❝ inner child ❞
-- ft reira

Chaleur ambiante au sein de l’appartement encore silencieux, ton corps emmitouflé dans un duvet de plume qui t’est indispensable tout le long de la saison face aux températures basses qu’affiche chaque jour le thermomètre. Le soleil vient tout juste de se lever sur Busan et les oiseaux se sont à peine mis à chanter que deux petites mains viennent se poser délicatement sur tes joues tandis qu’une voix d’enfant que tu connais que trop bien te demande de te réveiller. Car il est tard d’après le gamin allongé à tes côtés, que ça fait des heures – voir des mois et des années si on l’écoute qu’il attend que tu te réveil. Et il voudrait bien allumer la télévision, sauf qu’il ne sait pas où est la télécommande. Il voudrait bien déjeuner aussi, mais le placard à bol est trop haut pour lui. Eunchang un peu trop bavard de bon matin pour le dormeur que t’es, qu’aurait bien aimé pour une fois faire la grasse matinée. Sauf que c’est pas possible à cause de ce petit être aux cheveux emmêlés à coté de toi.

Si ton petit frère est là aujourd’hui c’est parce qu’hier il a supplié votre mère pour venir te voir, qu’à son gout ça faisait un peu trop longtemps que vous ne vous étiez pas vu et qu’il t’a fait les yeux doux venu le moment de rentrer pour que tu lui proposes de dormir avec toi ici. T’aurais pu te contenter de lui dire que tu passerais chez tes parents dans le week-end, t’en débarrasser comme ça mais t’as décidé d’être sympa et de le garder le temps d’une nuit et une journée pour laisser ta mère un peu soufflée. Car papa est à l’hôpital pour une nouvelle cure médicamenteuse et l’avant dernier de la fratrie à des activités extrascolaires toute l’après-midi au moins, elle pourra être un peu tranquille. Elle mérite de souffler votre génitrice, mérite elle aussi un peu de reposer son cerveau après des journées entière passé à courir à droite et à gauche pour ses enfants ou bien son mari. C’est donc la mort dans l’âme que t’ouvres les yeux une bonne fois pour toute Haru, c’est l’air fatigué que tu fixes ce petit être trop joyeux se mettre à parler comme si il avait un millier de chose à te raconter alors que vous avez passé la soirée ensemble. Petit garçon plein d’entrain, rit pour un rien quand tu te lèves et enfile ton sweat à l’envers ; lorsque tu te brule en sortant son lait chaud du micro-onde et quand tu fous du chocolat en poudre un peu de partout car t’as pas l’intelligence de rapprocher le bol de la boite de cacao. Eunchang qui n’arrête pas de te parler du petit chien de Reira, tourne en boucle sur ce sujet depuis que t’as eu le malheur de lui montrer une photo du chiot en lui disant qu’un jour – à condition qu’il soit sage, il le verrait.

- Tu sais que t’es harcelant un peu ?

Que tu dis à ton sosie taille miniature mais ça ne l’empêche pas de continuer, ne l’empêche pas un seul instant de te réclamer une date précise. C’est désespéré que tu contactes Reira, quelques sms échangés pour savoir si elle est toujours ok pour que ton petit-frère rencontre son chien. Reira qui te fait sourire – même rire avec son air gêné que tu perçois même derrière l’écran dès que le sujet s’approche un peu trop de cette soirée. Alors tu l’embête un peu, tout juste assez pour la gêner un peu plus lorsqu’il n’y a pas de quoi l’être mais pas assez pour qu’elle refuse ta proposition quand tu lui demandes si vous pouvez vous voir un peu plus tard aujourd’hui dans un parc. Une nouvelle qui fait sautiller sur place le plus petit, son envie de voir cette boule de poil qui l’assagit la journée entière. C’est sans encombre que file le début de journée. Même l’étape de la douche et enfiler des vêtements propres se fait sans encombre. Un truc de fou, tu devrais l’emmener voir des animaux un peu plus souvent si c’est ça la technique pour avoir la paix.

C’est vers quinze heure trente que vous quittez ton appartement, à peine sorti de l’immeuble que tu remarques qu’il fait un peu plus chaud que ce que tu pensais et demande à ton petit frère si il veut enlever le bonnet qu’il a sur la tête. Réponse négative que t’obtiens de sa part alors t’hoches de la tête, attrape sa main et l’emmène avec toi prendre le métro en direction de Busan District. Une dizaine d’arrêt de métro que vous passez assis l’un à côté de l’autre, vous partageant un écouteur chacun pour écouter ta musique puisqu’Eunchang veut faire comme les grands lui aussi. Une journée en somme agréable, bien plus attrayante que t’aurais pu l’imaginer en le laissant dormir chez toi, hier soir.

Arrivé imminente au parc, Eunchang qui commence à courir de partout que ce soit pour cueillir une fleur – laide – et te la montrer comme si c’était magnifique ; essayer d’attraper les écureuils qui grimpent aux arbres dès qu’ils le voient arriver avec sa grosse tête. Déjà deux gamelles à son active, son petit jogging noir déjà pourrie de Terre quand vous arrivez à l’air de jeu et t’auras rien pu faire pour empêcher ça. Comme bien des parents et grands-parents présent dans le parc, tu t’assois sur un banc, sort ton téléphone portable et te met à passer d’une application à l’autre, jeter des coups d’œil sur ton petit-frère pour ne pas le perdre de vu. Et les minutes s’égrènent dans le sablier, il est déjà seize heure trente-trois lorsque tu redresses une énième fois la tête, voit ton petit frère s’amuser à la balançoire avec une autre petite fille de son âge à peu près. Surement seize heures trente-six lorsque t’entends des mini aboiement venir sur ta gauche. Alors tu tournes la tête sans grand espoir de la voir elle car ça fait déjà six fois que tu tournes la tête en entendant un chien et que tu finis presque déçu que ça ne soit pas Reira.

Mais cette fois, tu ne finis pas déçu Haru. Cette fois, lorsque tes yeux rencontrent les prunelles du propriétaire du chien qui arrive, c’est bel et bien sur Reira que tu tombes. Reira emmitouflés dans des vêtements chaud, Reira à qui tu souris, adresse un petit coucou de la main comme si elle n’allait pas être à tes côtés d’ici deux minutes tout au plus. Et c’est à ce moment-là qu’Euchang décide de te sauter dessus, t’obligeant à décrocher tes yeux de la jolie poupée, fixer ce petit diable face à toi et lui dire :

- Eh regarde qui arrive ? Reira et son chien, ils sont là !

Eunchang que tu tournes pour qu’il voit de qui tu parles, un sourire que t’adresse à Reira qui est dorénavant devant toi :

- Ça va ? Du coup Reira je te présente Eunchang mon petit frère et Eunchang je te présente Reira, tu sais la fille que tu me demandes tout le temps c’est qui dans les albums photos de maman de quand j’étais petit.

Gamin curieux, un peu comme vous l’étiez Reira et toi à son age. Mais en l’occurrence Eunchang, il s’enfiche un peu de ce que tu racontes lui, soudainement il n’a yeux que pour le petit chien dont la petite tête pleine de poil dépasse du sac. Alors il tend la main, s’arrête au dernier moment, relève les yeux vers la brune et demande timidement :

- je peux le caresser s’il vous plaaait ?

un éclat de rire que tu retiens, ce vouvoiement inatendu qui la fait paraitre plus vieille qu'elle ne l'est en réalité.

❝ inner child ❞
-- ft haru

Une matinée qui ressemble à tant d’autres – Reira laissée seule à la boutique, son patron occupé à l’extérieur aujourd'hui. Les clients qui se font rares, car il est encore si tôt, qu’on est en plein cœur de la semaine et que la plupart des habitants de Busan sont soit déjà au travail, soit encore au lycée ou à la fac. Et en temps normal, cette matinée aurait été d’un ennui mortel – le temps tué en travaillant sur le montage de sa prochaine vidéo, griffonnant des idées de tenues sur sa tablette graphique. Mais depuis que Pucci est entré dans sa vie, le temps se fait soudain bien moins long à la boutique, même lorsqu’il n’y a pas de clients. Adorable boule de poils que Kai l’aura – enfin – laissé adopter il y a quelques semaines, pour se faire pardonner sa dernière crise en date. Et si la cohabitation semble être difficile entre lui et le chiot, Reira, elle, ne pourrait être plus ravie. Complètement gaga du petit animal, l’autorisation de son patron qu’elle a même réussi à obtenir pour l’amener au travail – à condition qu’elle s’assure qu’il n’embête pas les clients, s’occupe de réparer les bêtises qu’il pourrait faire. L’employeur qui, en bon commercial, a immédiatement flairé la plus-value que pourrait apporter la boule de poils à sa boutique – le potentiel mignonnerie qui sera à jamais vendeur, ici en Corée encore plus qu’ailleurs.

Ainsi, Reira passe désormais le plus clair de son temps libre à jouer avec le chiot, plutôt qu’à travailler sur sa carrière – car après tout, si elle l’emmène au travail, c’est bien pour passer du temps avec lui. La jeune femme assise à même le sol de la boutique – pas très professionnel, mais ce n’est pas comme si le gérant risquait de mettre les pieds ici avant le milieu de l’après-midi –, le petit animal qu’elle embête un peu, joue avec pour qu’il soit fatigué au moment de l’heure de pointe. La vibration de son téléphone sur le comptoir qui la pousse à relever le nez – se redresser carrément au bout de sa troisième manifestation, pour s’emparer du portable. Les sourcils se haussent en voyant le prénom qui s’affiche. Haru. A part quelques commentaires çà et là sur Instagram, ils n’ont plus parlé depuis cette soirée – cette fameuse soirée durant laquelle elle a commis le trio gagnant de lui répéter bien trop de fois qu’il était beau, pleurer dans ses bras et finalement lui vomir sur les pieds. Pas un super souvenir, en somme – mais sous la honte se dissimulent les traces d’une joie réelle, la joie de partager quelques instants avec lui, le retrouver presque comme avant.

Et déjà les doigts pianotent sur l’écran, les sourcils qui se froncent et le rouge qui monte aux joues lorsqu’il joue un peu trop avec son embarras évident. Ce n’est pourtant pas faute de jouer les fières, prétendre ne se souvenir de rien de spécialement embarrassant – elle échoue lamentablement à le tromper. Au final, ils se seront accordé pour se retrouver un peu plus tard dans la journée, car il semblerait que son plus jeune frère tienne à ce point à faire la connaissance de Pucci. Et Reira, c’est d’enfin faire sa connaissance à lui qu’elle est ravie. Curiosité piquée d’en avoir si bien entendu parler ; le benjamin qu’elle n’a jamais vu lorsque fut un temps, les Seomun étaient pourtant comme une seconde famille pour elle. Et en parlant de Pucci… Cinq minutes d’inattention auront suffi pour que le chiot fasse des bêtises, la tâche jaunâtre qui s’épanouit désormais sur le revêtement du sol de la boutique, Reira qui se précipité vers la réserve pour aller chercher de quoi nettoyer ces dégâts. Faire disparaître les preuves du méfait avant qu’un client ne fasse retentir la sonnette des portes automatiques.

Les heures auront filé – fin de matinée monotone, déjeuner avalé en début d’après-midi et Reira libérée dès que son patron a passé les portes pour prendre le relais. Un peu trop tard, malheureusement, seize heures qu’elle a vu passer derrière le comptoir lorsqu’elle aurait déjà dû être au parc. Alors elle n’a été que trop heureuse d’enfin voir arriver le gérant, ses affaires rapidement récupérées, un « à demain ! » jovial lancé, et enfin elle quitte la boutique, son manteau beige sur le dos et le sac de Pucci sur son épaule. Le chiot à qui elle a préféré épargner le trajet jusqu’au parc pour lui permettre de se reposer un peu, garder toute son énergie pour le jardin public.

Et les talons de ses bottines claquent dans les rues de Busanjin, le court trajet qu’elle effectue à toute vitesse pour ne pas faire attendre davantage Haru et son petit frère. Erre dans le parc, à la recherche des deux garçons – et enfin, à l’approche de l’aire de jeux, elle reconnaît le profil du brun. Le pas se presse un peu plus encore à cette vision, et il finit par tourner la tête avant qu’elle ne l'ai rejoint, un sourire qu’ils échangent – un peu crispé de la part de la jeune femme qui ne peut s’empêcher de repenser à cette soirée, baisse inconsciemment les yeux vers ses sneakers, constate qu’il ne porte pas les mêmes. Espère qu’il n’a pas dû les jeter. Mais bien vite, son attention est happée par une petite tornade brune qui se jette sur le jeune homme ; l’enfant qu’elle avait déjà aperçu en photo, qui ressemble encore plus à Haru en chair et en os. C’en est presque troublant, le sentiment pendant un instant de se retrouver face au petit emmerdeur qui a su se frayer une place dans sa vie à l’époque, devenir son meilleur ami. Et le sourire se fait un peu plus détendu, un peu plus grand de voir leur complicité. Les derniers mètres qu’elle franchit, pose doucement son sac sur le banc – réveille du même coup le chiot qui somnolait jusqu’à présent, qui baille longuement en se redressant.

- Désolée pour le retard ! Mon patron m’a lâché plus tard que prévu puis j’ai galéré à vous trouver…

Et les sourcils se haussent légèrement en apprenant que le petit demande souvent qui elle est sur les photos ; ces fameuses photos, preuves tangibles que cette amitié a bien existé, il y a des années.

- Ça va et toi ? J’suis contente d’enfin faire ta connaissance Eunchang, j’ai tellement entendu parler de toi !

Et elle baisse les yeux vers l’enfant, le regarde en souriant. Sa timidité qui la rattrapera toujours un peu, mais Eunchang ressemble tellement à Haru qu’il est finalement compliqué de se sentir réellement peu à l'aise face à lui. Et elle sourit un peu plus, amusée de voir qu’il n’en a strictement rien à faire de ce qu’ils peuvent bien raconter, son grand frère et elle ; de voir ses yeux brillants rivés sur son petit chien, et sa main déjà se tendre dans sa direction, le mouvement se figer pour lui demander s’il peut le caresser. Et les sourcils se haussent, amusée de l’entendre la vouvoyer. Sérieusement ? Y a bien que les enfants pour lui faire prendre trente ans d’un coup comme ça.

- Bien sûr ! Tu veux qu’on le sorte du sac ? Tiens, viens t’asseoir si tu veux.

Et elle s’installe sur le banc, pose le sac par terre pour délicatement en sortir la petite boule de poils encore mal réveillée.

- Il est un peu endormi, donc on va pas le brusquer… Tu peux le caresser si tu veux.

Et elle l’installe doucement sur ses genoux, laisse Eunchang tendre la main dans sa direction.

- Puis tu sais, tu peux me tutoyer hein… Je sais que je dois avoir l’air trèèès vieille pour toi, mais promis je le suis pas tant que ça.

Les yeux qu’elle relève vers Haru, ajoute – car elle n’est pas aveugle, a parfaitement surpris les éclats de rire qu’il retenait un instant plus tôt :

- Et toi crois pas que je t’ai pas vu ricaner comme une vieille pie tout à l’heure hein, tss…

Et voyant que Eunchang se comporte avec douceur avec le chiot, elle lui propose, plus doucement :

- Tu veux le prendre sur tes genoux… ?

