu’à qu’elle se mette à battre des jambes Reira, se mette à taper sur ton épaule pour que tu la déposes tout de suite. Réaction que tu ne comprends pas mais tu la laisse faire, la laisser glisser pour que ses pieds retrouvent le sol sans te douter un seul instant qu’elle a la gerbe. Jusqu’à qu’elle devienne blême, arrête de bouger un instant avant de baisser la tête, se pencher pour dégueuler l’alcool ingurgité tout du long de la soirée. Des éclats jaunâtres et translucide qui éclate au sol, éclabousse jusqu’à tes pieds. Et pourtant tu ne t’arrêtes pas à ça, aussi dégueulasse soit la situation tu la contourne pour venir lui tenir ses cheveux, grimace en la voyant vomir encore et encore. Jusqu’à qu’il n’y ait plus de bruit, jusqu’à qu’elle réussisse à se redresser. L’air bien évidemment fatigué, au bout de sa vie. Vos prunelles qui glissent vers le sol, s’arrêtent sur tes pieds. Vision dégueulasse, immonde. T’as même pas de mot en fait. Sauf un aller express à la machine à laver rien ne les sauvera tes pauvres baskets, certainement pas un oups.

- T’as fait exprès… Tu m’as fait venir pour que je me fasse mal au dos ET salir mes chaussures, tu m’en veux tant que ça hein ?

Que tu dis pour l’embêter avant de te mettre à rire Haru, un fou rire qui te prend un peu comme lorsque vous vous êtes croisé à l’épicerie. Un rire incontrôlable de dépits et de nervosité qui sort d’entre tes lippes. Car t’es fatigué de ta journée ; fatigué de cette soirée aussi un peu. Pas de Reira car elle n’a rien fait mais du contexte, du fait que t’ai à gérer une énième fois les problèmes des autres. Qu’à la fin de cette journée t’auras pas forcément avancé dans ce que tu voulais faire toi. Et qu’en plus, tu te retrouveras à devoir nettoyer tes chaussures pleines de vomis en rentrant. Une sorte de bouquet final. Un rire que t’arrive à finalement contrôler, calmer avant qu’elle ne se mette à poser un millier de question. C’est l’air épuisé que tu passes une main sur ton visage et lui demande plus sérieusement :

- ça va un peu mieux sinon … ? Y’a un supermarché ouvert 7 jours sur 7 pas loin d’ici j’crois. On peut faire un détour et passer te prendre une boisson puis un cachet anti gueule de bois, ça t’aidera pour demain … J’en profiterais pour acheter des lingettes … Hein ?

Sourire forcé, juste pour la blague. Reira que tu traines en lui tirant la main déjà loin de sa propre flaque de vomis, tant pis si elle a mal aux pieds elle supportera cinq minutes de plus les talons qu’elle porte depuis des heures maintenant. Reira que t’amènes dans cette fameuse alimentation, achète les quelques trucs qui vous sont nécessaire avant d’en sortir, vous asseoir à l’arrêt de bus le plus proche. Toi en train de nettoyer tes baskets, elle à boire sa petite bouteille d’hutgaesoo. Un silence de mort qui règne entre vous, seul le bruit des quelques voitures passant à toute vitesse et les quelques jeunes sortant de boites animent la rue. Tu viens alors regarder l’heure sur ton téléphone, t’aperçois qu’il est tout de même quasi quatre heures du matin.

- Pouah … Déjà quatre heures du matin … T’imagines le temps qu’on a mis pour arriver jusqu’ici ?

Trop de temps, bien trop de temps pour un chemin pourtant si court. T’aurais mieux fait d’appeler un taxi finalement, partir à pied n’était pas la meilleure des solutions. Mais en même temps, t’es aussi content que vous ayez passé du temps ensemble. Alors gentiment tu viens lui tapoter le dessus de la tête à la brune, ne lui donne aucune explication par rapport à ton geste tandis qu’un long soupire s’échappes d’entre tes lèvres, que ton dos vient s’appuyer contre la paroi en verre de l’abris.

- Tu veux toujours pas me dire ce qu’il s’est passé ce soir …hm ?

Regard en coin que tu lui jettes, ta curiosité qui te pousse à lui demander une nouvelle fois ce qui l’a poussé à se mettre dans cet état ce soir.

Ne sait-on jamais, que tu ne fasses pas le mauvais choix en la ramenant chez elle, la forçant à se jeter dans la gueule du loup sans le savoir.

