Les pieds s'embrouillent. (Noy)

Poussé par une brise légère le Minho prend la direction du port. Ses voiles sont gonflées par le vent. Au sommet de son mat trône le drapeau noir à tête de mort des pirates, signe distinctif de ton amour pour cet univers. Les vagues claquent sur la coque en bois alors que celle ci trace sa route et fait naître de l'écume dans son sillage. Toi en tant que capitaine, tu tiens la barre guidant fièrement ton voilier, laissant l'air marin caresser ton visage. Vous avez passé une bonne partie de la journée en pleine mer. Accompagnant avec tes homme d'équipage un groupe de plongeurs à la découverte des fonds marins. Sur le voilier tout le monde est content des merveilles observées et des souvenirs qu'elles ont laissé sur les photos prises comme dans les esprits. L'ambiance est bonne enfant, ça rit, ça chante. Tes pirates jouent le jeu pour rendre la journée encore plus belle, tout en commençant à ranger le matériel utilisé. Demain une autre sortie est prévue , faire les vérifications durant le trajet de retour c'est toujours du temps gagné une fois au port. Même si en arrivant et une fois les clients débarqués il restera du boulot pour que tout soit nickel pour la prochaine sortie. Tu profites de l'instant, manœuvrant ton voilier  avec expertise. Tu fournis des explications à ceux qui s’intéressent à la navigation. Jamais avare de ce côté là, parlant d'histoire de mer, de bateau et de piraterie. On pourrait même penser que tu as vécu à cet époque là. Un des plongeurs est tenté par le fait de tenir la barre et tu lui laisses restant à ses côtés pour l'aiguiller dans cet exercice. Tu es un vrai passionné et partager cet amour de la mer est toujours exaltant pour toi. Tu ne donneras pas ta casquette de capitaine, mais transmettre le savoir te plaît.

Une fois au port et les clients débarqués, tu finis de vérifier avec tes hommes, ce qui n'a pas été fait. Et vous préparez l'organisation de la journée du lendemain, là aussi il y aura un sacré timing. Mais la météo prévue semble autant clémente qu'aujourd'hui, ce qui devrait donner une journée agréable même si les températures seront plus fraîches. Le plus gros du boulot terminé, tu renvoies ton équipage, tu finiras les petites tâches. Quelques cordages restent à rouler. Au moins tu ne penseras pas à Minjun et au fait qu'il est peut être avec un autre homme. Car c'est bien ce qu'il t'a fait comprendre. Il a besoin de vivre ce qu'il n'a pas vécu en étant en couple avec toi. Alors pour ne pas laisser ta tête trop vagabonder dans des pensées qui seront négatives faut que tu aies des choses à faire. Sinon tu risques de finir dans un bar à avaler de l'alcool pour t'embrumer. Toutes les bouteilles de plongée ont été descendues dans la cale. Reste plus que les combinaisons qui sont sèches à présent. Du coup tu commences à les plier, tout en laissant parfois ton regard se perdre sur l'horizon. Toujours aussi fasciné par cette beauté linéaire qui n'a pas de fin. Tu vas également les ranger dans la cale. Puis tu t'attaques aux derniers cordages, dans la logique cette tache ne devrait pas te prendre trop de temps. Mais il semble qu'il y est un problème de nœud plus compliqué que prévu. « Et merde c'est quoi l'embrouille.. » Du coup tu tires la corde tout le long du pont, essayant de comprendre d'où vient le souci. En principe tes gars y font attention. Bien sur la journée pèse dans tes bras et des jambes. Et le cordage c'est loin d'être léger, tes muscles te brûlent un peu, mais pas question de laisser la corde dans cet état, elle serait perdue. En plus elle a commencé à sécher et la dénouer devient plus complexe. « Putain j'aurais bien mérité une bonne douche et un bon verre après. »

Tu enjambes et enjambes à nouveau, la bloquant en bandoulière pour avoir plus de marge et plus de force en la tirant. Tu essaies de rester attentif à tes mouvements et à tes pensées ne voulant pas qu'elles partent ailleurs. Mais la fatigue aidant tu ne fais pas attention qu'une double boucle s'entoure autour de tes chevilles. Tu tires d'un coup sec pensant enfin tenir le bon bout, mais entre le geste et le poids de la corde tu perds l'équilibre. Tu te retrouves les quatre fers en l'air sur le pont du Minho avec la corde entourée autour des chevilles et de ton torse. « Et merde. » Tu appuies tes mains sur le bois pour te relever, mais la corde te bloque pas mal dans ta liberté de mouvement. Tu tires sur le nœud, mais au lieu de le défaire tu le resserres. « Non mais c'est pas possible ce bordel. » Tu rouspètes et tu râles, tu mets ta main dans la poche arrière de ton short pour attraper ton portable. Car si tu n'y arrives pas faudra que tu appelles quelqu'un à l'aide. Mais dans ta chute ton pauvre téléphone a pris cher, l'écran a explosé et plus rien ne marche. « Génial. » Tu regardes avec attention la corde et les nœuds, si tu bouges trop et mal tu ne vas faire qu'empirer la situation. « Réfléchis Dak Ho. Réfléchis. » Tu jettes un coup d’œil au alentour et là tu vois un mec. « Monsieur bonsoir. Monsieur excusez moi mais vous pouvez m'aider. S'il vous plait » Tu lèves un de tes bras, vu que l'autre est pas mal bloqué par le poids de la corde sur ton épaule, et tu l'agites. « Monsieur. Par ici, sur le pont du voilier. » Mais il ne réagit pas. Il semble t'observer mais tu te demandes s'il  se rend compte de la situation. « Vous pouvez monter sur le pont pour m'aider. S'il vous plaît monsieur. » Tu insistes un peu, à deux se serait plus facile. Mais pour ça faut que l'autre réagisse et cela ne semble pas être le cas.

Les pieds s'embrouillent. (Dak Ho)

Sa sucette avait un goût de cerise, alors qu’il regardait la mer s’étendre à perte de vue devant lui. Et dire qu’il ne regardait même pas dans la direction de son pays, mais observait le Pacifique, froid et sombre. Tout était tellement différent de l’eau transparente, turquoise, entouré de végétation luxuriante. D’un côté, il avait été heureux de quitter son pays, et principalement la capitale, qui ne le voyait que comme un nouvel atout dans le développement tardif de ses connexions internationales. Mais tout de même, maintenant, il avait le mal du pays. Il voulait retrouver ses restaurants rustres où on mangeait sur des chaises en plastique à l’extérieur, la chaleur et l’humidité qui faisait toujours avoir la goutte de sueur au front, le bruit des tut-tut, ces motos amusantes qui sillonnaient les routes à vive-allure. Ici, à Busan, tout était trop propre, trop bien rangé, les cafés étant plus basés sur l’esthétisme que le goût, les jeunes femmes et hommes aux visages parfaits se pavanant sur les affiches. Ses yeux coururent sur les vagues, le sucre fondant petit à petit sur sa langue. Il ne voulait pas partir. Mais il voulait tout de même revoir ses rues bourdonnantes et crépitantes. La Corée du Sud lui plaisait. Seulement, parfois, il fallait pouvoir retourner à la source.

Lassé de regarder un point fixe, il tourna les talons, marchant le long de la jetée sans réelle but. Il avait passé la nuit et une bonne partie de la matinée à discuter avec ses amis expatriés également, qui, comme lui, ne dormait presque jamais. Ils n’étaient pas tous issus du lycée de surdoué où lui avait reçu son éducation, mais ils n’en restaient pas moins de bonnes têtes qui savaient où elles allaient. Noy aimait parler avec eux ; c’était comme avoir encore un lien avec sa vie d’avant. Ils lui avaient d’ailleurs conseillé de sortir un peu, de quitter sa chambre étudiante pour se balader dans la ville afin qu’il ne devienne pas fou à repenser au fiasco de sa sortie cinéma avec Monsieur Park. En soi, il n’avait pas si honte que ça d’être partie en courant à la fin de la séance… C’était de lui avoir touché le poignet qui le rendait nerveux. En équilibre sur le rebord bordant la plage, il marchait tranquillement, se sortant de la tête cette histoire. Il ne savait pas ce qu’il allait faire en revoyant son professeur demain, pour leur prochain cours d’anglais. Devait-il agir normalement ? (C’est-à-dire tout faire pour attirer son attention et l’embêter.) Ou alors devait-il faire profil bas ? Dans le deuxième cas, Songki en serait soulagé, se disant peut-être que son élève s’était enfin calmé. Mais… Noy s’arrêta et plissa les yeux. Il était en train d’y penser. Il devait s'arrêter. Et pour cela, il devait se trouver une distraction.

Une voix résonna prêt de lui. Tournant les yeux vers cette dernière, il se rendit compte qu’il était arrivé sur une jetée du port. Attendez… Penser à Songki lui faisait perdre autant de perceptive dans ce qui l’entourait ? Comment avait-il pu atterrir ici sans s’en rendre compte ? Le bonbon dans sa bouche claqua contre ses dents alors qu’il se tournait vers l’homme qui l’appelait. C’était à lui qu’il parlait même ? Son coréen avait beau s’être amélioré, il ne comprenait pas ce qu’il lui disait. C’était quoi un “le pont du voilier” exactement ? De la nourriture ? Ou alors c’était une insulte ? Fronçant des sourcils, il porta la main au bâtonnet de sucre, le sortant de sa bouche en le regardant toujours, l’air confus. Qu’est-ce qu’il lui voulait exactement ? Dans le doute, il se rapprocha. Il ne savait pas s’il avait vraiment le droit de faire ça, mais il le fit quand même. Ainsi, il se retrouva sur le bateau, observant autour de lui en remettant son bonbon dans sa bouche. Ce n’était pas la première fois qu’il montait sur ce genre d’engins. Il y en avait tellement en Thaïlande. Se rapprochant de l’homme coincé, il s'accroupit pour le regarder, jouant avec sa sucette dans la bouche.

