ootd > Il court Haryu. Il court depuis près d’une heure avant de finir par rejoindre la plage. Aujourd’hui, il a eu besoin d’évacuer davantage. Il a eu besoin d’ouvrir ses poumons et de respirer un grand bol d’air frais. Ces derniers mois ont été particulièrement mouvementés pour le jeune homme qui a vu sa routine s’effondrer. Sauf ces moments pour courir. Il est parvenu à les conserver, les chérissant du plus profond de son être. Courir le détend, permet à ses muscles de s’éveiller petit à petit au rythme de la course qu’il instaure. Et puis, ainsi, il ne réfléchit pas vraiment à quoi que ce soit. Il se contente de parcourir des kilomètres et des kilomètres pour s’épuiser – apprendre à mieux s’envoler.

Mais cet appareil est une plaie.
Là, agrippé à son oreille, Haryu en a fait les frais plusieurs fois. On lui a dit que ça ne s’améliorerait pas. On ne lui a jamais dit que ça se détériorerait. Alors c’est douloureux d’y croire. De ne plus entendre que d’une seule oreille. L’autre est sous l’eau, en permanence. Dans un bocal, enfermée. Ça gargouille, ça remue. Tout est trouble. L’appareil continue de l’aider, un peu. Il a dû le régler plus fort, s’y est résigné. Ça fait toujours plus mal de se dire qu’on n’est pas normal. Néanmoins, certaines personnes ne sont pas là pour lui rappeler. Ils acceptent davantage sa condition que lui-même.

Les lèvres pincées, il ralentit au fur et à mesure. Son cœur bat assez vite sous sa poitrine mais c’est une sensation agréable. Haryu se sent vivant. Dans son champ de vision, il aperçoit quelqu’un qui lui fait signe et il la reconnait assez vite. Il lui sourit doucement en venant à sa rencontre sur le sable. Il y a peu de monde ici, et tant mieux. Le petit chien jappe à ses pieds et Haryu s’accroupit en espérant lui ravir une caresse. « Je n’ai pas froid quand je cours. Au contraire, c’est même plaisant. » Il se laisse tomber à ses côtés, observe la ligne d’eau plutôt calme à l’horizon. « Est-ce que tout va bien ? » Il ne sait pas vraiment s’il peut lui dire la trouver épuisée. Envers une jeune femme, ce genre de propos n’est pas toujours bien pris. Haryu a été élevé dans un certain respect d’autrui.

D’une main, il attrape du sable, l’égrène entre ses doigts pour le regarder retomber parmi les millions de grains qui les entourent. Ses prunelles reviennent à la recherche de celles de son interlocutrice et le sportif reprend la parole. « Je crois que c’est la première fois que je vois ton chien. Comment il s’appelle ? » Il est plutôt mignon et Haryu est à l’aise avec les animaux – bien que ses préférés soient les chats. Il en a d’ailleurs trouvé un, tout noir, il y a peu de temps, abandonné dans un carton sur une autre plage à quelques pas. Boulette est aujourd’hui bien au chaud lové contre ses couvertures.

ootd > Installé sur la plage, face à l’océan, Haryu écoute les paroles de la jeune femme avec intérêt. Il lui sourit doucement, hausse les épaules. « Je pense que les douleurs de chaque situation sont propres à tout le monde. Par exemple, je ne ressentirais pas la même chose que toi s’il m’arrivait un problème ; et inversement. » Les sentiments et les émotions ne sont pas des choses aisées pour l’archer qui a tendance à demeurer ancré dans ses habitudes afin de, justement, rester dans un certain confort. Ne pas quitter les plates-bandes qu’il connait bien et qui l’apaisent. « Tu as le droit d’être triste, en colère, autant qu’excitée ou joyeuse. On ne devrait pas avoir à cacher ce que l’on ressent. » Les grains de sable entre ses doigts sont retournés joncher la terre tout autour d’eux. Haryu esquisse une légère moue : « Navré, je ne suis pas très doué pour tout ça. » Il ne s’agit là que de son point de vue, sans réussir peut-être à réconforter Reira.

