Dans la vie, le karma peut être un allié, comme un ennemi. Pour toi, c’est tomber sur le mauvais côté. Pas de chance, retente dans ta prochaine vie.

Tu ne te souviens pas de ton enfance avant tes cinq ans. Ça arrive, ce n’est pas bien trop grave. Le truc, c’est que lorsque tu avais cinq ans, tu l’as rencontré Lui. Tu te souviens bien de ce jour, car ta mère était encore auprès de toi. Elle t’emmenait souvent là-bas, pour souffler de l’atmosphère de la maison. Et toi, tu pouvais jouer comme un enfant normal. Tu te souviens avoir très souvent été le plus jeune, celui que l’on met de côté. Pas beaucoup d’enfants voulaient jouer avec toi. Et ce jour-là n’a pas été l'exception. Mais ce n’était pas grave, car ton imagination était assez développée pour te créer une bulle protectrice. Alors avec le temps, tu as cessé de faire des efforts. Être seulement hors de la maison était suffisant. Bien sûr, tu pouvais voir le regard inquiet de ta mère, mais à cet âge-là, tu ne comprenais pas encore toutes les complications de la vie d’adulte. Quand vos yeux se croisaient, elle te souriait. Pour toi, cela te suffisait.

Ce jour-là, donc, tu étais à nouveau dans ta bulle lorsque celle-ci fut éclatée sans prévenir. Un bruit sourd a attiré ton attention. C'était un bruit fort et tu avais même pu entendre la voix de quelqu'un. D'ordinaire, tu ne te serais pas approché d'un inconnu. Tu ne sais pas pourquoi tu l’as fait. Mais quand tu es arrivé au coin du parc, tu as vu un enfant par terre à côté d'un vélo.

Le petit garçon n'avait pas l'air bien différent de toi. Simplement, il semblait plus âgé. Tu l’avais compris parce qu'il n'avait plus les petites roulettes à son vélo. Tu l’as vu grimacer alors que quelque chose de rouge s'étalait sur son genou. Tu as laissé échapper un couinement et tu t’es approché de l'autre garçon, attirant son attention. La première chose que tu as vue, ce sont ses yeux chocolat. Boum. Tu as froncé les sourcils, un bruit sourd à résonner dans ta poitrine. Encore innocent. Tu l'as associé à de la peur. Et le petit garçon pourrait aussi te faire peur. Mais lorsque tu as aperçu des larmes au coin de ses yeux, tu n’as pu que te rendre à lui.

« Noona dit qu'il faut faire attention. Pourquoi t'as pas fait attention ? »

Tu as gonflé les joues en le fixant. Pour toi, il était bête. Il aurait dû faire attention. Sa noona ne lui avait pas dit ? Tu te souviens avoir froncé les sourcils et être retourné vers ta mère à toute vitesse. Il te fallait tes pansements et elle en était la gardienne. De tes petites mains, tu avais alors attrapé la boîte après le lui avoir demandé et couru rejoindre l’autre garçon. Il n'avait pas bougé, c'était bizarre sachant que les plus grands ne voulaient pas de toi autour d’eux. Tu t’étais finalement avancé à nouveau vers lui de tes petites jambes. D'un oofph, tu t’étais penché et avais attrapé un de tes pansements avant de le coller sur le genou de l'autre garçon. Une fois ton travail fait, tu avais relevé la tête et avais souri. Parce que tu étais gentil, tu étais innocent. Et surtout parce que tu venais de sceller ta vie avec la sienne sans même le réaliser. Il a continué à te fixer, les larmes ayant séché.

« Tsk. Gamin... »

Il s’est finalement relevé et à continuer sa route, son vélo roulant à ses côtés. Peut-être que tu as rêvé à l’époque, mais l'ombre d'un "merci" à flotter dans les airs. Le soleil avalait sa silhouette alors que tu restais planté sur place. Boom. Tu as encore froncé les sourcils et pris d'une légère peur, couru en direction de ta mère qui bien sûr, avait vu la scène et t’attendait avec un sourire au coin des lèvres.

