❝ ciel noir ❞
-- ft haru

( outfit ) Il y a eu les cris, à table – le ton s’est haussé sans même qu’elle ne saisisse pourquoi. Ce qu’elle avait fait de mal cette fois-ci – étaient-ce ses mots ? son ton ? ses regards ? Il y a eu l’estomac qui s’est coupé et l’appétit envolé sous le regard brasier. Alors elle s’est levée, malgré ses protestations, s’est arrachée à sa main lorsqu’il a refermé ses doigts sur son poignet – et depuis elle a un peu mal, le membre endolori d’avoir été trop serré. Ses chaussures claquant sur le bitume – et heureusement cette fois-ci il ne l’a pas suivie.

Fuir, en espérant que la tempête se calme, tout en sachant pertinemment qu’elle ne la retrouverait que plus foudroyante en rentrant. Mais c’est toujours plus simple d’ignorer le souci un instant ; prétendre qu’il n’existe pas, se noyer dans les promesses qu’il lui a fait – qu’il lui refera, lorsque viendra le moment de se faire pardonner. Les yeux noyés dans la nuit noire – mais cette fois ce ne sont plus des larmes de peine mais de colère. Poupée ne s’est pas laissée tomber au sol, cette fois-ci ; et la rage a supplanté à la douleur habituelle. Car Kai flirte dangereusement avec ses limites. Qu’elle commence à arriver à saturation – et elle-même ignore de quelle manière tout ceci prendra fin, si une fois de plus elle rompra avec lui, ou si c’est lui qui la laissera rompue. A terre – carcasse inanimée, ombre d’elle-même.

Elle court, sans savoir où aller. Attrape le premier bus – et ce n’est qu’une fois montée à bord qu’elle réalise qu’elle n’a rien pour régler son trajet. Pas de téléphone ; pas d’argent. Elle a tout oublié à l’appart’ – idiote. Tant pis. Elle fraude. Les cheveux devant les yeux pour masquer les orbes embuées, recroquevillée dans son siège. Ce n’est qu’au bout de quelques arrêts qu’elle se rend compte qu’elle a pris le bus qu’elle emprunte pour se rendre au travail ; direction Busanjin. Et bien sûr, elle pense à lui. Se demande s’il travaille encore à cette heure tardive, ou si elle se heurterait au métal froid du volet de la supérette si elle venait à s’y pointer. Elle n’a même pas son cellulaire pour vérifier. Mais elle prend le risque – tente le tout pour le tout –, car Reira, elle ne veut pas rester seule. Le myocarde trop embrouillé pour se risquer à se confronter à ses pensées ; terrifiée de voir sa vie tout entière s’effondrer sous ses yeux. Sans pouvoir rien faire. Une fois de plus. Voir l’histoire se répéter – et elle en souffrira, elle le sait, même si elle ne veut pas, et même si elle lui échappait cette fois-ci, la danse ne cesserait de se répéter pour autant, elle le sait. Même si elle ne veut pas.

Alors lorsque le bus s’arrête enfin aux abords de la ruelle, elle se glisse dans l’air froid de la nuit. Resserre sur elle les pans de son gilet, laisse ses pas la guider vers l’échoppe – celle qui était comme sa troisième maison, fut un temps. Celle qui est encore éclairée malgré l’heure – et le cœur s’échauffe un peu à la vue de la lueur. S’arrêter à quelques bâtisses de là. Plisser les yeux pour distinguer son reflet dans la vitrine, sécher les larmes qui ont mouillé ses joues. Remettre un peu d’ordre dans ses cheveux. Inspirer un grand coup et, enfin, rompre les derniers mètres qui la séparaient de la supérette. Pousser la porte – et il est là, derrière le comptoir. Leurs regards se croisent – elle ne pense même plus à l’embarras qui semble vouloir teinter la moindre de leurs interactions, entre le soir où il l’a récupéré complètement torchée, les aveux timides d’adolescents au parc et les photos mal adressées. C’est bien le cadet de ses soucis.

Elle est juste contente de le voir, Reira.
Car Haru a si longtemps été pour elle un foyer,
Plus solide que quatre murs de pierre,
Plus rassurant qu’une maison bien lotie.
Bien où qu'ils soient.
Alors elle se sent tout de suite mieux,
Lorsqu’il pose ses yeux sur elle.

- Salut…

Et un petit sourire se peint sur ses lèvres, presque timide, tandis qu’elle achève de se glisser dans la boutique. Referme la porte derrière elle – qu’il reste dehors, ce froid glaçant ; qu’il n’ose même pas abîmer la douce chaleur de cet intérieur !

- T’es encore là ? Tu te reposes donc jamais… ?

Et elle s’avance dans l’échoppe – vers lui –, les mains enfoncées dans les poches de son jean. L’air de seulement passer par-là ; de ne même pas savoir ce qu’elle fait là – et sans doute un fond de vérité se cache-t-il dans ce dernier constat.

❝ ciel noir ❞
-- ft reira

( outfit ) Ciel devenu sombre – presque noir – pour toute la ville. Les boutiques de vêtements ont depuis longtemps tirés le rideau tandis que les restaurants aux alentours sont animés. Et puis il y a toi, dans l’épicerie familiale, le regard rivé sur ton téléphone ; les jambes croisées et allongées sous la caisse en attendant que le temps joue son rôle, tu te perds d’application en application pour animer ta soirée aux airs presque déprimante. Car t’as l’impression de passer ta vie ici Haru, l’impression que tu pourrais bien mieux utiliser ton temps ailleurs. A faire ce que tu sais faire de mieux.

Dessiner et peindre tes pensées,
Le faire sur les murs trop blancs, trop lisses de Busan.
T’y prendre durant la nuit pour éveiller les consciences durant le jour.

Et pourtant, t’as pas d’autre choix que de faire vivre cette épicerie. Car y’a une famille qui ne vit que par ces quelques ressources ; un nom à faire perpétuer dans Busanjin. Celui des Seomun.  Et par crainte de te déprimer un peu plus encore puisque la dernière fois que t’as osé regarder l’heures il n’était que vingt heures et quelques sur ton écran, tu n’as plus calculé l’horloge t’as forcé tes yeux à faire abstraction sans quoi tu ne ferais que soupirer, rendrait ta soirée d’autant plus difficile à gérer car t’es là pour encore trois heures minimum histoire de ne pas rater les quelques clients nocturnes qui se perdront dans les allées de leur marchand sauveur. Et le constat est éloquent, pour l’heure, tu t’ennuies Haru comme un rat mort. A tel point que t’en viens à envisager d’entamer l’inventaire pourtant prévue pour la semaine prochaine. Et c’est au bout d’une quinzaine de minutes à hésiter sur le sujet que tu finis par te décider, imprime les listes des réserves ; te lève pour entamer la fastidieuse activité de compter les stocks avant de te mettre à vérifier les dates de péremption de chaque article vendu sur vos étagères. Une fois debout, soudainement le temps passe plus vite, le cerveau est bien trop occupé par ce que tu fais plutôt que par toutes les pensées intrusives et négatives qui parfois se faufilent sans que tu puisses y faire grand-chose dans ta tête. Le rayon frais que t’examines avec minutie. Produit laitier un à un que tu vérifies avant de t’attaquer aux bouteilles. Bouteille sur laquelle tu ne trouves pas la date, que tu bouges dans tous les sens dans l’espoir de trouver le fameux sésame. Mais tu manques parfois d’agilité Haru, Celle-ci t’échappe d’entre les doigts, vient s’exploser sur le carrelage. Dégât que t’essaies alors de rattraper, les gros morceaux de verres que tu viens ramasser de façon grossière. Mais tu ne fais qu’empirer la situation lorsqu’un bris de verre vient entailler la chair de ta paume. Tu relâches alors le bout, grimace un instant en t’insultant toi et ce bout de verre mentalement.

Les doigts que t’arrête alors de crisper,
Le liquide carmin que tu vois glisser,
de l’entaille toute fraiche vers ton poignet.
Et tu détournes le regard, ne supporte pas cette vision.

Car t’as le sang en horreur, déteste autant l’aspect que l’odeur. Mais tu finis par prendre ton courage à deux mains et te diriger vers la caisse que tu contournes, ouvre le petit caisson dans lequel se trouve l’une des boites de premier secours mise à disposition. Te voilà passé d’épicier à infirmier. La plaie que tu désinfectes en grimaçant lorsque la porte de l’épicerie s’ouvre et fait tinter le carillon japonais que t’as ramené de l’un de tes voyages à tes parents. Moment moyennement bien choisie pour la personne qui entre dans la boutique, tu jettes sans finir ce que tu faisais les compresses rougit par le sang et cache ta main sous le comptoir en quatrième vitesse. Prêt à accueillir la personne comme il se doit malgré la douleur qui lancine tes doigts.

Et c’est là que tu la vois elle,
pas aussi pale qu’une aquarelle mais presque.

Reira toute timide qui entre dans la supérette, referme la porte derrière elle en accompagnant sa gestuelle d’un salut presque inaudible. Tu vois bien qu’il y a quelque chose qui cloche, voit bien qu’elle n’a pas le même regard que d’habitude, le même entrain. Et bêtement, t’imagines que c’est à cause des derniers messages échangés, la honte qui doit l’accabler entre ces quelques photos sur lesquelles t’as pu tomber et votre dernière conversation au parc qui ne doit rien arranger.

- Eh Reira, si j’m’attendais pas à une visite c’est bien la tienne…

Car des épiceries, il y en a des tonnes ici ou dans son quartier d’habitation. Alors tu te demandes si elle a quelque chose à te dire, quelque chose d’assez important pour qu’elle en vienne à débarquer en pleine soirée. Mais les questions tu les gardes pour plus tard, d’abord tu réponds sagement aux siennes :

- Je suis là jusqu’à minuit ce soir ouais, le début du week-end amène pas mal de client durant la soirée … Du coup non, je me repose pas …

Les épaules que tu hausses le sourire en coin, acceptant ton sort plutôt que de t’en plaindre. Les yeux que tu baisses un instant sur ta main qui se remet lentement à saigner et t’arrache une grimace contre ton gré avant que tu ne relèves de nouveau les yeux vers elle et lui demande :

- Et toi alors ? Tu fais quoi ici si tard … ? T’as une petite mine en plus.

Que tu lui dis en sortant l’air de rien une nouvelle compresse stérilisée de la boite en fer dans laquelle tout le matériel pour les petites plaies étaient rangés. La compresse que tu viens coller à la paume de ta main comme si de rien était. Car t’as pas envie de l’inquiéter Reira, pas envie qu’elle s’affole pour un petit bobo que même un gamin de cinq ans arriverait à gérer.

❝ ciel noir ❞
-- ft haru

Le carillon résonne dans la supérette assoupie – et immédiatement, ses yeux se posent sur Haru. Haru caché derrière le comptoir, l’air d’avoir été dérangé ; comme un enfant qu’on aurait surpris la main dans le bocal à bonbons. Et un salut s’échappe de ses lèvres, parce qu’il faut bien commencer quelque part ; qu’elle-même ne saurait justifier sa présence ici. Les pas qui s’avancent, prudents, dans l’échoppe – comme si elle n’y mettait pas les pieds deux mois plus tôt, comme si elle n’avait pas si souvent foulé ce carrelage dans son enfance. Haru s’étonne de sa venue ; et lorsque son regard rencontre le sien, elle se contente de hausser les épaules avec un petit sourire.

Par flemme de lui expliquer pourquoi elle est ici,
Lorsqu’elle-même l’ignore.
Devoir gratter l’enveloppe dorée de sa relation,
Pour en exhumer le magma noir qui la gangrène.

C’est toujours plus simple de se concentrer sur lui – alors elle lui demande s’il ne se repose jamais, surprise de trouver la supérette encore ouverte, Haru derrière la caisse. Hoche la tête lorsqu’il lui apprend que c’est la faute au week-end approchant, s’il est encore là ; remarque ses yeux se baisser sous le comptoir, une grimace déformer ses traits – qu’elle rejettera, à tort, sur ces horaires qui ne font rêver aucun jeune de vingt-cinq ans.