Alors que la question lui est retournée, une brise de vent les balaie et le garçon aperçoit le chien revenir dans leur direction. Ou surtout dans celui de sa maîtresse, à l’évidence. « Moi ? Oh, je cours et ça m’aide à me vider les esprits. » Il reporte son attention sur la mer devant eux, enfonce les mains dans ses poches. Bien sûr, il s’est assis à côté de la demoiselle du bon côté afin d’avoir son oreille droite (et valide) proche de Reira. Ainsi, il n’aura pas besoin de la faire répéter. Instinctivement, il porte néanmoins ses phalanges à son appareil auditif à gauche. « Les réglages sont de plus en plus compliqués à faire. Mais les médecins finiront bien par trouver. » Eviter les vertiges, conserver l’équilibre, afin que les flèches, toujours, visent en plein cœur.

Finalement, la conversation dérive sur le chiot, nommé Pucci. En effet, il ne s’approche qu’à peine de Haryu, conserve ses réserves et a évité avec brio ses tentatives de caresses. Tant pis, le jeune homme respecte cela et n’a pas tout à fait envie de le voir lui montrer les dents. « Oui, j’ai un chaton ! Cela expliquerait beaucoup de choses. Ça ne fait rien que Pucci ne veuille pas me voir, après tout, on ne se connaissait pas avant. » Il rit doucement, étire ses bras vers le ciel afin de faire craquer son dos avec une certaine ivresse. « Est-ce que tu veux qu’on aille boire un café ? J’ai l’impression que le temps est en train de tourner. » Autant le froid ne dérange pas le sportif, autant la pluie et le vent sont d’autres critères qu’il n’apprécie pas particulièrement lorsqu’il court ou se promène. D’autant plus avec son appareil auditif. Il faut bien en prendre soin même s’il a l’unique envie de le jeter dans la mer. Haryu s’est redressé et tend une main dans la direction de Reira pour l’aider à se redresser – en espérant que le petit chien ne vienne pas lui mordiller les mollets.

ootd > Il ne sait pas vraiment y faire, Haryu, lorsqu’il s’agit de parler de sentiments, d’émotions. Non pas qu’il n’en ressente pas, à l’évidence ce serait impossible, mais disons qu’il ne s’en préoccupe pas. Il ne se pose que très peu de questions – sa routine est rythmée d’une façon régulière tous les jours alors sortir des sentiers battus n’est même pas envisageable. Pourtant, depuis quelques mois, son petit confort s’est vu bousculer par un certain visage. Aujourd’hui, Haryu sait qu’il pense davantage à certaines choses, n’osant toutefois pas toujours poser des termes dessus. Il sourit simplement aux paroles de la jeune femme qui le remercie, trouvant ses mots plutôt justes. Peut-être auront-ils pu l’aider et lui mettre un peu de baume au cœur le temps de quelques minutes.

Finalement, la conversation se déporte sur la course, sur, aussi, son appareil auditif qu’il désigne à son interlocutrice. Il acquiesce avant d’expliquer un peu. « Oui, quand il n’est pas bien réglé je ne peux pas courir. Ça me cause des maux de tête et des pertes d’équilibre. C’est désagréable. » Et il sait, Haryu, que depuis plusieurs semaines, ce problème s’accentue. Les réglages ne sont pas confortables, l’appareil n’est plus adapté. Alors il essaie ses propres expériences avant de se traiter d’idiot car ses douleurs sont plus puissantes. Il n’a pas envie de devenir à moitié sourd, il n’a pas envie d’être différent, il n’a pas envie d’avoir un statut particulier. Il a toutefois compris que ce n’est malheureusement pas lui qui décide de ce genre de chose. La bombe n’a été que les prémices d’une vie changée. Lui n’a reçu que cela en échange du dernier souffle d’autres. Il n’a rien à dire.