Tu aimerais que le reste de ton enfance soit aussi joyeux. Mais lorsque toi et ta mère passiez la porte d’entrée, l’enfer vous accueillait. Le cauchemar de ton enfance, ton père, vous attendait. Oh ! Combien il aimait ta mère. Mais ton existence était la tache de café sur le tapis, ineffaçable. Tout ce qu’il faisait, tout ce qu’il disait était là pour te le rappeler. Et même avec la protection de ta mère, les mots ont toujours entaché tes pensées.

Ce fut bien pire, le jour, où elle est partie. Tu n’oublieras jamais cette fois où tu es rentré de l’école. Tu avais à peine dix ans, et elle t’attendait. Ce n’était pas très étrange, hormis les grosses valises sur le pas de la porte. Elle t’avait alors serré dans ses bras et t'avait embrassé les joues, un sourire aux lèvres, mais le regard plein de larmes.

« Tout ira bien, tu es un grand garçon. N’oublie pas que je t’aime. » Puis elle est partie, t’abandonnant en plein enfer, aux mains du diable lui-même.



L’adolescence a été assez compliquée. Tu es resté bizarre, encore plus réservé. N’ayant plus ta mère avec toi, tu as subi tant de traumatismes. Tu lui en veux énormément pour ça. Elle n’a pas été là pour soigner tes blessures, que ce soit physiques ou mentales. Alors tu as dû apprendre à ne plus pleurer. Ne plus faiblir et affronter. A esquivé les coups les soirs où ton père buvait trop. Car le départ de ta mère a transformé ton cauchemar, en ton quotidien.

« C’est de ta faute si elle est partie. C’est à cause de toi ! Tu es une erreur, tu n’aurais jamais dû naître ! »

Avec le temps, ces mots sont devenus des armes dans ton esprit. Le coup de pied qui t’a poussé à te donner à fond pour quitter cet enfer au plus vite. Alors tu as travaillé, tu as étudié au lieu de t’amuser. Tu as dû apprendre de nombreuses choses par toi-même, notamment cuisiner. Car tu ne pouvais compter sur personne d’autre. Et tu as appris avec le temps à éviter les crises. À toujours lui apporter ce qu’il voulait avant de disparaître. Les jours où il n’était pas bourré, il n’était simplement pas là. À croire avec le temps que ce fût plus simple de te faire face de cette façon.

Mais si tu n’avais eu qu’à supporter ça chez toi... Non. Tu as également dû le supporter à l’école. L’enfant toujours faible, l’enfant mit de côté qui a fini par se battre à son tour. Et pas contre n’importe qui, contre Lui. Ton acte de gentillesse n’a pas eu l’effet escompté. Car il a fait comme les autres et t’a rejeté. Avant de devenir pire et de commencer une guerre qu’aucun de vous ne voulait perdre. Généralement, il était avec son meilleur ami contre toi. Toi, tout seul avec comme seule arme la défense que tu avais mise au point. Plus d’une fois, vous avez été pointés du doigt. Tu ne comptes plus le nombre de visites dans le bureau du directeur. Même en ayant été un très bon élève, il fallait sanctionner, pour l’exemple. Alors tu as accepté cette fois, que ton karma n’était vraiment pas le bon.

La première fois que l’école a contacté ton père, tu as eu peur. Peur de ce qu’il allait faire, peur d’y rester. Et il a fait exactement ceux à qui tu t’attendais. Quand tu as passé le seuil de la porte et que tu t’es retrouvé au sol, les coups tombants sur ton corps. Peu importe tes blessures de la journée. Tu as encaissé tant bien que mal, le laissant finalement se défouler, trop épuisé par la journée. Quand il a eu fini, tu t’es péniblement traîné jusqu’à la salle de bains.

Tout ça a continué pendant si longtemps que tu n’arrives plus à te souvenir de la durée. Essayer de survivre tout en essayant de vivre. Les choses se sont un peu calmées quand tu es entré au lycée. Tu as réussi à éviter certains ennuis. Mais le karma, toujours derrière ton dos n’avait pas dit son dernier mot. Car en grandissant, tu as aussi appris à te connaître. Et c’est naturellement que tu as voulu explorer les sentiments et les attirances physiques. Tu peux au moins être soulagé d’avoir eu une petite amie. Elle était si gentille, mais une fois l’attrait passé, c’était mieux à vos yeux de ne rester que des amis.