- Allez, avec un peu de chance t’auras un peu de repos pendant le week-end ! L’occasion de te détendre, te changer les idées…

Et parce qu’elle a mal interprété les signaux qu’il lui lance, elle s’efforce de lui remonter le moral, Reira. Appliquer quelque baume sur le cœur qu’elle croit frustré par ses horaires de travail – lorsque c’est plutôt sa main, dans l’immédiat, qui aurait besoin d'être soignée. Mais de ça elle ignore tout, la plaie dérobée à ses yeux, dissimulée sous le comptoir. Le jeune homme suffisamment attentionné pour se soucier de son expression à elle lorsqu’il devrait plutôt s’appliquer à se soigner ; les yeux qu’elle baisse un instant, hésite sur la réponse à lui apporter. Trouve enfin le courage de commencer, sans savoir elle-même dans quelle direction elle s’aventure :

- Ben…

Mais la trousse de premiers secours abandonnée sur le comptoir – la trousse de laquelle il extirpe une compresse qui disparaît elle aussi sous le plan de travail – la pousse à s’interrompre. Les sourcils se froncent légèrement, et Reira demande :

- Attends… Qu’est-ce que tu fabriques ?

Et parce qu’elle le connaît encore au moins un peu – sait qu’il ne crachera pas le morceau si aisément, s’efforcera de noyer le poisson lorsque la réponse lui est si accessible –, elle prend les devants. Rompt la maigre distance qui la séparait de la caisse, le rejoint derrière le comptoir. Juste pour voir de ses propres yeux ce qu’il lui cache. Et ce n’est qu’alors qu’elle découvre sa main sur laquelle la compresse commence déjà à se teinter de rouge ; le regard qui glisse sur les autres morceaux de gaze imprégnés du même liquide carmin échoués sur le dessus de la poubelle, et un soupir lui échappe :

- C’est ça que tu cachais depuis tout à l’heure ? Fais gaffe hein, on s’imagine vite des trucs bizarres quand on te voit te comporter de manière cheloue comme ça…

Un petit éclat de rire qu’elle laisse échapper, palabres formulées seulement pour tenter de détendre l’atmosphère – car Haru semble embêté qu’elle ai percé à jour son petit secret. Et ce sont tous ses tracas qui sont balayés, oubliés, au moins jusqu’à ce que Haru aille mieux, lorsqu’elle ajoute :

- Viens avec moi.

La trousse dont elle s’empare et déjà ses pas se pressent sur le carrelage, traverse le magasin, pousse la porte de la réserve – comme si elle était chez elle, et c’est finalement un peu le cas, ça l’a été fut un temps, du moins. Le petit lavabo qu’elle retrouve sans mal, se lave consciencieusement les mains avant de se tourner vers lui, lui désigner un siège.

- Assieds-toi.

Et elle se penche vers lui pour soulever le morceau de gaze, examiner la plaie. Légèrement dégoutée à la vue du sang, de l’entaille pas très propre, mais clairement plus à même de gérer la situation que lui.

- Tu t’es pas loupé… Eh, t’es pas obligé de regarder, tu sais ?

Une nouvelle compresse qu’elle prend dans la boîte, l’applique sur la plaie pour appuyer fort cette fois-ci ; tenter de stopper les saignements.

- Laisse-moi deviner, tu galérais à te soigner sans tourner de l’œil, mh ? Heureusement que j’suis arrivée maintenant finalement, deux minutes de plus et je te retrouvais évanoui derrière la caisse…

Un petit sourire qui s’étire en coin, illumine ses traits fatigués. A lui parler pour tenter de lui changer les idées ; lui éviter de se concentrer sur ses gestes lorsqu’elle ôte la gaze, lui prend la main.

- On va nettoyer ça, okay ?

Main glissée sous le jet du robinet, à regarder l’eau prendre des teintes rosées à mesure que le sang se tari, que les impuretés se chassent. Plaie rapidement séchée, et Reira s’empare du spray de désinfectant.

- Désolée, ça va piquer un peu.

Et le produit qu’elle vaporise sur la plaie, prend une compresse neuve.

- Comment tu t’es fait ça ?

La gaze appliquée sur l’entaille, elle la fixe soigneusement avec force morceaux de sparadrap, contemple le résultat et ajoute en souriant :

- Bon, j’suis pas médecin mais j’pense que tu devrais pas en mourir ! Tu peux respirer maintenant Haru.

Et sa joue qu’elle vient pincer comme on le ferait à un enfant ; le cœur un peu plus léger de s’être rendue utile ; le cœur un peu plus léger tant qu’elle ne songe pas à la raison de sa venue ici.

❝ ciel noir ❞
-- ft reira

( outfit ) Tu te sens con Haru, vraiment stupide même. Tu pensais vraiment qu’elle ne remarquerait rien Reira, qu’elle ne verrait pas que tu cachais quelque chose sous cette caisse. Mais surement que tes grimaces, ce grincement des dents que t’as eu en posant la compresse stérile sur ta paume coupée n’a pas aidé ta cause. En deux trois mouvements elle était déjà à tes cotés la jolie poupée curieuse, attrapait ta main pour voir l’ampleur des dégâts, mesurer ta maladresse pour mieux t’emmener à l’arrière de la boutique pour te soigner. Et voilà ou t’en es, les yeux perdus sur un point non existant derrière elle tandis qu’elle s’occupe de regarder la plaie un peu plus sérieusement après t’avoir demandé de t’asseoir.

Ça te rappelle un tas de souvenir de la voir s’occuper de toi Reira, ça te ramène à des souvenirs d’enfance et d’adolescences durant lesquelles elle était déjà celle qui se vouer à la terrible tache de panser tes petites ou grosses coupures. Car il en a toujours été ainsi, Haru. T’as toujours été un casse-cou prêt à sauter, grimper de partout mais dès que tu te fais mal, que le sang se met à perler et contraster sur ta peau blanche tu ne supportes pas. Tu préfères encore cacher la plaie que d’y faire face. et elle était là pour ça Reira, était toujours présente et ok pour s’occuper de toi puisque toi, t’étais incapable de le faire tout seul. Mais là, t’as plus cinq ans ou bien même quinze. T’en a vingt-cinq Haru et ta fierté d’homme te pousse à regarder cette entaille qui longue l’intérieur de ta main même si ça te retourne l’estomac, te rend blanc comme un linge le temps d’un instant. Parait-il que tu ne t’es pas loupé d’après ses dires et t’hausses les épaules face à la brune, lui lâche l’air las :

- ça arrive c’est rien … Faut pas en faire toute une affaire…

Elle te dit que t’es pas obligé de regarder mais tu le fais quand même. Relève de temps à autre les prunelles vers elle juste pour la regarder faire, la douceur de ses gestes. Reira qui elle, ne semble toujours pas effrayé à la vue du sang. Elle n’a pas de soucis à regarder l’ampleur des choses ; poser délicatement la compresse stérilisée sur la plaie pour en calmer ses saignements. Silence qui ne dure que quelques secondes avant qu’elle ne reprenne la parole, te fasse sourire par son trop plein d’imagination. Elle semble t’imaginer faiblard Reira, incapable de t’occuper de toi-même de ta propre personne. Et tu bombes un peu le torse, Haru lui répond sur un ton presque désinvolte :

- Eh, j’étais en train de m’en occuper avant que t’arrives juste je ne voulais pas t’inquiéter à la base. Puis maintenant que t’as pris le relais j’te laisse faire… Je doute pas que tu saches mieux faire que moi…

Petit air bougon sur le faciès, tu la fixes un instant avant de détourner le regard. Te met à fixer un point non existent loin derrière elle. Reira que tu laisses ainsi faire, allant de nettoyer ta main sous l’eau claire jusqu’à te désinfecter à l’aide d’un antiseptique. Aussitôt prévenu que ça risque de piquer, aussitôt le produit fait l’effet. Et tu grimaces, essaie de tirer sur ta main qu’elle tient assez fort comme si elle s’attendait à cette réaction de ta part.

Comme si tu n’avais jamais changé quelque part,
Et tu la regardes droit dans les yeux Reira.

T’es prêt à la remercier Reira, la remercier d’être là, de prendre le temps de s’occuper de toi quand elle te coupe la parole pour te demander comment tu t’y es pris pour te faire aussi mal. De ta main libre, tu viens alors gratter ta nuque un instant. Un brin gêné de lui raconter cet accident tout con que t’aurais pu éviter si t’étais un peu plus regardant quand tu fais quelque chose. Mais t’as beau retourner les mots dans ta tête pour trouver la bonne formulation, ça reste toujours aussi ridicule alors tu finis par simplement lui dire :

- J’ai fait tomber une bouteille en verre au sol, j’ai voulu ramasser les verres comme un bourrin et j’ai pas fait attention tout le pointu d’un bout est rentré dans ma paume…

Reira que tu regardes, la fixe l’air de dire « fait gaffe, ne te fout pas de ma gueule. » car c’est déjà assez gênant qu’à ton grand âge t’arrives encore à te blesser si bêtement mais ton regard n’est pas assez éloquent, ne semble pas faire peur une seule seconde à la brune qui te demande de respirer un coup, te détendre comme si t’avais insinué une seule seconde que t’allais mourir pour une coupure aussi nulle que celle-ci.

- J’respire très bien ? J’suis un homme Reira, arrête de me voir comme un gosse.

Ton visage qui se rapproche du sien, une pichenette que tu viens lui coller sur le bout du nez à l’aide de ta main fraichement bandé avant de finalement te lever de la chaise sur laquelle t’es posé depuis tout à l’heure. Tout sourire, tu t’étires comme si de rien était et lui dit :

- Au fait, t’insinuer quoi tout à l’heure quand t’as dit que tu t’imaginais des choses bizarres sous la caisse … ? J’étais un peu dans le flou, je t’ai pas écouté j’avoue.

Un sourcil qui s’arque, le regard qui se rive sur la brune qui soudainement semble trouver plus intéressant la boite de premier secours que toi.

- Si tu veux va te prendre un truc à manger dans les rayons, je vais nettoyer mon bordel pendant ce temps … Mais merci de m’avoir aidé, tu gères. Comme toujours.

Que t'ajoutes, car elle mérite au moins ça Reira. Que tu la remercie comme il se doit, si tu pouvais quitter l'épicerie tu l'aurais emmené manger un bout quelque part. Mais en l'occurence t'es coincé ici et le mieux que tu puisses lui offrir c'est les rayons de la supérette pour ce soir.

❝ ciel noir ❞
-- ft haru

Un sourire se perd sur ses lèvres en l’entendant lui rétorquer qu’il gérait la situation avant qu’elle n’arrive – l’air trop fier, trop déterminé de ces gamins que l’on aurait vexé à trop les infantiliser. Et le sarcasme est prégnant dans sa voix lorsqu’elle lui répond doucement :

- Oui, j’en doute pas un seul instant…

Car elle se souvient trop bien de toutes ces fois où, plus jeune, Haru tombait et se blessait. Elle-même n’était pas la plus grande amatrice des plaies sanguinolentes, mais son meilleur ami ne semblant pas apte à s’en charger, elle avait bien dû apprendre à s’y habituer pour pouvoir le panser. Et en cette soirée du mois de février, le passé semble se répéter – Reira penchée sur lui, le regard attentif et les gestes précautionneux pour le soigner au mieux. Et s’il se répète si bien, elle se dit qu’il doit avoir gardé cette aversion pour son propre sang. L’espère un peu, au fond – toujours rassurée par l’idée que le passé demeure inchangé. Et une fois la plaie nettoyée, elle l’avertit que l’antiseptique risque de piquer – resserre sa prise sur sa main, des fois que, comme à l’époque, elle fuit comme un chat au contact de l’eau. Et ça ne loupe pas, un sourire qu’elle étouffe comme elle peut lorsqu’elle croise son regard, se contente de hausser un peu les sourcils, l’air de dire que rien n’a finalement changé, hein ? Mais plutôt que de s’attarder sur ce sujet qui, elle le voit bien, l’embarrasse, elle lui demande comment il s’est débrouillé pour se faire ça. Cette conversation qui le gêne de toute évidence tout autant, et elle commence à imaginer mille et un scénarios possibles pour expliquer une telle réaction. La réponse pourtant si simple : il a fait tomber une bouteille de lait et n’a pas pensé à s’armer d’un sopalin pour ramasser les éclats tranchants. La réponse qui pousse un soupir hors de sa bouche, ses mains qui se figent un instant sur la sienne pour le regarder, lâcher :

- Sérieusement, t’as essayé de nettoyer ça à main nue ? T’es pas croyable hein Haru, qu’est-ce qu’on va faire de toi… ?