« Vous m’avez appelé ? demanda-t-il alors, son accent bien trop prononcé pour ces quelques mots. C’est quoi ce que vous avez dit ? Un “le pont du voilier” ? »

Évidemment qu’il avait remarqué dans quelle posture était l’homme, mais cela ne le dérangeait pas. Après tout, chacun faisait ce qu’il voulait de son corps et si le délire de cet individu était de s’attacher avec des cordages sur un bateau, ce n’était pas à Noy de le juger. D’ailleurs, ça semblait étrangement bien solide comme truc. Sûr qu’il lui faudrait de l’aide pour s’en dépêtrer. “Si seulement quelqu’un pouvait venir l’aider”, songea le plus jeune en le regardant toujours, le regard voyant sur les différents nœuds. “Vraiment, il lui faudrait un petit coup de main à ce monsieur…” Sans doute qu’il ne devrait pas rire, mais la situation était drôle quand même. Parce que bon, ce n’était pas tous les jours que l’on voyait quelqu’un coincé comme ça. Alors, sans que l’autre ne puisse même protester, Noy sortit son téléphone et le prit en photo, juste pour les souvenirs. Ce petit moment de honte ne restera pas qu’entre eux, ça, c’était sûr. Se balançant alors sur ses pieds, toujours accroupis à côté de lui, il pencha la tête sur le côté.

« Comment vous vous êtes retrouvés comme ça ? Vous avez l’air idiot… »

C’était une conclusion qu’il trouvait plutôt juste. Car, même si lui ne connaissait pas des mots de vocabulaires dans une langue qui n’était pas la sienne, il était au moins capable de ne pas se faire avoir par ce qui semblait être son propre métier. (A noter : faire des maths n’était pas particulièrement un travail à risque, il faut se l’avouer.) Alors, avec son regard espiègle et sa foutue sucette, il se moquait de lui, sans pourtant bouger le moindre petit doigt afin de l’aider à défaire tout ça. S’il se l'avouait,  il n’était même pas sûr de réussir en soi, ses doigts étaient trop fragiles pour ce genre de matière rustre. Mais c’était tout de même amusant de lui faire croire qu’il pouvait lui apporter de l’aide. Il avait choisi la mauvaise personne.

Les pieds s'embrouillent. (Noy)

La journée a été fatigante et tu sais que celle qui t'attend demain le sera tout autant. Même si cette fatigue la tu ne t'en lasses pas, car emmener des gens en pleine mer pour plonger c'est ce que tu aimes faire. C'est ce qui nourrit ton âme et ton cœur. Et ils en ont bien besoin tous les deux, vu que tu ne peux pas les nourrir d'amour. Minjun gardant sévèrement ses distances avec toi, depuis ton horrible connerie. Et puis quand tu t'occupes tu penses moins et cela t'empêche de divaguer vers des idées noires. Imaginant ton ex aux côtés d'autres hommes. Imaginant ton ex se laissant embrasser ou caresser. Cette idée te fout même la nausée et te donne envie de gerber. Savoir qu'il pourrait se faire toucher par d'autres mains que les tiennes, qu'il pourrait se faire embrasser par d'autres lèvres. Ça te rend dingue. Alors avoir l'esprit occupé t'évite de devenir fou. Et t'évite de faire des conneries que tu pourrais regretter, déjà que tu prends plus de risques avec les petits trafics que tu gardes discrets même aux yeux de tes hommes d'équipage. Tu ne les as jamais impliqué et tu ne le feras jamais. Honneur de capitaine que tu gardes, tu couleras seul si un problème te tombe sur la tête. Et tant pis si le MinHo et le capitaine Dak Ho finissent aux oubliettes. Après tout tu te revendiques pirates, et les pirates n'étaient pas des saints.

Enfin en attendant là tu as un autre souci à régler, celui d'un cordage mal rangé et qui se retrouve empêtré de nœuds. Cordage que tu ne peux laisser ainsi. Tu ne manqueras pas demain à l'arrivé de tes marins de demander une explication, mais en attendant tu es seul à devoir te dépêtrer avec le bordel que tu étales sur le pont de ton voilier. La corde est lourde imbibée d'eau vu qu'elle a servi pour les bouées marquant l'endroit de la plongé. C'est certainement cette lourdeur qui a fait que celui qui s'en est occupée, a bâclé l'ouvrage. Il aurait pu demander de l'aide, en principe c'est le maître mit à bord, mais là rien. Et tu voilà comme un forçat a tiré sur la corde. Mais ton attention n'est pas autant alerte qu'en début de journée. Il y a la fatigue et tes pensées qui s'égarent. Un mauvais mouvement et la corde t'enlace comme des bras aimants. Piégeant d'abord tes cheville. Puis le haut de ton corps. Le poids du cordage fait le reste. Tu bascules sans pouvoir te retenir finissant maîtrisé par le cordage que tu voulais démêler. Il est beau le capitaine Dak Ho le cul sur le pont de son voilier, les chevilles liés, un bras bloqué. Tu pourrais en rire. Tes hommes aussi. Tu en riras certainement plus tard, quand tu conteras cette situation comme une histoire rocambolesque. Mais là tu en rages. Car tu te sens impuissant et qu'en plus ton téléphone a été victime de ta chute. Tu vas faire quoi ? Tu gesticules mais tu ne fais qu'aggraver la situation. Serrant d'avantage le piège autour de toi. Proie au milieu d'une toile d'araignée et seul. Terriblement seul Jusqu'à ce que tu vois une silhouette que tu appelles. Espoir de sortir de ce merdier. Enfin si l'homme daigne réagir. Car dans un premier temps il reste là à te regarder sans broncher. Triturant un truc entre les lèvres, avant de monter pour continuer à t'observer sans aucunement agir. Il attend quoi ? Gros mystère pour toi. Il prend son temps comme si ton malaise l'amuser. Tu ne sais pas trop quoi penser de sa non réaction à comprendre que tu as besoin d'aide. Comme si le bordel de la situation ne sautait pas directement à ses yeux. « Oui je vous ai appelé. » Quand il s'adresse à toi, tu te dis que tu as un peu de chance, même si l'accent te montre qu'il n'est pas d'ici et que la compréhension risque d'être faussée. La suite de ses paroles te donne envie de rire. Il te prend pour un con ou bien il le fait exprès. « Le pont du voilier ? C'est là où vous avez les pieds. Et c'est là où je suis coincé. » Tu as envie d'éclater de rire comme tu as envie de gueuler. Une seule âme passe et tu tombes sur une qui ne semble pas futée. Mais tu devras t'en contenter si tu veux sortir de la merde dans laquelle tu t'es toi même mis.

Il s'approche. Et tu te dis que bon il va se bouger les fesses. Mais non. Il sort .. Non pas possible. Il sort son téléphone et .. Bordel il te prend en photo. Tu vois rouge. « Vous faites quoi là ? Cela ne se fait pas de prendre les gens en photo sans leur autorisation. » Tu essaies de ne pas monter de ton, il serait tout à fait capable de te planter là et tu ne serais pas plus avancé. Tu lui enfoncerais bien le truc qu'il bouffe dans la bouche. Il a quel âge pour manger une sucette ? Et tu soupires et il enfonce le clou avec sa remarque de merde. « Je sais que j'ai l'air d'un idiot. Et c'est pour ça que j'ai besoin d'aide. Et n'allait pas vous imaginer que je faisais de la gym ou que je voulais jouer les magiciens ou n'importe quoi d'autre. » Parce que vu comme il te regarde et ses propos tu te dis qu'il doit penser à tout et n'importe quoi en te voyant ainsi. Même à l'inimaginable. « Je faisais mon boulot. Ce cordage devait être dénoué et rangé. Une erreur de mouvement et je me suis retrouvé piégé. C'est plus clair là. J'ai besoin de votre aide pour me sortir de ce merdier. » Tu ne sais pas comment tu ne te mets pas à gueuler tout est si évident pourtant. Enfin pas pour lui qui semble avoir besoin d'un dessin, du sous titrage de tes paroles, d'une notice d'explication, pour capter les faits. Tu soupires frustré. « Est ce que vous pouvez m'aider s'il vous plaît ? Ou appeler quelqu'un pour qu'il vienne m'aider ? Mon téléphone c'est cassé dans ma chute. » Tu lui achèteras des sacs de sucette vu que celle qu'il a dans la bouche semble plus susciter son intérêt que ta situation. Tu veux juste un coup de main est ce trop demander ?

Les pieds s'embrouillent. (Dak Ho)

Il venait d’apprendre un nouveau mot. C’était à noter : un “le pont du voilier" signifiait donc le pont du bateau. Très bien. Il n’était jamais trop tard pour découvrir de nouvelles choses, surtout lorsqu’il s’agissait d’une langue qui n’était pas la sienne. Ses yeux suivaient les cordages, s’attardant un instant sur le nœud bien trop complexe qui constituait sa base. Alors là, la personne qui démêlera ça sera des plus courageuses. Cela ressemblait plus à un casse-tête qu’à quelque chose retenant une partie de véhicule circulant sur l’eau. Accroupi proche de lui, cela ne l’aurait clairement pas foulé de tirer sur l’une des lignes pour libérer le pauvre homme de l’ensemble. Mais il avait les mains prises (excuse pour ne pas avoir à bouger et faire le moindre effort envers un inconnu). Néanmoins, Noy était bien content de se trouver sur un bateau. Cela faisait longtemps, l’air marin le calmant toujours presque immédiatement. Mais plus que de le rendre sage, il s’agissait plutôt d’apaiser ses pensées parfois trop entremêlées pour qu’il s’en sorte tout seul. Rien de cette force de la nature ne pourrait supprimer son attrait particulier pour faire des bêtises.

