Tu sais pas pourquoi t’as fait ça. Elle a beau te crier, te regarder les yeux pleins d’incompréhension la maitresse tu n’arrives pas à lui expliquer pourquoi t’as coupé cette mèche de cheveux à ta camarade. Pourquoi tu la tiens encore entre tes doigts, les bras cachés derrière dans ton dos. T’as l’impression que ça t’attirait, que y’a que comme ça que toi, Seomun Haru, tu pourrais l’approcher cette fille-là. Puis tu savais que ça ferait rire les copains, alors t’as pas hésité longtemps et maintenant te voilà dans de beaux draps. Et t’hoches de la tête, faussant un air sage pour calmer les tensions palpables, essaie de ne pas fixer derrière la maitresse qui te gronde les autres élèves qui rient encore de ta dernière bêtise en date tandis que les petites filles consolent la gamine qui s’est retrouvée contre son gré martyre de tes actes. Y’a le doigt de votre professeur qu’est pointé sous le bout de ton nez, doigt sur lequel tu te concentre et la menace qui finalement fini par tomber : elle appellera ta maman pour lui expliquer ce que tu viens de faire. Que c’est intolérable comme comportement à neuf ans.

Tu braques alors tes grands yeux noirs vers la maitresse, fait non de la tête. Par pitié pas ça. Elle n’a pas le temps maman. Y’a trop à faire, elle travaille, s’occupe déjà de toi, ta sœur et votre petit frère qui vient de naitre. Elle ne peut pas venir s’occuper de tes affaires alors tu fonds en excuse, fait la courbette plusieurs fois d’affilés devant ton professeur en lui jurant que plus jamais tu referas pareille bêtise. Et elle soupire, te donne des devoirs en plus pour demain en guise de punition en ajoutant pour terminer son sermon qu’au moindre écart de ta part, c’est tes deux parents qui seront convoqués pour parler de ces drôles de comportements que t’as parfois. T’hoches alors de la tête, capitule en promettant – sans même y croire une seule seconde toi-même, que tu ne réitèreras pas – pas cette bêtise-là, en tout cas – et voilà qu’elle te libère, te laisse reprendre place en classe après avoir présenté à haute voix des plates excuses à ta camarade qui pleure d’avoir une mèche bien plus courte que les autres à l’arrière de la tête. Et comme pour te faire pardonner tu viens poser la mèche sur son petit bureau. Lui rend ce qui lui appartient, tu fais la moue et chuchote derrière elle, à peine la maitresse a le dos tourné :

- T’es qu’une balance, puis ça ne se voyait même pas. A cause de toi j’ai encore plus de devoir demain… T’es pas gentille.

Un soupire qui s’échappe d’entre les lèvres, la jambe qui tressaute le reste de l’après-midi que tu passes bien trop sagement – à contre cœur pour ne pas empirer ton cas, assis en classe. T’es fâché Haru, contre la maitresse, contre toi-même, contre cette pauvre gamine qui pleurniche encore malgré tes excuses. Contre maman et papa qui font des enfants à la chaine, t’empêche d’avoir l’attention que tu mérites.

C’est pas que t’es bête Haru, pas plus qu’un autre du moins.
T’as juste besoin d’attention, alors tu grappilles par ci, par là.

Et trop souvent tu ne réfléchis pas avant d’agir, ça fini toujours en bêtise.
Puis cette petite tu l’aimes bien,

juste tu ne sais pas comment t’y prendre t'es encore qu'un gamin.
T’as pas de tact, et toute ta vie - malheureusement - ça te suivra.  

reminisce II : réalité augmentée.

Une grille escaladée, des rires graves étouffé tandis que la nuit est depuis bien longtemps tombé sur Busan. Tu cours dans les rues de ta ville Haru, cours avec deux amis à toi jusqu’à l’immeuble que t’as repéré un peu plus tôt dans la journée. Immeuble tout récent, construction à peine terminé le mois précédent. Première qualité ? il a des murs immenses, d’un blanc presque trop parfait, trop éclatant. Et dès que tu l’as repéré, ça t’a frappé que c’était l’endroit idéale pour laisser votre trace, même si ce n’est qu’un jour, que le lendemain une société aura repeint les murs comme si il n’y avait jamais eu d’incident. C’est comme ça que t’en es venu à proposer aux gars de te rejoindre devant chez toi, de partir ensemble en inventant une excuse bidon à vos parents pour vous enfuir le temps d’une nuit, vos sacs à dos remplis de bombe coloré pour donner vie à cette surface trop lisse.

Des heures passé à grapher, éclairer à la lueur de vos smartphones et d’une grosse lampe torche que t’as volé à ton père la nuit d’avant. Chacun concentré sur ses propres gestes, sur le dessin en train de prendre forme sous vos yeux. Le calme avant la tempête, jusqu’à que des bruits de sirènes se fassent entendre, le volume montant crescendo au fil des secondes. Puis il y a les lueurs des gyrophares.

- Faut qu’on dégage !