Il s’égare à l’intérieur de lui-même, une minute ou deux, tandis que le petit chien revient dans leur direction. Naturellement, l’archer retente sa chance mais l’animal demeure craintif et il respecte cela, n’insiste pas. « Tu as raison, il doit sûrement sentir l’odeur de Boulette. Mais ce n’est pas grave, je ne le forcerais pas. Après tout, les animaux aussi ont leurs têtes. » Il hausse les épaules. Oui, dans le fond, ça ne fait rien dès l’instant où le chien ne se met pas à aboyer en sa présence ou bien à vouloir lui grignoter les mollets. Ça le fait doucement sourire de voir Pucci si proche de sa maîtresse et il se dit que c’est une bonne chose. Toutefois, après ces quelques instants, le ciel semble se couvrir et le sportif se redresse, aide la jeune femme, lui propose d’aller boire un café dans un endroit couvert.

« Je te suis, je veux bien découvrir ce café. Rester près de l’eau me plaît bien. » Il acquiesce et ils peuvent ainsi quitter le sable. Haryu suit Reira et il hoche le visage. « Je suis en études sportives. Je fais du tir à l’arc depuis des années. Mais bon, comme je n’ai que les bourses, je dois travailler pour payer ces études. Je suis serveur dans un restaurant les soirs de semaine. » Et parfois les weekends. « Et toi ? » Après tout, ils ne sont que des inconnus pour l’instant. Ils se sont rencontrés comme ça, près de la plage. Haryu qui court et Reira qui observe l’horizon. Au fur et à mesure, ils se sont reconnus, salués et la conversation s’est engagée avec naturel. C’est assez agréable comme sensation.

ootd > Haryu n’a pas répondu aux interrogations de son interlocutrice. Il les a simplement balayées d’un sourire convenu, n’ayant pas les mots immédiats pour décrire les sensations qui peuvent le traverser. A vrai dire, cela n’est pas évident tous les jours et le jeune homme n’est pas le meilleur en ce qui concerne les émotions et les sentiments. Parler de son appareil ne le dérange pas et, de cette manière, ceux qui sont en face de lui ont rarement l’occasion de poser des questions plus prononcées. Personne ne s’étend vraiment sur le sujet. Haryu a pourtant envie d’en parler, et il le fera peut-être. Plus tard. Quand ils seront installés près de la mer.

Il acquiesce aux paroles de Reira concernant les animaux. « Oui et c’est quelque chose de triste. Ils ne se rendent pas compte que ce sont des êtres vivants. Quand je fais du bénévolat au refuge, je remarque bien que les animaux sont craintifs et cela vient souvent d’une personne malveillante. » En ce qui le concerne, il respecte autant ses semblables que les bêtes qui les entourent. Si Pucci n’a aucune envie de devenir son ami, alors tant pis. Il préfère rester en retrait et attendre qu’un jour, peut-être, le chien vienne naturellement vers lui. Ça ne sert à rien de forcer, hormis rendre l’animal plus méfiant à son égard. Ses mains rejoignent donc les poches de sa veste tandis qu’ils quittent tous les trois le sable. Ils ne sont pas longs pour se mettre d’accord sur l’endroit et s’y rendre. « Oh, euh, le tir à l’arc c’est… c’est une passion avant d’être des études bien sûr. Il n’y a pas beaucoup de débouchées à moins d’être le meilleur. » Ce qu’il s’efforce bien sûr d’être. A toutes les épreuves, l’archer recherche l’excellence. Il lui est insupportable d’imaginer devenir mauvais à cause de cette ouïe défaillante.

« C’est un petit restaurant avec une clientèle fidèle. Je pourrais te donner l’adresse un jour où je serais en service. » C’est ensuite au tour du garçon de se montrer curieux sur les occupations de la demoiselle. C’est la première fois qu’ils sortent des échanges classiques qu’ils ont pu avoir durant plusieurs semaines. Le temps qui a tourné, un besoin de s’exprimer, l’envie de se rencontrer pour de vrai ; qui sait ? « Je ne suis pas très réseaux non plus, mais l’un de mes colocataires s’y connait bien. Félicitations pour ta boutique en tout cas, ça ne doit pas être facile avec les grands noms de la mode. » Sans les citer, à l’évidence, car la mode est un monde vaste dans lequel Haryu a un peu de mal à se projeter. Harin le reprend souvent sur les arrangements de certaines tenues et n’hésite pas à le conseiller pour qu’il ne ressemble pas à un homme sorti de sa grotte. Cela fait légèrement sourire le sportif qui ouvre la porte à Reira et Pucci une fois devant l’établissement.