❝ inner child ❞
-- ft reira

Elle est jolie Reira, assez jolie pour que tes yeux ne focus que sur elle une fois qu’elle entre dans ton champ de vision. Elle t’arrache un sourire la brune, tu sais pas si c’est son petit pas pressé pour s’approcher ou juste le fait qu’elle soit là mais tu souris, sincèrement. Tu pourrais surement la regarder pendant des heures mais toute l’attention que tu peux lui porter t’es arraché par Eunchang qui déboule sur toi en disant qu’il commence à s’ennuyer, te demande quand est-ce qu’il arrive Pucci de sa voix pleurnicharde. Le petit garçon qu’a mieux retenu que toi le nom de ce chien, comme si il l’avait déjà vu à multiple reprise pour jouer les impatients alors tu pointes du doigt Reira qui s’approche de plus en plus, lui montre qu’elle est là et que se patience aura payé. Ton petit frère que tu vois sourire grandement en voyant d’un peu plus près le chiot dans son panier, posé à quelques centimètres de lui sur le banc dorénavant.

Le chiot que tu regardes toi aussi quelques secondes avant de reporter ton attention sur elle, l’écouter présenter ses excuses pour son retard. Reira toujours plus intéressante que ce petit animal, aussi beau et mignon soit-il.

- T’inquiète pas, y’a pas de soucis. C’est nous on est arrivé un peu tôt.

Car Eunchang commençait à tourner en rond dans l’appartement, voulait prendre l’air. Petit garçon plein de vie ; d’énergie impossible de le canaliser trop de temps devant un film ou une série. Puis toi aussi t’avais besoin de te dégourdir alors tu ne t’es pas fait prier lorsqu’il a commencé à réclamer l’extérieur. Tout ça, tu pourrais lui expliquer à Reira mais tu sens qu’Eunchang trépigne d’impatience, se retient de toute son âme de toucher au petit chien alors t’hoche de la tête à la question de Reira. Lui indique ainsi brièvement que que ça va ; en sachant que vous parlerez un peu plus profondément plus tard et lui présente ton petit frère qui lui, n’est même pas assez poli pour écouter ce que tu dis où regarder Reira quand elle lui parle.

- Eh oh, Euchang soit poli s’teuplait tu me fais honte là.

Et il redresse la tête le gamin, te regarde un instant avant de détourner le regard vers Reira et lui sourire timidement :

- Désolé… C’est juste qu’il est troooop mignon Pucci !

Pucci, Pucci, Pucci… Il n’a yeux que pour lui le gamin. Il te fait rouler des yeux Eunchang, puis rire aussi. Surtout quand il fait le timide, vouvoie Reira et immanquablement la vieillit. Mais elle ne se démonte pas la brune, elle tutoie le petit garçon, lui propose de sortir le chien de son panier pour le caresser si il le souhaite. Invitation qu’il ne refuse pas bien évidemment, hoche vivement de la tête et attend avec impatience de voir le chiot sur les genoux de Reira pour oser le caresser tandis que la brune, en profite pour lui suggérer de la tutoyer. Et tu caches ton sourire d’une main Haru, essaie de ne pas exploser de rire en voyant la détermination qu’elle met dans ses mots à lui assurer qu’elle n’est pas si vieille alors qu’Eunchang ne l’écoute déjà plus. Hoche de la tête pas pure politesse alors elle s’en prend à toi la diablesse, se permet de te dire qu’elle t’a bien vue réprimer un rire.

- Ne vous m’éprenez pas madame … Je riais pour autre chose … S’il vous plait soyez indulgente votre grand âge a dû vous faire acquérir en sagesse non ??

Petit air moqueur, satisfait d’en rajouter une couche sur cette présumée vieillesse, celle que ton petit frère lui a inventé et que tu ne manqueras pas de lui rappeler dorénavant. Ton attention qui dérive de Reira à son chiot, Pucci qui semble tout endormi, remue tout de même la queue à chaque caresse que ton frère lui octroie. Confiance instaurée, assez pour que la brune propose à ton petit frère de le prendre sur ses genoux et tu te penches attrape la petite boule de poil délicatement, assez rapidement pour que personne ne t’empêche de le faire.

- Non mais oh, moi aussi je veux le voir ? Pourquoi ça serait que lui ? Coucou Pucci, tu vas bien ? Tu survis avec cette folle furieuse ?

Que tu dis à l’attention du chien, comme si à tout moment il serait en capacité de te répondre. Un regard en coin que tu jettes à la brune aussi, sourire en coin qui s’éternise sur tes lippes tandis que tu viens poser le chien sur tes propres genoux, te met à le caresser jusqu’à en recevoir une petite léchouille sur la main de sa part. Petite boule de poile bien mignonne, assez pour accaparer ton attention, te donner presque envie d’en avoir un toi aussi.

- Il est vraiment beau ce chien, t’as dû le payer une blinde non ??

Car de base, un chien c’est cher mais alors mignon comme ça … T’imagines même pas les prix que ça doit frôler. Surement des milliers, l’animal que tu viens déposer sur les jambes d’Eunchang qui commençait à se décomposer de jalousie que t’ai osé lui piquer sa place. Petit chiot et petit garçon sur lesquels tu gardes un oeil car un accident est vite arrivé – surtout avec un gosse aussi vif que ton petit frère. Et galamment, tu te lèves, laisse ta place sur le banc à Reira bien qu’elle pourrait s’asseoir sur toi, en souvenir de la dernière fois. Surement que t’aurais proposé si Eunchang n’était pas là, juste pour la blague, un peu rigoler.

- Vas-y assied toi à côté d’eux, j’ai besoin de me dégourdir les jambes un peu.

Mais t’évites de la gêner plus que de raison, te contentes de lui proposer gentiment de prendre ta place tandis que toi, tu te plantes debout face à eux. Les bras que tu croises sur ton torse, c’est les yeux rivés dans les siens tu lui demandes soudainement :

- du coup y’a eu du monde à la boutique aujourd’hui ?

Car en arrivant elle a dit être sortie plus tard du boulot que prévu et toi, t’imagines alors une orde de client dans cette boutique de vêtement, te sent un brin coupable de lui avoir suggéré une sortie après le boulot. Car peut-être qu’elle est fatiguée Reira, peut-être qu’elle avait mieux à faire que de trainer dans un parc avec un gosse et toi.

❝ inner child ❞
-- ft haru

Un sourire se perd sur ses lèvres en voyant le petit garçon relever les yeux vers elle, s’excuser timidement pour le manque de correction que lui reproche son frère. Et doucement elle secoue la tête, lui répond gentiment :

- Je te comprends, même moi je m’intéresserais plus à Pucci qu’à moi.

Car il est bien trop mignon, ce chiot. Petite boule de poils ambulante qui a le don de faire craquer absolument chaque personne qui l’aperçoit – à l’exception de Kai, curieusement, qui le voit pourtant plus que quiconque. Le chiot qu’elle lui propose d’ailleurs de sortir de son sac pour qu’il puisse le voir un peu mieux, car c’est pour ça qu’elle est venue, après tout – officiellement, du moins. Pucci installé sur ses genoux, elle laisse le benjamin des Seomun le caresser à sa guise, lui assure qu’elle n’est pas aussi vieille qu’il semble le penser pour la vouvoyer ainsi. Et du coin de l’œil, elle voit bien Haru qui se retient tant qu’il peut d’éclater de rire, la main posée devant sa bouche dans un cruel manque de discrétion. Alors déjà elle dirige son attention vers l’importun, lui fait remarquer qu’elle a très bien vu son petit manège – qu’il ne trompe absolument personne, qu’il essaie ou n’essaie pas vraiment. Et elle grince des dents, Reira, en l’entendant la vouvoyer à son tour, lui prêter un « grand âge » lorsqu’en réalité, c’est bien lui le plus âgé d’eux deux. Alors elle se penche vers lui – précautionneusement, car elle tient toujours le chiot –, met un petit coup dans son épaule de sa main libre. Les insultes qui lui brûlent la langue mais qu’elle doit bien ravaler, la faute aux oreilles innocentes à portée de voix.

- Bouge Haru, de nous deux c’est toi qui a toujours été le plus vieux et tu le sais aussi bien que moi… En tout cas j’vois que ça t’a clairement pas donné plus de sagesse pour autant.

Expression contrariée qui se peint désormais sur ses traits, le jeune homme toujours un peu trop doué pour la faire chier ; appuyer pile où il faut pour susciter la réaction qu’il veut, obtenir l’attention qu’il quémande. Et Reira, elle aime mieux se concentrer sur Eunchang, l’enfant clairement plus agréable que son grand frère, un petit ange à côté du démon. L’enfant à qui elle propose de prendre Pucci s’il le souhaite, voyant qu’il se montre suffisamment délicat avec lui, mais avant que qui que ce soit ai le temps d’esquisser un geste Haru s’en empare, le pose sur ses genoux à lui pour le caresser. Et un sourire se peint sur ses lèvres de voir que même lui ne résiste pas à la bouille du chiot – contrairement à son petit ami, il ne le laisse pas de marbre, et cela fait plaisir à voir. Sourire qui s’efface pourtant bien vite en l’entendant la qualifier de folle furieuse – décidément, il les enchaîne aujourd’hui.

- Dit celui qui porte des jeunes femmes innocentes comme un sac à patate et court dans la rue avec au beau milieu de la nuit…

Palabres libérées entre ses dents, une référence évidente à cette nuit partagée – et elle a bien cru vomir une seconde fois lorsqu’il l’a hissée sur son épaule pour courir les rues de Busan. Mais le regard s’attendrit un peu en voyant comment il se comporte avec le chiot, la jeune femme qui lui lâche pourtant :

- Allez, partage un peu avec ton frère… T’es en train de le torturer là le pauvre…

Car il trépigne à ses côtés, le petit brun ; que les doigts semblent lui brûler de le lui arracher des mains. Et elle hoche doucement la tête lorsqu’il lui demande si elle l’a payé cher, un luxe qu’ils peuvent se permettre grâce au travail de son petit ami.

- Oui, j’ai tellement tanné Kai qu’il a fini par m’emmener dans un élevage y a quelques semaines…

Et en effet l’addition était salée – probablement le plus beau cadeau qu’il lui ai fait pour se faire pardonner ses cris abusifs. Ces jours compliqués auxquels elle s’efforce de ne pas trop penser, regarde plutôt les deux frères s’échanger le chiot, les yeux perdus sur la petite boule de poils jusqu’à ce que la voix d’Haru ne la pousse à relever le nez. Et elle ne bataille pas pour qu’il reste assis, car il vient déjà de lui sortir l’excuse d’un besoin de se dégourdir les jambes, alors elle ne va pas débattre durant vingt minutes sur le sujet. Se contente de hocher la tête et s’installer sur le banc réchauffé par la présence de Haru, aux côtés du petit garçon et de son chien.

- Merci, c’est gentil.

Et le poids de ses yeux qu’elle sent peser sur elle lorsqu’il lui demande s’il y a eu du monde au magasin aujourd’hui, la tête qu’elle secoue doucement, le regard s’attardant à intervalles régulières sur Pucci et Eunchang.

- Non, pas tant que ça. C’est finalement assez calme, surtout le matin en semaine comme ça… C’est juste mon patron qui a tardé à venir prendre le relais cet après-midi.

Et d’ailleurs, ça l’étonne un peu que Haru ne soit pas à la supérette, car c’est après le travail qu’elle l’avait croisé l’autre fois, après tout.

- Et toi alors, t’étais pas à la supérette aujourd’hui ?

Curiosité sincère, elle ose espérer qu’il a eu pu profiter de cette journée pour se détendre loin de la petite échoppe. Le jeune homme qui semble un peu se sacrifier pour faire tourner l’affaire familiale, du peu qu’elle en voit – car s’il n’a jamais été capable de lui dire ce qu’il voulait faire plus tard, il n’a jamais parlé de reprendre la supérette non plus. Mais elle suppose qu’un évènement tragique comme celui qui s’est abattu sur les Seomun a de quoi retourner tout l’équilibre d’une famille, et si la question « Et ton père, d’ailleurs ? Comment il va ? » lui brûle les lèvres, elle la garde pour elle. Au moins pour l’instant, le sentiment qu’aborder ce sujet devant le petit dernier de la fratrie n’est sans doute pas l’idée du siècle. Pas lorsque Haru l’a probablement amené ici pour le sortir un peu du quotidien morose qui doit être celui de la famille désormais, lui offrir une bouffée d’air frais, une bulle d’enfance normale dans cette drôle de vie. Alors devant lui elle préfère aborder un sujet plus léger ; ne pas ruiner tous les efforts qu’a dû déployer son grand frère.

- Vous avez passé la journée tous les deux, du coup ? Vous avez fait quoi de beau ?

❝ inner child ❞
-- ft reira

Ta sagesse remise en cause par Reira, et si seulement elle savait. Si seulement elle te voyait à l’ouvrage tous les jours que dieu fait depuis ton retour à Busan. Elle serait surement étonnée ton ancienne meilleure amie, surement hébété de te voir si terre à terre et de te voir dans le troisième grand rôle de cette famille qui commence à doucement – mais surement, se casser la gueule sans que tu ne puisses rien y faire. Grand frère toujours présent pour les uns et les autres ; employés model pour le compte des parents. Si elle te voyait chaque jour comme t’es réellement, elle ne dirait pas ça Reira. T’en es certains, mais tu ne veux pas qu’elle te voit si sérieux, tu ne veux pas qu’elle voit ô combien t’as été forcé de grandir soudainement pour que rien ne se casse la gueule. C’est bien plus simple, plus rassurant lorsqu’elle agit comme si t’étais le même qu’avant, Reira. Ça te ramène à un temps qui n’existe plus, ce fameux temps de l’insouciance. Lorsque les problèmes de ta vie ne se résumait qu’à savoir avec qui tu coucherais le soir-même et dans quel pays tu finirais le jour d’après.

Et tu ne réponds pas, éternel chieur qui préfère agir comme si il n’avait rien entendu, s’occupe plutôt de ce petit chiot qu’il a entre les mains ; lui parle comme si il était un être humain de la même espèce que toi. Pucci à qui tu demandes implicitement si Reira lui a fait des misères ; faisant rire ton petit frère mais bien moins la principale concernée qui réplique déjà que le plus fou de vous deux c’est toi. Car t’as osé la porter vulgairement la dernière fois ; te rappelle de l’empreinte de tes doigts sur l’arrière de ses cuisses ; te rappelle sentir ses longs cheveux glisser contre ton échine.

- Je maintien, la folle alliée c’est quand même celle qui pleurnichait pour que je la relâche mais qui riait et s’accrocher à moi car elle trouvait ça trop drole … Mais ne créons pas de débat …

Car tu sais d’avance qu’elle niera tout en bloc Reira, n’assumera jamais le comportement qu’elle a pu avoir cette fameuse nuit. Aussi mignon soit-il, aussi sincère a-t-elle pu être durant certains moments. La fierté trop grande qui la ronge et ça, sans compter le fait qu’elle soit en couple, que surement que ça la gêne de s’avouer qu’elle a pu agir par moment comme une célibataire. Alors tu baisses la tête, n’en dit pas plus et caresse la toute petite tête de son chien en souriant jusqu’à voir les pieds de ton petit frère s’agiter, battre le vent en crevant d’impatience.  

- Du calmeee, c’est bon j’rends les armes j’vois c’est qui le nouveau préféré chez les Seomun.