Et doucement, elle secoue la tête, tandis que les yeux se baissent pour de nouveau se concentrer sur la plaie. Reira plus attendrie qu’autre chose par sa maladresse, les mots qui ne sont pas là pour le blesser, pas même pour l’engueuler – seulement espérer qu’à l’avenir, il évite de se blesser lorsque la catastrophe est si simple à contrer. Mais sans doute étaient-ce les palabres de trop – à moins que ce soit le fait qu’elle l’invite à se détendre maintenant que sa plaie est pansée –, car le regard du jeune homme s’assombrit un peu, son visage se rapproche. Et elle n’a d’autre choix que de le fixer dans les yeux, le souffle qui se coupe un instant de cette proximité inhabituelle – inhabituelle lorsqu’elle est sobre comme ce soir, en tout cas –, à se demander ce qu’il fabrique. L’entend asserter qu’il est un homme, et plus un enfant ; et juste comme ça, avec une pichenette sur le bout de son nez qui font cligner ses yeux sombres, il s’écarte. C’est finalement elle qui peut enfin respirer, et sans trop savoir s’il se moquait juste d’elle ou si une véritable critique se dissimulait derrière ses mots, elle lui répond :

- Désolée… Je t’ai juste tellement plus connu gamin que… en étant « un homme » que j’suppose que c’est un peu compliqué de me sortir de la tête le garçon que t’étais à l’époque.

Et les épaules se haussent sur cette phrase ; Haru qui ne semble pas plus traumatisé que cela, s’étire en souriant pour revenir sur les mots qu’elle a prononcé un peu plus tôt. Ah oui… Ces mots. Et elle se doute bien qu’il joue seulement avec elle ; a en réalité parfaitement compris où elle voulait en venir. Le brun qui arrive parfaitement à ses fins, en tout cas, puisque déjà les joues rosissent un peu tandis qu’elle baisse les yeux vers la trousse de premiers secours ; s’affaire à tout remettre en place, botte en touche.

- Rien de spécial ? J’voulais juste que tu te détendes un peu car t’avais l’air gêné que j’ai vu ce qui t’était arrivé…

Maigre haussement d’épaules, en espérant que cette esquive saura passer. Et comme pour mieux noyer le poisson, elle ajoute déjà :

- T’espérais vraiment que je capte rien, d’ailleurs… ? Soit tu t’imagines vraiment que j’suis sénile, soit… ben j’capte même pas comment t’espérais que je crame rien, en fait ?

Reira intriguée par ce que son ami avait en tête ; par quel miracle il espérait que cette petite situation de crise passe inaperçue, lorsqu’elle se trouvait littéralement de l’autre côté du comptoir. Haru qui lui propose de manger un morceau pendant qu’il nettoie ; la remercie pour son aide, et un sourire se dessine sur les lèvres de la brune lorsqu’il lui dit qu’elle gère.

- C’est normal, j’allais pas te laisser en galère… Même si t’es un homme maintenant, blablabla, je sais…

Et les prunelles roulent vers le plafond, sourire en coin. L’appétit toujours coupé, elle fouille dans le local pour mettre la main sur le matériel de nettoyage.

- Non, j’vais te donner un coup de main. Faudrait pas que tu te blesses de nouveau si je te quitte des yeux un peu trop longtemps.

Et face aux protestations du jeune homme, elle se tourne un instant pour le regarder dans les yeux, ajoute :

- Je rigole. Je mangerais plus tard, t’inquiète pas.

Armée du seau de nettoyage, elle regagne la boutique, se dirige vers la scène de crime après lui avoir demandé dans quelle allée tout cela était arrivé. Et c’est les doigts protégés par un sopalin qu’elle commence à ramasser les éclats de verre, les dépose dans la petite pelle en attendant d’aller les jeter à poubelle.

- Tu te reposes assez, Haru… ? Pour laisser échapper une bouteille comme ça…

Et elle sait bien que son ami est trop souvent distrait ; que cela pourrait ne tenir qu’à cela. Mais il a l’air fatigué, le jeune homme, et avec tout ce qui semble lui peser sur la tête depuis des mois désormais, elle aime mieux s’assurer qu’il fait attention à lui, quand même. Par acquis de conscience. Parce que c’est parfois plus simple de prendre soin des gens qu’on aime que de soi-même.

❝ ciel noir ❞
-- ft reira

Un hochement de tête silencieux pour répondre à sa question tandis que les prunelles elles, se perdent dans cette réserve dans laquelle t’as passé toute ton enfance. Tout plutôt que de regarder ce que fais Reira, de fixer cette plaie qui saigne encore à petit flot tandis que la jolie brune face à toi se demande ce qu’on va bien pouvoir faire de toi, te force à déplacer tes yeux des murs de la pièce à elle. Car elle pose la question à un million de won Reira, cette question qui revient par période. T’as l’impression de l’avoir entendu toute ta vie cette phrase à ton encontre. D’abord de la bouche de tes parents ; inquiet par moment d’avoir un enfant si turbulent, dans son monde pendant l’enfance. Puis il y a eu les professeurs aussi, les amis, Reira et même toi par moment.

Mais y’a jamais eu de réponse parfaite ou évidente.
Toi-même tu sais pas ce que tu vas devenir car tout est incertain à présent.

Les quelques bribes d’idées que t’avais sont parties en fumée du moment que t’as dû revenir à Busan, reprendre en main l’épicerie familiale. T’as plié bagage Haru, abandonné au Japon tes rêves de gosses de dessinateur et ta pseudo réputation en tant que moondust dans les rues de Tokyo. Ça commençait à légèrement prendre de l’ampleur sur les réseaux sociaux avec les quelques graffitis dénonciateurs que tu juxtaposais aux murs la capitale japonaise l’année passée. Mais ici, tu dois tout reprendre de zéro et pour ça il faut avoir du temps à disposition. Du temps que t’arrives pas à dégager. Tu vis au détriment de ton art Haru, de ce qui te fait kiffer. Mais ça personne ne le sait car tu n’en parles pas. T’agis comme un mec paumé car c’est plus simple comme ça. Mais au moins, dans ce flou artistiques qu’est ta vie t’as pu retrouver tes proches, revoir quelques amis et puis surtout la retrouver elle et ça à tes yeux ça n’a pas de prix. Cette amitié qui renait de ses cendres après tant d’années c’est le petit truc qui te fait prendre conscience que y’a pas que du mauvais à ton retour dans ta ville natale. Et ça, même si elle ne te voit pas comme le grand garçon que t’es devenu.

- Ouais je sais que tu me vois pas comme ça, mais habitue toi au changement Reira sinon tu vas tomber dénu.

Des mots prononcés avec le sourire, les yeux dans les yeux tant que t’es encore proche d’elle. Car t’es un homme, assez mûr pour aider ta famille, prendre le relai de ton père même si c’est contre ta volonté. Assez grand pour assumer des vieux sentiments que tu n’imaginais jamais avouer. Assez grand pour t’occuper toi-même de ta main aussi, même si ç’aurait donné du fil à retordre. Et t’as pas envie d’être considéré comme un gamin, t’as envie qu’elle apprenne à connaitre le Haru adulte, celui qu’a grandi et qui la voit elle aussi comme une adulte. Et les adultes, ils peuvent parler de tout et n’importe quoi, les adultes ils peuvent rire de sujet un peu plus tabou et c’est pour ça qu’une fois remis sur pieds tu lui demandes ce qu’elle voulait dire un peu plus tôt, lorsque t’étais encore caché derrière la caisse pour panser ta plaie. Le sourcil arqué, le regard rieur tu la toise se dépatouiller comme elle peut de cette conversation qui semble soudainement la gêner. Elle t’arrache alors un éclat de rire Reira avec ses joues rosies, ses yeux fuyant les tiens.

- Et après c’est moi le gamin … Qu’est-ce qu’on n’entend pas …

La tête que tu bouges nonchalamment avant de venir lui donner un coup de main en l’aidant à remettre de l’ordre sur la table, rangée avec elle les quelques trucs qu’elle a sortie de la boite de secours. La tête que tu tournes vers elle quand elle te demande comment tu comptais t’y prendre pour lui cacher ton incident et t’inspires un grand coup, tandis que tes billes marrons s’attardent sur son joli profil, ses lèvres pulpeuses pour mieux foutre le trouble dans ta tête. Quelques secondes de silence, le temps pour toi de cligner des yeux et détourner le regard et lui répondre :

- J’sais pas, j’ai pas réfléchis à tout ça en fait … Je voulais juste pas t’inquiéter.

Car elle avait l’air triste Reira en arrivant dans l’épicerie, son regard te semblait éteint. Au point de te faire oublier les picotements au creux de ta main, te demander si quelque chose de grave était arrivé. Mais depuis, le regard s’est adoucit et tu la remercie de t’avoir aidé, d’être là ce soir pour égayé un tout petit peu cette soirée. Reira que tu comptes bien remercier en lui offrant au moins de quoi se nourrir tandis que toi, tu nettoieras le bordel que t’as foutu dans le rayon des boissons fraiches. Sauf qu’elle ne semble pas d’accord et préfère plutôt t’aider, ne sait-on jamais si tu te coupes une deuxième fois.

- Vas y fait moi passer pour un boulet, j’te dirais rien.

Une nouvelle pichenette que t’aimerais bien lui coller sur le front mais elle s’éloigne trop vite de toi Reira, attrape déjà de quoi t’aider à nettoyer le rayon et s’en va comme si cette épicerie était aussi la sienne. Tu souris une fois qu’elle a le dos tourner, laisse tes prunelles rouler avant de la rattraper, prendre le pas pour l’emmener sur la scène de crime là où les bouts de verres jonchent encore à même le sol. L’un comme l’autre vous vous mettez à nettoyer, tandis que ses mains délicate attrape un à un les morceaux de verre toi tu t’occupes de passer la serpillère, nettoyer le sol sali par tes conneries. Tu t’appliques Haru, ne parle même pas. Le silence qui ne te fait pas peur, le silence que t’aborde comme un temps spécial pour te plonger dans tes pensées. Jusqu’à qu’elle se permette de rompre le silence, te fasse relever la tête pour te demande si tu le prends de te reposer.

- Pourquoi tu me demandes ça ? Tu t’inquiètes Reira ?

Que tu lui demandes le sourire goguenard avant de t’appliquer sur ton dernier coup de serpillère et ajouter plus sincèrement :

- T’as pas à t’inquiéter, promis. Ça m’a juste échappé d’entre les mains car j’avais les mains glissantes et trempée d’avoir touchés tous les produits frais…

Y’a peut-être un peu de fatigue mélangé à ta maladresse mais t’as pas envie de l’inquiéter pour si peu. Toi c’est elle qui t’inquiète et enfin tu trouves le bon moment pour lui demander à ton tour les mots qui te démangent depuis qu’elle est arrivé dans la supérette :

- Et toi tu vas bien ?

Question sincère qui mérite une réponse tout aussi franche, ton regard que tu braques dans le sien pour l’inciter à te dire la vérité car t’as l’impression qu’elle ne le fera pas si tu ne la force pas à le faire. Tu te demandes si ça concerne une nouvelle fois son couple, si comme le soir où elle se bourrait elle s’est encore disputer avec Kai ou bien si autre chose la contrarier que ce soit dans son boulot ou sa vie privée. Mais tu tiens à ce qu’elle t’en parle et t’ajoute bien rapidement pour l’encourager :

- Tu peux tout me dire tu sais Reira ? Je jugerais pas quoi que tu me dises, mais s’teuplait me fait pas croire que y’a rien j’peux pas faire semblant d’y croire. Pas avec toi.

Car tu la connais trop bien, même si vous avez grandis elle a toujours ce même regard la poupée. Cette même moue attristée, les sourcils qui se froncent légèrement même si elle fait au mieux pour se dérider.

Aller balance le morceau Reira, on s’était promis de n’avoir jamais aucun secret.

❝ ciel noir ❞
-- ft haru

Regard fuyant, les yeux se baissent un peu plus encore de l’entendre éclater de rire ; laisser entendre que malgré ses dires, c’est finalement elle la plus puérile des deux. Comme si ce n’était pas précisément la réaction qu’il attendait en lui posant ces questions ; comme si son embarras n’était pas justifié, au moins un peu. Et Reira ne répond rien, car c’est sans doute la porte de sortie la plus simple à saisir. Les produits rapidement rangés dans la trousse de premiers secours, elle lui demande comment il avait l’intention de lui cacher sa blessure pendant tout ce temps – et Haru semble hésiter, met quelques instants à se décider à lui répondre qu’il l’ignore lui-même, en réalité. Que tout ce à quoi il pensait c’est à ne pas l’inquiéter.

- Tu l’as dit toi-même, c’était pas grand-chose… Puis pour te dire toute la vérité ça m’inquiète plus de me dire que tu peux me cacher ce genre de trucs, à partir de ce moment-là tout est possible.