En quelques minutes, ils sont dirigés vers une table vacante et on leur tend une carte de choix. Quand la serveuse revient, elle a aussi apporté une coupelle d’eau pour le petit chien. Reira et Haryu peuvent ainsi passer commande puis reprendre la discussion le temps que le tout arrive. « Par rapport à ta boutique, ce sont quels styles de vêtements que tu y vends ? » Entre ses doigts, Haryu joue avec son verre, y dépose son attention tout en ajoutant, complètement à part de sa question pour son interlocutrice. « Tout à l’heure, tu m’as demandé si mon appareil se déréglait tout seul. La réponse est oui et non. » Mais il n’en dit pas plus, gêné. Il détourne le regard sur la salle quelques secondes.

ootd > Lorsque Haryu parle du tir à l’arc comme étant sa passion à Reira, cette dernière semble en connaître beaucoup sur la détermination. Le jeune homme n’ose pas l’interroger pour le moment, sentant qu’elle a elle-même traversé des périodes plus difficiles que d’autres à gérer. Cela se confirme un peu plus tard, une fois installés face à face dans le café. Pucci paraît occupé à lapper avec avidité dans ce bol d’eau que la serveuse lui a servi. Haryu écoute avec plaisir les créations exposées et vendues dans le magasin de son interlocutrice. A l’évidence, il pense encore à Harin, son colocataire, qui apprécie beaucoup le sens de la mode et de l’esthétique. “Je t’avoue que je ne fais pas spécialement attention pour accorder mes tenues. J’achète ce qu’il me plaît dès l’instant où il y a ma taille.” La preuve même de ce chemisier violet satiné qu’il a porté lors de la fête d’Halloween. Mais qu’importe. “Ta boutique doit avoir son petit succès de ce que j’en comprends. Tu dois être fière d’avoir réussi ce projet, ça doit être une expérience incroyable, non ?” Il lui adresse un léger sourire avant de reprendre la parole au sujet de son ami. “Harin, l'un de mes colocataires, est étudiant en mode et il fait aussi des costumes. Je ne comprends pas toujours ce qu’il m’explique mais il m’offre de précieux conseils.” Il acquiesce d’un bref mouvement du visage puis, de lui-même, l’archer réoriente leur discussion sur ce petit problème qui sévit au creux de son oreille.

Il ne sait pas vraiment pourquoi il en parle de nouveau. Haryu ne cache pas tout ça, son appareil, cet handicap, qui lui mène parfois la vie dure. Toutefois, ce n’est pas lui qui va venir en discuter. Il n’en a pas honte, sans pour autant l’exposer à qui mieux-mieux. En cet instant, pourtant, après les questions de la jeune femme, l’étudiant a repris le sujet. Le regard fuyant, il porte instinctivement une main sur sa gauche, fait glisser ses cheveux par-dessus son oreille. “J’ai l’impression que je perds de l’audition un peu plus chaque jour, alors c’est sans doute pour ça que mon appareil ne fait pas toujours effet.” Il a envie de lui dire qu’elle peut lui parler plus fort, s’adresser davantage sur son côté droit que sur son côté défaillant ; mais déposer le véritable mot sur ce problème le fait se raidir sur sa chaise. C’est sans doute pour cela qu’il n’est pas encore retourné voir le médecin pour lui expliquer sa situation. C’est sans doute pour cela qu’Haryu préfère se murer dans ses migraines, esquisser des grimaces et dire que ça va passer en tirant toujours plus loin – toujours plus fort. Néanmoins, tandis que la serveuse revient avec leur commande, le sportif a haussé les épaules, choisissant de revenir plutôt sur la boutique de vêtements de Reira.