Eunchang qui t’as détrôné bien trop rapidement dans le cœur de Reira si on t’écoute, et tu ne peux même pas lui en vouloir si c’est vrai car il est vraiment mignon ce petit con et sait très bien comment obtenir ce qu’il veut avec son regard de petit garçon triste quand il s’y met. Et là en l’occurrence, qu’il veut c’est récupérer le petit chien alors tu le lui mets sur les jambes, lui répète qu’il faut être sage et faire attention à ne pas être brusque. Il hoche de la tête le brun, te promet qu’il sera tout doux avec Pucci et t’hoches de la tête, vient plutôt poser des questions « indiscrètes » à ton ancienne meilleure amie qui ne semble pas offusquer lorsque tu lui demandes si acheter une telle sorte de chien a un cout exorbitant puisqu’elle te répond que ça a un certain prix mais que ça fait tellement longtemps qu’elle saoule son petit-ami pour en avoir un qu’il a fini par succomber. Surement qu’à sa place, toi aussi t’aurais fini par lâcher prise, l’aurait laissé prendre un chien Reira si c’est réellement ce qui lui fait plaisir. Alors t’hoches de la tête, lui sourit sans t’imaginer un instant que ce caprice est passé pour la simple et bonne raison qu’il a abusé, s’est montré dégueulasse envers la jolie poupée à laquelle tu prêtes une relation parfaite avec son amour de jeunesse.

-  C’est cool en tout cas, t’as bien fait de le prendre… Il est mignon Pucci, plus que toi quoi.

Et déjà tu te lèves, lui donnes ta place en ricanant. Une bêtise prononcée à haute voix contre un acte de gentillesse pour qu’elle ne se vexe pas trop, ne prenne pas au sérieux tes mots. Car en réalité tu l’embêtes, faudrait vraiment être con pour ne pas la trouver magnifique la brune. Mais tu ne t’attardes pas plus longtemps sur elle, car t’aimerais pas qu’elle te pense bizarre à la fixer sans raison. Alors tes prunelles glissent un instant sur ton petit frère qui pour une fois, se montre sage et vraiment doux dans ses gestes. Quelques secondes que tu passes à le zyeuter, sourire sur les lèvres avant de t’intéresser de nouveau à la brune lui demander un peu plus de détail sur sa journée. Une journée en somme plutôt calme d’après ses dires, si elle est arrivée un peu plus tard que prévue ce n’est pas car il y avait un monde fou à la boutique mais car son patron était en retard alors t’hoches de la tête et répond à ton tour :

- Non pas de superette pour moi aujourd’hui, on a fermé pour la journée car y’a des peintres qui sont venu faire les propretés … Il était temps d’y mettre un petit coup de neuf donc je passerais juste plus tard voir ou ça en est, ranger quelques trucs et demain je rouvre.

Car l’affaire Seomun ne peut pas se permettre de fermer plus qu’une seule journée, vous êtes déjà ric rac pour vous aligner à la concurrence depuis quelques années. La faute à ces nouvelles enseignes ou une machine fait le travail de deux ou trois employés à la fois ; ces échoppes dans lesquelles l’authenticité commence à se faire de plus en plus rare et qui ne semble ni manquer ni alerter le peuple qui petit à petit oublie le contact humain ; les recettes d’antan qui faisait de votre pays l’un des rares dans le monde à être encore dans les traditions d’antan. Un sujet qui te ferait débattre des heures si on te lançait dessus. Un sujet qui t’échauffe le cerveau rien que d’y penser heureusement pour toi, Reira te coupe dans tes pensées en te demandant si vous avez passé la journée ensemble et Eunchang le premier répond à la question en répondant à Reira tout en faisant des calins à son chiot :

- Ouuuui Haru il a bien voulu que je dorme chez lui, il est trop sympa même si le matin il est ronchon.

Roulement des yeux inévitable, l’envie de lui coller une pichenette sur le bout du nez qui te démange. Et puisqu’il semble s’en arrêter là, ne pas en dire plus à Reira tu prends la parole et lui dit :

- Alors oui, on a passé la journée ensemble car comme il vient de le dire il a forcé pour dormir chez moi et non, je fais pas la gueule le matin. Tu parles juste trop p’tit insolent. D’ailleurs c’est pas comme ça qu’on parle de son ainé devant une fille.

Sourcil que tu fronces, la langue que tu lui tires avant de détourner ton attention de sa petite frimousse de diablotin et reprendre :

- On est resté à la maison, tu sais le temps de ranger un peu, faire à manger il était déjà tard … On a pris la douche et on est venu ici car il commençait à devenir intenable… Vivement qu’il retrouve sa mère quoi.

Sourire niais, les paupières que tu clignes plusieurs fois d’affilé en fixant ton petit frère tout en parlant de sa mère comme si vous ne partagiez pas la même. La langue qu’il te tire et que tu lui tires à ton tour, deux gamins se faisant face tout en ayant vingt ans d’écart. Et tu soupires, tourne la tête vers Reira et lui dit :

- Et si on allait se mettre dans l’herbe ? C’est pas plus agréable pour le chien d’être parterre plutôt que sur un banc ? Puis au moins on peut s’asseoir … Si vous voulez.

Sauf qu’il y a un prénom scandé dans un cri de joie qui te fait te retourner, avorte la conversation plus tot que prévu. C’est pas le tien de prénom qui est hurlé mais celui de ton petit frère. Et tu vois une petite silhouette arriver en courant, une petite fille aux cheveux aussi brun que vous qui s’arrête toute heureuse de voir son ami ici. Une petite fille qui invite ton frère à aller s’amuser. Une petite fille qui semble être dans la classe d’Eunchang si tu comprends bien. Petit diablotin qui te demande la permission en amont avant de se lever, de saluer poliment Reira en lui rendant son chien. Et voilà qu’il s’échappe court jusqu’à l’air de jeu vous laissant tous les deux sur la touche.

- Ah bah génial, on était là pour lui et il nous abandonne pour jouer avec une fille …

❝ inner child ❞
-- ft haru

Le beau diable ne peut rester docile bien longtemps – et déjà les palabres moqueuses échappent à ses lèvres. Il paraît que Pucci serait plus mignon qu’elle, et ce n’est même pas comme si elle pouvait elle pouvait le contredire, Haru. Car c’est un fait, le chiot est adorable – et elle ne peut rivaliser, elle le sait. De là à le souligner… Il pousse le bouchon un peu trop loin, et heureusement qu’il lui cède sa place sans quoi elle aurait pu réellement faire un scandale. Au lieu de quoi elle se contente de redresser fièrement le menton, rétorquer avec un narcissisme qui lui ressemble trop peu :

- Mh… C’est pourtant difficile…

Comme si elle était si mignonne que la pauvre boule de poils peinait à la dépasser – strictement personne ici ne croit à ce mensonge, elle la première. Le banc sur lequel elle s’installe, ses yeux se perdent sur le petit animal dans les mains de l’enfant – et un instant ils demeurent silencieux, à seulement observer la scène adorable qui se joue sous leurs yeux. Silence confortable que Haru vient pourtant faire voler en éclats lorsqu’il lui demande s’il y avait du monde au magasin, aujourd’hui. Elle lui répond que non, pas spécialement, lui retourne une question sur son travail ; l’écoute lui expliquer que la boutique était exceptionnellement fermée pour cause d’entretien, qu’il lui faudra passer un peu plus tard pour vérifier que tout est en ordre. Et elle hoche la tête, Reira – l’attention entièrement rivée sur lui, elle boit ses paroles lorsqu’il ne lui parle pourtant que de son travail. Mais ces instants, aussi insignifiants soient-ils, demeurent importants à ses yeux ; tentative maladroite de renouer avec le passé, retrouver ce qu’ils avaient, sans la moindre assurance que l’histoire ne se reproduira pas pour mieux la briser.

- C’est bien, ça a dû te permettre de souffler un peu finalement.

Ou pas. Car il s’est de toute évidence retrouvé à jouer les baby-sitters à défaut de travailler, mais cela reste des instants en famille, et ne dit-on pas qu’ils sont précieux ? C’est ce qu’elle a toujours entendu de la bouche de ses amis qui, contrairement à elle, n’étaient pas enfants uniques, du moins. Reira qui ne peut s’imaginer ce que ça fait de devoir partager ses parents, son quotidien avec un autre enfant. Peut comprendre que même si Haru a – elle l’espère – passé une bonne journée, cela puisse être fatigant de se voir confiée la responsabilité d’un enfant ; devoir sans cesse être sur ses gardes pour s’assurer qu’il ne lui arrive pas malheur. Et ainsi, elle lui demande s’ils ont passé la journée ensemble, tourne la tête vers Eunchang en l’entendant lui répondre. Apparemment le jeune homme a accepté qu’il passe la nuit chez lui, et un éclat de rire lui échappe en apprenant qu’il était de toute évidence de mauvais poil ce matin, le sourire en coin lorsqu’elle lui répond :

- Ah oui ? Je vois qu’il n’a pas changé, qu’il est toujours aussi mal luné au réveil qu’à l’époque…

Car même enfant, du temps où ils pouvaient encore partager la même chambre sans que cela n’éveille toutes les commères du quartier, Haru commettait l’exploit rare d’être particulièrement grognon de bon matin. Elle savait qu’il ne fallait pas trop l’embêter tant qu’il n’avait pas eu son bol de céréales devant la télé – le garçon qu’elle regardait manger du coin de l’œil, les yeux encore endormis derrière ses cheveux pas coiffés, en attendant qu’enfin il redevienne le meilleur ami drôle et emmerdeur qu’elle connaissait. Et là encore, ça la rassure un peu de voir que certains points n’ont pas changé. Que huit années n’auront pas suffi à faire de lui un total inconnu. Et la bouche se plisse en une moue dubitative en l’entendant rétorquer qu’il n’est pas spécialement aigri au réveil – Reira, elle demande à le voir pour le croire. L’aîné qui réprimande son petit frère de parler ainsi devant elle, et elle ne peut s’empêcher de rétorquer :

- Oh, pas de ça entre nous… Je connais tous tes secrets Haru, t’as plus d’image à préserver devant moi, t’inquiète pas…

Et c’est peut-être pas si vrai, qu’elle sait tout de lui, Reira. A une époque oui, le temps où ils se disaient tout, où le dialogue était facile et les plus sombres confidences sortaien, limpides. Mais huit années ont passé, et il a eu plus que le temps de se forger mille et un nouveaux mystères. Et tout cela elle le sait, Reira. S’efforce seulement de ne pas y penser, pour ne pas se blesser toute seule une nouvelle fois. Aime mieux se pencher un peu vers Eunchang pour lui glisser :

- Du coup écoute pas ton grand frère hein, si t’as des trucs à me dire à son sujet… Hésite pas surtout…

Et le visage bien trop angélique, battements de cils lorsqu’elle relève son regard vers Haru pour l’écouter parler. L’écouter lui raconter leur journée, la tête qu’elle hoche un peu trop sagement, un sourire qui se perd sur ses lèvres de le voir se comporter avec son petit frère. Les langues tirées, les piques lancées – comme deux gamins de cinq ans, et finalement il n’a pas changé Haru. Cet enfant qui a su attendrir son cœur échaudé par les coups de ciseaux dans ses cheveux, il y a déjà vingt ans, vit toujours en lui. Et le regard s’attendrit sur eux, le sourire s’agrandit ; les yeux clignent pourtant lorsqu’il tourne la tête vers elle, prise en flagrant délit, alors déjà elle baisse les yeux, regarde ailleurs – tout pour avoir l’air encore plus coupable, en somme. Alors elle hoche vivement la tête, se raccroche désespérément à sa proposition de plutôt aller s’asseoir dans l’herbe ; une pique, trop facile, réflexe de défense après qu’il l’ai surpris dans cette posture embarrassante.

- Tu fatigues déjà… ? Fallait pas me proposer ta place si tes jambes tiennent pas trois minutes hein pépé…

Reira ou l’ingratitude en personne – et sans doute est-il déjà en train de se jurer que plus jamais il ne lui cédera sa place où que ce soit. Mais de toute manière, ils n’iront probablement jamais s’asseoir sur cette pelouse. Car une petite voix hurle le nom des deux garçons, et lorsqu’elle tourne la tête, elle aperçoit une petite fille aussi mignonne que Eunchang accourir dans sa direction – et avant qu’ils n’aient le temps de comprendre quoi que ce soit, Pucci est de retour sur ses genoux et ils sont laissés seuls, à se fixer dans le blanc des yeux. Et elle est moins à l'aise, Reira, maintenant que le petit frère n'est plus là pour faire tampon entre eux. Embarrassée par leur dernière entrevue ; les flashs flous de cette soirée durant laquelle elle a dit, fait bien trop de choses risibles. Des choses qu'il retournera contre elle à la première occasion, elle le sait. Mais pour l'heure Haru se plaint que son petit frère les ai planté là lorsque c’est pour lui qu’ils sont venus ; et à ces mots les sourcils se haussent, trop naturellement elle répond :

- N’aie pas l’air si déçu d’être coincé avec moi… A l’époque t’abandonnais tes parents exactement de la même manière pour aller jouer avec moi, j’te rappelle.

Et un sourire amusé se perd sur ses lèvres à ces mots, au flot de souvenirs qui l’assaillent. Des après-midi entiers passés dans les jardins publics de Busan, à se courir après dans les allées ou à gravir cent fois les marches du toboggan ; dans la chambre de l’un ou de l’autre, à couvrir des feuilles par dizaines de leurs gribouillis de plus en plus reconnaissables, le temps passant ; et plus tard, à se perdre dans les rues de la ville, découvrir mille et un recoins cachés, traîner un Haru parfois réticent dans toutes les friperies qui croisaient leurs chemins. Et comme Eunchang, il a toujours accouru pour elle – de la même manière qu’elle a toujours accouru pour lui, le fait encore aujourd’hui, de toute évidence, lorsqu’on voit la facilité avec laquelle elle a abandonné ses projets coutures de cette fin de journée dès l’instant où il lui a demandé de lui rendre ce service. Pour son petit frère, bien sûr. Certainement pas pour lui.

- On va quand même se poser dans l’herbe ? A moins que tu préfères rester sur le banc. C’est comme tu préfères.

Car elle comprendrait qu’avec la fraîcheur de l’hiver, la propension de la terre à conserver l’humidité de la rosée, il n’ai pas spécialement envie d’aller s’asseoir dans l’herbe. Y a sans doute que les propriétaires de chien et les enfants insouciants pour prendre le risque de finir avec le pantalon tout humide, des traces d’herbe ou de terre sur les chaussures pour peu qu’ils n’aient pas été assez prudents. Et son regard suit les deux enfants qui se sont déjà éloignés bruyamment, l’étonnement sincère dans sa voix lorsqu’elle demande :

- C’est vraiment qu’« une fille », cette petite ? Tu me feras pas croire que tu la connais pas, ils ont l’air super proches tous les deux.

Car une complicité pareille, criante même aux yeux d’une quasi inconnue, ça ne s’invente pas. Et sans doute qu’ils lui rappellent un peu les enfants qu’ils étaient, Haru et elle, et leur amitié presque fusionnelle, pour qu’elle en vienne à poser une question pareille.