❝ blurred night ❞
-- ft. haru

Retour de bâton inévitable – car on ne peut se rire d’autrui sans recevoir la pareille, qu’Haru n’est clairement pas le genre de personne à laisser une telle chose se faire. La langue trop bien pendue ; une tendance à emmerder son monde et à adorer cela. Au moins une chose qui n’aura pas changé chez le brun, malgré le passage du temps, malgré ces huit années perdues. Et ça la rassure, d’une certaine manière. Lui confère cette impression familière, ce réconfort chaleureux dont elle a besoin, plus que jamais en cette nuit noire. Alors pour une fois, au lieu de protester, au lieu de laisser à une moue le loisir de se former et de venir chouiner auprès de son ancien meilleur ami, elle se contente de sourire un peu trop fort lorsqu’il sous-entend qu’elle pesait trois tonnes lorsqu’ils étaient plus jeunes. Sa prise qui se resserre un peu sur ses épaules pour l’étreindre tant bien que mal ; les mots qu’elle vient glisser au creux de son oreille.

- T’as vraiment pas changé heeein, toujours aussi chiant… Ca me fait trop plaisir de voir ça, j’ai l’impression de retrouver mon meilleur ami.

Comme si toutes ces années n’avaient jamais passé. Que l’on s’était quitté hier. Honnêteté trop grande conférée par l’alcool – les mots s’évadent de ses lippes avec un naturel presque effrayant. Et déjà, elle repose sa petite tête au creux de son épaule. Prise si maigre sur son corps qu’il est régulièrement obligé de la faire remonter sur son dos, la chaleur de ses doigts qui vient réchauffer ses cuisses gelées à chaque fois – alors elle ne cherche même plus à s’agripper spécialement à ses épaules, à son dos. Sauf qu’à mesure que les mètres filent, l’estomac de la brune s’agite – suffisamment pour la pousser à lui demander de ralentir un peu le rythme, peut-être même carrément s’arrêter. Car elle a un mauvais pressentiment, ne connaît que trop bien la sensation qui commence à monter.

Malheureusement pour elle – pour lui –, il ne l’écoute pas une seule seconde et lui demande juste de rester tranquille – mission à laquelle elle échoue lamentablement, puisque quelques instants plus tard elle s’agite sur son dos, convaincue que c’est désormais le seul moyen pour elle qu’il se décide à la libérer. Et heureusement qu’il finit par la lâcher, car à peine au sol la bile éclabousse leurs chaussures, le corps convulse sous les hoquets douloureux. Mais il valait mieux que cela arrive là que directement sur lui, n’est-ce pas ? Bien maigre consolation pour la jeune femme qui se sent soudain si mal, et sans surprise Haru s’écarte, et contre toute attente c’est pour venir tenir ses cheveux en arrière, sauver le peu de meubles qu’il reste avant qu’elle ne devienne un total déchet. Une tâche qu’il honorera en bon ami jusqu’à qu’elle n’ai plus rien à recracher, qu’elle finisse par pouvoir redresser la tête, la respiration sifflante et les yeux humides. Ce goût infâme au fond de la gorge.

Redresser la tête, pour mieux fuir son regard – les prunelles qui s’attardent partout sauf sur son visage. Honteuse. Elle aimerait disparaître sous terre, Reira, mais la nervosité est telle que seul un petit éclat de rire lui échappe, un « oups » bien dérisoire qui ne risque pas d’arranger grand-chose à la situation. Et lorsque Haru la soupçonne ouvertement d’avoir voulu se venger, ne l’avoir fait venir cette nuit que pour lui nuire, elle relève les yeux vers lui, une pointe d’appréhension qui étouffe soudain le cœur. Le sourire s’efface. Car maintenant qu’elle y pense, Kai n’aurait pas supporté de la voir vomir ainsi sur ses chaussures. La colère aurait gagné son regard, et les ricanements de Reira n’auraient certainement rien arrangé. Alors elle va faire quoi, si Haru est si bien énervé ? Et vite, bien vite les mots se précipitent dans sa bouche – des mots bien plus justes que les précédents dans pareille situation :

- J’suis désolée Haru, j’ai vraiment pas fait exprès, j’imagine bien que je dois t’embêter à t’avoir fait venir et après t’as dû me porter et maintenant ça… Alors que c’est de ma faute, j’me suis mise dans cette situation toute seule j’suis désolée que ça te retombe dessus…

Mais l’éclat de rire – non, le fou rire – qu’il laisse échapper la pousse à s’interrompre ; le dévisager sans comprendre. Car qu’est-ce qui lui prend, tout d’un coup ? Que peut-il bien y avoir d’hilarant dans toute cette situation ? La logique échappe à son cerveau qui, bien que vaguement dégagé, demeure sérieusement embrumé, et les yeux qu’elle cligne sous le coup de la fatigue, finit par laisser échapper un petit :

- Quoi… ?