Sentant son ventre se mettre à grogner dès l’instant où il porte sa tasse à ses lèvres, Haryu s’empresse de croquer ensuite dans le petit pain fourré qu’il a commandé. C’est un petit-déjeuner luxueux qu’il se permet aujourd’hui. C’est exceptionnel et, face à l’océan, en si bonne compagnie, comment résister ? “Du coup… Tu es toute seule à gérer ta boutique ? Tu as beaucoup de courage de t’être lancée ainsi, ça n’est pas donné à tout le monde. Mais tu as eu raison de le faire et puis, comme tu l’as dit, avec de la passion c’est bien plus aisé de rêver.” De son côté, au-delà de ses études, du tir à l’arc, Haryu n’a pas la moindre idée de ce à quoi pourrait ressembler sa vie. Il est encore jeune et vigoureux, mais quand il aura perdu de la force, qu’en sera-t-il ? Se concentrer sur le moment présent est déjà suffisant. Haryu reprend une gorgée de café.

ootd > Parler de la mode, bien qu’il n’en soit pas un grand passionné, lui permet de changer d’idée quant à cet appareil auditif qu’il a bien du mal à accepter ces derniers temps. Les lueurs de bonheur dans les prunelles de son aînée le font sourire et il espère que lui aussi parviendra à atteindre ses propres objectifs. Il lui trouve beaucoup de courage et mérite quand, visiblement, plusieurs personnes autour d’elles ont pu douter de ses compétences. Personne ne devrait avoir le droit de remettre en cause les rêves d’autrui. “Harin ? Oh, euh, oui. Il aime bien faire du cosplay, ce genre de choses. Il a l’air vraiment doué et je pense que tu peux le trouver facilement sur les réseaux sociaux si jamais tu veux regarder ce qu’il fait.” Haryu ne manquera pas, à l’évidence, de prévenir son colocataire et ami qu’il lui fait un peu de publicité concernant ses œuvres. Même si le plus jeune n’y comprend pas grand-chose, il respecte cela et trouve même intéressant d’avoir ce désir de changer de peau, en quelque sorte.

Toutefois, bien sûr, la conversation est immanquablement ramenée vers son audition. Haryu ne s’en cache pas, c’est même lui qui a amené ce sujet sur le tapis. Néanmoins, il ne sait pas quoi en dire. Dans le fond, Reira a raison, il y a des solutions – encore faut-il accepter de les reconnaître. Le déni est difficile à gérer quand l’envie de continuer de vivre sa vie comme avant est bien plus forte que tout le reste. Alors les doigts d’Haryu jouent nerveusement sur la tasse chaude qu’il a commandée. “Si, un peu… quand ça fonctionne.” Il soupire, secoue un peu la tête et préfère avouer : “Je suis désolé, je n’ai pas très envie d’en parler. Je n’aurais pas dû aborder la question.” Mais il n’y a aucun malaise avec les questions de la demoiselle. Il peut tout à fait comprendre cette curiosité, ce besoin de savoir ce que l’autre entend ou non. Haryu est habitué à ce qu’on l’interroge dès qu’on aperçoit ce petit objet à son oreille. Certains lui disent qu’il est un robot, d’autres qu’il est handicapé. Il n’a toujours pas su définir quelle version lui plaisait le plus. En tout cas, il sait que l’une des deux est plus proche de la vérité que l’autre.