❝ inner child ❞
-- ft reira

O qu’il a la langue bien pendue ton petit frère, t’en écarquille les yeux, le foudroie du regard pour lui demander de se taire sans ne serait-ce qu’un seul mot ne soit prononcé. Surtout qu’il dit que des conneries à ton sujet t’es sûr et certains que t’es pas si ronchon le matin. N’en déplaise à Reira qui elle, donne bien évidemment raison à ton cadet. Alors à elle aussi tu lui jettes un regard méchant, jusqu’à qu’elle te rappelle qu’elle te connait depuis bien trop longtemps pour que tu puisses la lui faire à l’envers. Car votre enfance vous l’avez passé ensemble, dans la maison parentale de l’un et de l’autre. Des nuits ensemble vous en avez passé des tonnes jusqu’à que l’adolescence rende ceci plus compliqué à entendre par vos parents respectifs et que les quelques nuits à partir de vos treize ans vous les passiez dans des pièces séparées. Comme si vous étiez des animaux, incapable de vous retenir. Avec le temps ça te dégoute un peu cette façon de penser, les choses qu’ils pouvaient s’imaginer alors que vous n’étiez que des gamins. Puis tu te rappelles que tu l’as finalement aimé Reira quelques années après, qu’ils n’étaient pas si loin de la réalité. Peut-être pas aussi jeune mais si un peu plus tard dans l’adolescence elle t’aurait aimé en retour, surement que vous auriez fait ce qui vous étais pourtant interdit. Une simple pensée qui te fait légèrement rougir, te trouble l’esprit. Les prunelles qui dérivent de Reira à ton petit frère alors que ton cœur tambourine dans ta poitrine le temps de quelques secondes.

Non désolé Reira, tu ne connais pas tous mes secrets.

Et heureusement, car elle serait surement choquée d’apprendre que t’ai pu faiblement tomber amoureux d’elle quand vous étiez un peu plus jeune. Mais c’est pas de ta faute Haru, c’est la faute aux hormones, au fait qu’elle soit trop jolie et souriante déjà à l’adolescence. Que ses doigts glissaient trop souvent dans tes cheveux sombres même si ce n’était que pour les ébouriffer, que ses bras encerclant ton corps pour une étreinte pourtant qu’amicale ne te laissaient plus de marbre comme auparavant. T’as eu un moment de faiblesse Haru, comme plusieurs autres garçons au lycée à cette période-là. Sauf que t’as jamais eu à y faire face à cette réalité, que t’as jamais eu à avouer tes sentiments à Reira car les rumeurs courraient depuis déjà des années à votre sujet, qu’avec le passage du temps celles-ci n’avaient plus aucun impact sur vous. C’était vu et revu qu’on vous invente une relation amoureuse ainsi que des sentiments alors elle ne s’en est jamais douté la brune et toi, t’as simplement continué de nier comme tu l’avais toujours fait. Réminiscences accaparantes, assez pour ne pas remarquer que ton ancienne meilleure amie se permet de chuchoter quelque chose à Eunchang et que le petit garçon hoche de la tête sagement tout en répondant qu’il n’hésitera pas à le faire. Toi tu te réveil à ce moment-là, reprends de volée le petit en lui disant d’être respectueux avec ses ainées tandis que lui, en vient à te faire des grimaces, te faire comprendre à sa façon que t’es méchant. Une méchanceté inexistante, un détail que tu préfères ignorer en proposant aux deux gosses que tu gardes si ils ne préféreraient pas plutôt prendre place dans l’herbe. Si ton frère semble s’en foutre, ne fait même pas attention à ce que tu dis, Reira elle, baisse un instant les yeux en croisant ton regard, reprends du poil de la bête en mettant son grain de sel lorsqu’elle te demande si tu commences déjà à fatiguer, te fait comprendre qu’il ne fallait pas lui filer ta place si c’est pour te plaindre d’être debout cinq minutes après. Fierté piquée, t’es prêt à lui répondre qu’il n’est pas question de fatigue, que des journées debout tu peux en faire 1000 à l’affilé mais une petite fille déboule à toute vitesse en scandant le prénom de ton frère t’otant les mots de la bouche par surprise. Attention accaparée, jolie petite poupée que vous fixez et écoutez tous les trois avant qu’elle ne s’en aille main dans la main jouer sur l’aire de jeu avec Eunchang d’un commun accord.

Vous voilà seul dorénavant, chose que tu fais remarquer à Reira, un brin ébaubi de la tournure qu’on prit les choses en quelques minutes à peine. Eunchang un peu trop populaire à ton gout ; et t’en viens à te demander si il n’est pas parti sans que t’insiste comme un fou car il te trouve réellement méchant avec lui. Légère culpabilité qui vient te tordre les tripes, la scène que tu te rejoue dans la tête avant de te rappeler que ce n’est qu’un enfant de cinq ans, qu’il a simplement préféré s’amuser avec une amie de son âge plutôt que de rester avec deux adultes qui parlent de chose dont il s’en fiche puis Reira a raison, tu faisais pareil à son âge toi aussi.

T’aurais abandonné la planète entière pour jouer avec elle.

- Alors déjà, j’suis pas déçu d’être coincé avec toi, bien au contraire. Puis j’suis d’accord avec ce que tu dis mais moi, j’avais pas un grand frère génial donc forcément que j’allais m’amuser avec les petites garces comme toi ! Mais dans son cas, je serais resté avec mon super grand frère hein … Pas toi ?

C’est muni d’un sourire en coin, d’un sourcil arqué que tu lui poses cette question, à elle qui n’a jamais eu la chance d’avoir des frères et sœurs pour occuper son quotidien. Reira qui t’as surement considéré à un moment ou un autre comme tel et qui même avec les années qu’ont passé, t’a appelé ce fameux soir pour un peu de réconfort. Reira auprès de laquelle tu prends de nouveau place sur ce banc, la tête de son chien que tu caresses en lui répondant :

- Ça te gêne pas si on reste là du coup ? J’peux surveiller le petit monstre au moins d’ici.

Eunchang sur lequel tu préfères garder un œil, car il peut parfois être brusque et au-delà de ça, t’aurais trop peur qu’il échappe à ta vue, que tu ne le retrouves pas ou qu’il se fasse mal sans que tu t’en rendes compte si t’es trop loin. Eunchang que vous regardez jouer avec cette petite fille dont tu ne connais pas le prénom, tu sais qu’il t’en a déjà parlé mais de là à l’avoir retenu… T’as encore des efforts à faire.

- Nan, en vrai c’est une copine de classe qu’il a depuis tout petit de ce que j’ai compris mais j’avoue je me rappelle pas de son prénom… J’sais juste qu’ils s’embêtent mutuellement.

Un peu comme vous deux plus jeunes. Ils sont le reflet des gosses que vous étiez il y a plus deux décennies à peu près. Des enfants heureux, insouciants. Des gosses qui ne pensaient qu’à rire et qui n’avaient aucune rancune, aucune gêne à se bouder et se reparler l’instant d’après.

- ça te manque d’être enfant … ? Genre l’âge d’Eunchang ou t’as préféré l’adolescence ?

La tête que tu tournes vers elle, curieux d’entendre sa réponse. Car toi à choisir, c’est l’enfance que t’aimerais bien revivre. T’as l’impression que c’est plus jeune que t’as le plus profité – sans compter ta période hors busan, là ou t’as le plus voyagé. Mais c’est enfant que t’as le moins souffert. Lorsque t’étais encore la priorité de tes parents ; lorsqu’avec Reira tout tenait qu’à une amitié sans ambiguïté. L’adolescence a été un lourd fardeau pour toi et si tu pouvais simplement l’effacer, surement que tu le ferais.

- J'suis désolé tu sais ? Vraiment désolé d'avoir gâché notre amitié au lycée. Cette fois t'es pas bourrée et j'tenais à te le dire.

Car tu sais que t'es le fautif ; qu'elle n'a jamais eu d'explication à ça Reira. Et à défaut de lui donner des explications sur le comment du pourquoi cet éloignement, c'est de plates excuses que tu lui présentes. Car elle les mérites, plus que quiconque au monde.

❝ inner child ❞
-- ft haru

Contre toute attente, Haru ne semble pas déçu de se retrouver en tête-à-tête avec elle. Les instants qu’ils vont désormais devoir partager – et Reira ne peut s’empêcher de redouter certains sujets, comme à tout hasard le lycée, ou encore leur dernière entrevue. Car elle connaît un peu trop bien Haru pour espérer qu’il les laisse de côté ; sait déjà qu’il en abordera au moins un, leur conversation par SMS comme avant-goût de cette discussion. Et à en croire le jeune homme, c’est surtout le fait que son petit frère ait abandonné un grand frère si génial qui le surprend. Et il y a de quoi, c’est vrai, car il a vraiment l’air super avec Eunchang. Suffisamment présent et gentil pour le laisser dormir chez lui, céder à ses caprices quitte à demander l’aide d’une… amie ? Elle ne sait même pas comment ils sont supposés se qualifier, après tout ce qui s’est passé. Pour autant, elle ne peut pas le lui dire à voix haute, tout cela – car il vient de la traiter de petite garce lorsque c’est tout de même lui qui s’est improvisé coiffeur, ses cheveux à elle qui en ont fait les frais, à l’époque, mais bref.

- J’avoue… C’aurait toujours été mieux que d’aller jouer avec toi, c’est sûr…

Car si Narcisse veut à ce point s’auto-congratuler, il fallait bien qu’elle rééquilibre la balance, n’est-ce pas ? Mensonge éhonté lorsque tout Busan de l’époque savait avec assurance qu’elle l’aurait suivi au bout du monde, ce gamin, même si c’était pour chouiner au bout de cinq minutes car il aurait déjà épuisé tout son stock de patience. Mensonge d’autant plus grand qu’elle n’a même pas de frère, ni grand ni petit, pas plus qu’elle n’a de sœur – alors elle ignore tout des relations fraternelles, n’a eu que les Seomun, certains autres amis comme écho à ce sujet. Mais jamais au grand jamais elle ne pourra se figurer ce que ça fait ; sait pourtant qu’aussi génial aurait pu être son grand frère, elle aurait fini par le laisser tomber pour Haru. Et finalement, bien que prête à aller s’asseoir dans l’herbe, elle voit le jeune homme prendre place à ses côtés – alors soit, ils resteront sur le banc. La tête qu’elle secoue doucement lorsqu’il lui demande si cela la dérange, lui explique que d’ici il peut au moins garder un œil sur son frère.

- Non, bien sûr que non, c’est normal !

Et elle sait pas comment il fait, Haru. Elle, rien que d’imaginer avoir la responsabilité d’un enfant, elle a des bouffées d’angoisse qui montent. Rien que pour adopter Pucci, elle avait peur, un peu, au début – craignait de mal remplir son rôle, ne pas savoir en prendre soin correctement. Mais alors un enfant… Cette perspective l’effraie plus encore, la faute à cette impression que les menaces sont plus grandes encore pour ces derniers, que les personnes les plus tordues, ce sont eux qu’elles recherchent et pas des petits chiens comme Pucci, aussi mignon soit-il. Et la surprise est sincère dans sa voix lorsqu’elle lui demande s'il ne connaît vraiment pas cette enfant – car ils semblent bien trop proches pour qu’elle soit une quasi inconnue aux yeux des Seomun. Haru, il lui avoue que c’est en réalité lui qui ne retient pas son prénom, et à ces mots Reira lui fait les gros yeux, un sourire amusé aux lèvres lorsqu’elle lui met une petite tape sur la tête.

- Tu pourrais faire un effort quand même ! C’est la copine de ton frère, Haru…

Et ils ont l’air proches, et d’après le jeune homme, ils s’embêtent mutuellement, et ils ne font alors que lui rappeler un peu plus encore les enfants qu’ils étaient. Les amis qu’ils étaient, à s’apprivoiser avec toute la maladresse et la simplicité des gosses ; à sans cesse se chamailler, lui l’embêter et elle pleurer, jusqu’à ce qu’elle se mette à l’emmerder à son tour, comprenant qu’il n’y a qu’ainsi qu’elle parviendrait à le canaliser un peu. A faire des plans sur la comète et se promettre le monde, une vie heureuse et à jamais ensemble « quand ils seraient grands ». Jusqu’à ce que la vie fasse son habituel travail de sape et que la réalité les rattrape. Et comme s’il lisait dans ses pensées, il lui demande si cette époque lui manque ; si elle a préféré son enfance ou son adolescence.

- Ben figure-toi que cet âge a été gâché par un petit garçon qui trouvait rien de mieux à faire que de saboter ma coupe de cheveux en classe…

Sourire amusé, un coup d’œil qu’elle lance dans sa direction. Rancune tenace dont elle fait preuve, à lui rappeler ce fâcheux incident à tout bout de champ – mais la rancune est tout aussi factice, seulement feinte pour le plaisir de l’embêter, car il semble toujours tiquer lorsqu’elle remet cet épisode sur le tapis. Et elle prend une petite inspiration, le temps d’y réfléchir plus sérieusement. Le regard qu’elle détourne pour plutôt fixer sans vraiment regarder ce qu’il se passe sous son nez, les doigts distraitement perdus dans les poils de Pucci.

Alors, Reira ? Enfance ou adolescence ?

Choix cornélien, car les deux ont eu leurs hauts et leurs bas. Puis Haru, tu parles de l’adolescence avant ou après que tu m’aies lâché ? Car ça change tout, ça. Si c’est après, la balance penchera sûrement vers l’enfance. Et en même temps, c’est à l’adolescence qu’elle a rencontré Kai. C’est finalement à l’adolescence qu’elle a eu les deux hommes qu’elle a le plus aimé dans sa vie – même si tristement, ils n’ont pas su y cohabiter. Et c’est difficilement qu’elle finit par trancher, tournant de nouveau la tête vers lui :

- C’est compliqué oh, t’es chiant avec tes questions… J’ai passé des super moments dans les deux cas. Après… Je me souviens qu’enfant, j’étais vachement saoulée qu’on me laisse rien faire justement parce que j’étais trop petite, donc je crois qu’à choisir c’est l’adolescence que j’ai préféré. Pour sa liberté. Tu sais, c’est à cet âge-là qu’on a commencé à nous laisser nous promener tous seuls dans les rues de la ville, c’est aussi là que j’ai vraiment pu faire ce que je voulais vestimentairement parlant… Je pense que c’était plus marrant comme période, rétrospectivement. Si on fait s’arrêter l’adolescence à dix-sept ans, en tout cas.

Et fidèle à elle-même, Reira dit les choses sans les dire. Lâche mille et une allusions, mais rien de suffisamment tangible pour qu’on puisse la mettre face à ses sous-entendus – car ce serait bien trop simple de lui dire cash « tu m’as brisé le cœur le jour de cette rentrée en dernière année de lycée, donc oui, d’un coup elle était moins marrante l’adolescence ». Et une fois n’est pas coutume, sans doute qu’il aurait mieux valu qu’elle les ravale, ses sous-entendus. Car contrairement à elle Haru ose mettre les pieds dans le plat ; s’excuse pour la façon dont les choses ont tourné au lycée. Et Reira reste interdite. A le fixer en clignant des yeux, incapable de croire qu’il a vraiment dit ça. Tout de go. Et elle ne s’y attendait tellement qu’elle lâche, bien trop spontanément :

- Ah ouais, t’y vas franco toi…

Car elle ne sait que lui répondre, à Haru. Sait seulement exprimer la surprise d’excuses qu’elle n’attendait plus – qu’elle s’était persuadée de ne même pas mériter, le temps passant –, la surprise de le voir déjà aborder ce sujet qui pour elle est si épineux. Et elle finit par baisser les yeux, hausser les épaules avec un petit soupir.