Maigre haussement d’épaule, car s’il omet une pauvre coupure pour ne pas qu’elle se tracasse, qu’est-il capable de lui dissimuler d’autre, hein ? Des choses plus graves ? L’imagination pourrait trop vite s’emballer si elle commençait seulement à y songer, alors déjà elle élude ces pensées, se focalise plutôt sur Haru qui la remercie, remet à plus tard le repas qu’il lui offre. Le manque d’appétit qu’elle tait, rejette la faute sur le brun qu’elle ne pourrait laisser sans surveillance – se sent obligée de lui signaler qu’elle plaisante, lorsqu’il s’offusque qu’elle le fasse passer pour un boulet.

Mais qu’il ne s’inquiète pas, Haru.
Elle sait, au fond, qu’il sait gérer toutes les situations,
lorsqu’il le faut.
Comme il le fait avec cette supérette,
comme le fait qu’entre deux conneries,
lorsqu’il le fallait,
il a toujours été là pour elle.

Mais déjà Reira s’échappe – armée de tout le matériel de nettoyage, elle se glisse dans les allées, se penche sur la flaque de lait aux reflets rosés pour ramasser les bris de verre. S’efforçant tant qu’elle peut de ne pas reproduire l’erreur de Haru – car il ne manquerait plus qu’ils se blessent tous les deux. Silence qui s’installe, seuls résonnent dans la supérette endormie le cliquetis des éclats de verre et le frottement de la serpillère. Mais si les lippes sont closes, les méninges de Reira, elles, s’activent – et la jeune femme s’inquiète lorsqu’elle réalise que cet accident pourrait n’être que la preuve d’une fatigue prégnante chez son ami. Inquiétude dont elle lui fait part ; un sourire goguenard se dessine sur les lippes du jeune homme. Idiot. Et elle le regarde dans le blanc des yeux, hésite un instant avant de reporter son attention sur les morceaux tranchants.

- Ben oui je m’inquiète. Et c’est pas marrant.

Quelle amie serait-elle si elle ne se souciait pas de lui, après tout ? Mais à en croire Haru, tout va bien – est à blâmer seulement la condensation de l’eau. Et elle hoche doucement la tête, rassurée sans l’être.

- D’accord… Après… enfin, j’imagine que t’as dû avoir des périodes plus marrantes qu’actuellement, donc t’es pas obligé de faire semblant avec moi, tu le sais hein ? J’sais que les choses ont changé par rapport à avant mais… si t’as besoin de parler, de vider ton sac, craquer un coup, j’sais pas, j’suis toujours là pour t’écouter hein. Ça, ça a pas changé.

Et ses yeux bruns se rivent dans les siens après avoir tant cherché ses mots. Car elle veut qu’il la croit, Haru. Qu’il comprenne qu’il peut compter sur elle, même s’ils n’arrivent pas à tout reconstruire à l’identique. Elle a toujours été là, Reira. Et lorsqu’il lui demande à son tour si elle va bien, elle cligne des yeux, surprise par sa question, force un petit sourire sur ses lèvres.

- Oui. Pourquoi ?

Et y a pourtant pas de question à se poser, y a pas à s’interroger sur les raisons pour lesquelles il lui demande comment elle va. Y a rien de plus naturel, en soi, mais sans doute Reira sait-elle qu’elle doit avoir l’air bizarre, ce soir – comment ne pas en avoir l’air ? –, et cette réponse n’est finalement guère plus qu’une réaction de défense. Défense qui a pour seul résultat de le pousser à lui tirer les vers du nez ; l’inviter à se montrer franche avec lui, comme elle vient de le faire une poignée de minutes plus tôt.

Et son regard se fait soudain trop lourd à soutenir.
Les yeux glissent au sol ;
la gorge se noue lorsqu’elle avoue :

- Ça va pas, avec Kai…

Et elle lâche le dernier morceau de verre dans la pelle, et avec elle la feuille de sopalin souillée de lait. Ses doigts avec lesquels elle joue nerveusement, toujours accroupie, à fuir son regard ; à chercher quoi dire.

- On s’est encore disputé, ce soir… Comme d’hab'.

Et les épaules se haussent, et un éclat de rire désabusé se perd loin de ses lippes. Fait s’embuer ses yeux. Et sans doute aurait-il était plus juste de dire que c’est lui qui s’est énervé ; lui qui a crié – lorsque Reira est demeurée silencieuse sous les assauts de ses mots, poupée amorphe, rompue par les coups des palabres trop souvent assassines. Mais c’est plus simple de prétendre que ce n’était qu’une banale dispute de couple. C’est plus simple de laisser entendre que les torts étaient partagés ; que dans l’appartement, ses cris à elle aussi ont résonné. Alors, tout semble plus normal – cette situation ne paraît même plus aussi tordue qu’elle l’est réellement.

❝ ciel noir ❞
-- ft reira

Sourire qui se perd, s’efface instantanément quand les mots quittent ses lèvres. Car Reira s’inquiète, réellement. Elle a peur pour toi Haru, peur que tu ne fasses pas assez attention à toi. Et tu la fixe sans trop savoir quoi répondre à ça, comment lui enlever cette inquiétude qui semble parfois la toucher quand elle pense à toi. T’aimerais lui dire qu’elle n’a vraiment pas à s’en faire, que la situation est encore gérable même si parfois les journées sont longues et compliquées mais les mots s’emmêles et se cogne à la lisière de tes lippes. Car t’as pas envies de paraitre si fort que ça soudainement, t’as pas envie de lui mentir. Mais tout à la fois, lui dire que ça ne va pas si bien, que parfois tu te décourages ça reviendrait à lui dire que t’as moins en moins d’espoir que tout aille bien à l’avenir. Que tu t’imagines plus un avenir ou papa serait en vie. Et ça, t’as pas encore le courage de le dire à voix haute, t’as pas les épaules encore assez carrées pour porter le poids de cette évidence.

Alors tu te tais Haru, hoche de la tête face à la brunette.

- Non je sais que t’es là Reira, et j’te jure que si j’ai un truc à dire je le ferais … J’ai pas honte de craquer c’est juste que pour le moment … J’ai de l’espoir tu vois ? Si j’craque c’est que j’en ai plus et que je vois plus le bout du chemin et pour le moment j’suis encore assez optimiste pour me dire que tout va bien.

Et tu ne veux pas être dans cet état négatif d’esprit. Pas tout de suite. Pour le moment y’a encore un petit peu d’espoir qu’un miracle se produise et que ton père se rétablisse, reprenne un jour les rennes de son épicerie qu’il aime tant ; qu’il puisse voir tes petits frères grandir et pourquoi pas l’une de tes sœurs se marier ? Te voir exercer un métier qui te plait ? Qu’il soit fier de toi au moins une fois dans sa vie ? Une pensée qui t’étreint le cœur, te coupe la respiration un instant car t’as peur Haru, peur qu’il ne te voit jamais tes efforts. Mais tu te forces à chasser ses idées de la tête, ne pas penser à ce futur qui te fait si peur. Le présent est déjà bien assez dur à vivre pour penser au futur qui lui, reste incertain. Puis devant toi, t’as une Reira au regard attristé. Reira qui semble caché quelque chose qui la pèse. Elle a beau te répondre qu’elle va bien, t’es certain que y’a un truc qui cloche quand même. Car elle n’est pas aussi détendue que les dernières fois quand tu l’as vu, elle a beau ne pas être bourré ce soir, elle te semble aussi triste que cette nuit-là. Et t’arques un sourcil, l’incite à parler.

Quelques secondes qui s’écoulent,
Un ange passe et enfin, elle avoue ce qui la tracasse.

Le couperet tombe, les palabres semblent difficiles à quitter ses lèvres mais pas étonnante à entendre de ton coté. Avec Kai ça ne va pas si bien que ça. Situation qui semble la toucher, l’atteindre au plus profond de son âme. Comme si elle était fautive de ça. Et ça te fait un petit coup au cœur de l’entendre t’avouer ça, elle te cause du chagrin Reira à ce moment-là. Car toi, tu ne veux que son bonheur et tu pensais sincèrement qu’elle l’avait trouvé entre les bras de ce garçon qu’elle aime depuis tant d’années. Mais à sa façon de prononcer les mots, t’as l’impression que ce n’est pas la première fois qu’ils se disputent comme ça. Loin de là. Y’a les mots « encore » et « comme d’hab » qui s’échappent, atteste que c’est répétitif comme situation. Et tu te demandes depuis quand elle vit avec cette peine Reira, depuis quand sa relation la fait plus souffrir qu’autre chose.

- Mais quand tu dis vous vous êtes engueulés tu parles des grosses disputes ou des trucs du quotidien … ?

Car c’est le quotidien de tous les couples les disputes, t’as beau ne pas avoir eu des relations aussi longues que la sienne tu sais qu’il y a toujours des moments comme ça où les disputes sont inévitables. Parfois permettent d’aller plus loin et des fois, de se rendre compte qu’il est temps de mettre à un terme à la relation. Mais t’es pas assez renseigné sur sa relation avec Kai pour te permettre quelconques remarques, avis ou même conseil. Faudrait qu’elle t’en dise plus Reira et pour ça, tu dois la questionner sans pour autant la braquer. Ton épaule que t’appuies contre la porte vitrée d’un des réfrigérateurs. Prêt à passer un petit moment ici tant que la discussion ne sera pas terminée.

- C’est toujours un même truc récurent qui revient ou même pas ? Franchement j’suis pas le plus doué en relation mais on est tous passé par là je crois … Mais faut pas te miner le moral comme ça Reira, t’as l’air abattue.

Et peut-être que si elle semble abattue, c’est qu’il y a des raisons pour qu’elle le soit. Des idées sombres qui te traverse l’esprit, t’hérisse l’échine. Des idées que tu ne préfères pas concevoir dans ta tête. Car il ne peut pas être comme ça Kai hein ? Il ne peut pas se permettre de lui faire tant de mal ? T’en sais rien, tu sais plus en réalité. Tu ne le connais pas ce mec après tout, comment tu peux le juger ? Pourquoi il aurait un bon role ? Pourquoi il serait mauvais ? Alors t’ouvres la bouche Haru, hésite un instant et finalement tu dis à la brune :

- Puis … T’es pas obligé d’endurer le poids de ton couple dans tous les cas Reira, ça se réfléchis car tout peut s’améliorer mais si depuis trop de temps tu souffres faut peut-être lâcher prise. Des poissons y’en a des millions dans l’océan …

C’est comme ça que toi, tu t’en es sorti. Comme ça que t’as réussi à passer à autre chose à chaque fois que ça n’allait pas avec une fille. Mais vous les garçons, c’est différent. Votre honneur n’est pas remis en doute quand vous passez d’une fille à l’autre. Et t’as peur que ça soit ce petit code d’honneur, ces façons de pensées archaïques qui l’empêche de mener sa vie comme elle l’entend. T’espères que non mais le doute subscite tant qu’elle ne le dit pas haut et fort qu’elle ne le quittera jamais, qu’elle est sûr et certaine que ça finira par aller.

- Vous vous êtes disputés pourquoi … ? Enfin, si tu veux en parler …

Car tu ne la forceras pas, t’as jamais été du genre à arracher les vers du nez. Mais t’es curieux, Haru. Curieux d’en apprendre un peu plus sur son intimité, savoir comment son couple à évoluer depuis le lycée. Car toi, l’image que t’en garde c’est celle d’un couple model tout droit sorti de l’univers d’un magazine pour adolescent.

Et tu te demandes à quel moment les choses ont basculés, à quel moment le rêve s’est transformé en cauchemar pour la jolie poupée.  

❝ ciel noir ❞
-- ft haru

Les mots sont soufflés, sans tout avouer – et sans surprise, Haru pose des questions. Car il ne sait finalement rien de leur relation, débutée après qu’ils aient cessé de se parler, qu’elle ne lui a finalement jamais réellement raconté au cours de ces derniers mois depuis qu’ils se sont retrouvés. Et lorsqu’il lui demande s’il s’agit d’un conflit important ou des simples vagues du quotidien, elle ne sait même pas quoi lui répondre. Si bien déboussolée qu’elle finit par lâcher un trop honnête :

- Des grosses disputes du quotidien... ?

Car aussi minables soient les sujets de leurs embrouilles, elles prennent toujours des proportions astronomiques avec Kai ; trop fréquentes, aussi, pour se payer le luxe de les qualifier de sporadiques – le quotidien à ses côtés est de pire en pire. La voix de Haru qui résonne dans la supérette ; qu’elle écoute lui raconter que tout le monde est passé par-là, qu’elle n’a pas à s’en faire, Reira. Qu’elle a l’air abattue. Et elle hoche doucement la tête, force un sourire sur ses lippes paralysées pour sembler un peu moins abattue.