Ecouter Reira parler de sa boutique est bien plus agréable et doux pour lui. Il acquiesce à ses paroles tout en prenant son petit-déjeuner. “Tu as beaucoup d’ambition et je suis certain que tu parviendras à réaliser la suite de tes rêves. Tu as déjà fait tout ça, ça ne peut que se poursuivre, tu ne crois pas ?” Son envie d’agrandir sa boutique, d’embaucher du personnel supplémentaire, de se faire connaître davantage, fait penser à Haryu à ces jeux vidéos où on évolue au fur et à mesure. Que pourra-t-il bien faire, lui, en ce qui concerne le tir à l’arc ? Ce n’est pas une discipline très reconnue et elle demeure peu répandue. Devenir professeur ? Il ignore s’il serait un bon mentor, bien que sa récente rencontre avec Orochi lui a été favorable. “Je sais qu’on ne se connait encore qu’à peine, mais si jamais tu as besoin d’un coup de main pour ta boutique, je pourrais peut-être t’aider. Bon, je n’habillerais sûrement pas les mannequins au risque de faire fuir les clients, mais je suis doué de mes mains.” Pour un archer, ce serait le comble autrement. Il lui adresse un nouveau sourire, baissant une minute le regard vers le petit chien en boule sous la table.

ootd > Parler de cette ouïe qui se fait progressivement moins bonne est quelque chose qui touche particulièrement l’archer – et sûrement plus qu’il ne le pense. Mais ce n’est pas la faute de son interlocutrice, elle ne pouvait pas savoir. C’est normal qu’elle l’interroge, qu’elle se questionne sur cette capacité réduite à entendre les sons ; à les comprendre aussi, dans le fond. Alors Haryu espère la rassurer en lui disant que ce n’est pas grave. Elle n’a pas à s’excuser, ce n’est pas la première fois qu’on lui en parle. Et encore, elle est polie et agréable, ce n’est pas vraiment le cas de tout le monde. Souvent, même, les médecins affirment des diagnostics sans queue ni tête sans jamais se soucier une seconde que, de son oreille droite, Haryu entend parfaitement. Il abandonne un léger soupir en prenant une gorgée de sa boisson. La discussion revient peu à peu sur la boutique de Reira et Haryu en est très impressionné. Elle fait preuve de beaucoup de volonté et c’est de plus en plus rare de nos jours.

“La motivation c’est ce qui fait toute la différence à mon sens. Les gens autour de nous ne sont pas toujours les plus emballés pour ce genre d’idées, mais il ne tient qu’à nous de les mener jusqu’au bout, pas vrai ?” Les rêves n’en restent qu’à l’instant où personne ne choisit de les réaliser. La jeune femme devant lui a décidé de tout donner pour son commerce et ses efforts ont payé. C’est peut-être incroyable, mais c’est ce qui fait qu’elle a eu raison de mener toute son aventure. “Ah oui, tu n’as peur ?” Il rit aussi, s’imaginant déjà en train d’annoncer cela à son colocataire. Harin le regarderait sans aucun doute avec des yeux ronds. “Non, je t’avoue que je ne connais que le métier de serveur. Je travaille en tant que tel depuis plus d’un an, mais c’est parfois compliqué de gérer les horaires avec mes entraînements de tir et les études. Cela dit, il parait que j’apprends vite.” Il hausse un peu les épaules. Heureusement, Haryu est un garçon qui se lève tôt sans ciller. Sa petite vie est bien chronométrée du matin jusqu’au soir ; il ne faut pas qu’un compromis se mette en travers de sa route sans quoi tout serait à réorganiser – n’est-ce pas, Shôta ?

Terminant son petit déjeuner tandis que l’heure continue de tourner, Haryu s’intéresse à nouveau. “Et toi, tu as toujours voulu ouvrir ta boutique ? J’imagine que tu as dû économiser aussi afin de trouver les fonds nécessaires pour bâtir ton commerce.” Il n’y connaît pas grand-chose, seulement les rudiments appris selon les cours de droits et d’économies reçus à l’université. D’ailleurs, en pensant à cette dernière, le jeune homme se permet de jeter un bref coup d'œil sur son téléphone portable. Quelques messages lui sont parvenus et il lui reste une bonne heure avant de devoir s’y rendre. “Est-ce que je peux t’inviter, cette fois-ci ?” Il lui sourit doucement, a envie d’être galant pour la simple et bonne raison que c’est la première fois qu’ils discutent autant, qu’ils apprennent à se connaître vraiment. Et c’est agréable de rencontrer des personnes comme Reira. ça lui donne envie de se surpasser lui-même.