- J’suppose que j’ai mes torts aussi ? J’ai pas non plus essayé de te récupérer pendant trois ans après ça…

Et depuis le temps, à avoir trop retourné la question dans sa tête, elle ne sait même plus si elle a vraiment fauté ou non, elle aussi. Gamine trop fière qui s’est détournée en le voyant rigoler – une fois de plus – avec ses nouveaux amis ; gamine trop vaniteuse réellement persuadée qu’elle ne pouvait pas perdre au jeu du « qui rappellera l’autre le premier ».

- Depuis j’ai appris à plus jouer à attendre que l’autre m’envoie un message, tu sais ? J’ai déjà vu les dégâts que ça pouvait faire, c’est bon.

Et le sourire se fait triste sur ses lippes lorsqu’elle relève les yeux vers lui. Car c’est en attendant un message qui n’est jamais arrivé qu’elle l’a perdu, Haru – pour ce qu’elle a longtemps cru être définitif. Trop puérile pour considérer qu’il méritait quand même qu’elle se batte pour lui. Et de nouveau elle détourne les yeux, les rive plutôt sur les gamins sur l’aire de jeux.

Et j’espère qu’un futur plus heureux vous attend, vous tous.
Que vous saurez rester amis avec ces gamins avec qui vous jouez,
que vous serez un peu moins bêtes que nous.

- Après… Je t’avoue que j’ai jamais vraiment compris ce qui s’était passé. J’ai pas capté, qu’est-ce que j’ai fait de mal, à ce moment-là, pour que tu… fasses ça ?

Et de nouveau, son regard se dirige vers le sien. Ose enfin se braquer dans le sien. Car cette question, cette putain de question lui a torturé l’esprit pendant bien trop longtemps ; alors elle estime mériter une réponse, Reira.

Qu’est-ce que j’ai fait, Haru ?
A quel moment j’ai merdé ?

❝ inner child ❞
-- ft reira

Parait-il que tu pourrais faire un effort Haru, pourrait retenir le nom de cette petite fille par respect pour ton frère et la relation qu’il entretient avec elle. Mais des efforts, t’as l’impression d’en faire tout le temps ; des efforts tu ne fais que ça depuis que t’es revenu à Busan. Que ce soit en aidant tout le monde ; en t’occupant des problèmes des uns et des autres ; en gardant Eunchang bien trop de fois dans la semaine au point où les gens commencent à s’imaginer que c’est ton enfant. Alors ouais, surement que tu pourrais être un meilleur frère Haru, un grand frère d’exception comme t’aimes tant l’imaginer, le prétendre pour rigoler. Mais t’es un humain avec des failles, y’a des détails insignifiants comme les prénoms des amis à tes frères et sœurs que t’oublies, des bons de commandes à l’épicerie que tu jettes avant même d’avoir fait tes comptes et vérifications. Pleins de petites erreurs que tu commets sans le vouloir, que t’aimerais rectifier mais tu n’en n’as pas toujours la chance Haru, peut-être qu’un jour ça viendra.

Mais toi Haru, quand tu vois ces gamins riant aux éclats, s’amusant comme des fous sur l’esplanade tu te dis que t’aimerais bien être de nouveau à leur place. Car c’était le temps de l’insouciance, l’époque durant laquelle on ne te demandait pas d’être constamment fort ou de t’occuper des autres. Alors bien évidemment que t’es envieux et t’en viens à lui demander si à elle, ça lui manque comme ça peut être le cas pour toi. Mais Reira, de l’enfance elle n’en a retenu qu’un seul évènement. Cette mèche dérobée, cette mèche qui l’a obligé à porter une coupe au carré qu’elle n’a jamais souhaité. Alors tu roules des yeux, une énième fois à l’entente de cette histoire que tu connais mieux qu’elle pour avoir été le gosse qu’a coupé cette fameuse mèche et fait mine de ne pas avoir entendu qu’elle vient encore de la remettre sur le tapis. Toi, à la place tu lui demande curieusement de choisir entre adolescence et enfance. Un choix qui semble compliqué pour la brune, à croire que tu lui demandes de choisir entre père et mère lorsque pour toi, c’est évident que l’enfance a été bien meilleure que l’adolescence. Car à l’adolescence t’as connu ce premier amour destructeur, pas réciproque pour ton plus grand malheur. Que t’as dû faire le choix de t’éloigner d’elle pour ne plus souffrir et tout ça, ça pèse bien plus lourd sur la balance que la liberté dont elle te parle, les premières sorties en boite, journée passer en ville et tes premiers graffiti nocturnes sur les murs de la ville. Mais tu comprends quand même son choix, l’entends même si toi tu ne le partages pas.

- Puis t’as connu Kai, ne l’oublions pas. L’amour de ta vie quand même…

Que tu lui dis, le sourire aux lèvres. Car même si ça t’as fait énormément de mal par le passé qu’elle se mette avec ce gars-là, quand tu vois la finalité tu te dis que ce n’était pas une peine gâchée. Même si cet éloignement semble l’avoir tout autant touché qu’à toi ; car c’est ce que tu comprends en lisant entre les lignes de son discours. Du moment que t’as décidé de couper les ponts avec elle, l’adolescence a pris fin et tout a pris une tournure différente. Et pour ce mal causée, toutes ces années perdues à ne plus vous parlez, agir comme si vous étiez moins que des connaissances tu viens t’excuser Haru. Des plates excuses envers la fille que t’as le plus aimé et apprécié dans ta vie en tant qu’amie. Des excuses amplement méritées, qui sortent du cœur que tu viens lui présenter. Des excuses qui la rendent bêtes, des excuses auxquelles elle ne s’attendait pas – plus, après tant d’années.

- Ouais, des fois il faut être franco toute façon toute cette discussion nous pends au nez depuis qu’on se revoit… Puis je vais pas me voiler la face et faire comme si c’était pas vrai, que c’est pas moi qui me suis éloigné.

Ça serait quand même te voiler la face que d’agir comme ça. T’as toujours été du genre à assumer tes actes Haru, assumer tes pensées et ce en quoi tu crois. Alors cette vieille histoire ne déroge pas à la règle ; aussi bête a pu être ta décision à ce moment-là. Mais t’étais jeune, tu voulais juste arrêter de souffrir le plus vite possible. Mais par ta faute, Reira elle semble s’imaginer avoir eu des torts et tu te mets à rire Haru, essaie de calmer ton rire nerveux.

Ta seule erreur c’est de m’avoir touché en plein cœur, de m’avoir rendu fou de toi.

Mais ça tu ne lui diras pas à Reira, tu te contentes d’hausser les épaules l’air de dire que ce qui est fait, est fait. Vous ne pourrez pas changer le passé mais au moins grâce à ça, Reira semble avoir appris de ses erreurs, n’a plus jamais attendu après quelqu’un pour faire le premier pas.

- Au moins on a chacun appris de nos erreurs, cette fois on essaiera de pas refaire la même chose hein ?

C’est muni d’un sourire en coin que tu lui réponds ça, les yeux dans les yeux. Conversation que t’imagines dorénavant close lorsqu’elle tourne la tête vers les enfants, que toi t’en fais de même en plongeant les mains dans les poches de ton blouson. Un long souffle que tu laisses glisser d’entre tes lippes, un brin rassuré que tout se soit bien passé. Jusqu’à qu’elle se remette à parler Reira, alors tu tournes de nouveau ton visage vers elle, l’écoute te demander pourquoi ? Pourquoi tu t’es éloigné si soudainement d’elle ? C’est quoi les raisons qui t’ont poussé à agir comme ça. Et là, c’est le déferlement. Tu sens ton cœur descendre jusqu’au fin fond de ton estomac.

Pourquoi tu me demandes ça Reira ?
Pourquoi tu me fais ça maintenant qu’on a mis les choses à plat ?

Et t’ouvres la bouche une première fois, la referme la seconde d’après ne sachant quoi lui dire. Car la vérité est difficile à entendre, difficile à comprendre aussi. Et t’es certains que ça créerait une gêne entre vous si tu lui disais la vérité, aussi vieux et plus d’actualité soit l’aveu. Mais tout à la fois, tu te sens pas de le cacher, de bidouiller une excuse à la con qui n’aurait aucun sens et qui peut-être la culpabiliserait encore un peu. Choix horrible mais que tu finis par faire quand même, en baissant les yeux sur tes pieds, jamais ô grand jamais tu la regarderas en lui disant ce que tu t’apprêtes à prononcer :

- J’étais saoulé de t’entendre parler de Kai, je me sentais délaissé. J’avais l’impression que y’en avait que pour lui et j’ai fait de la merde …

Car je t’aimais mes sentiments pour toi était trop fort pour que je fasse comme si de rien était.

Et peut-être qu’elle ne comprend rien à ce que tu racontes Reira, ne voit pas où tu veux en venir malgré que ça soit pourtant explicite en lui disant que t’étais fatigué de l’entendre parler d’un autre garçon alors que toi t’étais là, prêt à lui offrir la lune et toutes les étoiles dans le ciel si elle avait bien voulu poser une seule seconde ses yeux sur toi. Alors tu reprends la parole ajoute rapidement :

- T’as rien fait de mal, c’est moi j’ai été jaloux alors que j’avais pas à l’être voilà, j’ai dérapé j’sais pas si c’était les hormones, la crise d’adolescence ou j’sais pas quoi mais voilà c’est loin derrière moi.

Car maintenant tu la regarde plus comme ça Reira, t’as plus ce besoin viscéral d’être collé à elle ; cette envie ardente d’avoir tes lèvres collées aux siennes. La fougue de l’adolescent que t’étais qu’a disparu avec le temps grâce à dieu. Amitié qui serait encore impossible si ce n’était pas le cas et c’est ça que tu veux qu’elle retienne, que y’a pas à avoir peur, qu’elle ne s’imagine pas une ambiguïté qui n’existe plus depuis belle lurette. Alors tu lui souris à Reira quand tu tournes la tête vers elle et dit :

- J’pense que c’est un truc qu’arrive à beaucoup d’adolescent d’être chamboulé, plus savoir reconnaitre ses sentiments j’ai juste eu tellement peur que j’ai préféré m’éloigner. Dans tous les cas d’une manière ou une autre ç’aurait tout gâché.

Car si tu lui aurais avoué tes sentiments, elle aurait déchanté Reira. T’aurais surement lynché sur la place publique pour t’être permis de telle pensée avec elle et de ne pas lui avoir dit, de t’être éloigné d’elle vous a mené à cette perte de vue de huit longues années. Mais au moins maintenant les choses sont dites, pas très clairement car jamais tu prononceras les mots si clichés qui rendrait la situation encore plus bizarre mais le fond est là, t’es déjà bien assez gêné d’en avoir parlé. T’as le sang qui t’es monté aux joues, t’as le regard figé sur ton petit frère plutôt que sur elle.

- Tu peux te foutre de ma gueule hein, mais juste aujourd’hui. Après ça, je veux plus jamais qu’on en parle Reira. Vraiment plus jamais.

Un sérieux bien rare avec lequel tu lui parles, cette demande très particulière que tu lui fais qu’est celle de ne plus jamais reparler de tes sentiments d’adolescent une fois que cette journée sera terminée. Car c’est dur, carrément honteux à tes yeux.

❝ inner child ❞
-- ft haru

Il a raison, Haru. Cette conversation les guette depuis l’instant où elle a mis les pieds dans cette supérette – menace tangible qui la stresse chaque fois qu’ils se revoient, c’est sans doute celle-ci qui l’aura poussé à s’ouvrir ainsi la dernière fois. Des larmes plein les yeux lorsqu’elle lui a demandé de ne plus jamais la laisser tomber. Flash qu’elle chasse – elle n’assume pas encore ce qui s’est passé, ce qui s’est dit cette nuit-là. Et il le reconnaît – c’est bien lui qui s’est éloigné –, et curieusement, ces simples mots pansent un peu le cœur de l’adolescente perdue qu’il a laissé. Car ils sont la preuve qu’elle n’est pas folle, ne s’est pas imaginé des choses ; qu’elle n’a pas autant de torts que ce dont elle avait fini par se persuader. Et Reira, elle fait remarquer que depuis elle a cessé d’attendre que l’autre envoie le premier message. Car c’est certainement la manière la plus nulle de perdre quelqu’un ; que cela ne l’aura pas empêché de perdre Haru, tout ça car elle n’a été que trop blessée de le voir la délaisser, n’a pas eu la maturité de s’accrocher. Lui envoyer des messages, encore et encore ; tenter de le récupérer, au nom de cette si longue amitié. L’amitié d’une vie.

- Oui…

Elle hoche la tête, pas sûre de ce qu’elle est censée lui répondre lorsqu’il lance qu’ils essaieront de ne pas reproduire les erreurs du passé. Car elle ignore où ils vont, Reira. Que tout semble trop simple et trop compliqué à la fois – et ça, ça la perd. La peur que la bonne volonté ne suffise pas à réparer les pots cassés – car une fois un vase brisé, d’infimes éclats de terre se sont perdus dans la chute, et il sera à jamais impossible de le recoller à l’identique. Alors quoi ? Où est-ce qu’on va, Haru ? Et plutôt que de poser ces questions auxquelles il n’aura certainement pas plus de réponses qu’elle, elle tourne la tête vers l’aire de jeux – observe ces enfants et leur insouciance touchante. Enviable.

Les méninges qui continuent de tourner à plein régime malgré le fait que cette conversation soit désormais supposée être close, de vieilles questions qui ressurgissent, la poussent à lui demander ce qu’il s’est passé. Car elle le sait, elle ne sera pas en paix sur le sujet tant qu’elle n’aura pas le fin mot de toute cette histoire. Tant qu’elle ne saura pas ce qu’elle a fait de si mal pour qu’il la raye de sa vie si soudainement ; si elle ne lui demande pas, si elle n’obtient pas réponse, elle restera à jamais étouffée par la crainte de reproduire les mêmes erreurs qu’à l’époque sans le savoir, et ça elle ne veut pas. Surtout pas. Reira, elle aimerait retrouver leur complicité d’antan, même si elle ne sait pas comment, même si elle a le sentiment que les choses ne seront jamais exactement comme avant ; mais elle veut au moins essayer, et cela passe par comprendre ce qui a tout fait foirer la première fois. Alors elle attend. Fronce légèrement les sourcils en le voyant ouvrir la bouche pour mieux la refermer.

Qu’est-ce que tu n’arrives pas à me dire, Haru ?
Fut un temps on pouvait se parler de tout.
Pourquoi tu baisses les yeux d'un coup ?

Et la vérité tombe – bien qu’elle ne la comprenne pas. Pas tout de suite. Fronce juste les sourcils en apprenant qu’il a finalement été aussi jaloux qu’elle. Interprète cette jalousie comme une amitié trop possessive – comme ça a été le cas pour elle. Et elle est surprise, Reira. Car elle a toujours cru être la plus jalouse des deux, lorsqu’il a été le premier à s’éloigner pour cette même raison. Et dans toute la superbe de son déni, le mot « hormones » ne la met même pas sur la piste. La brune qui continue de se persuader qu’il avait simplement peur que Kai lui pique sa meilleure amie, la pousse à lui dire doucement :

- Mais Haru… C’avait rien à voir… Toi t’étais mon meilleur ami, et Kai il me plaisait mais je voulais pas en faire mon nouveau meilleur ami… Ca avait zéro rapport, il t’aurait jamais remplacé dans tous les cas.