Le sentiment que chaque fois qu’ils se croisent il se met à rire pour une raison qui lui échappe, jeune homme sombrement incompréhensible – et sans doute que si elle avait les idées un brin plus claires, elle se dirait qu’elle aimerait drôlement avoir accès aux méandres de son cerveau, pour peut-être enfin percer le mystère Seomun Haru. L’air aussi fatigué qu’elle lorsqu’il lui demande si ça va mieux, lui propose un détour par le supermarché pour acheter de quoi les remettre sur pied. Et la brunette se contente de doucement hocher la tête, les lèvres pincées sous le poids d’un embarras toujours aussi cuisant.

- Oui… On a qu’à faire ça.

Et elle ne répond pas vraiment à sa question, Reira. Ne lui dira pas qu’elle aimerait que le sol l’aspire, actuellement. Qu’elle s’en veut terriblement d’avoir gâché sa soirée – comme si cela ne suffisait pas qu’elle ai ruiné celle de son petit ami. Qu’elle a toujours aussi peur de passer le pas de sa porte, que ce goût infect dans sa bouche la répugne et que présentement elle aimerait juste se mettre en boule dans son lit et dormir pour les trois mois à venir. En espérant qu’à son réveil, tout aille un peu mieux. Mais il en a déjà fait bien trop pour elle ce soir, Haru, et est prêt à en faire encore davantage – alors c’est plus simple pour tout le monde qu’elle se contente d’un hochement de tête pour toute réponse.

Sa proposition qu’elle accepte seulement car cela lui permettra à lui d’acheter de quoi se nettoyer – et aussi, égoïstement, car cela ne fait que retarder un peu plus encore son retour à la maison. C’était peut-être un mal pour un bien, finalement, qu’elle soit soudain malade comme un chien. Et sa main refermée sur la sienne, elle le laisse l’entraîner Dieu sait où – ses pieds lui font toujours mal, mais elle ne s’en plaindra pas pour une fois. Se contente de le suivre, d’abord dans les rues puis dans les rayons du magasin, silencieuse comme elle ne l’a jamais été ce soir – soudain bien calme, la faute à la fatigue assommante, à l’alcool qui aura été en partie évacuée qu’elle le veuille ou non. Les deux jeunes gens qui finissent leur course sur le banc de l’arrêt de bus le plus proche, elle a les yeux rivés droit devant elle lorsqu’elle vide silencieusement sa bouteille d’hutgaesoo. L’air absente. Là aussi, à prendre son temps – malgré le goût désagréable du breuvage. Et la voix de Haru finit par s’élever dans le silence nocturne, il lui apprend qu’il est déjà quatre heures – et elle se demande si Kai veille encore.

- J’suis désolée de te faire rester debout si tard…

Et un pauvre sourire se perd sur ses lèvres – fatigué. Loin de se douter que le jeune homme est coutumier des nuits blanches, des aubes accueillies dans l’odeur prenante des bombes de peinture. Et doucement, sa main s’abat sur sa tête ; la pousse à relever les yeux vers lui, lâcher un petit « mh ? ». Soupir de sa part, et il lui demande ce qu’il s’est passé ce soir – il n’en faudra pas plus pour que déjà son regard se détourne de nouveau, elle n’est plus dans un état susceptible de la pousser à lui cracher toute la vérité. Ne l’embêtera pas avec ses histoires ; continuera de taire les dysfonctionnements flagrants, prétendre que tout va bien lorsque tout va mal. Habitude si bien adoptée depuis des années qu’elle n’a qu’à moitié conscience d’agir ainsi – se ment à elle-même, à moitié.

- Rien d’important. On s’en relèvera, comme toujours.