« Très bien, monsieur, répondit-il en rangeant son téléphone. Je n’en prendrais plus, vu que vous semblez très proche de votre image. Et qui vous dit que je vous ai pris en photo d’abord ?! »

Un clin d'œil pour le taquiner, alors qu’il lui tirait la langue pour bien lui montrer qu’il ne pouvait rien lui faire de toute manière. Vraiment, s’il avait crié aux loups à une autre personne, sans doute serait-il sur le point d’être sorti d’affaire là. Mais malheureusement, Noy n’était pas de ce type de personne qui offrait des services juste pour aider. Noy n’aidait pas les gens. C’était ainsi. On lui avait toujours appris à toujours se mettre avant les autres, quitte à se faire détester. Être le premier, surtout lorsque l’on vole la place à quelqu’un. Un sourire carnassier prit place sur son visage. Décidément, cet homme n’était que perche tendue à ce qu’il lui réponde.

« Vous savez, vous n’avez pas besoin de vous trouver des excuses, hein… Tout le monde est libre d’apprécier ce qu’il veut. Seulement éviter les zones publiques la prochaine fois ! »

La tentation n’avait été que trop belle pour qu’il ne la saisisse pas et ne s’en empare pas. Sans le lâcher des yeux, il fit jouer son bonbon contre sa joue, voulant voir à quel point il pouvait devenir rouge sans exploser en étant trop serré sous ses cordes. Peut-être que s’il l’énervait assez, il pouvait se transformer en Hulk et se sortir de cette situation tout seul. Oui, mais, cela voudrait dire qu’il en aurait après Noy aussi. La mort pour étouffement n’étant pas dans ses projets, il fera sa petite souris et se cachera quelque part, comme toujours. Il était devenu bon en esquive. Ou plutôt, il aimait le penser. La réalité pouvait être un peu trop décevante à son goût.

« Votre téléphone ? (Il regarda autour de lui, pour voir où il pouvait bien être, avant de le repérer, explosé sur le sol) Oh mais, malheureusement, je ne connais personne. Enfin si, mais voyez-vous, nous sommes un peu sur le fil rouge tous les deux… Je veux dire, c’est mon professeur, mais il y a un truc un peu, vous voyez ? Du coup, je ne suis pas sûr que si je l’appelle, ça fasse bonne figure. En plus, la dernière fois qu’on s’est vu, j’ai fui, ahah ! »

D’un autre côté, Songki pouvait totalement l’aider, lui. Il était grand, il semblait muscler sous ses chemises toujours bien cadrées, il était poli et bien maniéré, avec de jolis mots qui rendaient toutes ses phrases intelligentes. Noy n’était qu’une petite puce à côté de lui, même pas capable de se faire des amis. Ce n’était pourtant pas une raison pour lui d’abandonner l’idée. Il avait peut-être (sans doute) mal agi la dernière fois, mais il était hors de question de récidiver. Depuis le rendez-vous, Songki l’avait en quelque sorte ignoré, ne lui donnant plus la même attention qu’avant. Et oh, son petit cœur en était encore plus enflammé.

« Pourtant, c’est un chic type, vraiment, reprit-il dans son monologue. Il vous aurait sorti de tout ça sans même réfléchir, c’est sûr… »

Posant son coude sur son genoux, il cala sa joue contre la paume de sa main, le regardant toujours sans amorcer le moindre mouvement vers lui. Cela ne lui venait même pas à l’esprit. Un soupir lui échappa en imaginant le professeur Park soulever les cordages à la seule force de ses bras, devenant presque l’une de ses figures de ses k-dramas qui faisaient rêver. Et donc, il préférait penser à cela plutôt que d’aider un homme réellement dans le besoin. Nous avons tous des priorités différentes, merci de les respecter. Pour lui, se faire des films sur Monsieur Park était bien plus constructifs que de donner un coup de main. La logique est propre à chacun.

Les pieds s'embrouillent. (Noy)

Coincé dans la corde tu espères que la providence va t'envoyer de l'aide. Et elle semble avoir entendu ton appel spirituel quand cet homme finit par débarquer sur le pont de MinHo. Mais au bout de quelques secondes tu te demandes si elle a bien choisi l'individu qui pourrait potentiellement te sortir du merdier dans lequel tu es bloqué. Il ne semble pas comprendre grand chose. Tu entends bien son petit accent, mais ce n'est pas un signe de non intelligence en soit. Il est étranger et alors ? Il peut quand même voir que tu as besoin d'un coup de main. Il n'y a pas besoin de savoir compter  ou parler pour le comprendre. La situation se voit en un coup d'oeil et l'évidence s'étale alors que le cordage encercle ton corps le maîtrisant avec habileté en t'empêchant tous mouvements pour te tirer d'affaire. Mais l'homme même face à toi semble ne pas bien voir ce qui se dessine devant ses yeux. Bien sur tu restes poli, tu ne veux pas voir s'envoler, par un manque de respect, la seule solution à ton problème. Même si tu as envie de le secouer et de lui taper sur le crane pour lui fait entrer dans la tête le fait que oui tu es coincé et oui tu as besoin de lui. Il est plus du genre à t'étudier comme une bête curieuse, un peu comme s'il était dans un zoo, il prend même des photos. Ce qui te manque de te faire péter un câble. Tu es ridicule dans cette posture et il abuse un peu de la situation. Tu ne peux que riposter par tes mots et il ne semble pas capter la moitié de ce que tu dis. Ou alors il le fait exprès et dans ce cas c'est pire. En plus tu ne le connais pas. Serait-il envoyé par quelqu'un pour se venger d'un fait dont tu n'as pas encore connaissance ? Non ce ne peut qu'être le fruit du hasard vu que rien n'était programmé et que tu te serais bien passé de finir ficeler comme un rôti. « Pourquoi vous n'êtes pas proche de votre image vous ? » Demande rapidement retournée, de nos jours avec tout ce qui défile sur les réseaux sociaux, qui ne fait pas attention. En plus il te prend pour un idiot. « Il ne faut pas être né de la dernière pluie pour comprendre. Et j'ai vu le mouvement de votre doigt. » Pris la main dans le sac le bonhomme, même si tu ne peux pas faire grand chose, s'il la photo a été envoyé tu ne pourras pas arrêter sa diffusion, en tout cas pas tant que tu seras attaché.

Tu éclaircis la situation, ne voulant pas qui s'imagine que tu jouais à des jeux pervers. Mais il réagit comme un gamin en te faisant un clin d’œil et en te tirant la langue. Mais tu as fais quoi au ciel pour mériter un sort pareil et te retrouver face à un abruti qui s'amuse de te voir galérer. Il sort d'où le mec pour ne pas capter que tu as juste besoin qu'il se bouge un peu le cul, et qu'il tire sur cette fichue corde. Tu vas pour laisser sortir un : "putain mais tu es vraiment débile mec". Mais tu le ravales car ton impolitesse n'arrangerait rien. Et jetterait sûrement de l'huile sur le feu. C'est peut être ce qu'il veut, te pousser à bout pour mieux te descendre en flèche ensuite. Un mec de la concurrence qui veut abattre ton business. Celui fait au grand jour ? Ou celui fait dans l'ombre ? Ou les deux ? « J'étais juste en train de bosser et j'ai fais un mouvement. Cela arrive à tout le monde. Mais pensez ce que vous voulez, de toute façon je sens que chercher à vous expliquer est peine perdue.» Et tu soupires blasé, fixant son visage. Pas question que tu oublies sa tronche parce que si un jour tu le recroises tu le jettes à la mer et tant pis s'il ne sait pas nager. Tu ne lui jetteras pas de bouée pour qu'il reste à la surface. Ou mieux encore tu le pends au plus haut mât de ton voilier et tu le laisses se faire ballotter par les vents. Ou tu le files aux requins comme ça même pas de preuve. Et il continue à jouer l'enfant en dévorant sa cochonnerie sucrée. Il ne doit pas avoir de cœur ce mec, même te faire passer ton téléphone que tu demandes gentiment, n'est pas dans ses capacités. Ses mains lui servent à quoi ? Et sa tête ? Aucun geste, aucune réflexion. Aucune prise de décisions et toi tu continues à t'agiter. Et plus tu bouges et plus tu resserres l'emprise du cordage sur ton corps. « Oui mon téléphone. Il est là. » Et tu montres son emplacement d'un signe de tête. Même s'il se voit très bien. Et il se met à bavasser parlant de son professeur. Mais tu t'en moques de ses problèmes, surtout que le dit professeur ne semble pas la solution à TON problème. « Ok mec j'ignore ce que tu cherches mais là faut que tu y mettes un peu du tien d'accord. Sur mon téléphone il y a les numéros de mes hommes d'équipage. » Eux ne chercheront pas midi à quatorze heure pour débarquer et aider leur capitaine. Et tu en oublies le vouvoiement tellement tu es énervé de son incompétence. « Il suffit juste que tu prennes mon portable que je file mon code et que tu en appelles un. Pas compliqué ? » Ton regard se fait suppliant. Tu agites tes épaules impatient qu'il agisse enfin. Te mordant la langue pour éviter de le traiter de tous les noms d'oiseau que tu connais et même en ajouter quitte à les inventer. Parce que là il use ta patience et pourtant tu en as.