Et elle ne s’en rend pas compte, Reira – dans sa maladresse habituelle, la faute à ces œillères trop grandes qu’elle se met encore des années après. Elle ne réalise pas qu’elle ne fait que remuer le couteau dans la plaie ; porter un coup ultime à l’adolescent amoureux qu'il était, en soulignant bien que jamais elle ne l’aurait considéré ainsi. Elle ne comprend rien, Reira. Se fourvoie sur toute la ligne. Et c’est peut-être ce qui le pousse à tourner la tête vers elle et prononcer les mots suivants. Sa patience qu’elle aura peut-être trop amenuisée, le jeune homme peut-être légèrement irrité de voir que le déclic ne se fait pas dans son cerveau sans qu’il ne prononce les mots noir sur blanc. Il aura fallu attendre qu’il prononce le mot sentiments pour qu’elle comprenne.

Pour que les yeux s’écarquillent imperceptiblement,
et le cœur qui dégringole sans doute jusqu’à ses pieds.
Car soudain y a bien trop de choses qui font sens,
et qu’elle comprend que tout autant de choses auraient pu être tellement différentes,
si seulement elle avait bien voulu le regarder comme il le voulait.
Si seulement elle n’avait pas mis un frein à toute possibilité d’écart,
sous prétexte qu’elle aurait préféré mourir que de perdre leur amitié.

Et elle regrette instantanément les mots qu’elle a eu plus tôt. Regrette tous ceux qu’elle a dû avoir par le passé et qui ont dû le blesser sans le savoir. Ne sait que répondre, car elle n’a vraiment rien vu, Reira. S’attendait à tout sauf à ça – et ce qu’elle pensait être la plus belle des amitiés était en réalité bien plus ambigu que ça. Elle le voit écarlate – et sans doute n’est-elle pas mieux, actuellement – et le regard qui déjà se fait de nouveau fuyant. Tandis qu’elle le fixe sans mot dire. Un silence qui s’installe, suffisamment long pour qu’il finisse par ajouter qu’elle peut se moquer de lui tant qu’elle veut aujourd’hui, mais qu’après cela il ne veut plus jamais en parler – et les sourcils se froncent un peu à ces mots, la tête qu’elle secoue doucement lorsque les premiers mots parviennent enfin à se frayer un chemin hors de sa bouche. Et sans doute sont-ce les plus simples.

- Non, je vais pas me foutre de ta gueule Haru…

Car y a rien de risible dans tout ça. Qu’elle serait bien insensible de se moquer de lui pour une telle raison. Sans doute même cruelle, à ce stade ; d’autant plus lorsqu’elle le voit si gêné.

- J’suis juste… surprise, car je m’en suis vraiment jamais douté.

Et elle laisse échapper un soupir chancelant, cherche ses mots – qu’est-ce qu’elle est censée exprimer lorsqu’un tel bordel règne à l’intérieur ?

- Juste… Tu sais quand ça a commencé ? Et c’est encore le cas, aujourd’hui… ?

Car elle n’est pas sûre de tout bien comprendre, Reira – et l’espoir que peut-être mettre des dates, mieux baliser la situation l’aidera à remettre un peu d’ordre dans sa tête. Dans son cœur. Calmer le chaos qu’il a instauré par ces simples mots. Et elle se mord la lèvre, contrariée, lorsqu’elle repense à toutes ces années. Comprend seulement combien il a dû être blessant pour lui de l’entendre s’extasier sur Kai à longueur de journée ; comprend soudain un peu mieux sa décision, même si cela ne la rend pas moins douloureuse. Et le cœur lui fait mal dans sa poitrine de se dire qu’elle lui a infligé tant de torts, peu importe si cela a été totalement involontaire.

- J’suis désolée, Haru… De pas avoir compris… Ca a dû être horrible pour toi à l’époque, et moi qui arrêtais pas de parler de lui… Olala… J’suis désolée, vraiment… J’sais pas comment me racheter, je parlerais plus de Kai si tu veux.

Elle a la gorge nouée, Reira, de prononcer ces mots à voix haute – prendre toujours plus conscience de la situation. Les yeux qui s'embuent, les regrets qui l’assaillent, ses mains avec lesquelles elle joue nerveusement. En priant pour retourner dans le passé. Tout effacer pour tout refaire différemment, trouver un moyen d’épargner ce garçon qui n’avait toujours été que d’une pure bonté pour elle. Qui ne méritait pas tout ça. Ne méritait pas qu’elle lui inflige des années de souffrance. Et malgré tout, elle peine encore à réaliser que tout ça est bien réel ; croirait presque à une blague s’il n’avait pas l’air si embarrassé. Elle aimerait le prendre dans ses bras, au moins poser une main sur son bras, mais elle a l’impression que cela ne ferait qu’empirer la situation. Alors elle reste avec ses petites mains croisées, à ne plus savoir que dire ou que faire pour effacer ces années – pour effacer la peine qu’elle a dû lui causer.

- Je comprends un peu mieux que tu te sois éloigné, du coup… Même si t’avais pas à le faire de façon aussi abrupte. Merci de me l’avoir dit, je suppose que ça a pas dû être facile pour toi.

A l’époque, aujourd’hui. J’ai pas dû te faciliter la vie, Haru, et j’en suis désolée. Et un petit sourire qu’elle lui adresse, l’air de dire que tout va bien. Qu’il n’a pas à se tracasser. Qu’elle ne se moquera pas ; que cela n’aura rien changé entre eux – mensonge dans lequel elle se complaît, auquel elle se permet de croire simplement car elle n’arrive pas encore à prendre conscience de cette réalité.

❝ inner child ❞
-- ft reira

T’aurais aimé pouvoir lui mentir à Reira, la regarder droit dans les yeux en balançant un mensonge éhonté que t’aurais tout juste inventé pour te sortir de cette situation-là. Mais tu la respectes trop cette fille pour lui mentir comme ça, t’as pas le cœur à cacher encore une année de plus ce qui t’as tant bouleversé à l’adolescence, il y a dix ans de cela. Et puis, pourquoi tu le cacherais finalement ? Ça appartient au passé, t’as pas à en avoir honte. T’as pas à te sentir gêné d’un truc qui n’est plus d’actualité. C’est comme ça que tu t’encourages à faire face à des choses que t’as trop longtemps cachés, des sentiments que t’as trop longtemps tenu secret, Haru. Puis tu la mets elle aussi face à certaines réalités, face à un amour qu’elle n’a pas réussi à capter tant tu déployais des moyens énormes pour ne pas l’emmerder avec cet amour dont t’avais trop honte.

Alors tu lui dis, balance d’une traite ce que t’as au fond du cœur depuis tant d’années. Discours pas réfléchis, les mots qui sortent d’entre tes lippes naturellement sans te censurer. Mais surement que t’es pas assez explicite, surement que ta jalousie n’ait pas comprise de la façon dont tu la ressentais à l’époque car Reira t’assure que Kai n’aurait jamais pu te remplacer, que c’était deux relations bien différentes. Reira qui s’imagine que t’étais jaloux que Kai puisse un jour te dérober ta place de meilleur ami.

O mais si tu savais Reira comme j’m’en fichais à l’époque qu’il devienne ton pote ce mec.
Moi ce que je voulais, c’est que ça soit moi le garçon de tes rêves.

Alors tu ris Haru, nerveusement. Cache ton visage un instant entre tes mains, laisse ces mêmes mains glisser le long de tes joues, remonter dans tes cheveux un brin fatigué de toi, de cette conversation qui n’a ni queue ni tête. Finalement, même si t’avais dévoilé avant tes sentiments elle n’aurait surement rien compris Reira. Car pour elle, t’es un ami. T’as jamais été rien d’autre que ça. Y’a jamais eu d’ambiguïté, une infime part d’intérêt pour ta personne en tant qu’homme. Reira que tu n’en veux pas pour ça, vraiment pas. Tu peux pas la blâmer de ne t’avoir jamais considérer comme un potentiel petit ami, t’aurais surement été pitoyable dans ce rôle ; à l’opposé d’un mec comme Kai à qui tout semble réussir. Alors pour lui faire comprendre une bonne fois pour toute, t’emplois quelques mots qui rendront surement plus justice à ceux que t’as pu ressentir pour elle durant des années. Tu parles de sentiment Haru, lui dévoiles que tu voyais en elle plus qu’une amie. Car quand elle apparaissait dans ton champ de vision l’adolescente, t’avais le souffle coupé, tu rêvais de juxtaposer tes lèvres contre les siennes. Et là enfin elle comprend, soudainement son air, sa façon de bouger à coté de toi devient différente. Elle percute et toi, t’arrives plus à soutenir son regard.

- Donc ouais, j’sais bien que Kai n’aurait peut-être eu aucun impact sur notre amitié même si je pense que bien évidemment qu’une relation amoureuse ça impacte une amitié comme celle qu’on avait mais moi, je te considérais déjà plus comme une amie à cette époque et ça pouvait pas continuer ainsi.

Il n’y avait pas de bonne solution pour résoudre ce problème, qu’importe le choix que t’aurais fait Haru t’aurais fini par te faire du mal et à en faire à Reira. Triste réalité, un échec lamentable causé par un cœur que tu ne contrôlais pas – que tu ne contrôleras jamais. Quelques secondes durant lesquelles l’atmosphère se fait lourde, durant lesquelles tu préfères regarder le néant et des enfants jouant à la balançoire plutôt que de la regarder elle. Car t’as honte, tu te sens extrêmement con. T’en viens même à lui proposer de se foutre de ta gueule une bonne fois pour toute, se moquer de toi pour mieux passer à autre chose mais elle ne semble pas emballée par cette idée Reira, ne semble plus si choquée soudainement par cet aveu mais plutôt triste. Une tristesse qui t’enfonce un peu plus, si tu pouvais passer sous le banc et t’enfoncer dans la terre surement que tu le ferais.

- Pourtant y’a de quoi se foutre de ma gueule…

Car y’a pas plus cliché que le meilleur ami qui tombe amoureux de sa meilleure amie à l’adolescence. Tu t’en serais bien passé de ces sentiments, si t’avais eu le choix t’aurais clairement choisi de les effacer. Mais la vie n’est pas faite que de choix sur lesquels on a la main, t’as dû le subir cet amour, t’en détacher avec les années et quand elle te demande quand-est ce que ça a commencé t’es prêt à lui répondre, tu pourrais surement lui dire à quel moment exact t’as senti que tout devenait différent mais c’est sa deuxième question qui prend le dessus, te fait écarquiller les yeux et tourner la tête vers elle.

- Mais non c’est plus d’actualité ? J’suis pas maso Reira hein, je me serais pas permis de te revoir si c’était le cas … Ca serait trop étrange. Ne t’imagine pas à ce point inoubliable amoureusement parlant … Tu m’as manqué hein, tout le long de ces années mais pas comme ça quoi. Ça fait huit quand même.

Que tu dis en souriant car huit ans c’est long, très long même. Ça laisse assez de temps pour oublier un premier amour à sens unique, se recentrer sur l’amitié qui était la base de votre relation.

- Du coup … J’pense c’était vers le début lycée ? La moitié de la première année que ça a commencé ? Puis ça m’a suivi jusqu’à qu’on se perde de vue après la remise des diplômes. Après j’suis parti à l’armée, j’suis partie en voyage et voilà … Quand tu vois plus quelqu’un bah tu passes à autre chose.

Heureusement pour toi, car c’était ta plus grosse angoisse de ne jamais réussir à oublier Reira. Qu’elle soit constamment dans ta tête ; que jamais tu connaisses les mêmes sensations que provoque l’amour pour une autre fille qu’elle. Ça a pris du temps pour l’oublier, ne plus l’aduler mais t’as réussi à le faire. La preuve étant qu’à ce jour, t’arrives à être heureux de son bonheur, qu’elle soit toujours en couple avec son amour d’adolescence.

Et encore une fois, le silence reprend.
Encore une fois, tu te mets à fixer les enfants.
Car c’est plus simple ainsi,
Que t’as pas à gérer l’incompréhension qu’attise tes tristes aveux.

Tu t’attends à tout Haru, t’attends à ce qu’elle écourte votre entrevu, qu’elle simule qu’elle a un autre truc de prévu pour prendre la fuite mais tu t’attends pas à ce qu’elle s’excuse la brune. Qu’elle te demande pardon de t’avoir causé de la peine plus jeune, qu’elle se rende compte d’ô combien ça a dû être difficile pour toi toute cette situation ; de l’entendre parler à répétitions durant des jours et des jours de ce garçon qui l’attirait tant. Reira qui semble dorénavant comprendre ce qui t’a poussé à t’éloigner d’elle, a enfin pu remettre les pièces du puzzle dans l’ordre une bonne fois pour toute.

- Ouais ça a été difficile, mais c’est des trucs d’adolescent quoi. Des bêtises, t’as même pas à t’excuser d’être tombé amoureuse de Kai alors que c’est moi qui ne disais pas ce que j’avais sur le cœur à l’époque… Et pourquoi tu voudrais plus me parler de Kai maintenant ? Ça n’a plus aucune importance tu sais ? Comme j’te disais c’est vieux comme le monde cette histoire, y’a plus du tout d’ambiguïté au moment où j’te parle. Je suis content pour toi que ton histoire tienne aussi bien avec lui… ça serait triste qu’à mon grand âge je t’empêche de me parler de ton mec … Au contraire.

Un sourire amical que tu lui adresses, t’as le cœur plus léger d’avoir mis les choses à plat avec elle. Ce fut compliqué d’en venir à cette conversation, de dévoiler tant de chose mais quand tu vois ô combien c’est délivrant tu te dis que t’aurais mieux fait de le faire plus jeune. Et maintenant que la conversation est un peu moins lourde, que les rougeurs commencent à se dissiper sur ton visage t’ose lui demander :

- Dit moi Reira, t’as déjà pensé dans le passé avant que tu sois avec Kai à l’éventualité que nous deux ça puisse être plus que de l’amitié … ? T’as le droit de pas me répondre, comme de me dire que non hein … C’est juste de la curiosité à la con.

Est-ce qu’il y aurait pu y avoir un « nous » si t’avais osé lui déclarer tes sentiments avant que Kai n’arrive ? Est-ce que comme toi elle aussi des fois son cœur s’est emballé quand vous étiez trop proche ; que tes doigts glissaient dans sa crinière brune pour la consoler.

Est-ce qu’au moins une seule fois elle a pensée à cette éventualité ?

❝ inner child ❞
-- ft haru

Néant. Le flou total. Reira ne comprend plus rien depuis qu’est tombée la révélation – et ce sont des années entières d’amitié qu’elle remet soudain en question. Rejoue dans son esprit, derrière ses paupières. Tous les souvenirs ont un parfum différent, désormais – marqués par le doute, qu’est-ce qu’il avait en tête lorsqu’il a dit ça, lorsqu’il a fait ça ? Il le percevait comment, quand on a fait ça ? Qu’est-ce qui se passait dans sa tête ? Dans son cœur… ? Alors Reira a besoin de réponses – même si chaque réponse amène dix nouvelles questions, toile d’araignée infernale de laquelle elle ne parvient à s’extraire. Essaie, pourtant. Lui demande quand ça a commencé, tout ça – pour savoir à partir de quel moment leur relation s’est déséquilibrée, à partir de quel moment tout aurait pu devenir différent. Si ces sentiments, il les ressent encore aujourd’hui. Questions qui font s’écarquiller les yeux du jeune homme ; le poussent à lui répondre qu’il ne ressent bien évidemment plus rien pour elle. Qu’elle n’est pas inoubliable à ce point – et c’est à son tour d’ouvrir les yeux un peu plus grand, secouer vivement la tête par réflexe de négation.

