< anecdotes >
ㅡ o1. ㅡ  À quel âge se rend-t-on compte du malheur autour de soi ? À quel âge est-ce que l'innocence cesse de nous protéger ? Dans un trou noir, comme regarder le reflet d'un reflet, Min Tae se souvient vaguement du chemin qu'il avait pris dans la maison. Les sons ambiants sont absents dans sa mémoire, tout comme des odeurs familières d'une maison où il a vécu toute son enfance. Un visage pourtant reste clair au milieu de la brume, celui d'une petite fille qui tournait la tête vers lui alors qu'elle quittait les lieux la main dans celle d'une femme, sa mère sans doute. Pleurait-elle ? La mère ? Il ne se souvient pas. Juste les billes confuses de l'enfant qui devait avoir son âge. C'était une peinture surprenante puisque son père n'aimait pas les enfants, ça, il s'en souvenait. Des pas derrière lui s'approche, sa propre mère. Elle regarde aussi les deux autres avec des traits... indéchiffrables. Confusion. Cette sensation que des informations le dépassaient ou qu'il lui en manquait. "Come", que sa mère lui dit lui donnant la main pour le faire rebrousser chemin. Oui, des informations lui manquait du haut de ses cinq ans. Ces informations étaient que son père ne se mariait pas, mais avait d'autres enfants aussi illégitime que lui. Il avait simplement été chanceux.
ㅡ o2. ㅡ Cours de piano, de langue (anglais, coréen et mandarin), de mathématique, de géographie, de tae-kwon-do. Jamais assez fort, assez intelligent. Les succès étaient glissés sous le tapis, inutile, mais les erreurs étaient marquées au fer. Sa mère, sa plus grande fan, perdait elle-même patience certains soirs, car mettre autant d'attentes sur un enfant, des attentes presque impossible à atteindre, la tuait à petits feux. Elle s'excusait toujours après s'être emporté, parfois elle s'éclipsait pour pleurer. Pas devant lui, jamais devant lui, mais cela ne lui échappait pas.
ㅡ o3. ㅡ Adolescence ingrate. Il pu soudainement, les boutons apparaissent, ses bras deviennent plus longs que ses jambes, puis c'est l'inverse, la grandeur de ses vêtements est instable. Il ne veut plus se regarder dans la glace. Être rejeté du lot qui fleurissait en grâce, il y trouve son cercle, des gens sur qui compter. Parfois, ils ne comprennent pas ses impulsions un peu violentes et maladroites, mais il rit à ses propres mots et ça passe. Ils rient ensemble et personne ne fait de remarque sur ses traits moins typiques. D'autres le traitent d'étranger, car ses yeux sont différents ou son nez ou son accent. Malgré tout, plus les autres le repousse plus il se sent à sa place avec les siens. Un en particulier.  
ㅡ o4. ㅡ Les sourires complices, les mains qui s'effleurent, le rouge aux oreilles, les regards qui s'enfuient, puis qui reviennent. Le premier amour. Celui qui noue et renverse l'estomac. Les mots ne furent jamais dit à voix haute, trop timides, mais ils communiquaient autrement. Malheureusement impressionnable, Min Tae commença à entendre la foule. Les discussions tombaient dans ses oreilles comme des piqures de guêpes. Cela faisait-il de lui encore plus un exclu ? Allait-il être doublement détesté ? Alors il répond de moins en moins aux textos, s'invente des excuses pour arriver en retard ou pour ne pas venir. Petit à petit, il s'écarte. Pas que de lui, mais de son nid, de son filet de sécurité. Ça le rend mauvais. Il sent qu'il s'enfonce seul sans savoir comment s'arrêter ou comment faire autrement. Enfin, il commet l'irréparable, s'assure qu'il soit présent avant d'en embrasser une autre, espère qu'il comprend le message.
ㅡ o5. ㅡ Officiellement seul, il déprime au point où sa mère prend une décision: retourner à sa patrie et emmener son fils avec elle. Du jour au lendemain, sans laisser de trace, il tourne le dos à la Corée, à Sung Min Tae pour devenir Matthew Sung. Avec ses notes, il entre à l'université en informatique sans problème. Au fond, il souhaite recommencer. Nouveau départ, nouveau pays, nouvelle culture. Sauf qu'encore une fois, on parle de son apparence, de son accent. Il apprend qu'il n'a sa place ni en Amérique ni en Corée. Éternel bizarroïde, il se retrouve seul, à nouveau.
ㅡ o6. ㅡ L'Amérique. Terre de liberté. Où tu es libre de t'enfoncer dans les abîmes les plus profondes. Où tu es libre de choisir ton poison. Sous la couverture des soirées d'études innocentes, Matthew goûtait à tout. Dans l'ombre, ses lèvres touchèrent à cigarette, cannabis, alcool et peau moite, parfois dans une même soirée. Ce fut d'abord les femmes qui vinrent à lui puisque malgré tout, cela restait la norme. Douceur, parfum sucré, jolies courbes, mais s'il arrivait à se faire respectueux pour les attirer à lui, il montrait les dents une fois l'activité terminée. Il ignorait la raison. Il était toujours agacé, ne pouvait les tolérer. Au point où il se demanda s'il les appréciait réellement. Non. Elles étaient a means to an end. Alors, il explora et découvrit son goût pour les hommes, confirmant le monstre qu'il était. La fumée de cigarette resta tout autant sur sa langue.
ㅡ o7. ㅡ

TW :

ㅡ o8. ㅡ L'hôpital, les traitements de réhabilitation, les rencontres avec la police, les cauchemars qui restaient imprêgnés sous ses paupières. Il ne termina pas sa session universitaire malgré les efforts de sa mère. Il devinait les états d'âme de cette dernière. Elle ne le reconnaissait plus. Il ne se reconnaissait pas lui-même. Il en devint presque muet pendant quelques mois. Où aller à partir d'ici ? C'était quoi le plan ?
"I'm gonna go back to dad" dit-il enfin, sans avertissement. Cela termina sans doute de briser sa mère.
ㅡ o9. ㅡ En connaissance de cause, il retourna au nid après l'avoir laissé pendant si longtemps. Son père, en apparence entrepreneur, propriétaire de plusieurs bâtiments... plusieurs clubs dont le Quartz. En réalité, dans l'entreprise de la drogue si taboo en Corée. Cannabis, ecstasy et meth sont les plus populaires. En échange de ses services de vendeur, Sung Min Tae peut rester à la maison principale. Sauf qu'il n'y reste pas souvent, combat moral qui le garde réveillé. Alors il passe la nuit dehors, nourrit les chats, son animal préféré, ferme les yeux lorsqu'il peut même s'il est hanté. Cauchemars, sursauts, sueur froide, un cruel quotidien.
ㅡ 10. ㅡ Anti-Tech. Il s'était mêlé à une manifestation un jour où il ne faisait rien, curieux. Après avoir levé les yeux au ciel et avoir lâché que ça ne servait à rien de juste marcher, on l'accosta. Ce qu'on lui dit fut vague, mais prométeur. Il n'avait pas peur de faire du grabuge, tout pour que les choses changent.