Et la tête qu’elle tourne vers lui, un sourire qu’elle fronce sur ses lèvres, les yeux qui se plissent un peu. Crois-moi Haru, par pitié. Pose pas trop de questions. Je voudrais pas que tu saches combien c’est l’enfer quand je rentre chez moi. Et à son tour elle vient s’appuyer contre le plexiglas de l’arrêt de bus ; un soupir lui échappe avant de laisser ce même sourire vide de sincérité reprendre ses quartiers.

- J’te cache pas que j’ai toujours pas envie de rentrer chez moi… Mais bon, faudra bien que je le fasse un jour toute façon, hein ?

Et une petite moue se forme, une inspiration qu’elle prend pour chasser les pensées parasites qui envahissent son cerveau. Comme un de ces essaims de mouches bruyants, infâmes – qui étouffent tout ce sur quoi ils se posent. Et sa tête qu’elle laisse retomber sur l’épaule du brun ; le regard rivé sur la route et ses fêtards éparses, les paupières qui finissent par se fermer. Mais sa voix résonne dans la nuit, doucement.

- Haru ? T’as été heureux, ces dernières années ?

Depuis qu’on s’est plus parlé.
Rassure-moi, dis-moi que ça a été.
Que toutes ces questions que j’me posais à l’époque,
C’était pas la peine.
Que j’m’inquiétais pour toi pour rien.

❝ blurred night ❞
-- ft reira

La tête que tu bouges nonchalamment, essuie les petites larmes qui perle aux coins de tes yeux après ce fou rire nerveux. Reira qui te regarde comme si t’étais un demeuré, un fou allié en te demandant pourquoi tu rigoles comme ça si soudainement. Un « rien, rien, ne t’inquiète pas » qui sort d’entre tes lèvres, tente de la rassurer pour qu’elle ne se fasse pas mille et un film dans sa tête. Car ce n’est pas elle le problème, c’est toi. Toi et ce besoin viscéral de toujours courir secourir Pierre, Paul et Jacques. Elle ne t’avait rien demandé Reira, ne t’a certainement pas demandé de passer la récupérer ou quoi que ce soit, alors si tu te retrouves avec du vomi sur les pieds c’est de ta faute Haru. Tu ne peux pas la blâmer pour ça. Et puisqu’il faut faire avec les aléas, tu lui proposes d’aller dans la plus proche épicerie ouverte à cette heure-ci. Jolie poupée qui ne semble pas contre cette idée, opine simplement de la tête pour l’approuver. Ainsi au bout de la nuit, tu l’entraines dans les ruelles de Gwagan, l’amène dans cette toute petite épicerie libre-service. Reira que tu tires d’un rayon à l’autre, lui demande de ne pas toucher à tout. Ce n’est qu’une fois sortie de l’échoppe, vos achats en main que le calme vous rattrape.

Pas un mot n’est échangé jusqu’à que vous preniez place sous cet abri bus, elle buvant sa boisson anti-gueule de bois et toi, essuyant tes baskets souillées. La fatigue qui semble vous être tombés dessus d’un seul coup, assomme assez vos esprits pour que vous soyez soudainement si silencieux. Mais toi Haru, t’aimes pas le silence, t’aimes pas voir Reira comme ça. T’as l’impression qu’elle a le cœur lourd et bêtement comme un gamin en manque d’attention tu lui annonce l’heure qu’il est, vient tapoter sa tête juste après. Car t’arrives pas à t’en empêcher, t’as besoin d’être tactile quand elle est si près de toi. Jolie Reira qui s’excuse de te faire trainer la nuit, semble dépiter en se forçant à boire par petite gorgée son breuvage magique. T’as l’impression qu’elle porte le poids du monde sur ses épaules la brune alors tu tournes la tête vers elle et laisse tes prunelles s’attarder sur son joli profil, son nez légèrement en trompette dans lequel t’as trop souvent mis des pichenettes pour la faire chier quand vous étiez encore que des gamins.

- T’excuse pas, tu m’as pas forcé à venir hein. Mais continue à boire ça, j’sais c’est dégueu mais t’iras mieux demain matin que si tu ne le bois pas, croit moi.

Parole d’un habitué des lendemains de soirée compliqué, tu souffres trop souvent des maux de tête et de l’envie de dégueuler pour ne pas connaitre les astuces qui limite les dégâts des lendemains de fête. Alors t’en fait profiter ton ancienne meilleure amie, espère pour elle que demain ne sera pas l’une de ces journées durant laquelle elle sera obligé de rester dans le noir complet à se promettre que plus jamais elle ne boira autant. Le genre de promesse qui ne tienne jamais dans la durée, car faire la fête c’est votre dada autant à l’un qu’à l’autre apparemment.