- Mais je disais pas ça pour ça ? Bien sûr que j’suis pas inoubliable, j’ai pas la prétention de le croire… Je demandais juste ça par acquis de conscience, pour vérifier que ça allait pour toi…

Et la poupée tombe tête la première dans le piège. En vient à se justifier face à une prétention qu’il lui prête, de toute évidence simplement pour plaisanter. Et c’est à son tour de baisser les yeux sur ces mots, embarrassée qu’il ait pu interpréter sa question dans ce sens – Reira, quand apprendras-tu à mettre les formes, tourner sept fois ta langue dans ta bouche avant de parler ? Le regard qui se relève déjà vers le sien lorsqu’elle ajoute avec un petit sourire :

- Mais du coup j’suis contente de l’apprendre, tant mieux. J’aurais pas pu accepter que tu continues de souffrir comme à l’époque, pas après tant d’années.

Pas avec tous les problèmes que t’as déjà à gérer, Haru ;
ta famille, la supérette, tout le reste que tu ne me dis pas.
Pas lorsque tu mérites le monde et les étoiles à côté.
Tu mérites pas de t’accrocher à une fille comme moi,
alors ça ne peut qu’être une bonne chose que tu sois passé à autre chose.

Et enfin il lui donne la première partie de sa réponse. Le début du lycée, donc. Les réminiscences ressurgissent à mesure qu’il retrace ces années, jusqu’à ce que tout devienne noir après la remise des diplômes. L’armée. Les voyages. Elle n’était déjà plus dans sa vie pour assister à tout ça – et c’est un mal pour un bien, à en juger par les dernières révélations. Même si elle a souffert, dans l’équation. Aura sans doute toujours le sentiment que cet éloignement n’était rien de plus que des années gâchées – égoïstement. Essaie de se répéter que si cela aura épargné Haru, ça valait au moins un peu le coup.

- Bon, au moins t’auras pas été amoureux de moi depuis tout petit comme tout le monde le répétait… Je commençais à me demander si c’était pas pour ça que tu m’avais coupé les cheveux à l’époque…

Et un petit éclat de rire lui échappe, pas très franc – plus pour tenter de détendre l’atmosphère qu’autre chose, à ne pas savoir si elle peut déjà plaisanter sur la question ou non. Car les silences sont trop nombreux, tout d’un coup – et les regards fuyants. Qu’elle aimerait dissiper le malaise qui semble s’être instauré ; qui est plus grand du côté de Haru, car du sien c’est finalement plus de la surprise et des remords qu’un réel embarras. Car les sentiments ne se contrôlent pas, alors il serait bien malvenu de sa part d’oser retourner cela contre lui. Mais ça ne manque pas, un nouveau silence s’installe. Un nouveau silence durant lequel elle a tout le temps de contempler les années passées – les années gâchées ? Les années qu’elle lui aura gâché ? Les pensées se bousculent dans sa tête, tenaillent le cœur – si fort que les larmes monteraient presque et que les mâchoires se serrent. Car elle n’a jamais cessé de l’aimer, Haru, malgré toutes ces années, alors forcément elle s’en veut bien trop d’apprendre qu’elle a pu le blesser. Se doute bien qu’elle ne doit pas même ressentir un dixième de la peine qu’elle lui a infligé à son insu.

Alors les excuses se pressent sur sa langue – elle ne sait que dire, que faire pour réparer le cœur qu’elle a brisé. A l’impression que quoi qu’elle fasse, quoi qu’elle dise, ce ne sera jamais suffisant. Car on ne peut changer le passé. Mais on peut au moins tenter de le réparer, hein Haru ? Je t’en prie, rassure-moi et dis-moi que je peux faire quelque chose. Haru qui lui assure que c’est du passé, des émois d’adolescent sans importance ; qu’elle n’a pas à s’excuser, ajoute même qu’il est heureux de la voir heureuse avec Kai aujourd’hui. Et s’il savait… S’il savait que l’histoire ne tient pas si bien que ça – que les crises qu’il a seulement entraperçu la dernière fois qu’ils se sont vus sont bien trop nombreuses, et qu’elle commence à perdre le compte des ruptures. Relation qui n’a de belle que la façade, et elle aurait beaucoup à lui dire, si seulement elle était prête à se reconnaître dans la délicate posture de victime. Mais elle ne l’est clairement pas, et pourquoi lui en parler, de toute manière ? Elle gère parfaitement la situation, Reira. Tout est sous contrôle. Puis faut avouer que le moment serait extrêmement mal choisi pour aborder un tel sujet lorsqu’il vient de lui déclarer ses sentiments d’adolescent, alors elle se contente de doucement hocher la tête, déglutit pour chasser la boule dans sa gorge lorsqu’elle lui répond :

- C’est gentil de ta part, d’être aussi… mature. J’aurais pu comprendre que t’ai encore du mal avec ça.

Un haussement d’épaules, et elle ajoute déjà :

- Et non je t’arrête tout de suite, je dis pas ça car j’me crois irrésistible au point que tu sois jamais passé à autre chose !

C’est plutôt qu’elle est jalouse comme un pou, Reira. La gamine a toujours eu un peu trop de mal à partager ses proches avec autrui, par crainte de devoir comprendre qu’elle ne leur suffisait plus ; se faire remplacer. Les perdre. Et c’est cette même jalousie qui lui aura en partie fait perdre Haru, dans cette cruelle ironie propre à la vie. Alors elle aurait compris que cette jalousie ai laissé des traces, encore aujourd’hui, malgré l’extinction bienvenue des sentiments – mais il faut croire que Haru est plus mature qu’elle. Et si Reira pensait être arrivée au bout de ses surprises pour la journée, c’était sans compter sur Haru. Haru et ses questions. Haru qui lui demande si elle aussi a déjà pu l’envisager autrement que comme un ami – au moins une fois. Et sa main se fige dans les poils de Pucci. Le jeune homme qu’elle dévisage sans rien dire, l’embarras qui la gagne tout d’un coup – car elle sort d’où, cette question ? Elle pensait le sujet clos. Une porte de sortie offerte ; l’opportunité qu’elle ne saisira pourtant pas. Car il lui a avoué bien plus gros, cet après-midi, alors elle peut bien faire ça pour lui. Ne serait-ce que pour satisfaire sa curiosité – l’apaiser sur un autre point qu’il garde peut-être secret. Les yeux qu’elle baisse sur la petite boule de poils somnolant sur ses genoux, les joues qu’elle sent s’échauffer lorsqu’elle répond :

- Non. Enfin… Si je dois être honnête comme toi… Y a bien eu quelques trucs bizarres, tu t’en souviens sans doute même pas mais… un jour j’étais malade, et t’es venu chez mes parents après les cours, on s’est allongé et tout, comme on faisait d’habitude en fait, mais ce jour-là j’avais l’impression que c’était un peu différent de d’habitude justement, je saurais même pas te dire pourquoi. Mais j’ai mis ça sur le coup de la fièvre, car j'avais genre cinquante degré de fièvre ce jour-là, et après je me suis juste efforcée de plus jamais y repenser… Parce que… Ben, c’était plus simple de rester ta meilleure amie que de risquer...quoi que ce soit, tu vois ?

Sans doute qu’il ne voit rien du tout, en fait, vu la manière dont elle s’embrouille toute seule dans ses paroles – s’efforce, dix ans plus tard, de remettre de l’ordre dans des sentiments qu’elle n’a même pas pris le temps de considérer à l’époque. Alors forcément, c’est chaotique, les mots qu’elle n’arrive même pas à formuler pour parler le bon français tant elle a étouffé tout cela pendant toutes ces années. N’a même pas laissé la moindre chance à quoi que ce soit de se développer. Car tout était plus simple ainsi. Et elle se sentirait presque coupable de lui avouer cela lorsqu’elle est en couple avec un autre homme – mais elle parle d’un temps où elle ne le connaissait même pas, donc ça va, hein ? On dira que oui, et un soupir qu’elle laisse échapper, plisse le bout de son nez en riant. Toujours sans le regarder.

- Je comprends mieux pourquoi t’étais gêné comme ça y a cinq minutes…

Et elle passe une main dans ses cheveux, reporte son attention sur le chiot sur ses genoux, le soulève un peu entre ses doigts pour l'élever à hauteur de visage, le regarder en face – regarder tout plutôt que Haru.

- Enfin bref, hein… J’espère que ta curiosité est satisfaite, au moins !

❝ inner child ❞
-- ft reira

Et t’aimerais en rire, lui jurer que t’étais pas amoureux d’elle durant l’enfance. Mais t’es pas certain de pouvoir répondre sincèrement à celle-ci, pas certain de pouvoir répondre en étant tout à fait franc avec toi-même. Car tu ne sais pas, tu ne sais plus si avant le lycée t’en étais amoureux de Reira. T’étais trop jeune, trop innocent pour te rendre réellement compte de la puissance de tes sentiments. Mais Reira, du moment qu’elle est apparue dans ton champ de vision elle a tout chamboulé, t’as été si bouleversé par son aura, sa beauté d’enfant que t’as tout de suite voulu l’approcher. Mais les jolies filles, les garçons comme toi ils ne les approchent pas si facilement. Alors t’as accaparé son attention, fait bêtise sur bêtise pour l’énerver ; l’amuser.

Jusqu’à qu’elle apprenne à te connaitre, souhaite bien devenir ton amie.

Et après ça, tu n’as fait que l’aimer un peu plus chaque jour, Reira. L’aimant d’un amour gentillet et enfantin durant votre douce enfance jusqu’à connaitre l’amour passionnel qui t’aura consumé toi et cette amitié à l’adolescence. Mais tu te contentes de lui sourire à la brune, agir comme si la blague n’en était qu’une réellement. Car dans le fond t’es toi-même pas prêt à te questionner à ce point-là, pas prêt à te mettre en tête qu’elle a toujours été plus qu’une amie pour toi. Une vérité que tu préfères te cacher, enfouir tout au fond dans un coin de ta tête car c’est bien plus simple mentalement de te dire que ce n’était qu’une infime période au lycée.

L’air est pesant tout autour de vous, l’impression d’être dans un espace confiné lorsque vous êtes à l’extérieur en réalité. Tu te demandes si t’as fait le bon choix de tout avouer, si t’as pris la bonne décision en te montrant si franc et honnête car t’as l’impression qu’elle se torture les méninges Reira, te semble chagriner comme si une chape de plomb lui été tombé sur la tête. Léger regret qui vient alors cohabiter dans ton cortex. Des choix opposés qui viennent s’affronter dans ce silence qui règne en maitre. T’as envie de la prendre dans tes bras Reira, lui dire qu’elle n’a pas à se sentir coupable et tout à la fois, tu te sens le moins du monde légitime à agir de la sorte. Car t’as peur maintenant, peur qu’elle s’imagine des choses, peur qu’elle puisse croire que t’attends quelque chose de sa part. Alors quand elle s’excuse Reira, t’essaie au mieux de lui faire comprendre qu’elle n’a pas à le faire, n’a pas à s’imaginer fautive de cette situation qu’elle n’a jamais choisie.

Si fautif il devrait y avoir, ça serait toi et uniquement toi.

Ni elle, ni Kai n’ont fait quelque chose de mal. C’est ta jalousie qu’a tout fait péter et tu ne peux pas la faire payer des années après pour ces sentiments non partagés, surtout pas en sachant qu’elle vit toujours le grand amour avec lui, que cette relation valait la peine d’être vécue. Y’a aucun regret à avoir, c’est sans rancœur que tu lui promets de ne pas faire la tête si elle te parle de son petit-ami de longue date. Réponse qui semble au moins lui faire plaisir, l’apaiser. Et elle te fait rire Reira quand elle te dit que ta réaction est mature, que t’es gentil même de l’encourager à ne jamais se brider dans ses conversations avec toi.

- Non ne t’inquiète pas, j’ai aucun mal avec ton copain … Sauf si c’est un connard, enfin lui ou peu importe le mec que ç’aurait pu être. C’est pas un sort réservé à Kai quoi.

Que tu dis le sourire en coin, t’imaginant embêter la jolie brune plus qu’autre chose en insinuant que tu pourrais parler aussi mal de son petit-ami. Des palabres que t’imagines pas assassine un instant, car pas une seule seconde tu penses être aussi proche de la réalité. Mais trop tôt – malheureusement –  tu tournes la tête vers l’air de jeu, ne voit pas sa réaction face à ce que tu viens de balancer. Les prunelles glissant d’Eunchang à cette petite fille qu’il s’évertue à pousser sur la balançoire pour l’amuser. Et dans ta tête commence à se formuler un millier de question ; t’as beau ne plus ressentir quoi que ce soit envers Reira ton cerveau lui, souhaite avoir des réponses à des questions bizarres. T’hésites hein, t’hésites quelques minutes à poser la fameuse question mais tu finis quand même par le faire.

Car au fond, ça t’intéresse un minimum de savoir si t’aurais pu avoir ta chance si t’avais eu les couilles de te prononcer.

Et tu la vois hésitante Reira, inspirer un long coup. T’imagines alors qu’elle ne répondra pas, qu’elle n’en voit pas l’intérêt. Et t’es ok avec ça Haru, ok à tirer un réel trait sur ce sujet. Mais contre toute attente, elle finit par se prononcer la brunette à tes cotés. Des mots qui s’embrouillent, des hésitations qui se perdent dans l’air tandis que toi, t’es suspendu à ses lèvres. Le cœur tambourinant à tout va dans ta poitrine lorsqu’elle ose te dire qu’elle a pu y penser, oui. A moindre échelle, pas comme toi mais qu’elle a préféré enfouir tout ce qu’elle a pu ressentir ne serait-ce qu’une seule fois pour ne pas gâcher votre amitié. Un peu comme toi, sauf que toi t’as pas réussi à te tirer aussi aisément de cette situation. Toi t’en es tombé éperdument amoureux et t’as pas pu faire autrement que de t’avouer que tu l’aimais, tu pouvais plus faire machine arrière.

- Donc si j’avais osé ç’aurait pu peut-être se faire…

Que tu penses à voix haute, y’a pas de regret dans tes mots Haru. T’es pas attristé d’apprendre ça mais presque soulagé d’entendre qu’elle aurait pu elle aussi se laisser tenter par la chose. Comme quoi, ce n’était pas que dans ta tête. Et surement que de le dire comme ça l’intimide énormément car elle n’attends pas plus longtemps pour avouer qu’elle comprend mieux pourquoi t’étais gêné de dire tout ceci quelques minutes avant elle. Un tendre sourire que tu lui adresses, la tête que tu penches sur le côté en tentant de la rassurer, de rire de la situation pour ne pas trop l’accabler :

- ça va, comparé à ce que moi j’ai dû avouer c’est pas grand-chose… Car en soi, t’as juste dit qu’un jour sous 48 de fièvre t’as pu y songer … Moi c’était avec ou sans fièvre. Mais aller, n’en parlons plus. C’est passé, au moins tu sais pourquoi je me suis éloigné et t’arrête avec tes piques à deux balles par messages, hm ?