Et voilà qu'il repart sur son prof. « Je ne doute pas que c'est un chic type. Toi aussi tu as l'air d'un chic type. Mais là lui il n'est pas là alors que toi tu es en face de moi. Je te guiderais dans tes mouvements. » Parce que vu comment il réfléchit et agit il ne faudrait pas qu'en faisant un faux mouvement il se retrouve attacher avec toi. Là se serait la cerise sur le gâteau. « Et toi tu réfléchis trop. Agis juste s'il te plaît et file moi un coup de main et qu'on en finisse. Parce que là cela devient ridicule. Qu'est ce que tu ne saisis pas dans le fait que j'ai besoin de toi pour sortir de cette situation ? Tu veux de l'argent en contre partie ? » Tu es à deux doigts d'exploser de colère et de déverser ta rage. Tu te demandes comment tu te retiens. « Parce que si tu veux de l'argent je t'en filerais. Tout ce que je désire c'est que tu m'optes cette corde. Il suffit que tu soulèves par là. » Et une nouvelle fois tu uses d'un mouvement de tête pour montrer l'endroit qui doit être au départ tiré. « S'il te plaît aide moi. » Regard qui se fait encore plus suppliant, faut dire que tes doigts commencent à s'engourdir et pas que tes doigts.  Tu vas finir par prier tous les dieux du ciel, de la terre et de la mer pour avoir de l'aide.

Les pieds s'embrouillent. (Dak Ho)

Avec un air penseur, il tapota son téléphone contre son menton, les yeux levés vers le ciel. Était-il proche de son image ? Non, pas vraiment. Il s’affichait sur les réseaux, n’avait pas peur des photos de classe ou même de n’importe quelles situations qui le mettraient face à une caméra. Noy avait toujours fait attention à ne pas être dans une posture compromettante lorsque cela arrivait et il voulait encore garder ce record. Seulement, ce n’était absolument pas le cas de l’homme devant lui, qui gigotait dans ses cordages. C’était dommage, surtout à l’heure actuelle où tout était plus ou moins filmé, surveillé et enregistré. A vrai dire, il devait sans aucun doute y avoir des vidéos d’eux deux en train de discuter. Voir même de la manière dont le capitaine était tombé dans son propre piège. Noy baissa de nouveau les yeux vers lui, haussant alors les épaules en faisant tourner son appareil entre ses doigts, d’un air absent.

« Pas vraiment, non, avoua-t-il. Après tout, on s’affiche tout le temps, partout ! »

Un sourire innocent prit place sur ses lèvres. Il avait Vice, Instagram et beaucoup d’autres applications qui bourraient son téléphone de données. C’était plutôt être de l’autre côté de la barrière qui lui semblait étrange. Tout le monde voulait montrer à quel point sa vie était incroyable. Noy se vantait d’être à Busan pour étudier, d’autres de ses ami.e.s n'hésitaient pas à en faire de même durant leur voyage. Ce n’était pas ce qui manquait, les photos de monuments, de plats particuliers, de visages heureux camouflant la détresse du cafard qui veut retourner sur son petit bout de terre. Il n’y avait que lui qui ne souhaitait pas repartir, il s’était habitué à ne pas porter d’uniforme en allant à la fac, à la démocratie aussi, et à cette atmosphère légèrement rosé qui semblait flotter au-dessus de la ville. (Ou alors il n’y avait que lui qui voyait cela, déformation de tous les dramas qu’il avait vu pour s’instruire un minimum de manière divertissante.) Prenant un air de celui qui ne savait rien, il rangea son téléphone, faisant comme s’il ne savait absolument pas de quoi parlait l’autre homme. Quoi ? Lui le prendre en photo ? Vraiment, ce serait plus que déplacé voyons. Il n’oserait jamais faire une telle chose. Même si tout l’y avait poussé tout de même. Que pouvait-il y faire, il avait toujours été bon public.

Sans émotion, il alla récupérer le téléphone abandonné de l’autre homme, le gardant dans sa main pour l’observer un petit instant. Puis il le déposa devant le visage de celui qui était retenu prisonnier, lui faisant un petit sourire, les lèvres pincées. Il n’aimait pas trop fouiller dans la propriété des autres, principalement parce que si l’on faisait la même chose pour lui, il serait vert. Noy se rendait bien compte qu’il ne lui facilitait en rien la tâche, et que même, il devait bien l’énerver. Mais c’était le but justement. Il la sentait, la corde (sans mauvais jeu de mots) qui allait se rompre en lui et lui faire découvrir une toute nouvelle facette du pirate. Avec sa plus belle voix, il fit comme s’il rougissait, relevant ses épaules de manière timide. Il jouait la comédie, ce qui était très amusant de son côté.

« Vous me trouvez chic ? Vraiment ? demanda-t-il en secouant la main dans l’air. Rahlala, mais même avec ces jolis mots, je ne vais pas ouvrir votre téléphone voyons ! Je ne sais pas sur quoi je pourrais tomber… »

Non, vraiment, c’était bien plus rigolo de continuer de lui parler. Cela l’éloignait des idées moroses. Jamais trop loin, tout de même, de celles reliées à Park Songki. Si ce dernier avait été là, Noy aurait déjà agi. Même s’il se doutait bien que le professeur n’aurait pas laissé autant de temps que lui avant de le libérer. C’est à ça qu’on reconnait les gens biens et dévoués. Noy ne l’était clairement pas. A vrai dire, il avait même une petite idée derrière la tête. La discussion prenait une tournure qu’il appréciait et il allait prendre la proposition avec plaisir. C’était quelque chose quand même de voir un adulte le suppliait pour de l’aide, lui qui n’avait toujours qu’était sous les instructions de ces hommes toujours plus impressionnants. Toujours plus déshumanisants. Ses pupilles s’adoucirent alors qu’il se rapprochait de lui. Mais alors qu’il allait tirer sur l’un des cordages, sa main s’arrêta dans l’air.

« Avant que je ne vous aide, je veux bien une promesse. (Après un petit coup d'œil autour de lui, prenant tout le bateau en considération, il revint sur lui.) J’aimerais faire une sortie en mer avec vous, sur votre bateau. Si je vous retire de ça, vous devez m’offrir un tour ! »

Plutôt que de l’argent, c’était beaucoup plus sympathique de profiter du décor. Il déposa les doigts sur la rugosité des cordes, laissant se balader dessus sans pour autant initier le moindre effort. Déjà, parce qu’il ne savait pas laquelle tirer en première. Et il voulait attendre de l’entendre prononcer haut et clair par le capitaine du navire. Franchement, il ne se serait jamais trop étonné de marchander avec un homme de bateau si on lui avait dit cela un jour. Après tout, il s'appelle Noy Lamon Ouattaiyaphon, rien n’était impossible pour lui. Surtout lorsqu’il avait la chanceuse tendance d’être toujours aux bons endroits, au bon moment.

Les pieds s'embrouillent. (Noy)

A l'intérieur tu es pire qu'une tempête qui gronde, qui monte face à la nonchalance de celui qui te fait face. A l'extérieur tu fais de ton mieux pour maîtriser ton envie de le prendre et de le frapper. Ne se rend t-il compte de rien ? Est-il idiot ? N'a t-il pas toutes les lumières dans son cerveau ? Le fait-il exprès pour s'amuser de ton erreur ? Ou alors c'est juste un pauvre paumé de la vie qui n'a pas un sous d'intelligence ? Ou bien encore pire il est sous une drogue quelconque et la situation lui semble normale ? Tu ne sais que penser et pourtant son comportement te guide plus vers le chemin d'un mec qui agit après mûre réflexion. Oui c'est juste un petit con qui aime se jouer de son prochain quand il est dans une position délicate et tout faire pour le ridiculiser d'avantage. Parce que quand tu l'écoutes il n'a pas l'air bête. Non il est loin d'être bête. Il est juste un gamin désinvolte qui aime user du pouvoir que la vie lui donne. Et là il a saisi sa chance. Vu que tu lui en as servi une sacré tranche sur un plateau en le faisant monter sur le MinHo. Comme tu t'en veux au final, d'avoir sollicité son aide. Et il se joue à merveille des circonstances, enfonçant le clou avec délectation. Sale morveux, tu lui ferais bien avaler sa langue. Tu le jetterais avec plaisir dans la cale, le mettant aux fers et le laissant pourrir. Mais voilà tu es ficelé comme un saucisson et en t' énervant l'étreinte funeste de la corde se fait plus présente. Alors que lui t'observe comme il le ferait d'un objet exposé dans une vitrine. Un objet gigotant, mais sans issue de secours.

Tu ne réponds pas quand il te balance qu'on s'affiche partout. Tu le sais, tu te sers de certains supports pour faire la pub de tes activités. Mais là, là tu n'as pas envie de t'afficher, et encore moins d'être affiché. Tu ne vois pas l'intérêt et la situation est loin d'être amusante. Tu veux juste être détaché, pour finir ton boulot et enfin te poser. Tu veux juste respirer. Et le faire déguerpir de ton voilier à coup de pied dans le cul. Mais rien n'est gagné, il se met à te parler de son prof, prof qui pourrait être ton sauveur, mais  .. Putain qu'il ferme sa bouche et agisse. Quand à se servir de ses mains, tu ignores s'il en est capable, vu que téléphoner pour t'aider à te sortir de ce merdier ne semble pas faire parti de ses options. Est-il seulement capable de se servir de ses mains ? A cet instant tu doutes de tout. Tu pourrais rire de la situation, mais tu as juste envie de hurler. Voir de pleurer, mais pas question de lui montrer. Quoi que si tu hurles il pourrait avoir peur. Et se tirer. Mais au fond est ce que la solitude ne serait pas mieux que sa compagnie qui ne sert à rien à part te foutre le cerveau à l'envers ? Au point que tu es des envies de meurtre. Oui de meurtre. Tu te vois même le noyer. Et toutes les éloges sur son prof. Il en pince pour lui ou tu te fais des idées ? Cliché parfait de l'élève qui craque pour son prof. Pauvre prof avec une tâche pareille il a tout gagné. Tu restes poli et tu essaies de l'amadouer de tes mots. Qui sait en le complimentant cela va peut être faire un déclic dans sa tête. Et le faire agir en homme intelligent. Les voitures se conduisent seules de nos jours, alors tout espoir n'est pas perdu. Un rire nerveux sort de tes lèvres à sa réflexion. Non mais franchement ce mec s'il n'existait pas faudrait l'inventer. « Putain tu es un sacré numéro mec. Tu ne tomberas sur rien à part mes contacts pour la plus part professionnel. » Parce que tu ne te sers pas du même téléphone pour tes activités nocturnes. Tu as envie de te frapper la tête, si un mur était à ta portée et si tu n'étais pas attaché, tu t'activerais dans cette idée. Mais là cela sert à rien même d'y penser. Alors tu essaies une autre méthode. Parce que le temps passe et que ton corps doucement s'engourdit par manque de mouvements. Si l'histoire dure un peu trop, tu vas finir par perdre des membres. Et un nouveau rire nerveux sort de tes lèvres. Tu imagines tellement de choses, que tu pourrais presque écrire un livre sur cette mésaventure. Et lui, lui il reste calme, tranquille, il t'observe toujours comme une chose à étudier sous toutes ses coutures. Guettant tes réactions. Te poussant à bout d'une certaine façon. Il doit prendre son pied le gamin. Alors que toi tu déchantes à chaque seconde de son manque d'activité et d'initiative. Pourtant rien ne semble compliqué à te sortir de cet embrouillage de nœuds qui commence à devenir trop serrer autour de tes articulations.