- Oui, t’as sans doute raison… Tout le monde doit passer par-là, finalement. Je dois sûrement en faire un peu trop.

Et un petit éclat de rire gêné s’échappe d’entre ses lippes – embue encore ses yeux, tandis qu’elle glisse une main dans ses cheveux. A se persuader que ces disputes sont normales. Qu’elles font partie de toute vie de couple, qu’il n’y a pas à trop réfléchir sur la situation. D’autres doivent sans doute vivre la même chose et s’en sortir, alors pourquoi faut-il que pour elle ce soit si dur ?

- Mais pour répondre à ta question… Non, y a plusieurs trucs, parfois il est pas content de comment je m’habille, parfois c’est mes potes ou les gens à qui je parle qui lui posent problème… Parfois juste mon comportement. Ça dépend.

Les épaules se haussent. A l’entendre, c’est toujours elle le problème. Toujours elle qui le met dans des états pareils. Toujours de sa faute – et pourtant ce n’est pas elle qui crie, ce n’est pas elle qui retourne le joli mobilier de leur mignon appartement. Et Reira si confiante finit par se demander si elle n’a pas réellement un souci, à la longue – à ne pas voir ce qu’elle fait de mal, si elle n’est pas l’insupportable égoïste qu’il l’accuse d’être, pour ne pas voir de soucis dans sa façon d’être. Le doute que Kai parvient un peu trop bien à semer dans son esprit – détruit tout sur son passage, comme un putain de bulldozer. Kai qu’elle n’est pourtant pas forcée de supporter, comme le lui suggère Haru – et à ces mots elle relève les yeux vers lui, le dévisage. A se laisser un instant tenter ; déjà rattrapée par la réalité, la rationalité, les réminiscences de toutes ces fois où elle l’a quitté, et où il a toujours fini par la récupérer. Alors à quoi bon s’infliger l’inconfort de la rupture, la souffrance de la séparation, si c’est pour immanquablement revenir à la case départ ? Spirale infernale dans laquelle elle s’est engouffrée il y a des années, qui l’a happée pour ne plus jamais la laisser s’échapper.

- Je l’ai déjà quitté, tu sais ? Plusieurs fois. Mais on finit toujours par se remettre ensemble, puis je l’aime, alors au final j’ai souffert pour rien, tu comprends ?

Comme si elle ne souffrait pas en restant avec lui – mais elle a l’impression que quoi qu’elle fasse, le résultat est toujours le même au final : le cœur est brisé, et le poids des journées trop dur à supporter. Prise au piège d’un quotidien sans saveur ; parfois trop douloureux pour encore le tolérer. Et lorsqu’il lui demande pour quelle raison ils se sont disputés – lorsqu’elle doit se poser un instant pour réfléchir sérieusement à la question, remettre les souvenirs dans l’ordre, toute l’absurdité de cette situation n’en est que plus soulignée, et un éclat de rire désabusé lui échappe.

- C’est ridicule, en fait.

Et elle n’est même pas sûre de vouloir en parler, Reira – trop bien habituée à prendre sur elle du matin au soir, prétendre que tout va pour le mieux, préserver les apparences fragiles d’une relation idyllique. Mais ce soir, sans doute est-elle un peu trop fatiguée ; un peu trop usée, blessée, et c’est trop aisément que les mots glissent sur sa langue.

- Je suppose que Monsieur a été contrarié parce que Pucci a mâchonné ses chaussures, alors que ben c’est un chiot, il est pas encore super bien éduqué, c’est normal tu vois ? Mais bref, c’est parti de là, et il a commencé à me reprocher de lui avoir fait une crise et l’avoir forcé à l’adopter alors que… ben j’avais un peu insisté y a longtemps, mais c’est lui qui m’a emmené chez l’éleveur du jour au lendemain pour se faire pardonner d’avoir été infect avec moi deux jours avant. Et pourtant il a l’audace de faire comme si je lui avais demandé quoi que ce soit.

Elle parle trop, Reira – l’habitude de se justifier pour tout et n’importe quoi, résultat d’années de reproches injustifiés, où tout était prétexte à faire exploser son petit ami. Et déjà elle reprend :

- De toute façon il aime pas du tout ce pauvre Pucci, il essaie même pas de faire semblant. Mais bref, j’avais beau ne rien répondre pour qu’il se calme de lui-même, ça a eu l’effet inverse. Il s’est juste énervé encore plus, puis il a commencé à dire que j’étais qu’une… gamine pourrie gâtée et capricieuse, égoïste, que…

Il lui faut prendre une petite inspiration sur ces mots, car la voix se coupe – car les mot sont trop durs à restituer, et que plus elle parle moins elle comprend comment les choses ont pu prendre de telles proportions. Une fois de plus.

- … que je pensais pas à lui, que je faisais que de l’énerver à en faire qu’à ma tête, m’habiller comme une pute. Et perso je vois pas le problème avec comment j’étais habillée aujourd’hui, donc j’sais pas ce qui cloche chez moi, tu vois ?

Et d’un geste las, elle désigne sa tenue, le haut peut-être un peu court – il la pousse à se poser des questions qu’elle ne se serait jamais posées sans ses mots.

- Que j’avais aucun respect pour lui et notre couple, que j’étais en train de le rendre fou… Il m’a dit qu’un autre que lui m’aurait déjà quitté depuis tellement longtemps… Enfin…

Et les épaules se haussent, la voix se brise sur ces derniers mots. Les yeux rivés vers ses pieds pour ne pas qu’il voit ses larmes couler – car Kai, ça ne fait toujours que l’énerver encore plus lorsqu’il la voit pleurer. Le rendre toujours plus méchant. Et Reira, ça lui fait un peu trop mal de devoir répéter à son tour ces mots, prononcés un peu plus tôt par l’être aimé malgré tout.

❝ ciel noir ❞
-- ft reira

Première réponse donnée par la poupée brisée, une seule réponse qui ne te fait déjà pas plaisir à entendre. Car chaque jour a l’air d’être compliqué à gérer, chaque jour détient son lot de dispute intense qui détruit ton amie d’enfance. Et si seulement t’étais au bout de tes peines Haru, si seulement tu savais le reste. Mais t’hoche la tête, la laisse parler sans la couper car elle semble enfin lancée, semble prête à se délester d’un poids à t’es cotés.

Et t’hoches de la tête,
L’incite à continuer.
Pour comprendre ce qu’il se passe,
Pourquoi elle est triste si souvent Reira.

Tant bien que mal, t’essaie de la rassurer la brune. Sans savoir le reste – bêtement – tu tentes de lui dire que les disputes de couple c’est le point commun à toutes les relations amoureuses. Que y’a pas de grande histoire d’amour sans quelques disputes. Mais quand t’entends la suite, les raisons qui les poussent à s’engueuler tu regrettes instantanément d’avoir essayé de minimiser les choses. Car ce que fait son petit-ami c’est loin d’être commun. L’image parfaite que t’avais de lui se fendille à chaque mot qu’elle ajoute. Au plus elle parle Reira, au plus l’image se ternie, se noircit et s’effrite dans ton crane. Kai le mec parfait n’est en réalité qu’un mensonge, Kai il est moralisateur, culpabilisant. Kai il semble vouloir détruire la confiance de Reira en pointant du doigt comme des défauts ce qui fait d’elle la personne qu’elle est. Et ça te dégoute d’entendre ça, t’écœure et te paralyse sur place.

Mais t’encaisses les mots sans rien dire, Haru. Reira tu continues de la laisser parler, de la laisser vider son sac car elle semble avoir gardé tout ça pour elle trop longtemps. Reira elle te raconte alors qu’elle l’a quitté plus d’une fois mais qu’à chaque fois ils finissent par se remettre ensemble. Car elle l’aime et qu’elle trouve que c’est une perte de temps d’en arriver si loin pour pas grand-chose.

Elle l’aime, malgré tout ça.
Elle l’aime alors qu’elle mérite mieux.
Et t’arrive pas à te retenir d’arquer un sourcil,
Serrer machinalement le manche à balais que tu tiens entre tes doigts.

Tu ne sais pas si elle a remarqué ton comportement, tes mimiques agacées par les agissements de son mec ton ancienne meilleure amie mais soudainement elle se met à rire, étouffe un sanglot en disant que c’est ridicule. Et t’es d’accord avec elle. C’est ridicule qu’elle s’inflige ça, qu’elle s’inflige ce déchet de mec qui n’a pas l’air de saisir la chance qu’il a d’avoir une petite amie si gentille, agréable, si belle. Et cette fois tu n’arrives pas à retenir les mots à la frontière tes lèvres c’est trop sarcastique que tu lâches :

- Ouais, c’est clairement ridicule qu’un grand et costaud mec comme le tien fasse de l’intimidation et te manipule en te faisant croire que c’est toi et tes choix le problème.

Sans trop savoir dans quoi tu t’embarques tu lui demande quel été le sujet de la dispute d’aujourd’hui. Trop naïvement tu te dis que ça ne peut pas être pire que ce qu’elle vient déjà de te dire mais pourtant il semble taper toujours plus fort, toujours plus haut Kai. Un vrai compétiteur dans sa catégorie de looser. Alors tu poses le balai que tu risques de tordre en deux si tu continues de le serrer entre tes mains à coté de toi et croise plutôt les bras sur ton torse, l’écoute te raconter que son mec s’en est pris à elle car le chien qu’il lui a offert de son plein gré a osé mordiller ses chaussures. Un soupire qui t’échappes, l’agacement que tu n’arrives même plus à cacher au fil des palabres qui glissent jusqu’à tes oreilles. Chaque mot est plus destructeur que le précèdent, chaque mot amplifie ta haine envers lui. Tu cogites, te demandes si tu ne devrais pas aller lui péter les jambes à moins que ça soit sa belle gueule de connard que tu devrais fracasser. Et t’écoutes à moitié jusqu’à qu’elle ajoute qu’il l’a insulté, la traité d’égoiste et tout le blablabla qui s’en suit. Y’a quelques secondes de latence, quelques secondes de silence pour que tu percutes, revienne en arrière et te rende compte de ce qu’elle vient de dire, de ce qu’il a osé lui dire. Et là, c’est les mots de trop.

- Il t’a traité de quoi ? Pardon ?

Que tu lâches interloqué par les mots qui viennent de sortir de la bouche de Reira. Soudainement tu vois rouge, noir, bariolés même Haru. C’est une colère viscérale qui te monte au crane. Car tu ne comprends pas pourquoi elle endure tout ça Reira, comment elle peut oser prétendre aimer ce mec avec de tel agissements ; ce respect qu’il a perdu pour sa personne depuis bien trop de temps apparemment.

- En plus t’hésites ? T’es sérieusement en train de penser que t’es habillé comme une pute juste parce qu’il l’a dit ? Putain t’es en jean Reira, t’as un gilet sur le dos on voit rien ?

Et tu te rends compte de tes mots, te rends compte qu’ils ne sont même pas adéquat alors tu secoues légèrement la tête et lâche tout de suite après :

- Puis même si tu montrais quelque chose c’est ton corps ? Qu’il aille s’faire foutre ton mec putain y’a zéro rapport entre le début de l’histoire et la fin.

Voilà ce qu’il arrive à faire, voilà comment il la manipule Reira. En passant du coq à l’âne, en lui faisant un millier de reproche qui n’ont rien à voir avec les faits réels.

- Tu veux j’te dise Reira ? Ton mec c’est un putain de manipulateur il sait que t’es trop bien pour lui et il veut te faire croire le contraire pour que tu t’imagines que t’auras jamais la chance de trouver mieux que lui.

Sauf qu’il ne vaut rien Kai, il n’est même pas assez humain pour aimer les animaux. Même Pucci un chien de la taille d’un pin’s semble lui faire de l’ombre, l’agacer. Et tu ris en pensant à ça, tu ris jaune, vert. Toutes les couleurs fluo et acide possible tant t’étais loin de la réalité, car fut un temps tu l’idéalisais ce mec, pensait qu’il était mieux que toi en tout point.

- Tu le sais quand même que t’as rien à te reprocher ? Que c’est lui le connard ? Dis-moi que tu le sais … Me dit pas t’es assez crédule pour croire que c’est toi ou ta tenue le problème … Il s’en prend à un chien Reira… D’où t’as vu on s’en prend à un chihuahua ?

Et tu t’approches d’elle, vient passer ton bras autour de ses épaules pour la consoler, caresse son bras dans un geste qui se veut réconfortant. Car elle te fait de la peine Reira à fixer ses pieds, pleurer en silence par peur du ridicule. T’as jamais vu ton amie dans cet état auparavant et ça te fait trop de mal d’imaginer qu’elle endure ça depuis des années, que t’étais pas là pour lui ouvrir les yeux avant. T’aurais pu lui épargner bien des souffrances depuis toutes ces années.