Car si il y a bien quelque chose qui t’agaçait c’est bien ces messages-là, toujours quo noté d’une pointe de négativité, de rancœur non assumée qui t’hérissait le poil, te donnait envie de couper court à la conversation. Au moins maintenant, elle sait pourquoi t’as fait ça. Sait que si t’as agis de la sorte c’était pas non plus de gaieté de cœur. Car toi aussi tu te serais épargné tout ceci si t’avais eu le choix.

- Et on est d’accord que ça veut aussi dire que tu changes pas d’attitude ? C’est pas d’un coup t’essaie de m’éviter ou j’sais pas quoi juste parce qu’on a parlé d’un truc vieux comme le monde. N’me fait pas regretter d’avoir avoué Reira… J’ai vraiment pas envie que tu sois gêné que tu t’imagines des trucs alors que c’est pas le cas.

T’as peur soudainement de l’impact de tes aveux, Haru. Peur que ça change tout entre vous. Que soudainement, elle se mette à t’éviter, ne souhaite plus te revoir. T’aimerais que soit clair entre vous, platonique comme ça l’était jusqu’à que tu lui révèles ton plus grand secret. Reira à qui tu souris lui montres les balançoires du bout du menton :

- J’suis sûr t’es même pas cap d’aller t’amuser avec eux alors que t’en meurs d’envie.

Que tu dis pour la provoquer car tu sais que y’a que comme ça que t’arriveras à débloquer la conversation, que comme ça que vous allez de nouveau vous détendrais et ne plus agir bizarrement et plutôt réagir comme les deux gamins que vous étiez avant.

❝ inner child ❞
-- ft haru

Ils en viennent à parler de Kai, lorsque Reira offre de ne plus mentionner son petit ami – et Haru qui répond qu’il n’a aucun problème avec lui du moment qu’il ne se comporte pas comme un connard, les mots qui font se figer la brune sur son banc. Les doigts qui s’arrêtent dans la fourrure de Pucci ; les yeux qui se rivent sur lui. Car il ne croit pas si bien dire, Haru – et qu’il voit d’ailleurs si juste que c’en est presque effrayant. Et sans doute que s’il n’avait pas si vite détourné la tête, il aurait vu la jeune femme se figer. Son regard se voiler. Les lippes s’agiter un instant, dans le vent, à buter sur des mots qu’elle ne formulera jamais – car à quoi bon ? C’est tellement plus simple de souffrir seule ; d’encaisser en silence. Alors elle finit par tourner la tête, elle aussi, vers l’aire de jeux. S’efforce de se concentrer sur les enfants pour ne pas laisser ses pensées partir trop loin.

Répit de courte durée, le sujet qu’elle pense clos lorsque Haru se décide à lui poser la question à cent milliards de wons. Et toi, Reira… Est-ce que toi aussi, tu t’es déjà demandé si vous pourriez être plus que des amis ? Et les mots s’embrouillent sur sa langue, sort d’abord un « non », bien vite tempéré par des explications – l’aveu d’une après-midi d’hiver, où entre la torpeur de la fièvre et la lumière tamisée de sa chambre, les pensées avaient osé s’embrouiller. Le cœur avait osé s’affoler. Et elle lui explique, Reira, que ce n’était sans doute rien. Qu’elle a de toute manière bien vite mis peu importe ce que c’était de côté. Tout pour ne pas lui laisser loisir d’exister. La place de se développer. Reira qui se sent mal, comme une petite amie affreuse de faire des tels aveux à un autre garçon que son petit ami – un brin trop fidèle pour formuler ces mots sans penser à Kai qui ne se doute de rien. Les mots qu’elle n’aurait jamais cru prononcer – les faits sur lesquels elle ne s’était que trop rarement attardée –, et les palabres de Haru ne font que rendre ses joues plus brûlantes. L’impression d’être ramenée des années en arrière, dans cette fameuse chambre, lorsque la fièvre faisait bouillonner son corps tout entier.

- Mh mh…

Car elle sait pas quoi lui répondre, Reira ; qu’avec des « si », on mettrait Paris en bouteille. Et qui sait ce qui se serait passé, s’il s’était réellement déclaré ? Aurait-elle su mettre le doigt sur ce qu’elle ressentait réellement ? Aurait-elle osé mettre en péril leur amitié en acceptant de tenter quelque chose avec lui ? A supposer que ses aveux n’aient pas déjà mis leur amitié en péril quelle que soit sa réponse, ceci dit. Et elle ne peut s’empêcher de se demander ce qu’ils seraient devenus, si tout s’était passé comme il l’aurait voulu. Où en seraient-ils, Reira et Haru ? Sans doute ne se seraient-ils pas perdu de vue durant ces huit longues années. Sans doute aurait-ce été eux, et non plus Kai et elle, le couple le plus mignon du lycée. Leurs diplômes qu’ils auraient eu ensemble ; la photo qu’ils s’étaient toujours dit qu’ils prendraient à leur cérémonie de fin d’études serait sans doute encadrée quelque part. Et peut-être l’aurait-il dissuadé d’aller vers ces études qui ne l’inspiraient pas – ou peut-être pas – mais sagement elle aurait étudié, que ce soit l’ingénierie ou la mode, en attendant qu’il rentre de son service militaire. Cette même joie qu’elle avait ressenti en retrouvant Kai qu’elle aurait eu en le retrouvant lui. Et sans doute qu’il serait resté un peu à Busan avant de repartir en vadrouille – et elle l’aurait rejoint, où qu’il soit, pendant ses rares vacances d’étudiante. Et après ? Est-ce qu’ils se seraient mariés ? Est-ce qu’ils auraient des enfants, aujourd’hui, ou attendraient encore pour profiter de leurs jeunes années ? Est-ce qu’ils auraient réalisé leurs rêves ? Que mieux entourée, elle pourrait déjà pleinement se consacrer à sa marque de vêtements ? A moins qu’elle l’aide à la supérette. Elle aurait été là lorsque la nouvelle était tombée pour son père – elle ne l’aurait pas laissé affronter cela tout seul, elle espère qu’il n’était pas tout seul ce jour-là, et tous les autres qui ont suivi. Mais ça pourrait faire huit ans qu’ils seraient ensemble, Haru et Reira, et sans doute se seraient-ils épargnés bien des souffrances. Ou alors leur histoire aurait tout aussi bien pu ne pas marcher. Destinés à n’être pas plus que des amis – et peut-être auraient-ils fini par tout gâcher, par s’éloigner dans tous les cas six mois après. Et qu’aujourd’hui, ils seraient même plus capables de se regarder dans les yeux sans repenser à ce passé saboté.

Alors quoi, Haru,
qu’est-ce qui se serait passé ?
On a fait ce qu’il fallait faire, hein ?
J’ai l’impression que le résultat aurait été le même dans la plupart des cas,
mais y a cette exception qui me fait un peu trop cogiter.
Qui me ferait presque regretter.

Et sans doute qu’ils pourraient en parler ; rire des scénarios absurdes qui auraient pu se produire. Mais elle réfrène cet élan qui lui semblerait un peu trop cruel pour lui, s’il l’a réellement aimé à ce point – car si elle-même est ainsi retournée rien que d’y penser, elle n’imagine même pas ce qu’il en est pour le jeune homme. Et c’est une Reira toujours aussi gênée qui avoue comprendre son embarras, un peu plus tôt ; croise le regard d’un Haru qui lui sourit tendrement, lui répond qu’elle n’a pas eu à avouer grand-chose par rapport à lui ; lui demande d’arrêter de lui lancer des piques par message. Et plutôt que de s’attarder sur les sentiments avoués, c’est bien évidemment mille fois plus simple de rebondir sur cette dernière phrase. Alors une petite moue s’esquisse sur ses lippes lorsqu’elle lui rétorque :

- C’était pas des piques à deux balles… J’suis sûre que toi aussi tu l’aurais mal pris, si tu m’avais vu arrêter de te calculer et me faire de nouveaux meilleurs potes du jour au lendemain… Mais oui, c’est bon. J’ai compris pourquoi t’as fait ça, maintenant.

Et un petit hochement de tête, comme pour officialiser la promesse tacite. Elle va arrêter avec ses messages passif-agressif, c’est acté. Et Haru lui demande désormais de ne pas changer d’attitude ; de faire en sorte que ses aveux ne changent strictement rien entre eux. Reira qui fronce un peu les sourcils à ces mots, secoue doucement la tête lorsqu’elle lui répond :

- Ben… T’as bien dit que c’était du passé, tout ça, donc y a pas de raison que j’me méfie ou j’sais pas ce que tu crois, t’inquiètes pas… Tout est clair maintenant donc y a pas de raison que ça change quoi que ce soit.

Et c’est à son tour de lui sourire, les joues encore rosies par l’embarras récent. Car s’il lui dit qu’il n’y a plus rien, elle le croit ; il a été suffisamment clair sur combien il était heureux pour Kai et elle que leur histoire « « « fonctionne » » » pour qu’elle ne s’imagine pas n’importe quoi. Et elle suit son regard, intriguée, lorsqu’il lui désigne les balançoires.

- Serait-ce un défi, Seomun Haru… ?

Et l’ombre d’un sourire se dessine sur ses lippes, amusée. Sans doute qu’en temps normal elle se serait déjà ruées vers les balançoires, juste pour s’amuser – juste pour lui donner tort – mais la petite boule de poil dont elle est responsable la tient clouée sur ce banc.

- Bien sûr que j’suis cap… Et je l’aurais prouvé de suite, malheureusement je peux pas laisser Pucci sans surveillance.

Et elle plisse un peu les yeux, le dévisage, pensive, avant de lâcher :

- Toi, en revanche… J’suis sûre que t’es pas cap de monter sur ce truc.

Le doigt qui se pointe alors vers l’une de ces balançoires montées sur ressort, probablement réservées aux enfants de cinq ans – mais peu importe. Et en réalité, Reira est persuadée qu’il en est parfaitement capable. Que rien ne l’en empêche. Elle veut juste vérifier qu’il est toujours le gamin qu’il était alors ; qu’il n’a pas changé. Comme elle.

❝ inner child ❞
-- ft reira

T’es remué Haru, t’as beau agir et répondre comme si de rien était t’as la tête en vrac en réalité. Ça te semblait plus simple que ça quand tu t’imaginais lui parler de tes vieux démons, de ces sentiments qui t’ont rongé jusqu’à l’implosion. Tu pensais qu’une fois les choses dites, tu te sentirais plus léger, presque libéré de tes propres chaines. Mais quand tu la vois toutes embarrassée, désolée de t’avoir fait subir tout ceci et qu’en plus, t’apprends qu’avec un peu de courage peut-être – aussi infime soit-elle – t’aurais pu avoir une chance de sortir avec elle, c’est le déferlement dans ta cervelle. Deux sentiments bien contradictoires s’affrontant aux sommets. T’es à la fois soulagé qu’elle ait pu ressentir ceci, que tu n’aies pas été le seul à pouvoir penser à cette éventualité et tout à la fois, t’es légèrement… Déçu, presque Haru. Triste pour l’adolescent que t’étais, triste pour vous. Car finalement, vous ne saurez jamais ce que ç’aurait pu donner. Et t’as beau tenté de ne pas y penser, de dévier ton attention de tout ceci ton cortex lui, ne semble pas prêt à tirer un trait tout de suite.

Car ça serait trop simple, qu’on aime un peu trop se faire du mal.

T’imagines alors cette relation qui n’aura jamais pu voir le jour, imagine être celui dont Reira parlait avec ses copines des heures durant. Tu t’imagines lui offrir une rose pour la saint valentin ; t’imagines ô combien ç’aurait été difficile de la quitter le temps du service militaire. Est-ce que votre relation aurait survécu comme celle qu’elle a avec Kai ? Est-ce que vous n’auriez pas fait la pire erreur de votre vie en vous mettant en couple ? Trop de questions pour aucune réponse en retour. Et tu te permets de jeter un coup d’œil vers la brune assise à côté de toi, la regarde un instant triturer les poils de son chien, le regard dans le vide. Tu te demandes à quoi elle pense de son coté, te demande si ce qu’elle souhaite le plus au monde actuellement ne serait pas de s’en fuir le plus loin possible de toi maintenant qu’elle sait ton secret. Le cœur qui se contracte, arrête de battre à cette idée-là. T’as peur pendant un instant Haru, peur qu’après cet aveu, ce soit la dernière fois que tu la vois Reira. Alors tu lui fais promettre, lui demande de ne pas s’éloigner de toi. Pas cette fois. Tu t’en voudrais trop si c’était le cas, regretterait bien trop d’avoir été si sincère avec elle. Alors t’es tranquillisé quand elle t’assure qu’elle n’agira pas ainsi, qu’elle te fait confiance et croit en tes palabres quand tu lui garantis qu’à ce jour, t’as plus de sentiment pour elle.  

- Bon cool, je suis rassuré si tu le prends comme ça …

Sourire trop grand, les yeux qui se plisse machinalement avant que tu ne détournes le regard, te mette à fixer tous ces enfants s’amusant comme des fous sur l’aire de jeu. Eunchang qui semble heureux lui aussi, n’a pas ce visage contrit qu’il affiche quelques fois ces derniers temps. Surement inquiet parce qu’il voit papa de moins en moins souvent à la maison ; qu’il entend des bribes de conversation qu’il ne comprend pas complètement. Le monde qui semble changer autour de lui. Mais là, aux côtés de cette petite fille qu’il s’évertue à pousser pour la faire prendre en hauteur sur la balançoire il semble vraiment paisible.  Assez pour que tu sois satisfait de l’avoir emmené ici, au moins il aura pu voir Pucci et l’une de ses amies. Au moins toi, t’auras pu te confier à Reira, mettre les choses à plat aussi. Et le cœur se calme au bout de quelques minutes, les pensées aussi. Tout devient plus clair, les idées sont moins tangible. Un semblant de normalité reprend sur ce banc et à peine la gêne s’est-elle envolée de ton corps que tu redeviens le gosse d’antan. Reira que tu mets au défis, Reira qui semble prête à le relever mais ne peut pas car elle a son chien sur les cuisses, la belle excuse. Te fait rouler des yeux tandis qu’elle te met au défi d’aller sur l’une de ces petites balancelles pour enfant sur ressort.

- Si ça tient qu’à ça tu peux me le passer ton chien, je le tiendrais hein… Mais je pense que t’es une trouillarde regarde-moi bien faire mon défi en tout cas !

Et déjà tu te lèves, époussettes ton jean et file tout droit sur la balançoire libre sur le regard des enfants se demandant ce qu’un grand adulte comme toi peut bien faire ici ; le regard des parents interloqués de la gaminerie dont tu fais preuves. Y’en a qui sourient, d’autres qui soupirent mais au loin, tu remarques le grand sourire de Reira, les éclats de rire d’Eunchang derrière toi qui rapidement te rejoint, monte sur tes genoux comme si ton poids ne suffisait pas à faire balancer lourdement d’avant en arrière le petit cheval sur lequel vous êtes assis. Et vous riez, comme des gamins tous les trois. Comme si le dernier quart d’heure n’avait pas été révélateur, comme si ton cœur n’était pas à un rien d’exploser, que tes pensées n’étaient pas embrouillées.

Et t’espères que demain tout ira mieux, que demain tout ceci sera derrière vous, derrière toi et que plus jamais t’auras à discuter de ça.