Mais en la voyant triste comme les pierres Reira, tu te demandes si ce soir faire la fête n’était pas plutôt une échappatoire pour quitter sa tour d’ivoire, souffler un coup après que la tempête se soit abattue chez elle le temps de quelques heures. Et à nouveau, tu lui demandes quelques explications, essaie d’en savoir plus sur ses problèmes. Pendant un bête instant tu crois à la possibilité qu’elle va finir par se livrer à toi, que comme avant elle va cracher le morceau Reira et te dire ce qui ne va pas. Mais non, rien ne sort. Juste une phrase banale, te demandant de ne pas trop t’inquiéter pour elle que ça finira par aller. Ouch. Réalité meurtrière, ce genre de vérité non dite qui te fait rentrer dans la tête que vous ne serez plus jamais comme avant. Ça t’en fait baisser les yeux sur tes chaussures dorénavant humides, te fait plonger les mains dans les poches de ton jogging plutôt que la regarder elle quand tu lui dis :

- Ouais j’vois… Mais si t’as du mal à te relever toute seule sache que j’suis là Reira, je sais que t’as pas besoin de moi que tu t’es très bien débrouillé tout le long sans moi mais si t’as besoin, que t’as un coup de mou tu peux venir me voir… Enfin, si t’en a envie quoi. J’te forcerais pas à me calculer si t’en a pas envie… Mais dans un acte de désespoir comme ce soir, n’hésite pas. Même si t’es pas bourrée.

Car au final, tu ne sais pas vers où vous allez tous les deux. Ce n’est que la deuxième fois que vous vous revoyez après tant d’années. Peut-être qu’elle n’a pas envie que tu reviennes pleinement dans sa vie ; peut-être qu’elle n’a plus du tout besoin de toi Reira, même. T’en sais rien de ses envies, de ce qu’elle souhaite ou non. Mais tu sais que toi, t’aimerais bien qu’elle soit présente dans la tienne de vie, Reira. T’aimerais bien la revoir de temps en temps, parler du bon vieux temps comme partager de nouveau moment avec elle. Car elle te plait sa présence, t’as toujours réconforté – presque apaisé.

Elle n’a rien à envier au système solaire la poupée, t’as toujours eu besoin de tourner autour d’elle pour te sentir vivre, exister.

Et comme si tes paroles lui avaient parlé, elle t’avoue qu’elle n’a sincèrement pas envie de rentrer la brune mais qu’elle sera bien obligée de le faire à un moment ou un autre. Qu’elle le veuille ou non. Et tu pourrais lui dire qu’elle a le choix, qu’on a toujours le choix dans la vie. Mais est-ce que ça ferait de toi un bon ami ? T’es pas certain. Alors t’hausses les épaules, pas certain de pouvoir lui donner une réelle réponse.

- Bah ça dépend de tout Reira … Si t’es pas heureuse non, t’es pas obligé d’y retourner, si c’est juste une petite dispute à la con il faut que t’y retournes ouais pour arranger les choses, ouais.

Mais tu sais qu’elle y retournera Reira, elle peut te dire autant de fois qu’elle veut qu’elle n’en n’a pas envie, qu’elle déteste Kai tu sais qu’elle l’aime réellement et surement plus que tout au fond. Assez pour que leur relation tienne à la dure épreuve qu’est le service militaire ; résiste au passage des années. Il lui faut juste du temps, un peu de courage pour passer au-dessus de la dispute de ce soir. En attendant, tu la laisse poser sa tête sur ton épaule, la laisse t’utiliser comme coussin vivant. Et comme elle, tu te mets à regarder l’immeuble d’en face, commence à bailler inévitablement. Car la journée fut longue, que tu l’as pas encore ramené et qu’il va falloir que tu te tape le chemin en sens inverse pour rentrer. Tes pensées qui vont tout droit vers ton lit qui commence à te manquer lorsque la voix de la brune à tes cotés se fait entendre, brise à son tour le silence qui commençait à doucement s’installer. Reira qui te demande si t’as été heureux ces dernières années et tu prends une grande inspiration, gonfle tes joues quelques secondes comme si de bloquer ta respiration allait te donner la réponse parfaite.