❝ ciel noir ❞
-- ft haru

Les mots s’évadent de sa bouche – suppliques silencieuses, vérité noire qui dégouline au sol, souille le carrelage à peine nettoyé. Sans savoir si elle fait bien de lui raconter tout cela ; si elle en a le droit, lorsque lui doit déjà avoir mille autres préoccupations sur la tête. Des responsabilités dont elle n’a pas idée ; une vie de famille toute entière, lorsqu’elle, ça fait déjà bien longtemps qu’elle a abandonné la sienne. Et chaque fois qu’elle a eu le malheur de parler de tout cela à quelqu’un, il n’a pas mis longtemps à être coupé de sa vie – comme si Kai, doué d’un sixième sens, avait perçu le danger, le risque de voir la précieuse colombe s’envoler. Recouvrer sa liberté. Alors elle a peur, lorsqu’elle en parle à Haru. Peur d’être en train de tout gâcher ; de s’infliger ces aveux pour mieux souffrir. Peur de perdre cette amitié à peine retrouvée. Regard fuyant qui se perd sur les joints du pavement – et elle se raccroche à ses mots, au fait, bien trop précieux, qu’il lui rappelle ce qu’elle savait déjà, dans le fond : que ce n’est pas elle, le problème.

Mais puisqu’il lui a demandé sur quoi portait la dispute, elle s’applique à le lui expliquer, tant bien que mal. Lui raconte pour Pucci, l’agacement qui est monté en découvrant les traces de dents sur ses chaussures préférées, la conversation qui a dérivé sur l’adoption de la petite boule de poils ; les proportions trop grandes, le débat parti trop loin, et sans qu’elle ne saisisse comment, les reproches habituels ont fusé. Reproches habituels auxquels elle ne s’habitue pourtant pas, insultes délivrées – et lorsque Haru s’interloque, elle demeure silencieuse. Parce que ça ferait juste trop mal de répéter une fois de plus ce mot qu’il lui a destiné. Alors Reira se contente de relever les yeux vers lui, hausser les épaules ; croise son regard, choqué. Hors de lui. Et baisse déjà de nouveau les yeux lorsqu’il s’étonne qu’elle puisse croire à ces mots – car il la connaît, Haru, mieux que personne. A toujours assisté à ses frasques vestimentaires, l’a vu s’habiller comme elle le souhaitait, toujours, en dépit de ce que ses propres parents pouvaient dire, en dépit de la parole du directeur de l’école. Alors il doit être bien surpris de la voir aujourd’hui tout remettre en question ; s’interroger comme elle ne l’a jamais fait, elle qui n’a toujours écouté qu’elle.

- Oui mais… J’sais pas, j’me dis que peut-être mon haut était un peu court pour qu’il dise ça… ?

Question sincère, des justifications qu’elle cherche où il n’y en a pas – et ce depuis des années. Juste pour lui trouver des excuses qu’il n’a pas ; se persuader qu’il ne peut pas être si pire que cela. Et même elle s’horrifie de dire cela, car elle ne se reconnaît pas ; que jamais Reira n’aurait osé sous-entendre que la longueur d’un vêtement puisse justifier que l’on traite ainsi quelqu’un. Mais il est en train de tout massacrer sur son passage, Kai ; envoie valser ses belles valeurs, morcelle son assurance. Et lorsque Haru ajoute que c’est son corps avant tout, qu’il n’a pas son mot à dire sur la question ; ajoute qu’il ne saisit pas le rapport entre le début et la fin de la conversation, elle ne peut que répondre un tristement vrai :

- Je sais bien…

Elle sait. Elle sait qu’elle est la seule à avoir un droit de regard sur ce qu’elle fait de son corps ; elle sait que Kai passe toujours du coq à l’âne, s’appuie sur le moindre prétexte pour déverser sur elle son flot de haine. Elle le sait parfaitement, tout ça, et sans doute ne supportera-t-elle plus toute cette situation bien longtemps – preuve en est, le fait qu’elle en vienne à déverser ces flots de vérité aux pieds de Haru, elle, si bien habituée à tout garder pour elle. Et lorsqu’il lui dit que Kai est un manipulateur – sans doute –, qu’elle est trop bien pour lui – certainement pas –, elle secoue la tête. Fermement convaincue.

- J’suis pas trop bien pour lui, hein, tu sais ? Tu dois avoir une vision un peu trop idéalisée de moi... J’suis chiante, je dis jamais ce qu’il faut, j’en fais qu’à ma tête… J’suis pas un cadeau non plus.

Puis j’suis jalouse, comme un pou, et ça t’es bien placé pour le savoir. Mais ça doit être le truc que j’assume le moins, alors jamais je le reconnaîtrais à voix haute, Haru. Le rire du jeune homme qui s’éteint rapidement dans le calme de la supérette – et peut-être sont-ce ses mots qui le poussent à lui rappeler qu’elle n’a rien à se reprocher, que c’est lui le problème. Pas elle. Haru qui semble désemparé d’imaginer qu’elle puisse se persuader de cela ; vient s’accroupir à ses côtés pour passer un bras autour de ses épaules. Un mouvement de recul qu’elle réprime en le voyant approcher, du coin de l’œil – par peur, car si elle a le malheur de pleurer et Kai d’approcher, ce n’est jamais pour la consoler. Mais tout ce que Haru fait, c’est caresser son bras.

Et ce simple geste lui fait du bien ;
pour la première fois depuis longtemps, elle ne se sent plus seule.
Pour la première fois depuis longtemps,
elle a le sentiment que la tendresse qu’on lui donne est sans arrière-pensée,
sans méchanceté dissimulée,
sans culpabilité à réparer.
Pure.
Et le myocarde morcelé se réchauffe un peu.

- Non, je le sais… Mais je t’avoue que plus ça dure, plus je commence à douter que c’est pas moi qui ai un souci, aussi… Puis il peut être tellement gentil, Haru, tu sais ? Quand il veut il peut être tellement parfait avec moi…

Et les larmes se remettent à couler, car elle-même elle se fait pitié – à se laisser berner, sans cesse retomber dans ses filets. Alors elle n’ose même pas imaginer ce que Haru doit penser d’elle ; à quel point elle doit dégringoler dans son estime à chaque palabre formulée.

- J’suis désolée, tu dois me trouver tellement nulle.

Et elle pleure de plus belle – ce sont de gros sanglots qui secouent son corps, des éclats de larme trop longtemps retenus, peut-être car elle se sent enfin en sécurité pour pleurer devant quelqu’un. Mais le sanglot s’interrompt lorsque sa respiration se coupe ; que ses yeux s’écarquillent. Car les mots de Haru tournent en boucle dans son cerveau, et qu’une idée affreuse vient de la gagner.

- Oh non, tu crois qu’il ferait du mal à Pucci ? Il vaut sans doute mieux que je rentre… J’suis vraiment trop bête.

Mais lorsqu’elle tente de se relever, ses jambes semblent ne plus vouloir la porter – faiblardes pour la supporter. Sans doute son cœur qui lui hurle combien elle n’a pas envie de rentrer ; le reporte sur son corps, puisque le cerveau refuse d’écouter. Mais même ça, elle ne le voit pas.

❝ ciel noir ❞
-- ft reira

Vêtement trop court ou bien trop long t’ose même pas baisser les yeux pour en juger tant cette histoire te parait ridicule. T’as envie de lui dire qu’avec des « et si » et des « peut-être » elle pourrait refaire le monde mais tu t’abstiens, Haru. Toi tu cherches des meilleurs mots, des meilleurs conseils qui l’atteindront plus profondément, qui l’aideront à faire des choix plus importants que le choix de sa prochaine tenue pour ne pas agresser les yeux de son petit-ami. Toi tu veux qu’elle comprenne qu’elle est libre de faire ce qu’elle veut en général de sa vie. Libre de pouvoir discuter avec qui bon lui semble ; libre de porter la tenue qu’elle souhaite tant que ça lui fait plaisir à elle. Il n’y a personne en ce monde qui devrait l’arrêter de faire ce qui semble le meilleur pour sa personne.

Et surtout pas un homme,
Ni son père ; ni Kai ou qu’importe lequel.

Mais t’as beau le lui dire, beau faire de ton mieux pour lui faire comprendre qu’elle n’est pas le souci dans cette histoire tu la sens hésitante Reira, pas prête à comprendre pleinement que son mec est l’enfoiré de l’histoire. Elle le sait mais semble encore et toujours prête à lui donner le bon rôle à Kai. Parait-il que tu l’idéalises, que t’as une image faussée d’elle. Et t’arques un sourcil, l’incites à en dire plus car tu la trouve un brin culotté de te dire ça à toi. Toi qui la connais depuis tant d’années, l’a vu grandir et s’affirmer – jusqu’à que votre amitié pète, que la distance géographique elle aussi s’emmêle. Mais elle ne peut pas te dire à toi, que tu l’idéalises. Ça t’exaspère, tu pourrais en souffler mais t’as bien trop de respect pour elle pour te le permettre.

- Ouais non t’as raison je dois t’idéaliser, je devais t’idéaliser aussi le jour où t’as fait la gueule car je ne voulais pas m’habiller dans le même motif que toi vers la fin du collège ou début du lycée et aussi l’une de nos dernières disputes où tu m’as carrément traité de con car j’étais pas du même avis que toi pour j’sais même plus quoi…

Palabres sarcastiques, prunelles qui roulent un instant avant de se poser de nouveau sur elle. T’as beau l’avoir aimé de tout ton cœur Reira, l’avoir aimé d’un amour d’enfant comme d’un amour dépassant les limites de l’amitié en grandissant tu l’as toujours vu comme elle était réellement, qualités et défauts compris dans le package. Tu l’as accepté telle qu’elle était, avec sa pudeur, sa timidité qui la rendait presque glaciale – inaccessible d’après les autres durant vos études. Son fort caractère et sa fierté à deux balles qui vous a mené à de belles chamailleries parfois. Sa jalousie comme sa maladresse. Toutes ces petites qui font d’elle la personne qu’elle est, la personne que Kai devrait aimer tel quel, sans ce besoin de la changer, la rendre docile comme il le souhaiterait. Et ça te rend fou d’imaginer que ça ne lui convienne pas, qu’il soit assez fort pour lui mettre le doute et qu’elle soit capable de s’adapter à ses souhaits. T’aimerais lui dire franchement qu’elle doit le quitter, que y’a pas d’autre choix. T’aimerais être assez franc sur le sujet mais tu ne peux pas te permettre ce genre de réflexion.  

Car t’as peur de ce qu’elle pourrait s’imaginer,
Croire que t’essaie à ton tour de la contrôler,
Et puis si elle l’aime encore, elle retournera avec.
Que tu le veuilles ou non.

Toi tu ne peux que tenter de lui faire prendre raison et la réconforter, tu ne peux que lui rappeler qu’un couple c’est pas censé fonctionner ainsi. Il n’est pas censé l’insulter, porter un jugement sur ce qu’elle porte et avec qui elle traine la journée. Il est censé être là pour elle, l’épauler quand le quotidien se fait difficile. Des tâches qui semblent loin d’être accomplie, lui au contraire semble prêt à tout compliquer dans leur vie. Il est indéfendable à tes yeux et pourtant, elle le protège une énième fois Reira, t’assures qu’il n’est pas aussi horrible que ça. Parfois il peut même se montrer parfait. Et tu la fixe, laisse ta colère s’évanouir à ce pauvre mot sorti d’entre ses lippes tandis que ta main continue de frictionner son épaule frêle, son corps tremblotant tout contre le tien alors que les larmes continuent à couler par dizaine.

T’aimerais être énervé, fou de rage mais tu te sens juste peinée Haru, impuissant face à la situation. Elle l’aime Reira, un peu trop même. Elle sait qu’il abuse mais ne semble pas prête à le laisser pour autant. Jolie poupée qui s’excuse, semble se rendre compte ô combien ta position est difficile à prendre entre ce qu’elle te dit et les faits. Et tu fais non de la tête Haru, la serre un peu plus contre toi sans ne serait-ce penser une seule seconde à ce que son bâtard de mec pourrait s’imaginer en voyant ça.