Pas le temps de récupérer les bombes posées les unes à côtés des autres à même le sol, vous avez tout juste le temps de récupérer vos sacs à dos, mettre vos capuches sur le dessus de votre tête avant de partir en courant dans les rues sombres d’un busan uniquement éclairé par la lune. Le chemin ainsi fait à l’envers, les obstacles sautés comme si t’étais sur un circuit de relais. Cette même grille que t’as escaladée pour y venir que t’enjambes de nouveau à l’exception près que cette fois, tu t’ouvres la paume sur un bout de grillage mal égalisé. Et tu grimaces, te mord la lèvre au sang en sentant les picotements dans le creux de ta main, le sang perler vers le bout de tes doigts.

T’as mal, à en chialer mais tu continues de courir,
Cours comme un dératé car derrière t’entends des voix

Ça hurle, ça te demande de t’arrêter.
Mais ils peuvent crever, jamais tu ne les laisseras t’attraper.

Ce soir, en arrivant au point de repère que vous vous êtes fixés en cas de problème tu ne mesures pas la gravité des choses. N’arrive pas à croire que t’as failli te faire choper, surement faire de la garde à vue. T’as la paume de la main entaillée en plus, des points de suture que tu vas d’urgence aller te faire à l’hôpital en mentant à tes parents, leur disant que t’as voulu rattraper un verre qui allait finir au sol mais que t’as mal réceptionné, mal calculé ton coup.

Ce soir, t’as vécu une nuit euphorique, effrayante mais t’aimes ça.
Tu veux déjà de nouveau le vivre, encore et encore.

reminisce III : voyage léger reviens lourdement chargés.

Ce n’était pas prévu, personne ne s’y était attendu. Et pourtant c’est plus que réel, ta mère a beau pleurnicher tout le long du chemin jusqu’à l’aéroport ça ne te fait pas changer d’avis. T’as besoin de changer d’air, besoin de voir autre chose que ce que tu connais ici dans ta ville natale. Ce soir tu t’en vas, un gros sac dont la bandoulière vient strier ton torse et une grande valise dans laquelle t’as réussi à mettre un maximum de fringue, valise dans laquelle Sanae a glissé une lettre dans laquelle elle t’insulte de partir, te dit aussi ô combien tu vas lui manquer et qu’elle a déjà hâte de recevoir des cartes postales et des vidéos des endroits que tu vas visiter prochainement.

Les pensées qui se font multiples, dérives d’un visage à l’autre tandis que tes prunelles restent figées sur les décors qui passe à vitesse folle par la fenêtre arrière de la bagnole de ton père. Et tu penses à elle soudainement, après tout ce temps. Un sms que tu lui envoies à la volée, quelques minutes avant d’arriver à l’aéroport :

De Haru :
A : meuf chiante.

message :

Error, message non envoyé. T’as beau forcé, cliqué plusieurs fois sur le sms pour qu’il s’envoie à la personne à qui il est destiné y’a rien à faire. Alors t’abandonne, laisse tomber l’idée. Message que tu supprimes à peine la voiture est-elle garée.

C’était le destin, tu ne devais pas lui reparler.

Ça tourne en boucle dans ta tête,
Vient amocher toutes tes nuits, dégomme ton capital sommeil.
T’entends non-stop la voix de ta petite sœur te répéter :
Papa, il est malade je crois. Faudrait que tu reviennes.
Comme un appel à l’aide.

Et depuis, plus rien ne va. T’as le cerveau en vrac, l’estomac noué et cette putain d’envie de pleurer alors que tes yeux restent sec. On t’as pas donné plus d’information, on ne t’as pas dit ce qu’il avait exactement. Parait qu’il se détériore à vitesse grand V ton père, parait que depuis qu’ils ont eu les résultats de ses examens médicaux ça n’a pas aidé. Ta mère semble désemparée, la peine se lit sur son visage lorsque t’arrive à l’avoir en visio quelques minutes dans la journée. Elle est fatiguée, à s’occuper du petit dernier. Il a à peine quatre ans, vingt années vous sépare l’un de l’autre. Et tu te demandes comment ils vont faire, te demande d’où va tomber l’argent si ton père ne peut plus travailler dans sa supérette.

Et le cœur qui rate un battement,
La bile qui te monte à la gorge en les imaginant déjà sous les ponts,
Tu peux pas les laisser en galère, c’est impensable, invivable.

Ce soir-là, tu réserves un vol aller vers Busan sans l’once d’un regret après cinq années à vagabonder. Va falloir que tu sois là pour eux, tes frères, tes sœurs, ta mère et ton père. Car t’as l’impression qu’il s’en sortiront pas si t’es à des kilomètres d’eux, que maman supportera pas de porter toute seule le poids de cette famille qu’ils ont créé à deux. Alors tant pis pour le voyage, les beaux décors et les soirées entre potes passant d’une ville à l’autre. Tu rentres sans trop te poser de question.

Car ils ont besoin de leur fils – leur frère ainé,
bien plus que jamais.