Sauf qu’il n’y a pas de réponse parfaite, idéale.
Y’a eu des moments sans et des moments avec.
Des moments où tes proches te manquaient et d’autres ou t’étais heureux d’être loin d’eux.

- Franchement ? Assez ouais, je pense qu’il y eu des moments plus difficiles que d’autres ou je pensais vraiment revenir à Busan pour reprendre ma vie d’avant mais finalement j’ai bien fait de pas revenir avant … J’aurais regretté d’être revenu trop tôt, là au moins j’sais que j’ai fait le maximum que je pouvais et j’ai rien à regretter… Après, tu sais t’as beau être à l’autre bout du monde y’a toujours un hic hein… Les habitudes qu’on a du mal à perdre, des gens qui commencent à un peu trop te manquer …

Et tu penses à elle quand tu dis ça, elle qui t’a toujours un peu manqué d’un endroit à un autre ; d’année en année. Un manque incomblable, différent de celui qu’est d’avoir le manque de la famille car eux, tu savais que t’allais finir par les revoir. Mais elle, t’aurais pas parié sur ça, t’aurais jamais cru qu’elle resterait à Busan, qu’elle ferait sa vie ici à l’âge adulte. Car elle avait des rêves Reira, des rêves géants, trop grand pour une petite ville comme celle-ci.

- Et toi alors t’as été heureuse … ?

Que t’oses lui demander, ta tête se penchant un peu pour mieux remarquer qu’elle a les yeux fermés qu’elle est prête à s’endormir à tout moment dans le froid, sous cet abri de bonne fortune qu’il va falloir que vous quittiez à un moment ou un autre. Alors doucement tu t’extirpes du banc, te place devant elle les bras croisés sur ton torse et lui dit :

- Aller ma vieille, on se lève. Tu crois pas qu’on va dormir là hein ? J’ai une supérette à ouvrir demain matin et toi aussi non ? tu dois travailler ? Non ? J’men fiche aller !

Reira que t’oblige à se lever, que t’attrapes et soulève la seconde d’après pour venir la poser contre ton épaule comme si elle était un sac de riz. Et tu ricanes, te met à courir tout en faisant attention à ce que sa robe ne se soulève pas sur le trajet. Une trentaine de mètre avant que tu ne la reposes au sol, essoufflé et mort de rire.

Comme si rien n’avait changé, comme si vous n’aviez jamais grandis.

❝ blurred night ❞
-- ft. haru

Palabres inattendues qui la poussent à relever le nez, le regarder ne pas la regarder lorsqu’il lui assure qu’elle peut s’appuyer sur lui si le besoin s’en fait ressentir. Qu’il est là, maintenant. De retour. Et l’ombre d’un sourire – un peu triste – se dessine sur ses lippes lorsqu’elle l’entend prétendre qu’elle a parfaitement su se débrouiller sans lui. Car s’il savait, Haru… S’il savait que si elle s’est habituée à son absence, c’est seulement parce qu’elle n’avait pas d'autre choix. Que c’était ça ou rester malheureuse à jamais. Qu’elle en a perdu appétit et sommeil, les premiers temps ; qu’encore huit ans après, elle continuait de se demander ce qu’il devenait. A tenter d’imaginer la vie qu’il pouvait bien mener, si loin d’elle. A espérer qu’il soit heureux. Quoi qu’il fasse. Alors oui, elle s’est débrouillée ; de là à dire très bien, peut-être pas. Et forcément qu’elle a envie de le revoir, Reira. Sans doute une part d’elle-même qui aimerait – espère –, dans le fond, voir renaître leur amitié. Comme si rien n’avait changé, en dépit de la crainte de le voir partir de nouveau. De souffrir de nouveau. Comme ces confiseries interdites auxquelles on goûte encore et encore, tout en sachant qu’elles nous feront seulement mal au ventre à la fin de la journée. Et les yeux s’embuent d’entendre ces mots – poupée plus émotive que de coutume en cette nuit de janvier. Sincèrement touchée par son honnêteté, rassurée d’entendre qu’il est encore là en dépit de tout ce qui s’est passé.

- Merci Haru… Tout pareil hein… J’suis là si t’as besoin.