Tu te dis que peut être en lui offrant une récompense, il se décidera à t'apporter son aide. Tu te moques de perdre quelques billets si dans les secondes qui suivent tu te retrouves délivré du piège dans lequel tu t'es fourré. Et l'idée d'obtenir quelque chose de plus concret qu'un merci semble marcher. Tu vois ses yeux changer et sa main s’apprêter à tirer sur les cordes. Mais il se ravise. Putain ce mec aura ta peau, heureusement que tu n'es pas cardiaque. « Une promesse !!! » Surprise dans la voix. Avec lui tu t'attends un peu à tout et n'importe quoi, vu l'éventail qu'il t'a montré depuis qu'il a posé le pied sur le pont de ton voilier. Tu vois aussi ses yeux partir en recherche  .. En recherche de quoi ? Aucun trésor ne se trouve en ce moment à bord. « Vas-y balance qu'on en finisse. » Le ton de ta voix est blasée. Que va t-il te demander ? Et la demande tombe. Nouveau rire nerveux. Toi qui pensais au pire du pire. Voilà qu'il veut que tu lui offres un tour en mer contre ta délivrance. Il aurait pu le dire plus tôt au lieu de faire traîner l'expérience. « Ok va pour un tour en mer, toute une journée si ça te plaît. Même deux jours. Je suis même prêt à te filer un abonnement à vie. » De toute façon tu sors tous les jours, le mauvais temps ne te fait pas peur. Enfin tu n'es pas fou non plus et tu ne t'aventureras pas si vraiment il y a du gros grain. Tu le regardes agir alors que ses doigts glissent sur la corde, « Au fait tu t'appelles comment ? » Parce qu'avec tout ça aucune présentation n'a été faite. « Moi c'est Dak Ho. Ri Dak Ho. Et si tu veux arriver je pense qu'il faut d'abord tirer ce bout. » D'un mouvement de tête tu lui montres le côté gauche et la boucle à défaire. « Le cordage est lourd prends le à deux mains pour avoir plus de prise. » Tu parles sans donner des ordres, parce que tu ne veux pas prendre le risque qu'il s'arrête dans son geste. Surtout pas maintenant qu'il semble lancé et prêt à t'aider.  

Les pieds s'embrouillent. (Dak Ho)

« “Putain” ? demanda-t-il en le regardant avec de grands yeux. Ça veut dire quoi, “putain” ? »

Il n’avait pas trouvé ça dans son dictionnaire, mais il est vrai qu’il l’avait déjà entendu quelques fois dans quelques séries. Même si, à chaque fois, la traduction thaïlandaise “เอ๋ควาย” indiquait que ce n’était clairement pas une gentille parole. Cela le fait doucement rire, car il ne se vexerait pas pour si peu. De toute sa si petite vie, il avait connu bien pire qu’une remarque pareille. De plus, ce n’était pas dans les habitudes de Noy de se vexer aussi rapidement. Il préférait toujours trouver un moyen de rebondir à l’attaque, plutôt que de monter sur ses grands chevaux. Mais ça, c’est seulement s’il arrivait à percevoir les discours haineux. La plupart du temps, il n’y prêtait même pas attention. Car il savait qu’il était bien au-dessus de tout cela. Surtout maintenant, alors qu’il avait clairement l’avantage dans cette situation. Il ne pouvait pas lui en vouloir de le regarder avec cette colère silencieuse, surtout qu’il le faisait exprès. Il le cherchait. Ses yeux sur le téléphone, il grimaça en secouant la tête. A choisir, il se sacrifierait les ongles pour le défaire des cordages plutôt que de chercher ses contacts. Imaginer, il tombe sur des nudes… EURK !

Ainsi, il lui proposa quelque chose. L’équation n’était pas difficile à faire : l’un aimait la mer, l’autre avait un bateau. Finalement, peut-être qu’ils étaient fait pour se rencontrer, pour vivre des aventures sur l’océan, à la poursuite d’un millier de souvenirs sur les eaux un peu froides du point de vue de Noy, de ce petit coin de la Corée. Et lorsqu’il lui proposa un abonnement à vie (ça, bizarrement, il avait bien compris, c’est drôle comment on comprend mieux les choses qui nous intéressent), son sourire s’élargit sur la totalité de son visage, ravageant un instant ses traits joueurs. Il adorait l’idée, ayant l’impression d’avoir fait l’affaire du siècle. Ce qui devait sans doute être le cas, mais ça, ce n’était qu’à lui d’en décider.  Peut-être que l’homme en face de lui en doutait sérieusement, mais Noy ne pouvait s’empêcher de penser que c’était du gagnant-gagnant. Après tout, il allait le sortir de son cordage, lui sauvant la mise pour le reste de la journée. Et si jamais cela se reproduisait quand Noy était sur le bateau, il n’aura pas besoin de le convaincre pour la peine - oui, pour lui, cela était totalement équitable.

« Un abonnement à vie alors, approuva-t-il alors qu’il se relevait pour mieux regarder l’état des cordes. Je m’appelle Lamon Ouattaiyaphon. Mais, tout le monde m’appelle Noy. Celle-là… ? »

Ses doigts se saisirent d’une des cordes, la faisant glisser pour commencer à défaire le premier nœud. Il est vrai que c’était lourd, de quoi lui faire regretter d’avoir accepté. Mais il y avait l'appât du gain au bout de la course, alors il s’appliqua à le défaire sans aggraver la situation. A chaque manœuvre, il attendait que Dak Ho lui dise quoi faire, vu qu’il semblait plus accoutumé avec les équipements de son bateau que le plus jeune. C’était étrangement fatiguant de devoir faire attention à ne pas tout faire rater et à le coincer de nouveau, voir ne pas tomber dans les maillots. Car si Noy pouvait bien faire quelque chose, c’était tenir parole. Alors, il ne se décourageait pas. Et soudain, il comprit un peu mieux pourquoi le navigateur avait besoin de mains supplémentaires pour se sortir de là. Il n’aurait clairement pas pu le faire tout seul, ce qui l’aurait forcé à attendre jusqu’à l'arrivée de son équipage sans doute. Même pour la personne la plus courageuse, passée toute une nuit, seule sur un bateau, attachée, sans bouger, n’était pas une expérience appréciable, ni très recommandable.

Après un moment qui lui parut à la fois très long et très court, il arriva à le libérer assez pour lui faciliter les mouvements. Et quelques secondes plus tard, ce fut tout le lourd cordage qui tomba sur le sol. Noy bascula alors en arrière, s’asseyant sur les fesses, soufflant un bon coup. Ses mains lui faisaient mal, ainsi que ses biceps, lui qui n’avait jamais été un très grand fan des activités physiques. Il était servi pour la fin du mois au moins. Il était fier, tout de même, d’avoir accompli cela. Alors, il fit un sourire à l’homme, riant même alors qu’il se rendait compte que la nuit commençait à tomber autour d’eux, sa sucette complètement fondu entre ses lèvres. Le sucre lui collait les lèvres, mais il n’en avait que faire.

« Ne me remerciez pas, c’était un plaisir de vous aider, » plaisanta-t-il en retirant le bâtonnet terminé de sa bouche.

Il savait qu’il lui avait fait vivre un enfer, pendant les quelques minutes de leur discussion, à la mener par le bout du nez en se faisant passer pour un abruti fini. Mais il fallait dire qu’il n’était pas fait pour aider les autres, pas de manière aussi altruiste en tout cas. C’est sûr que d'autres se seraient précipités pour le secourir. Mais on ne pouvait pas en demander autant de Noy. Ce n’était pas comme cela qu’on l’avait élevé, si même, on pouvait parler d’éducation ce qu’il avait reçu. Mais le sourire qu’il avait sur le visage ne pouvait pas être plus sincère, alors qu’il continuait de squatter le bateau. Surtout qu’il risquait de passer beaucoup de temps ici à partir de maintenant.

Les pieds s'embrouillent. (Noy)

Tu regardes ta seule planche de salut avec surprise. Un peu emmerdé aussi. Tu n'as pas envie de partir dans un débat sur les mots que tu emploies. Et puis le mot "putain" a tellement de signification que si tu te lances là dedans vous allez y passer la nuit. Et tu commences à en avoir marre d'être attaché. Et puis selon ce que tu dis, le gamin pourrait se barrer ou bien ressortir ton téléphone et bombarder les réseaux de mauvaises choses à ton sujet. « Tout dépend dans quel sens tu l'emploies. Mais ne t'inquiète pas aucune connotation sexuelle ou déplacée dans l'emploi que j'en ai fais. C'est juste que ça me fous en boule que tu penses que tu puisses trouver des trucs louches sur moi dans mon téléphone. C'est juste que là j'en peux plus d'être attaché et coincé, et je n'ai pas réfléchi au choix de mes mots. Désolé si je t'ai offensé ce n'était clairement pas mon intention. » Tu te sens juste frustrer de ne pas pouvoir agir par toi même pour de sortir de ton merdier. Tu te sens juste frustrer d'avoir un mec en face de toi qui tergiverse au lieu d'agir. Tout serait plus simple s'il t'ôtait cette corde, après vous pourrez discuter tranquille de tous les mots du dictionnaire s'il le souhaite. Tu te demandes si tu ne vas pas devoir le supplier, bon pas à genoux parce que tu ne pourras pas le faire, pour enfin obtenir ta libération.

