< anecdotes >
ㅡ o1. ㅡ Née dans la mauvaise famille, elle ne sera jamais qu'une esclave aux services de ceux qui seront prêts à en payer le prix. Parents pourtant déjà fortunés et au statut confortable dans une société qui n'aura de cesse de la briser, elle grandira en apprenant à marcher sans bruit, regarder sans voir, écouter sans entendre, à courber le dos et incliner la nuque.
ㅡ o2. ㅡ Elle n'aura jamais vu la lumière du soleil... du moins pas avant ses vingt ans. Habituée à la lueur aveuglante des néons de la cave qui lui sert de chambre, elle changera pourtant régulièrement de maison coiffée d'un sac de jute à chacun de ses déménagements. Longtemps, elle s'est demandé pourquoi voir l'extérieur serait si mal, persuadée que le monde entier vivait comme elle. Au final, elle s'est simplement imaginé que croiser le regard d'autres âmes déchirées serait sans doute un calvaire trop difficile à supporter.
ㅡ o3. ㅡ Vingt ans... l'année de sa énième tentative de fugue. Si toutes les autres furent des échecs cuisants et lui valant des semaines de souffrances, l'idée de quitter ses prisons successives ne s'est jamais altérée. Préparée pour une nouvelle soirée de torture, droguée, enivrée,  apprêtée... elle subit en silence et s'échappe sans trop savoir comment. Le pas incertain, le regard vide et la sensation de croiser des démons à chaque angle, elle poursuis néanmoins sa route, certaine qu'elle croisera une autre femme dans le même état... mais rien. Elle découvre alors la ville, les citadins qui pressent le pas à la lueur de la lune. Tous affairés et si normaux. Elle les dévisage un à un, se frotte les yeux devant les néons des enseignes et ne se souci pas une seule seconde de l'image qu'elle renvoi.
ㅡ o4. ㅡ Elle a pu voir son reflet une seule et unique fois lorsqu'elle était esclave : cheveux emmêlés, sales et bien trop longs, inférieure gonflées et éclatée, œil cerné de violet et de noir, peau maculée de bleus et d'entailles... une vision d'horreur qui la poursuis dans ses cauchemars, si bien qu'elle a refusé de se regarder dans un miroir pendant de longues années.
ㅡ o5. ㅡ Elle a déjà rendu son repas sur l'un de ses propriétaire. Prise de nausée alors qu'elle savait pertinemment comment finirait sa nuit, elle a longtemps regretté d'avoir tenté un regard vers le soixantenaire bedonnant. Un traumatisme qu'elle serait capable de relater dans les moindres détails : la texture de sa peau, son odeur, son souffle, la pression de son abdomen sur le sien, le timbre de sa voix... si elle ferme les yeux, elle revit la scène comme si elle n'avait jamais quitté la pièce.  
ㅡ o6. ㅡ C'est perdue dans les rues de Busan qu'elle erre sans comprendre. Encore aux prises des substances qui ont constitué son repas, et la peur au ventre, elle se cache dans une ruelle. C'est dans la pénombre de l'allée qu'elle va rencontrer son sauveur, son premier amour. Grand, beau et fort, il pose sur elle un regard inquiet plus qu'écœuré, et lui tend la main. Celui qui s'occupera d'elle en l'emmenant à l'hôpital, s'assurera que tous les soins lui seront prodigués en restant à son chevet. Et s'il disparait... elle panique. Alors elle le supplie de l'emmener là où personne ne la trouvera, et il s'exécute. De longs mois durant, il prend soin d'elle, lui permet de retrouver une apparence humaine et soignée, mais certaines plaies ne pourront jamais guérir. Sur sa peau désormais laiteuse, les ecchymoses ont disparues, les écorchures sont soignées, mais quelques marques de brûlures et d'entailles trop profondes laissent des cicatrices. La plupart sur le haut des cuisses et dans le dos qu'elle peut malgré tout cacher sous ses vêtements.
ㅡ o7. ㅡ Croyant au véritable conte de fée, elle tombe éperdument amoureuse, et finalement lui offre ce que tous les autres lui ont volés. Une nuit qui lui laissera un souvenir doux et nostalgique avant que le prince charmant ne se transforme à son tour en démon. C'est lors d'une soirée en compagnie de ses amis qu'elle découvre qu'elle n'a jamais pu échapper à son destin. Une vente de service déguisée, des mots qu'elle ne comprend pas, des sourires échangés et tente de quitter le restaurant lorsqu'elle saisit. Mais c'est une poigne de fer sur son cou qui l'empêchera de fuir...
ㅡ o8. ㅡ Aujourd'hui, elle ne nourrit plus aucun sentiment amoureux pour son geôlier, simplement du dégoût qu'elle ravale sans trop de difficulté, après tout, il lui a offert un toit, elle peut sortir librement et ses clients sont bien moins sordides que les précédents... et puis elle a une famille. Ses anges sur qui elle veille, qu'elle soigne, qu'elle nourrit et qu'elle console en espérant qu'ils puissent un jour s'envoler. En attendant, elle s'est résignée, las de se battre et de tenter.
UC