Comme avant. En dépit de tout ce qui s’est passé. Je l’ai toujours été, d’ailleurs, tu sais ? Si tu m’avais appelé, ce jour où t’as dû être si triste d’apprendre pour ton père, je t’aurais jamais raccroché au nez. Ce jour comme tous les autres jours où ça allait pas trop, j’aurais décroché. Parce que jamais je pourrais te tourner le dos, Haru. Et si ces mots se perdent avant de trouver sa bouche, elle s’efforce de lui transmettre le message comme elle peut. Se penche un peu pour le prendre dans ses bras – tordue sur ce banc trop froid. Mais même dans cet état, épuisée, les idées floues et de vieux relents de bile en guise de parfum d’ambiance, elle garde sa fierté – ce qui la poussera à ajouter :

- Par contre j’étais pas désespérée ce soir, invente pas !

Et déjà elle se détache de lui, avoue plutôt avoir tout sauf envie de rentrer chez elle – mais il en va de son devoir, elle ne peut tout simplement pas déserter ainsi, juste parce qu’elle redoute d’affronter ses prunelles trop froides. Ce serait trop facile. Comme dit Haru, si ce n’est qu’une petite dispute, il lui faut bel et bien rentrer – sauf que ce n’est pas qu’une petite dispute, qu’elle n’a rien de sporadique et encore moins de légitime, et dans le fond elle le sait. Ses premiers mots qui la font un peu trop cogiter à son goût – si t’es pas heureuse, t’es pas obligée d’y retourner –, et pourtant elle les balaie du revers de la main. Car malgré tous les problèmes dans lesquels ne cesse de l’embourber le fait d’y retourner, cela sera toujours plus simple que de le quitter. Car les ruptures ne se font jamais dans le calme et la compréhension ; qu’il finit toujours par de nouveau la happer, qu’elle le veuille ou non. Alors à quoi bon ?

- Pff, j’sais pas…

Sauf qu’elle sait très bien, dans le fond. Sait parfaitement ce qu’elle doit faire, et ce qu’elle fera au final – et tant pis si les deux ne concordent pas. Mais cette réponse floue a au moins le mérite de clore la conversation, et la tête qu’elle laisse doucement retomber sur son épaule, laisse ses yeux se fermer, bien trop naturellement, bien trop familièrement. Une confiance finalement inébranlée qu’elle lui voue, malgré le passage des années. Mais si elle n’est pas si heureuse que ça, elle espère que lui au moins le sera. L’a été. Que cette presque décennie qu’elle a manqué n’aura pas été trop douloureuse pour celui qui fut si longtemps son meilleur ami. Et apparemment, ça a été pour lui. Tout ne semble pas avoir été rose, comme pour tout un chacun, mais le positif semble renverser la balance, alors ça suffit à la rassurer – même si elle aurait préféré entendre qu’il a été pleinement heureux, mais sans doute cela est-il un peu trop utopiste pour cette réalité.

- Même au bout de tooout ce temps t’arrivais toujours pas à perdre tes habitudes ? Mais oui, je suppose que ta famille et tes amis ont dû te manquer. Ça doit être assez inévitable.

Et pas un instant elle ne saisit qu’il peut penser à elle, lorsqu’il mentionne ces gens qui lui ont manqué. Idée bien trop saugrenue pour seulement germer dans son esprit, vu la façon dont les choses se sont terminées – tout le temps qui s’est écoulé. Et bêtement, elle n’avait pas pensé au fait qu’il puisse lui retourner sa question. Sa question qui remet beaucoup de choses en perspective. La pousse à se poser un instant pour y réfléchir. Durant ses années de lycée, elle se rêvait une vie parfaite. Une marque de vêtements qui marcherait dans le monde entier. Un beau petit ami, son meilleur ami à ses côtés. Mais la réalité l’avait rattrapée. Il y avait eu l’école d’ingénieur, pendant un an. Le meilleur ami perdu. Le petit ami parfait qui avait révélé bien trop de failles pour seulement les soupçonner sous le masque doré. Sa marque n’avait pas si bien marché – même pas assez pour seulement la faire connaître dans son propre pays. Peut-être pas assez douée. Peut-être juste un mauvais timing ; qui sait ? Et ses parents à qui elle ne parle même plus. Mais c’est un peu déprimant dit comme ça, puis c’est pas comme si elle était malheureuse comme les pierres, Reira. Elle en a, des moments de joie, et des tas ; lorsqu’elle peut sortir se vider la tête dans les nuits de Busan ; lorsque Kai se montre tendre et attentionné, laisse entrapercevoir les vestiges des premières années effacées ; lorsqu’elle reçoit une notification comme quoi quelqu’un souhaite acheter l’une de ses créations. Elle n’est pas malheureuse, Reira. Seulement pas très épanouie.