Chercher des solutions. Et surtout trouver la bonne pour voir le bout de cette situation rocambolesque. Tu essaies de savoir ce qui l'inciterait à te délivrer, après tout une carotte pour faire avancer un âne ça marche. Tu dois juste trouver la carotte qui le motiverait à t'aider. L'argent est souvent le moteur de toutes les transactions alors tu lui en proposes, mais au final ce qui intéresse ton futur sauveur c'est une sortie en mer. Tu te dis que cette idée aurait pu venir plus tôt. Mais bon il semble que le gamin aime bien te faire mijoter. Est ce une habitude qu'il a ? Ou bien tu es juste la bonne poire qui lui sert de jouet ce soir ? En tout cas tu entends sa promesse et tu es même prêt à la multiplier jusqu'au bout de ta vie pour qu'enfin tu retrouves l'usage de tes bras et de tes jambes. Parce que plus les secondes passent et plus tu sens un engourdissement dans tous tes membres. « Va pour l'abonnement à vie. » Et tu soupires de soulagement, il va enfin agir. Tu en profites pour te présenter et il en fait de même, la situation sera un peu moins gênante en connaissant vos identités. « Ok Noy. Et oui celle là. » Et vous voilà lancé dans la déconstruction du labyrinthe de cordage que tu as toi même construit dans un faux mouvement. Sous tes conseils, car tu ne peux pas faire grand chose d'autre, Noy tire sur les cordes. Tu espères juste qu'il écoutera bien tes instructions pour que le piège refermait sur toi, ne vienne pas se refermer sur lui. Tu sais que l'effort est conséquent car les cordes sont lourdes et qu'elles abîmes les mains par leurs tressages. « Oui c'est bon tire plus sur la gauche et va plus loin pour qu'elle ne soit pas au milieu. Puis repart sur la droite. » Ton œil avisé fait le chemin avant que Noy ne fasse les gestes, un mauvais sens et le nœud peut d'avantage se resserrer. Et ce n'est pas le but de la manœuvre. Tu préfères qu'il y aille doucement et calmement que se précipiter et tout voir gâcher. Tu n'es plus à la seconde prêt. « Oui vas y continue c'est bien. Je sais elle est lourde mais tu t'en sors bien pour un débutant. » Tu l'encourages pour qu'il ne baisse pas les bras, mais il semble que Noy soit droit dans ses baskets de ce côté là. Et tu sens lentement l'étreinte fatale du cordage se défaire autour de ta poitrine. Tu commences à pouvoir bouger tes bras et tes jambes, ce qui active la circulation de ton sang. « Put .. punaise ça fait du bien. » Tu évites de justesse le mot qui a failli être problématique, ne voulant pas le couper dans son élan.

Et enfin la corde lâche sous les derniers mouvements de Noy, te libérant définitivement. Tu restes là assis, alors que ton sauveteur se retrouve sur les fesses, tu comprends qu'il soit épuisé. « Alors je ne te remercie pas. » Et tu éclates de rire. « Et c'est un plaisir d'être libre. J'ai la sensation d'avoir été dans les anneaux d'un serpent constrictor. Un anaconda aurait fait la même chose que cette corde. Bon j'aurais fini broyé et avalé, mais je suis sûr que la sensation éprouvée est semblable. » Tu te lève faisant très attention de ne pas à nouveau chuter et finir emporter par les nœuds restant. « Bon sang toi tu nous as donné du fil à retordre et dire qu'il faut que je te range. » Parce que c'était le but premier de ton action de départ. Tu passes ta main dans tes cheveux, soufflant un bon coup. « Mais avant tu veux boire un truc ? » Et tu lui tends ta main pour aider Noy à se relever. C'est là que tu remarques ses mains abîmées par l'effort. « Je rangerais cette sauvage après. Là j'en ai pas la force et on doit soigner les paumes de tes mains. En tout cas merci tu m'as bien fais attendre mais tu m'as libéré. Sans toi j'aurais passé la nuit coincé et j'aurais du attendre l'arrivé de mon équipage pour récupérer l'usage de mes membres. » Et toute la nuit pris dans le cordage, tu n'oses même pas imaginer comment tu aurais été au matin. « Viens on descend dans la cabine pour boire un verre et mettre ce qu'il faut sur les marques. » Parce que Noy il a les mains rouges et quelques ampoules sont prêtes à apparaitre, autant limiter les dégâts. Tu passes devant retrouvant doucement l'usage de tes jambes et tu entres dans l'habitacle du voilier. Vous tombez directement dans la pièce à vivre qui sert de cuisine, de salle à manger et de salon. Une pièce vaste tout en bois travaillé entièrement équipée, ornée de hublots qui laissent entrer la lumière du jour ou de les ombres de la nuit.  

Les pieds s'embrouillent. (Dak Ho)

Il allait éviter de lui demander ce que “fous en boule” voulait dire, parce qu’il avait l’impression qu’il l’énervait. Un petit sourire en coin grimpa sur ses lèvres alors qu’il se disait cela. Bien sûr qu’il l’énervait. Noy aurait très  bien pu le libérer dès son arrivée, vu qu’il avait très bien compris la situation. Mais c’était toujours un plaisir de voir des adultes, des gens avec des responsabilités, lui demandaient, à lui, de l’aider. Tout le monde avait trop l’habitude de le prendre pour un enfant encore. Etait-ce sa taille ? Parce qu’il faisait la taille de la plupart des femmes qu’il croisait, mais certainement pas des hommes, qui le dépassaient souvent de plusieurs centimètres. Si ce n’est une tête pour Songki. Dans tous les cas, il était à peu près rassuré de savoir que le nouveau terme qu’il venait d’apprendre était une sorte d’injure qu’il pouvait répéter. C’était toujours bon à savoir. L’un de ses camarades était parti faire des études culinaires en France. Il leur avait parlé du nombre d’insultes et d’injonctions qu’il avait pu entendre en même pas quelques heures derrière les fourneaux. Cela l’avait tellement choqué, qu’il s’était dit ne pas être dans le bon pays. Comment était-ce possible, que cette culture si riche et si belle, puisse posséder autant de synonymes injurieux ? Cela le dépassait. Mais il avait beaucoup amusé le mathématicien, qui adorait découvrir de nouveaux mots à ajouter à son vocabulaire familier. Et ce pirate semblait prêt à lui en apprendre quelques-uns.

Ayant obtenu une sacré récompense, Noy s’appliqua alors à le libérer. C’était plus compliqué qu’il ne l’avait imaginé, la corde était plus lourde que son esprit avait cru la percevoir. Mais d’un autre côté, cela expliquait aussi pourquoi Dak Ho n’avait pas pu s’en libérer tout seul. Et cela faisait sens. Il se démenait comme il pouvait, se disant aussi que ses petites mains - d’une taille proportionnelle à son corps hein - n’étaient pas d’une très grande habileté pour ce genre de manœuvre. Il était un intellectuel, on ne lui demandait jamais de faire pire que de tenir une règle ou un stylo. Pourtant, ce n’était pas la difficulté qui allait l’arrêter. Tout comme il était doué pour énerver les autres, les faire sortir de leurs gonds, titiller la sensible partie de leur cerveau qui se retenait de lui mettre une bonne correction, il était tout aussi têtu. Les mots qu’il imaginait encourageant de l’autre homme l’aider aussi, car Noy faisait du bon travail et c’était toujours sympa de recevoir ce genre d’honneur, même lorsque l’autre était dans une position où il ne pouvait pas faire autrement. Même c’était d’autant plus rigolo de savoir que s’il se trompait, et que si Dak Ho décidait d’élever la voix, il pourrait tout arrêter et repartir en laissant le travail à moitié fait. Heureusement, la corde se détacha et tomba autour de lui avant qu’il ne puisse même s’imaginer partir. S’asseyant en arrière, il profita d’un instant pour se reposer tandis que l’autre lui parlait avec des noms qu’il ne comprenait pas. Noy leva la main, la remuant un instant avant de demander pour la troisième fois.

« Attendez, arrêtez un peu avec vos mots bizarres ! C’est quoi un “serpent constrictor" ? Et un “anaconda” ? »

C’est qu’il le faisait exprès, c’est pas possible. Il avait toujours un mot que Noy ne comprenait pas. Pourtant, le petit thaïlandais avait passé assez de temps à Busan pour pouvoir parler un minimum et comprendre sans trop de problème les discussions anodines de tous les jours. Sauf que Dak Ho ne semblait pas très enclin à lui faciliter la tâche non plus. Etait-ce pour se venger qu’il utilisait des mots aussi compliqués ? Pour que Noy sache qu’il avait une prise sur lui, d’une manière ou d’une autre. Ouais, et bah, si c’était le cas, le plus jeune pouvait totalement commencé à parler en thaï, et là, il fera moins le fier, le bonhomme au bateau. Même si personne ne comprendrait à part lui. Ce qui était idiot en soi. Mais tout l’était. Depuis le moment où ils s’étaient parler, l’un accroché désespérément avec une corde et l’autre en train de profiter de son bonbon, jusqu’à cette main tendue qui l’aida à se relever, en passant outre la discussion sans queue ni tête. Il réussit à comprendre qu’il l’invitait à boire un verre, plus ou moins, et qu’il allait faire quelque chose pour ses mains légèrement abîmées. Bonne initiative ; Noy ne faisait que très peu d’effort physique ainsi, ses mains étaient de vraies perles de douceur, tout juste bonnes à tenir un bouquin. Lui emboitant alors le pas, il ne put retenir une remarque.