- T’es pas nulle non… Tu l’aimes, j’sais pas pourquoi mais bon … Ça te rend pas nulle pour autant je te trouve même courageuse de supporter tout ça depuis tant de temps alors qu’il ne le mérite pas. J’veux juste pas qu’il prenne le dessus sur toi qu’il s’imagine que t’es à sa merci …

Et soudainement t’as un léger mouvement de recul, tu l’imagines en train de lever la main sur elle. Kai bien plus grand, le bras en l’air, la main s’approchant de son visage ou de son corps à elle. Y’a le cœur qui s’arrête, s’affole l’instant d’après. Le cœur prêt à tout rompre, claquer dans ta poitrine tandis que les tripes se tordent quand t’oses lui demander à voix haute :

- Il t’a jamais frappé hein … ?

Ligne à tes yeux infranchissable, impensable. Mais si il est capable de s’énerver pour une chaussure mordillée, une tenue un peu trop courte à ses yeux tout devient possible en soi. Réponses que t’attends le cœur lourd mais elle, c’est pour son chien qu’elle se met soudainement à s’inquiéter. Pucci qu’elle a laissé avec lui là-bas, Pucci pour lequel elle est prête à filer par peur qu’il puisse faire du mal à un animal innocent.

Simple pensée qui te dégoute,
Car si il est capable de ça, il est capable de tout.

Et tu l’aides à se relever, la remet sur pieds pour mieux poser tes deux mains sur ses épaules, la fixer droit dans les yeux quelques secondes, espère ainsi la calmer.

- Mais non arrête, j’ai pas dit ça pour t’affoler Reira j’disais juste qu’il s’est énervé contre toi par rapport à ton chien qui mordillait sa chaussure et que c’est pas un comportement d’homme ça … Après si tu penses une seule seconde qu’il puisse frapper le chien… Pose toi les bonnes questions.

Car un homme qu’elle pense capable de s’en prendre à elle ou son chien ne mérite pas qu’elle perde du temps avec. Et tu soupires désemparée Haru, la regarde te fendiller le cœur petit à petit à pleurer comme elle le fait. Tes mains que tu laisses glisser le long de ses bras emmitouflés dans son gilet, les laisses retomber mollement en lui montrant la réserve du bout du nez.

-  Aller Reira calme toi … Tu veux pas te passer un peau d’eau fraiche sur le visage et après on mange un bout même si j’sais que t’en a pas spécialement envie … ?

Que tu lui proposes le cœur lourd de ne pas pouvoir l’aider, de ne pas pouvoir aller lui fracasser la gueule à son mec sans lui créer des problèmes à la clé.

Et si t’y allais quand même ?
Si tu le faisais sans parler d’elle ?

Des idées sombres – inhabituelle – qui te traverse l’esprit Haru, ton esprit revanchard qui prend le pas sur ton calme ordinaire tandis que l’accompagnes jusqu’à ladite pièce, y dépose le balai que t’as utilisé cinq minutes avant dans l’allée dans laquelle tu t’es blessé la main. Reira que t’attends sagement le dos posé contre le mur, réfléchis à ce que tu comptes faire du chien de mec qu’elle a décidé d’aimer.

- Il travaille dans quoi et où déjà lui ?

Que tu demandes trop gentiment tandis que tes yeux se perdent sur ton pansement, tes ongles court.

Vengeance que t’assureras, même si ça ne mène à rien que la violence n’a jamais été ton mantra. Tu peux au moins faire ça, une petite vendetta en l'honneur de Reira.

❝ ciel noir ❞
-- ft haru

Son bras glissé autour de ses épaules, à la serrer toujours plus fort contre lui ; étreindre son cœur, panser ses plaies, peu à peu. Et les larmes continuent de couler lorsqu’il avoue ne pas comprendre pourquoi elle l’aime ; confie la trouver courageuse, lorsque Reira, elle n’a pas l’impression de mériter ces mots. Se trouve plutôt lâche, au fond – à savoir pertinemment que l’homme est nocif sans pour autant parvenir à le quitter ; toujours finir par lui revenir, à se trouver si faible entre ses bras. Et malgré les beaux espoirs de Haru, Kai doit bel et bien la penser à sa merci – car elle l’est, c’est un fait. Poupée malléable entre ses mains de marionnettiste – pour lui, sa confiance en elle s’étiole ; son courage s’épuise ; sa personnalité tout entière s'essouffle. Et sans doute faudra-t-il qu’elle le quitte de nouveau bientôt, si elle ne veut pas se perdre totalement pour les beaux yeux de son bourreau. Mais déjà, Haru s’écarte ; les yeux écarquillés, le visage blême lorsqu’il lui demande s’il l’a déjà frappé.

- Non…

La réponse sort mécaniquement, trop rapidement. La faute à ce pli de toujours glisser la vérité sous le tapis ; dissimuler les maux profonds, juste pour ne pas inquiéter les gens. Mais pour une fois, elle ne ment pas. Pas complètement, du moins – car il est vrai que parfois la poigne est trop ferme sur son poignet, sur son bras, que souvent les objets volent pour essuyer la colère du jeune homme, que lorsqu’elle finit par rentrer après avoir pris la fuite, elle retrouve trop fréquemment les bris d’un vase écrasé au sol, ou l’écran fissuré de la télévision. Alors non, il ne l’a jamais frappée – mais elle a peur de lui, c’est un fait. Peur de ce jour où les objets inanimés ne suffiront plus à encaisser sa colère ; où c’est elle qui se fera victime de la violence, physique, cette fois-ci, de son petit ami.

Et elle aimerait lui dire tout cela, à Haru – les mots brûlent dans sa gorge, sont arrêtés par le nœud qui obstrue sa trachée. Trop délicat à avouer ; les conséquences trop lourdes à encaisser. Il ne faudrait pas qu’il se fasse du souci pour elle, Haru ; il a déjà tant à gérer. Il ne faudrait pas qu’il se mêle de cette histoire – aggrave son propre cas, celui de Reira, éjecte de sa vie cet homme pour qui elle encore le plus mince filet d’espoir. Alors tout est plus simple si elle gère cette situation seule, n’est-ce pas ? Elle l’a toujours fait ; elle continuera, aujourd’hui et demain.

Mais si elle est habituée à tout gérer seule, une pensée qui ne l’implique pas elle seule surgit soudain à son esprit – et les yeux s’agrandissent d’horreur, le corps tente déjà de se relever du sol lorsqu’elle songe à Pucci. Pucci qu’elle a laissé tout seul là-bas – égoïstement, elle n’a pas songé à l’emmener sous le coup de la panique, n’a pas songé au danger que pouvait peut-être représenter Kai. Le jeune homme qui, s’il semble avoir des scrupules à lever la main sur elle, n’en aurait peut-être pas à la lever sur le petit animal ; idée qui ne lui semble pas plus incongrue que cela lorsqu’elle voit l’aversion qu’il a pour lui. Alors déjà le cœur se serre, s’accélère ; peur panique qui la gagne, remords qui la noient, et si les larmes s’étaient un instant arrêté de couler, elles reprennent déjà de plus belle. Poupée épuisée par toute cette situation ; à un rien de craquer à tout instant. Haru qui l’aide à se relever, pose ses mains sur ses épaules ; son regard qu’il force dans le sien pour lui dire qu’il ne cherchait pas à l’affoler, ajoute pourtant l’instant suivant qu’elle devrait se poser les bonnes questions si elle le croit capable de cela. Et elle baisse les yeux, sanglote alors que l’idée se fraie un chemin dans son esprit anesthésié.

- Je sais… ‘Fin non, j’sais même plus… J’sais même plus ce que je dois attendre de lui… Un coup il est parfait avec moi et un coup il devient… méchant… Ce soir il s’est comporté comme tu sais mais… mais j’sais très bien que demain il sera redevenu comme il était quand je l’ai connu… Tu peux me croire… ces questions j’me les pose, tout le temps… mais j’peux pas le quitter pour autant. J’dois juste être complètement cinglée.

Discours entrecoupé par les hoquets de ses sanglots – et sans doute est-ce la première fois qu’elle est aussi honnête depuis des années. Les doigts qu’elle passe sur ses joues sans la moindre délicatesse, pour chasser des larmes qui ont trop coulé ; elle renifle ; hoche la tête lorsqu’il lui suggère d’aller se passer un peu d’eau fraîche sur le visage. Et ensemble, ils prennent la direction de la réserve. Les manches qu’elle relève sur ses bras maigrichons, laisse couler l’eau – glaciale, mais elle ne cherche pas à la réchauffer lorsqu’elle glisse ses doigts tremblants sous le jet, se penche lentement pour en approcher sa tête. Laisse le liquide frais éclabousser son visage, sent le cœur s’apaiser un peu, les sanglots se tarir à mesure que la température se régule. Et soudain, elle tremble un peu moins. Soudain, elle a un peu moins mal à la tête. L’angoisse s’apaise. Le sens revient se faire, peu à peu, dans sa tête. Et lorsqu’elle finit par refermer le robinet, s’affaire à mettre la main sur le sopalin, Haru lui demande ce que fait Kai ; où il travaille. Les sourcils se froncent un peu tandis qu’elle arrache quelques feuilles d’essuie-tout, sans comprendre d’où sort soudain cette question.

- Il est développeur de nouvelles technologies, à la Sillicon Valley. Pourquoi… ?

Et jamais, Ô grand jamais Reira ne pourrait se douter des sombres desseins qui s’esquissent dans l’esprit de son ami. Car il n’est pas comme ça, Haru. Il est pas du genre à se mêler des affaires des autres, à user de ses poings comme peut le faire Kai. Que l’enfant et l’adolescent qu’elle a connu n’étaient pas comme ça, en tout cas – et que c’est tout ce sur quoi elle peut s’appuyer lorsque huit ans se sont écoulés. Idée qui ne lui traverse même pas l’esprit ; alors elle cherche seulement à comprendre d’où lui vient ce soudain intérêt pour l’activité de son petit ami. Son visage qu’elle essuie dans la feuille rugueuse ; se mouche bruyamment, avant de jeter les morceaux de papiers détrempés dans la poubelle. Finit par se tourner vers Haru appuyé contre la porte ; baisse les yeux lorsqu’elle croise son regard.

- Désolée d’être comme ça.

Et la voix se fait timide, d’une timidité qui a toujours été si rare entre eux ; le regard qu’elle relève, force un pauvre sourire sur ses lèvres. Car ses yeux sont sombres, et qu’elle aimerait qu’il cesse de s’inquiéter, Haru. Par pitié.

- Alors… Qu’est-ce que t’as de bon à me proposer… ?

Non pas qu’elle ai faim, mais elle a le sentiment que c’est le seul moyen dont elle dispose pour qu’il cesse de la regarder avec cet air soucieux. Des bribes de leur conversation qui errent dans sa tête tandis qu’elle le suit dans les rayonnages, porte un choix peu convaincu sur une boîte de gimbap tout faits – avec en tête l’idée que ça ne devrait pas trop la caler, qu’elle ne devrait pas trop peiner à en venir à bout sans gaspiller. Et éreintée d’avoir tant pleuré, elle se hisse mollement sur le comptoir de la caisse ; tend la boîte de gimbap à Haru pour lui en proposer, avant d’en prendre un, sans grand appétit. Laisse échappe un soupir fatigué.

- T’aurais sans doute eu une soirée plus tranquille, finalement, si je m’étais pas pointée, hein ?

Et un pauvre sourire qu’elle lui adresse en relevant les yeux vers lui, un peu gênée d’avoir pourri sa soirée. Ouvre déjà la bouche pour changer de sujet lorsque retentit le carillon, et que quelqu’un se glisse dans la supérette. Et Reira, tout ce qu’elle peut faire, c’est lui adresser un signe de tête poli, déjà baisser le nez vers sa barquette – toujours plus embarrassée à l’idée que ce client ne surprenne ses traits défaits et ses yeux rougis, soucieuse qu’il puisse prêter des intentions peu heureuses à Haru lorsqu’il a été absolument parfait ce soir.

❝ ciel noir ❞
-- ft reira

Colère, incompréhension, désarroi tout se mélange dans ta tête et tu ne sais plus sur quel pied danser quand elle te raconte quelques bribes de son histoire d’amour Reira. Elle te semble désespérée à bout de ce combat et tout à la fois pleine d’espoir, comme si elle croyait réellement que Kai un jour redeviendra le prince charmant qu’elle a connu à l’époque du lycée. Et si elle ne sait plus quoi attendre de lui, toi tu ne sais pas comment réagir non plus. Qu’est-ce que t’as le droit de faire ou non ? Ou commence et s’arrête la limite que tu ne dois pas dépasser ? Est-ce que tu peux te mêler ? L’obligé à remettre les pieds sur Terre en lui disant que jamais il ne changera son petit-ami ? Tu ne sais pas trop, ça fait trop longtemps que vous n’avez pas été aussi proche pour que tu te permettes tout ça. Alors tu te tais Haru, la laisse évacuer tout son mal-être sans emmètre de jugement qui pourrait l’attrister, agrandir sa détresse. Reira tu l’écoutes pleurer tout contre ton épaule, te contente de la serrer contre toi le temps qu’il lui faut. Reira, tu lui proposes d’aller se rafraîchir un peu le visage en retournant à la réserve.