- Un peu comme toi, y a eu des hauts et des bas…, et la voix semble alourdie par un sommeil tangible. Tout s’est pas passé exactement comme prévu, mais je peux pas dire que je sois malheureuse de ces dernières années non plus.

Et elle rouvre les yeux, brusquement, en sentant le buste sur lequel elle s’appuyait se décaler. Une main qu’elle doit poser sur le banc pour ne pas tomber lamentablement, le jeune homme qu’elle fixe d’un air contrarié. Se demandant ce qui lui prend à se relever comme ça sans prévenir – qui l’a autorisé ? Mais il paraît – outre le fait qu’elle serait vieille – qu’il est temps pour eux d’y aller, car demain Haru doit ouvrir la supérette. Pour autant, Reira ne travaille pas, elle, et égoïstement elle secoue vivement la tête, croise les bras sur sa poitrine lorsqu’elle proteste :

- Non… Allez, on peut pas rester encore un peu… ? S’teuplaaaît…

Mais Haru ne veut rien savoir, jeune homme impitoyable qui se précipite vers elle, la charge sur son épaule sans grand ménagement – provoque, immanquablement, un cri perçant qui résonne dans le silence de la nuit.

- Aaah mais tu fais quoi ? Repose-moi sale fou !

Et elle s’agite, Reira, ses talons qui tapent contre son torse, ne l’empêchent pas de courir encore et encore.

- Repose-moi tout de suite Seomun Haru si tu veux pas que j’te vomisse dessus pour de bon cette fois ! J’viens de boire un truc dégueulasse je te rappelle !

Et il aura fallu ces mots pour qu’il se décide à s’arrêter, la reposer. Hilare, et Reira qui pendant ce temps vacille sur ses hauts talons, une main sur son cœur pour tenter d’en apaiser les battements, chasser la nausée qui revenait déjà. Quelques instants durant lesquels elle reste comme ça avant que, se sentant un peu mieux, elle donne un petit con dans l’épaule du brun toujours plié en deux.

- Et toi ça te fait rire, hein… Tu voulais à ce point te venger de t’avoir fait venir… ?

Comme lui un peu plus tôt, elle le soupçonne d’avoir souhaité lui faire payer quelque chose – mais un sourire la trahit, car aussi désagréable fut cette course, elle aura eu le mérite de lui rappeler leurs années adolescentes, lorsqu’ils n’étaient encore qu’insouciance, pouvaient se permettre de courir les rues et enchaîner les conneries sans même se soucier des conséquences. Et ils sont près, si près de chez elle qu’en quelques minutes ils sont déjà au pied de l’immeuble. Des rais de lumière qu’elle croit distinguer à travers les interstices des volets de l’appartement – la poussent à déglutir, s’attarder un peu plus longtemps encore en bas.

- T’es sûûûr que tu veux pas que je te raccompagne chez toi ? C’est pas très prudent de laisser un beau jeune homme comme toi se promener seul dans les rues la nuit…

Et elle lui fait les gros yeux, Reira, inverse volontairement les rôles. Du temps qu’elle s’efforce de gagner tant bien que mal, la résignation qui finit pourtant par la gagner – car elle l’a suffisamment embêté pour ce soir, ce pauvre Haru. Alors un sourire trop grand se dessine sur ses lèvres lorsqu’elle se décide à ajouter :

- Merci Haru. Pour tout. Et encore désolée pour le vomi.

Une petite grimace, et son rire se perd dans la nuit. Et poussée par un naturel que les relents d’alcool auront laissé dans son sang, elle s’approche un peu plus, le prend dans ses bras. Le brun qu’elle serre fort contre elle, un peu trop longtemps – le roc auquel elle se raccroche un dernier instant avant de remonter affronter la tempête. Finit par s’en détacher, un dernier sourire lorsqu’elle ponctue :

- Rentre bien. Fais. Attention. A. Toi.

Et le bout de son nez qu’elle tapote avec son index sur chacun de ces mots avant d’enfin s’éloigner, taper le code d’entrée de l’immeuble. Et comme lorsqu’ils étaient enfants et qu’ils devaient se quitter, elle se retourne pour lui faire un dernier coucou derrière la porte vitrée – avant de se détourner. Se diriger vers l’ascenseur – retourner affronter ses démons.