L’île s’éloigne, le ferry avance dans la brume du petit matin, dans le sac à dos il n’y a que le strict nécessaire, le reste sera envoyé à la pension. C’était une chance, ce qu’il fallait se répéter, une véritable chance, se le répéter encore et encore. Un Gosse inconnu d’une famille de classe moyenne qui recevait un prit et une bourse pour aller étudier à Séoul dans un pensionnat pour gosses qui ont un avenir. Un avenir loin de la cueillette d’huître et des touristes qui viennent polluer les plages avec leurs bouteilles en plastiques. Il fallait alors serrer fort les dents et les lanières du sac à dos pour se dire que c’était une chance, car sur le continent c’était un monde différent, un monde inconnu. Kyung Chul avait neuf ans, c’était son premier voyage seul, loin de savoir que plus jamais il ne passerait plus d’une semaine consécutive sur l’île qui l’avait vu naître après cela.


La tête a frappé fort sur le sol cette fois ci. Il a fallu un temps infini au pion pour arriver, un temps infini parce qu'il s'en fout au fond. Ces gamins ils passent leurs vies à se chamailler pas vrai ? Alors ça fait quoi si le gamin un peu gros qui chiale tout le temps a encore un œil au beurre noir pour aller en cours ?
De toute façon il parait qu'il pose que des problèmes, sept ans qu'il est ici et il n’a pas appris à se défendre. A 16 ans il faut avoir du cran pour être un homme. Kyung Chul fini son pensionnat, il ne reviendra plus jamais dans cet établissement après l'incident, vingt points de sutures et un changement de cap, il entre en formation pour faire du code, il est doué avec les ordis, autant pour les réparer que pour bidouiller des sites et des lignes et des lignes de binaires. On lui a trouvé un endroit où aller, une autre décharge où le mettre. Lui ne dit rien, il suit ce qu'on lui demande, avec sa coupe au carré réglementaire, ses affaires toujours propres et rangées, ses lunettes sur monture transparentes et ses airs de ne jamais s'en faire. Il continue de serrer les dents et de serrer les lanières de son sac à dos, c'est encore une chance qu'on lui offre.


C'est le premier contrat, dans la plus grosse boîte de Busan. Voilà, ça fait 4 ans qu'il vit dans cette ville et il touche à son but. Il a réussi à rentrer dans son costume deux pièces pour l'entretiens, lui qui s'est fait vomir pendant toute une semaine d'angoisse et d'appréhension. On lui dit que finalement il n'a pas besoin d'en porter. Il envoie une photographie du bâtiment à sa mère par message. Ça y est, il a un salaire, fini les bourses, fini la pression scolaire, il aura enfin son indépendance après tout ce temps à subir.
Il faut bien avoir 19 ans et des rêves avant de se les faire briser. A peine trois ans dans cette boîte et le nom de Vice finit par lui donner la nausée, il voit tous ce qui se trame, des masses et des masses de datas, sur des gens qui n’ont rien demandés, un traffic de données, un calibrage parfait pour tout et de tout. Lui-même se retrouve dans les fichiers, partout, les gens sont des 1 et des 0, tout est contrôler. Il se fait plus vomir encore jusqu'à en finir par devoir prendre des choses en compensations. Ça l'angoisse de devoir revendre toutes ces vies privées à des grosses boîtes qui calibrent de la pub pour vendre toujours plus de produits inutiles. Ça le révolte, il vomit encore, et puis il fume. Toujours plus. Et puis il commence enfin à sortir, à trainer. Toujours plus.


Ils l'ont approché, en réalité ils se connaissaient déjà, ils avaient les mêmes idées, pas les mêmes vies, et lui a tout vu de l'intérieur, alors il a été bien utile et on l'a remarqué. Là à savoir tout manier. Il a récupéré suffisamment de datas et d'informations et puis il négocier un départ à l'amiable. Personne ne sait qui il est, l'un des fils de la liberté, On lui a fait confiance, après tout, c'était un bon employé, personne ne se doute de rien. Il n’avait pas l'air très à l'aise à l'heure du repas, mais le reste du temps, il se taisait et faisait ce qu'on lui demandait.
Kyung Chul n'existe plus vraiment, il est KC, il ouvre son garage, il se fait sa tune. Les voitures aujourd'hui c'est que de l'informatique en réalité alors il sait ce qu'il fait, mais il se spécialise, quitte à accepter de faire exploiter ses talents, autant que les gens payent. Alors il a 22 ans et il répare une Porsche. Il achète le lieu dans lequel il bosse, s'aménage un studio au-dessus du parking du garage et vit de jour comme il vit de nuit. Un œil sur l téléphone, une main à coder pour créer les futurs failles du système et une autre à réparer des voitures étincelantes. Parfois il en conduit une au petit matin pour faire le tour de Busan, un joint entre les lèvres. Ça ne surprendra personne, même pas les propriétaires. Mais ils n'iront pas demander à qui que ce soit d'autre de toucher à leurs précieux petit bijou.


25ème année, le temps passe, la révolution se fait attendre, alors ça code des petites app pour les plantes, ça se fait des potes et ça prépare le jugement dernier. Capable de dormir sur tous les canapés de Busan comme s’il était à la rue. On le prend pour un chien errant. Fini les looks de gentils garçons, bonjour paillettes. Il se fait toujours taper dessus, il ne rend pas souvent les coups, mais les autres le fond pour lui, il paye les bières de fin de soirées et accueil les autres animaux sauvages dans son appart, entre les fougères et les PC vintage qu'il retape en écoutant du k-hip hip des années 2010-2020. Ça sent le chanvre et l'herbe coupée chez lui, ça sent le gasoil et le savon aussi.