« Vous avez toujours un mot que je ne comprends pas dans vos phrases… Le faites-vous exprès ? » demanda-t-il sans aucune colère.

Il trouvait cela tout simplement formidable qu’un individu n’essaye pas de lui parler dans un coréen d’enfant de quatre ans. Certains de ses professeurs le faisaient et c’était toujours très dégradant. Dans la cabine, Noy se permit d’observer autour de lui, y voyant un certain luxe, alors qu’il le suivait. Puis, trouvant un petit coin confortable, il s’y installa, attendant le capitaine. Normalement, ce n’était pas très bien de suivre des inconnus dans des cabines de voiliers, comme ça, surtout après les avoir sorties d’un piège étrange, totalement louche, qui en plus ne lui parlait pas dans un niveau de langue qu’il comprenait. C’était peut-être le bon moment pour s’enfuir. Mais Noy ne fit que tendre la paume de ses mains, lui offrant les légers dégâts sous ses intentions bienfaisantes.

« Et comment s’appelle votre bateau ? voulut-il faire la conversation. Si c’est encore un mot que je ne comprends pas, je considère que vous vous moquez de moi. »

Pour appuyer ses propres, il fit une moue, les sourcils froncés, le regardant avec le plus de sérieux qu’il pouvait avoir avec ce genre d’expression. Noy avait compris qu’il s’agissait du capitaine, car sa manière de se déplacer démontrer immédiatement que tout lui appartenait ici, et qu’il ne devait rien à personne. Et puis aussi, il ne lui aurait pas proposé un abonnement à vie en gage de libération s’il n’était pas sûr de pouvoir lui offrir. Car Noy était tatillon, et n’aurait pas hésité à revenir à la chasse pour avoir son dû. Tout comme il sourit innocemment en retenant pour lui le fait qu’il n’était pas majeur dans ce pays, n’ayant que dix-neuf ans. En Thaïlande, il l’était, mais pas en Corée. Allez savoir pourquoi, mais cela lui avait causé un peu problème lorsqu’il avait voulu tester de l’alcool du pays. Un peu, car il avait réussi à en récupérer de quelqu’un d’autre. Mais donc, il ne dit rien, gardant son âge pour lui, attendant de voir jusqu’où cette histoire pouvait aller. Elle avait si bien commencé, ce serait dommage de l’arrêter comme ça.

Les pieds s'embrouillent. (Noy)

Il semble que tes secondes se transforment en heures interminables, alors que si le gamin y avait mis du sien tout de suite tu serais déjà un homme libre. Mais voilà s'il est monté à bord de ton voilier, c'est plus pour te torturer l'esprit que pour te sortir des cordes entre lesquelles tu es prisonnier. Et ça te fait rager de te sentir à sa merci, de te dire qu'un faux pas, un mot de travers, peut le faire disparaître et te laisser ainsi jusqu'au matin. Alors tu doses, même si parfois tu t'énerves un peu. Mais il y a de quoi, même un patient professionnel perdrait tout son aplomb face aux réactions de ce gosse. Tout comme un homme d'église y perdrait son latin, tellement il semble compliqué à cerner. A part que se ne soit toi qui finisse par avoir le cerveau engorgé à force de voir ces nœuds se serrer le corps. Tu te dis même que tu pourrais vendre ton âme au diable juste pour voir le carcan du cordage enfin céder. Pourquoi on t'inflige pareille situation ? Qu'as tu fais de mal pour mériter un tel châtiment ? En plus il ne faudrait pas grand chose pour te sortir de cette prison. Juste un peu de bonne volonté.

Mais cette bonne volonté n'est pas gratuite et après négociation tu réussis enfin à ce que Noy te file vraiment un coup de main. Et puis ce n'est pas ce que ça va te coûter au final, tu sors en mer tous les jours et un homme en plus à bord, cela ne mangera pas de pain. Qui sait il pourrait filer un coup de main si besoin. En attendant il s'applique et y met toutes ses forces. Car il en faut pour manipuler les lourds cordages, pour les passer par dessus ton corps et les tirer pour éviter qu'ils ne s'embrouillent à nouveau. Et tu l'encourages de tes mots sentant qu'il en a besoin. Et cette attention montre aussi ton intérêt pour ce qu'il fait, il ne faut pas oublier que sur ce coup il te sauve la mise Noy. Et il ne faudrait pas qu'un manque de reconnaissance le face mettre fin à son action avant que tu ne sois totalement libéré. Et enfin tu peux respirer, Noy lui semble complètement épuisé, ce que tu comprends. Tu manies suffisamment souvent tes cordages pour savoir qu'à force d'y tirer dessus les bras et les épaules en deviennent douloureux. Tu te tapes la tête avec la paume de ta mains quand Noy te reprend une nouvelle fois pour tes mots employés. Pourtant tu n'as pas un langage difficile. Tu soupires et tu souffles. « Ce ne sont pas des mots compliqués. Tu sais ce qu'est un serpent tout de même ? Un anaconda c'est un gros serpent de la race des boas pour être précis. Ce sont des serpents qui étouffent leurs proies en les entourant de leurs corps, avant de les bouffer. D'où l'image en parallèle de la corde et du serpent constrictor. Tu comprends mieux ? » Tu ne t'énerves pas, de toute façon cela ne servirait à rien. Tu as bien entendu son accent et peut être qu'il ne saisit pas tous les sonorités coréennes. Tu espères qu'avec ton explication Noy y verra plus clair, sinon tu lui montreras des photos sur internet. « Et non je ne le fais pas exprès ce sont des mots qui viennent tout seul, désolé si tu ne les saisis pas tous. Je vais faire plus attention. » Mais là avant toute chose tu veux boire un verre. Et soigner ses mains qui ont morflé par l'effort.

Noy te suit sans rouspéter dans la partie cabine. Tu le laisses s'installer, pendant ce temps tu vas chercher de quoi soulager ces blessures. Au passage tu prends de quoi boire, deux verres et une bouteille de rhum, tu poses le tout sur la table et puis tu vas chercher au frais une bouteille de jus d'orange. Tu récupères ses paumes pour les désinfecter avec un produit doux. Tu ne veux pas prendre le risque de l'entendre hurler si tu utilises de l'alcool à 90°. Et cette fois tu éclates de rire à sa demande. Pas par rapport au fait que Noy demande le nom de ton voilier mais parce qu'il insiste sur le fait de ne pas employer des mots compliqués. « Je t'ai dis que je me me moquais pas de toi. Et arrête le vouvoiement ok, je ne suis pas si vieux que ça. » Même si Noy doit à peine avoir la vingtaine. « Et pour le nom de mon voilier c'est le MinHo. » Tu l'épelles pour qu'il comprenne, en précisant la subtilité des majuscules. « C'est l'alliance de deux prénoms. Mon petit ami .. » Hésitation dans la voix, avant de soupirer. « Enfin mon ex s'appelle Minjun. Et moi c'est Dak Ho. J'ai pris le début de son nom MIN et la fin du mien HO et je les ai accolé. Rien de compliqué. » Et tu lui souris tout en étalant la pommade avant de mettre une gaze et une petite bande. « Il faudra que tu surveilles ce n'est qu'une brûlure légère du aux frottements, mais il faut y faire attention. » Puis tu regardes les verres et les bouteilles. « Du rhum orange cela te tente ? Sauf si tu ne bois pas d'alcool. » Ce n'est pas toi qui iras crier au loup si un gamin boit une gorgée de rhum sur ton bateau. « Au fait ton accent tu le tiens d'où ? Enfin si ce n'est pas indiscret bien sur. » Parce que parler de certaines choses peut l'embêter et tu ne veux pas qu'il pense que tu es un mec curieux. C'est juste pour faire un peu plus connaissance et saisir le fond du problème face à ses incompréhensions de langage.

Les pieds s'embrouillent. (Dak Ho)

Penchant la tête sur le côté, Noy le fixa avec intensité. Est-ce qu’il était en train de lui expliquer les mots comme s’il s'adressait à un enfant de trois ans ? C’était étrange de se faire ainsi décrire un serpent, alors qu’il avait dû en voir plus dans sa vie que l’homme devant lui. Mais il le laissa faire, attendant calmement au lieu de le couper. Il voulait lui parler comme ça ? Très bien. Ils allaient parler comme ça. Noy savait que son coréen n’était pas très bon, qu’il lui manquait beaucoup de vocabulaire et que les phrases qu’il sortait n’étaient pas toujours correctes. Pourtant, ce n’était pas une raison pour lui sortir “Ce ne sont pas des mots compliqués.” suivi d’un “... tout de même.” dans le même monologue. Oh, il n’était pas débile, il savait ce que c’était un serpent. Seulement, contrairement à un natif, il ne connaissait pas tous les mots de la langue qu’il apprenait. D’ailleurs pour se faciliter la vie, il en apprenait deux en même temps. Alors qu’il était en majeur mathématique avancée, en master, à dix-neuf ans. Il n’allait pas se laisser prendre de haut par un homme qui ne savait même pas ranger son propre environnement de travail.