Tristement, tu te sens impuissant face à sa situation. Des tourbillons de questions vivent dans ta tête, de l’incompréhension à ne plus quoi savoir en faire qui te paralyse le cœur et te désespère. Tu te demandes comment on peut en arriver là, avoir un si fort caractère et être pourtant si faible en amour. Tu te demandes comment un homme qui prétend aimer puisse s’en prendre de la sorte à une femme. Et le poing se resserre, le sang se met à pulser dans les veines. Il te dégoute Kai, à tel point que t’en viens à réfléchir à une manière de le punir sans pour autant mettre Reira dans l’embarra. Et trop gentiment, l’air de rien tu lui demandes où est ce qu’il travail ce pauvre type et elle, trop naïvement te donne la réponse fatidique. Celle qui enterre la petite voix dans ta tête qui t’assure que la violence c’est pas la meilleure des solutions.

Mais tu t’en fiches,
Tu fais le choix de t’en foutre et ignorer tes principes.

Car c’est pour elle que tu vas le faire, pour rendre à ce mec la souffrance qu’il lui engendre. C’est pas dans tes principes d’agir ainsi mais ce soir tu ne vois pas d’autres solutions que d’user tes phalanges, de faire éclater les coups de poings contre sa gueule d’ange puisque lui, se permet de briser la confiance qu’elle a en elle. C’est coup pour coup et dent pour dent.

- Comme ça … ? J’trouve ça fou qu’un mec qu’on présume si « intelligent » soit en réalité si con mais bon…

T’hausses les épaules, innocemment. Prêt à tout pour ne pas l’inquiéter, qu’elle ne comprenne pas pourquoi t’es soudainement si intéressé par les activités professionnelles de son petit-ami. Mais au moins maintenant, tu sais où l’attendre Kai. Et soudainement, y’a plus de conversation qui tienne, y’a un silence mort qui s’installe entre vous. Reira, tu la regardes s’essuyer le nez, jeter le bout d’essuie-tout dans la poubelle à côté d’elle avant de se mettre à fixer le sol et par avance dès lors qu’elle ouvre la bouche tu sais déjà ce qu’elle va dire. L’exactitudes des mots qu’elle va prononcer.
Des excuses, encore.
Elle s’excuse d’être elle-même, d’avoir des faiblesses la brune. Un sourire que tu voudrais bien lui adresser mais encore faudrait-il qu’elle te regarde, Reira. Alors tu te décolles du mur Haru, fait deux pas vers elle et l’oblige à te regarder en venant soulever à l’aide de tes doigts son menton.

- Tu t’excuses de quoi là ? D’être humaine, triste et pas heureuse dans ton couple … ? Faut pas tu sais ?

Et déjà tu laisses tes doigts retomber, fout ta main de nouveau libre dans la poche de ton jean sombre et recule d’un pas comme si la proximité allait finir par vous bruler. Quand elle te propose de retourner dans le centre de l’épicerie et de lui offrir de quoi la nourrir t’hoches de la tête, l’emmène sans rechigner dans les rayons en lui énumérant tout ce qu’elle peut y trouver puis la laisse choisir ce que bon lui semble. Son choix qui se porte sur une boite de gimbap tandis que toi, tu choisis juste une boisson, prend place sur ton siège derrière la caisse et ouvre ta bouteille de coca sagement. Une gorgée que tu prends avant de revisser le bouchon, écouter Reira te poser une question à la réponse évidente.

- Plus tranquille peut-être… Quoi que, j’étais en train de galérer pour me faire un pansement donc tu parles d’une tranquilité mais j’suis content de te voir quand même, même si c’est dans des circonstances pas ouf…

Que tu dis en haussant les épaules, prêt à ajouter que t’aurais préféré la voir le sourire aux lèvres, lui annonçant des bonnes nouvelles. Mais quelqu’un se décide à entrer à ce moment-là dans la supérette vient déranger votre conversation. T’aimerais bien sourire à la personne entrant mais tu te contentes de faire un signe de tête synchronisé à celui de la brune. Et l’âme en peine disparait dans les rayons et même si tes yeux sont rivés sur les caméras de sécurité t’ajoutes en parlant un peu plus doucement, pour que votre conversation ne soit pas écoutée :

- Mais n’hésite jamais à venir, je préfère que tu sois là et que tu puisses te libérer de ce qui te tracasse, te sortir de ton quotidien pourave que je sais pas où à trainer dans Busan… ok ?

La tête que tu penches un peu sur le côté, l’air entendu que tu prends pour la rassurer sur le fait qu’elle puisse venir quand bon lui semble te prendre la tête avec son connard de mec. Et tu viens tapoter le sommet de son crâne, lui voler le bout de Gimbap qu’elle tient entre ses doigts l’instant d’après.

- Tu comptes faire quoi ? Tu vas rentrer tout de suite … ? Si t’attends la fermeture on peut aller se boire un verre avant que tu rentres ou bien tu peux m’aider à faire l’inventaire… Comme tu veux.

Le choix que tu lui laisses et puis si elle veut rentrer, retrouver son superbe fiancé tu la laisseras faire Reira, n’ira jamais contre sa propre volonté.

❝ ciel noir ❞
-- ft haru

Les yeux baissés, à fixer les joints usés du carrelage de la réserve ; ne pas oser les relever, le regarder. Car elle est gênée, Reira. Sait qu’elle doit lui sembler bien étrange, à son ami d’enfance – peut-être folle, certainement maso –, lorsqu’elle la première ignore ce qui la retient au bras du bourreau. Est-ce la peur de perdre le fragile équilibre – pourtant si déséquilibré – auquel elle a fini par s’habituer ? La peur des conséquences, si elle venait à le quitter ? De constater avec amertume que quoi qu’elle fasse pour s’en libérer, elle finit toujours par lui revenir ? Elle sait pas, Reira, y a mille et une hypothèses possibles, mais toutes se recoupent au moins en un point : la peur – peur de lui, peur d’affronter des réalités qu’elle se passionne si bien à voiler. Alors ce sont des excuses qui s’échappent de ses lippes – poupée si bien habituée à toujours s’excuser lorsque le cœur se fracture, que les larmes roulent sur ses joues. Car elle a acquis l’idée que pleurer la rendrait détestable. Et ça la surprendrait presque, lorsque Haru s’avance vers elle ; ça la surprendrait presque, la délicatesse avec laquelle il redresse son menton, l’invite à ne pas s’excuser – car elle n’est qu’humaine, Reira.

Et le cœur se fige un instant lorsque son regard se rive dans le sien.
Foutu myocarde pantelant.
Et les lippes s’entrouvrent, pour donner quelques explications,
se referment, car elle ne fera que s’emmêler les pinceaux et elle le sait.

Se contente de doucement hocher la tête lorsqu’il la libère. S’efforce, avec toute la meilleure volonté dont elle est capable, de marquer ces mots au fer rouge dans son esprit. Pour un peu soigner les plaies ; délier les mécanismes qui fonctionnent si bien – si mal. Le sujet clos lorsqu’elle suggère d’aller manger le morceau qu’il suggérait plus tôt ; et c’est trop naturellement qu’elle le suit dans les rayons. Comme si elle n’avait jamais cessé de parcourir ces allées. Choix porté sur des gimbap, car l’appétit est maigre ce soir – pour ne pas dire inexistant. Et Reira se hisse sur le comptoir, se concentre sagement sur la tâche délicate de retirer le couvercle en plastique sans que les mets ne s’envolent aux quatre coins du magasins. L’emballage à peine ouvert qu’elle en propose à Haru – décidément peu affamée –, finit pourtant par en prendre un, bon gré mal gré, le mâchonne en silence pour finalement lâcher qu’il aurait sans doute été plus tranquille sans sa petite intervention nocturne. Et un petit sourire se dessine sur ses lippes lorsqu’il avoue être content de la voir malgré les circonstances ; l’air un brin trop arrogant lorsqu’elle rétorque :

- Que ferais-tu sans moi, hein ? A se demander comment t’as survécu toutes ces années sans moi…

Car elle aime se sentir indispensable, Reira, aimerait savoir qu’elle l’a été. Ç’aurait sans doute le mérite de consolider un peu son cœur fragile, lorsque la vérité est pourtant tout autre, et elle le sait. La vérité c’est que Haru il était pas si perdu sans elle – la preuve en est, c’est bien lui qui a initié l’éloignement ; la preuve en est, il s’en est fait d’autres, des amis, ces dernières années. D’autres qu’elle. Et tant mieux, en soi. Tant mieux qu’il ai si bien su rebondir ; tant mieux, car nulle personne ne devrait être indispensable à la vie de qui que ce soit. Et même si elle connaît désormais les raisons qui se dissimulent derrière cet éloignement, y a toujours ce sentiment d’années à jamais perdues qui la poursuit. Qui la poursuivra, certainement, jusqu’à la fin.

- Mais moi aussi j’suis contente de te voir, Haru.

Car malgré ce que je peux dire,
malgré mes grands airs,
c'est sans doute moi qui ai le plus besoin de toi, au final.

Il le lui prouve une fois de plus ce soir, à pousser hors de sa bouche des mots qu’elle n’a plus dit à personne depuis trop longtemps ; des maux tenus secrets, par facilité – par honte, aussi. Conversation qui reste en suspens lorsqu’un client pousse la porte de la supérette ; les salutations formulées dans un souffle, Reira qui se reconcentre tout d’un coup sur son plat, avale difficilement les petits rouleaux de riz. Relève le nez en entendant Haru lui assurer qu’elle peut venir à tout instant, sans hésiter ; qu’il aime mieux cela que de la savoir à errer dans les rues de Busan. Ses yeux rivés dans les siens, la tête qu’elle hoche doucement pour le rassurer.

- Tu te diras sans doute que tu préfères finalement que je traîne dans les rues de Busan, au bout de ma dixième fois à venir t’embêter… Mais oui, t’inquiètes pas Haru. Je viendrais tant que t’en as pas marre de voir ma tête.

Ou d’écouter mes plaintes, entendre mes pleurs ; c’est plutôt ça. Sa tête qu’il vient tapoter avant de lui dérober son gimbap – et pour une fois, elle ne proteste même pas. Le regarde plutôt engloutir la petite portion de riz, un petit sourire qui se dessine de voir que Haru a beau avoir grandi, mûri – sans doute plus malgré lui qu’autre chose, malheureusement –, il est des choses qui demeurent intactes. Comme cette façon de manger, si enfantine malgré le passage des années. Reira arrachée à ses pensées lorsqu’il lui demande ce qu’elle compte faire ; lui propose d’aller boire un verre ou de rester faire l’inventaire, mais déjà elle secoue la tête. Sûre d’elle.

- Non, c’est gentil mais vaut mieux que je rentre.

Non par désir de retrouver Kai, mais simplement car elle s’inquiète pour Pucci – bien que persuadée de paranoïer, un infime doute subsiste, et elle sera plus tranquille de savoir où se trouve le chiot et ce qu'il lui arrive. Reira qui déjà se laisse glisser du comptoir, y abandonne sa boîte de gimbap à peine entamée.

- Tiens, j’te laisse finir ça hein, t’en as plus besoin que moi pour tenir jusqu’à la fermeture, tout ça tout ça…

Un instant qui file avant que déjà elle ne lâche :

- Merci, en tout cas. Vraiment. Et encore dé…

Mais elle se souvient de ce qu’il lui a dit. De ces paroles dont elle doit désormais se souvenir, au moins par respect pour lui ; pour que les palabres n’aient pas été prononcées en vain. Alors elle secoue la tête, ravale des excuses déjà trop formulées.

- Juste merci. Et prends soin de toi, Haru. On se revoit bientôt, hein, dans de meilleures circonstances !

Et un sourire étire ses lèvres – un peu trop jovial pour être honnête, promesse d’un avenir meilleur pour eux deux, lorsqu’elle le sait, il y a peu de chances que les astres s’alignent en leur faveur. Mais l’un comme l’autre, il ne leur reste plus que cet espoir auquel se raccrocher, et après un dernier regard elle se décide à passer la porte de l’échoppe, regagner Busan et la lumière jaune des réverbères. Prête à retourner s’enfermer dans son cachot privatisé.