Il ne fallut qu’une soirée pour que ton monde bascule à nouveau. Bien après votre rupture a eu lieu une fête à laquelle tu as bizarrement été invité. Bien que méfiant, tu t’y es rendu. Tout ce dont tu te souviens, c’est d’avoir trop bu et d’avoir découvert ta bisexualité. Dommage que ton père l’apprenne grâce à un très joli cliché. Ta méfiance n’était pas une blague.

« En plus d’être une erreur, t’es pédé. » Ce fut la première fois qu’une ceinture sur ton corps, n’était pas là pour tenir ton pantalon à ta taille.

Tu ne sais pas ce que tu as fait au monde pour mériter ce genre de connerie. Tu n’es qu’un garçon très banal et, si les gens avaient voulu apprendre à te connaitre ils auraient compris qu’en fait tu es quelqu’un de très gentil. Mais baise le monde et la mentalité.


Tu avais dix-neuf ans le jour où tu t’es enfuie enfin de cet enfer. Peut-être que le ciel t’a aidé cette fois. Un diplôme en poche, tu n’avais qu’à attendre la répondre d’une université. Ton choix principal, Busan. Ce n’est pas le plus loin géographiquement, mais assez loin pour qu’il ne vienne pas te retrouver. Car ton père t’avait bien fait comprendre qu’il était hors de question que tu t’en ailles. Que tu ne ferais pas comme ta garce de mère. Que ta punition était là. Rester, et souffrir. Tu n’as jamais été masochiste. Alors tu as fait comme tu le voulais, mais dans son dos. Qui sait ce que ce taré aurait pu faire ?

Et puis tu as été accepté. Et c’est comme si le poids du monde s’était enfin retiré de tes épaules. Un miracle, un signe du destin. Ou le karma qui changeait enfin de cap. Peu importe, l’essentiel était de partir. Alors avec l’argent que tu avais économisé au fil du temps, travaillant ici et là, tu avais acheté ton billet de bus. Le billet de la liberté. Mais tu n’as pas pris en compte le fait que ton père est sournois, et qu’il te tiendrait une embuscade ce jour-là.

« Tu pensais vraiment pouvoir partir ? Que je te laisserais faire ? Oh ! Ça non. Tu es vraiment comme ta mère. Et je vais enfin régler l’erreur que j’ai faite il y a dix-neuf ans. »

Tu as eu peur pour ta vie. Car tu as bien compris cette fois, qu’il allait s’en prendre à toi et de façon définitive. Peut-être était-ce ton esprit de conservation qui t’a fait préparer tes affaires en amont, mais plus rien ne te retenait dans cette maison. L’adrénaline coulant dans tes veines, tu as lutté pour ta vie alors qu’il tenait à te l’ôter. L’odeur d’alcool venant pourrir ton visage, la fureur dans son regard. Mais surtout un vide. Une coquille vide, tout simplement remplie de rage et de haine. Tu ne te souviens pas exactement de ce qu'il s'est passé, c'est flou, le trou noir complet. Spectateur de ta propre évasion, sûrement un coup de chance, un miracle. A un moment donné, il était prêt à te sauter dessus, à un autre il était au sol, ivre mort. Tu n’as pas pris le temps de réfléchir, fuyant ce cauchemar, fuyant le démon qui fut ton ombre une bonne partie de ta vie.

Busan est un nouveau souffle de vie. Un air frais qui te dit : tu vas vivre. Tu as directement su qu’ici, tu arriverais à faire quelque chose. La ville t’a ouvert les bras. Tu t’es très bien acclimaté à l’université. Bien sûr, toutes les modernités t’ont un peu dépassé, mais tu as appris avec le temps. C’est encore compliqué à maîtriser, mais tu n’es rien d’autre que déterminer. Hormis cela, tu peux enfin être celui que tu as voulu montrer. Un garçon gentil. Oh, tu n’es pas aussi lisse et innocent que tu le laisses paraître. Mais ton passé ne ressort que lorsque tu y es confronté. Ce qui n’arrive que lorsque tu le vois Lui.

Quatre ans que Busan est ta maison. C’est le début d’une nouvelle vie pour oublier le passé.