« Je sais ce qu’est un serpent, merci, répondit-il en le jugeant du regard. Pas besoin de me parler comme si j’avais trois ans vous savez… C’est pas parce que vous approchez la centaine que  vous pouvez m’expliquer le vocabulaire comme ça. Désolé d’essayer d’apprendre votre langue. »

Soutenant toujours son regard, il mit ses mains dans ses poches. D’accord, peut-être qu’il avait pris un peu trop la mouche. Mais c’était déjà assez humiliant comme ça de devoir demander des explications toutes les deux phrases, si en plus on l’enfonçait comme ça, c’était vraiment pas cool. Noy, en plus, détestait se retrouver en position de faiblesse. Avoir toujours plus ou moins la main sur ce qu’il se passait était rassurant pour lui, lui permettant de ne pas se sentir en danger. Tout pouvait se retourner contre lui à n’importe quelle moment. Et ne pas comprendre ce qu’on lui disait le fatiguait. Au début, il n’avait pas fait beaucoup d’effort, se disant que ce n’était pas pour très longtemps de toute façon. Mais au final, il voulait rester et était obligé d’apprendre toute une vie d’anglais et de coréen, en quelques mois. Vraiment, s’il n’était pas un génie en maths, on se demanderait où allait son intelligence. Grognant alors un juron thaïlandais, à peine audible, il suivit Dak Ho à l’intérieur du bateau. Il avait vraiment trop mal aux mains pour repartir comme ça. Et il voulait une autre récompense.

Il avait montré ses mains sans broncher, le laissant le soigner avec ce qu’il avait comme soin. A sans grande surprise, cela ne fit pas mal. Il avait été habitué à l'antiseptique brutal de pensionnat, surtout quand l’infirmier ne les ménageait pas pour être sorti en douce dans la nuit. Du coup, il n’était pas sûr que cela marche réellement. Ce n’était pas qu’il n’avait pas confiance, mais il savait que si ça ne piquait pas, c’est que ça ne désinfectait pas. Et là, il avait un doute sur la légitimité de ce produit. Malheureusement, il pouvait à peine lire le coréen, et encore moins un produit médical. Il fallait juste espérer que Dak Ho n'avait pas sorti la version enfant du désinfectant. Pour faire passer le temps, il lui avait posé une question, ce qui tira un rire de l’autre homme, intriguant Noy. L’écoutant alors le reprendre sur le vouvoiement, ses yeux firent un tour complet de haut en bas, avant qu’il ne secoue la tête. Nope, il allait continuer de le vouvoyer. Et en plus, si ça le mettait dans cet état, c’était encore plus pratique. Comme quoi, ses lacunes en langue pouvaient même l’aider dans ses plans d’emmerdeur professionnel. La suite de l’histoire, par contre, l'intéressa un peu plus. Un ex-petit-copain donc. Et vu la manière dont il avait hésité, il n’était pas passé par-dessus. Aah… Si typique.

« Donc, vous avez gardé la partie du nom de votre ex sur votre bateau, souligna-t-il sans s'embarrasser. Vous l’aimez toujours ? »

Faire dans la dentelle n’était pas son fort, il n’aimait pas tout simplement. Noy aimait être franc avec tout le monde, sauf avec lui-même. Et ça commençait par mettre les autres devant leur propre sentiment. Il ne le lâcha pas du regard, voulant une réponse. Même si ce n’était qu’un “C’est pas tes affaires, merde !” il accepterait. Parce que ça lui donnera une réponse en soi. Mais son attention fut détourné par les verres et la proposition, hochant alors la tête, il se dit que les choses devenaient intéressantes. Il avait déjà bu de l’alcool, bien sûr, mais en Corée, vu son âge, il ne pouvait pas. Bizarrement, pour un pays qui misait beaucoup leur relation sociale sur l’alcool et les sorties au bar, les restrictions pour les mineurs le surprenaient beaucoup. Il parlait comme si son pays était plus blanc que neige. Seulement, ce n’était pas tellement comparable. Car, après tout, le sien était une dictature.

« Je suis thaïlandais, répondit-il en lui tendant son verre. Mon nom de famille ne vous a pas donné d’idée ? »

Il ne devait pas y avoir beaucoup d’Ouattaiyaphon d’origine en Corée. Tout simplement parce que c’était impossible que d’autres personnes de sa famille se soient expatriées dans ce pays. La Thaïlande avait cette particularité que chaque nom de famille soit propre à une seule famille. Si jamais vous croisez la route d’un autre Ouattaiyaphon, cet individu serait directement ou indirectement relié à Noy. C’était bon à savoir s’il voulait retrouver sa famille ; ce qu’il ne voulait absolument pas faire. Il leva son verre vers son hôte, avant de trinquer et d’en boire une gorgée. L’alcool lui brûla la gorge, mais sans plus. Le goût du jus de fruit resta sur l’arrière de sa langue. Qui aurait cru qu’aider un pirate lui donnerait un verre de rhum ? Bon, c’est sûr que ça tombait sous le sens. Noy venait de faire ami-ami avec un pirate.

Les pieds s'embrouillent. (Noy)

Enfin tu peux souffler. Enfin tu es libéré de ce maudit serpent fait de cordage. Tu as cru un instant que cette seconde jamais n'arriverait. Faut dire que ton sauveur était assez bizarre niveau comportement. Par moment tu n'as pas trop saisi si Noy se moquait de toi et de la situation dans laquelle tu t'étais mise. Ou s'il n'avait vraiment pas compris ce qui se passer et le fait que tu sois dans l'impossibilité de te sortir seul du merdier. Mais tout est bien qui finit bien. Tout est terminé, tu peux enfin bouger. Tu peux de nouveau sentir tes poumons se gonfler pleinement d'air. Tu peux sentir ton sang circuler dans tes membres qui s'étaient engourdis sous le blocage et le poids de la corde.
Tu expliques que tu as vu la corde comme un grand serpent prêt à t'étouffer mais il semble que l'image ne passe pas réellement dans le cerveau de Noy. Alors comme on le ferait à un enfant tu expliques. Tu y vas fort sans vraiment en prendre conscience, l'homme que tu as en face de toi n'a pas trois ans. Et même s'il n'a pas tout saisit, il a quand même la notion des choses. Et d'ailleurs il ne se gêne pas pour te signifier que bon là c'était un peu pousser le bouchon que de lui parler de la sorte. Et ses mots sont appuyés d'un regard qui te fait baisser les yeux. Quel con tu es. Peut être que c'est toute cette histoire et le temps que Noy t'a fait attendre avant de passer à l'acte qui a noyé ton cerveau d'idiotie. Peut être qu'il a même manqué un peu d'oxygène ce qui t'a fait perdre le sens des réalités.
Et boum prends ça dans les dents capitaine. Tu lui souris. « Non non c'est moi qui doit être désolé. Je m'excuse. Et je ne voulais nullement te vexer ou me moquer de toi. J'y étais un peu fort. » Tu gardes une voix calme car tu ne veux pas envenimer la situation surtout que Noy a vraiment l'air vexé. Pire qu'un gamin a qui on aurait volé son goûter. Même si le coup de l'âge te reste en travers de la gorge, parce que les rides n'ont pas encore accroché tes traits. « On va dire qu'on est tous les deux un peu tendu. J'avoue que j'étais sur les nerfs que te voir me taquiner alors que je n'avais qu'une envie sortir de là. Et c'est bien de vouloir apprendre le coréen. Je suis un idiot c'est tout. Et je ne suis pas si vieux que ça tu sais. » Tu ne veux pas le voir fuir alors qu'il vient de te sauver la mise. Et puis il faut que tu t'occupes de ses mains.

Tu lui proposes de le soigner et pour faciliter cette tâche vous descendez dans les cabines. Tout le nécessaire s'y trouve et en plus vous pourrez boire un verre. Lui aussi sera le bienvenu et en plus largement mérité vu tout ce qu'il vient de se passer. Tu commences par ses mains, t'appliquant pour ne pas lui faire mal. Tu réponds à ses questions, Noy alterne entre le tutoiement et le vouvoiement. Tu essaies de lui faire comprendre une nouvelle fois qu'il pouvait te tutoyer, tu n'as même pas trente ans. Et même si lui est plus jeune que toi et qu'il y a toute cette notion de respect, pas la peine d'y mettre trop de forme. Mais il semble vouloir te taquiner sur ce sujet avant de venir t'interroger sur ton voilier et sur son nom.
Tu aurais  bien éviter ce sujet là, parce que parler de Minjun est toujours difficile. Tu t'en veux tellement d'être la cause de votre rupture. Une erreur fatale que ton ex ne semble pas être prêt à pardonner. Tu ne sais même pas si un jour il y arrivera. Tu soupires. Noy ne se rend t-il pas compte qu'il tourne le couteau dans la plaie ? « A vrai dire j'ai baptisé mon bateau avant même que l'on ne soit ensemble. On se connait depuis l'enfance c'était une évidence pour moi. Il comptait beaucoup et je pense que les sentiments étaient là avant que l'on sorte ensemble  …. » Tu soupires de nouveau. Est ce que tu dois répondre à la suite ? Est ce que cela ne se voit-il pas que oui tu l'aimes toujours ? Tu l'aimes à en crever. Et tu en crèves tous les jours de l'avoir perdu. « Cela te servira à quoi de savoir si je l'aime encore ? Cela changera quoi à ma vie de te le dire ? En plus c'est personnel et on ne se connaît pas assez pour aller à  ce genre de confidence. J'en ai déjà trop dit. Je préfère qu'on parle d'autre chose. Ok. » Et pour justement changer de sujet tu commences à servir les verres. Tu en as besoin d'un.

Et tu avales le tien direct avant de t'en resservir un, tout en lui demandant d'où il vient. Pour Noy son nom de famille aurait du me mettre sur la voie. « Non je n'y ai pas pensé sur le coup. J'avais plus la tête à me sortir de ma corde qu'à réfléchir aux origines de ton nom de famille. Je comprends mieux le fait que tu m'aies reproché de parler trop vite ou de mal m'expliquer. Excuse moi mais cette soirée a mis mon cerveau sur off. Ma journée avait été bien chargée entre les sorties en mer et les plongées. