Il y a une infinie de débuts d’histoires. Qu’importe comment l’écrire, un sentiment insatisfait restera toujours sur le bout de la langue. Qui dit que cela n’a pas déjà été fait ? C’est un défi, de sortir toute une vie d’un seul esprit. Une question me perturbe et m’empêche de rédiger comme je le voudrais, comme j’en ai l’habitude. Comment vous présenter Chin Ho ? Car il faut lui rendre justice, à celui que l’ennui rattrape aussi vite que le temps, au garçon dont le rêve est plus une illusion qu’un espoir. Je ne sais pas si ce que je vais écrire convaincra ; j’ignore même si j’en serais satisfaite. Pourtant, je vais essayer. Peut-être que la lecture vous l’expliquera clairement, je l’espère.

Qui est Pyo Chin Ho ?

Il est…

…une chanson d’ABBA, avec son lot de drame sous une couche de paillettes. Comme lorsqu’il descend la côte de Seo-gu sur son vélo sans freins, l’enceinte portative verte crachant sa musique, décrochant quelques têtes qui se tournent, puis des grognements ou des yeux qui roulent. Il échappe aux démons de son esprit, éclaircissant le passage de sa vitesse, du vent dans ses cheveux, de la nervosité de ses virages, de l’adrénaline de passer entre les voitures. Il voit passer des immeubles et des gens, des décors dont on aurait fait des séries télés il y a vingt ans. Perturbant la vie citadine avec ce vieux groupe, ressortie sur les télés par un film au nom qui chatoie. Sa mère avait insisté pour lui montrer quand il était plus jeune, parce qu’il s’agissait d’un classique apparemment, de quelque chose qu’il fallait connaître pour continuer dans l’existence. Les soirées où le générique résonnait dans la maison, la famille se dépêchait de tout finir pour poster devant l’écran, profitant presque du calme peu connu. C’était comme un souvenir de polaroïd, au contour effacé par la lumière, les couleurs n’étant pas exactement la réalité, les sourires figés dans une époque qui ne percera plus jamais ses jours. Sa mère hurle quand il recrée les rythmes sur sa basse, lui demandant s’il veut la rendre folle de tristesse, la tuer avant l’heure. Plus elle lui répète cela, plus il joue fort et chante Gimme! Gimme! Gimme! pour la faire partir, pour qu’elle arrête de lui faire croire qu’il a un quelconque rôle dans son malheur. Son vélo se heurte souvent un peu trop fort contre le mur lorsqu’il le balance en descendant, tandis que Frida poursuit dans sa voix comme s’il n’y avait pas de lendemain. Il pourrait l’entendre lorsque son cœur dérape en croisant le regard d’un homme qui accroche ses émotions, lorsqu’il court dans les rues de Busan tenant sous le bras une nouvelle conquête, lorsqu’il se retrouve à la réunion mensuelle du gang.

…une chanson Gorillaz, quand la crasse colle un peu plus longtemps à la peau, quand même le kimchi tourne et que l’univers se ligue contre lui. Il l’avait dans les oreilles lorsque son pied a dérapé sur une plaque de verglas et qu’il s’est écrasé sur le sol, explosant les courses sur le pavé et sa cheville par la même occasion. Il est resté longtemps allongé, se répétant que plus il prendra du temps à se relever, plus se sera humiliant. Puis, il avait accepté son sort, le ciel s’ouvrant dans ses limites au-dessus de lui, versant sa poudre blanche sur son visage, comme une nouvelle blague, un moyen de lui faire croire que même dans sa poisse, il pouvait y avoir de la magie. Il songea aux bières qui coulaient sur le bitume, à son argent envolé dans les poches d’une personnalité inconnue, à son coccyx qui avait dû prendre tarif. Personne ne lui demandera pourquoi il a pris autant de temps ; il leur aurait répondu la vérité. Cette soirée-là, il était resté dans sa chambre à faire son sport journalier, plutôt qu’à sortir pour courir. Il l’avait écouté de nouveau, se satisfaisant du rythme des rires gutturaux des chanteurs en musclant son dos. Jusqu’à ce qu’on vienne le chercher pour faire cette ridicule ronde dans les rues, alors que minuit pouvait s’entendre sonner sur les montres et les réveils. De la batterie jusque dans ses mains, alors qu’il travaille aux échanges de billets et de sachets dans l’ombre des plus grands. Personne ne le voit, il mène sa barque, se fait délibérément arnaquer et fonce tête baissée en se rendant compte de la supercherie. Quand son briquet allume le bout de son bâtonnet, il peut presque rire de la même manière, hystérique, les mains tachées du sang du mec à qui il tend le-dit briquet pour qu’il s’en crame une aussi. C’est sans doute un pote de lycée, ou de son école professionnelle, à qui la chance a fait de beaux bébés et que la vie a amené à une place confortable. A lui, on lui demandera sans doute pourquoi il rentre dans cet état, qui lui a fait du mal, et il mentira. Cette ironie, qui déclenche le rire de folie.

…une chanson de 5 Seconds Of Summer, quelque chose comme ça, surtout lorsque l’identification se fait jusqu’au plus profond des os. Parce que même s’il ne dit rien, il aperçoit tout, du plus petit commentaire au tremblement incertain d’un sourire, de la silhouette qui hésite à la dévotion dans le regard. Si tout le monde pouvait faire cela, peut-être que son père l’aurait remarqué, cette unique fois où ils se sont croisés dans la rue, lui les mains dans les poches cachant ses précieux biens, l’autre au bras de sa compagne, souriant à sa fille qui parlait d’un entrain certain à ses parents. Au plus profond de sa psyché, il savait que son patriarche n’était pas mauvais, gardant de lui une image neutre plus que douce-amer. Refaire sa vie, continuer de rencontrer des gens, s’approprier une vraie identité qui lui correspond, c’était tout ce qu’il pouvait lui souhaiter, pour savoir qu’au moins un des deux partis était heureux. Tout de même, l’injuste présentait ses racines dans sa nuque, lui indiquant qu’il n’avait rien fait pour mériter d’être oublié, jusqu’à son existence, de la vie de cet homme. Son père est passé à côté de lui, comme un étranger à côté d’un autre, deux humains déambulant dans les rues de la même ville. Alors, pour faire bonne mesure, il l’avait oublié aussi, supprimant en apparence cette vision, qui se permettait pourtant de revenir de temps à autre, sans demander la permission, pour plomber un moral déjà peu enclin au sourire. If Walls Could Talk perpétue l’idée que s’il en avait la possibilité, il s'exprimait, haletant jusqu’à sa dernière syllabe son mal-être face à tout ce qu’il capte, tout ce qu’il fait glisser dans une bouteille afin de la sceller pour la jeter à la mer. Évacuer en tirant un rideau pour ne pas voir que les laissées pour compte étaient ramenées par la marée. Le silence reste alors un moyen parfait pour garder les drames sous cadenas, pour ne pas voir la montagne et uniquement se concentrer sur le verger.

Il est…

…le frottement des baskets sur le trottoir lorsqu’il pleut, le grésillement lointain d’une affiche publicitaire qui occupe le paysage, la bulle de chewing-gum qui explose sous les lèvres d’une adolescente dans une file d’attente.

Il est…

…les voix étouffées derrière les vitres d’une maison qui part en ruine, l’écho du vent qui fait fourmiller les habits délabrés de la rue, le gravier crissant lorsqu’un enfant tombe du haut de son royaume dans un parc.

Il est…

…le chuchotement d’un rire éteint, le soupir de l’ennui qui perdure, le battement de cœur tambourinant.

Chin Ho épris de liberté dans une cage à ciel ouvert, perdant de ses propres décisions, rêveur sur le coin d’une fenêtre, romantique qui ne sait rien, déclencheur de bagarre, cycliste de routes, protecteur de chats, fumeur sans lendemain, adulte en quête.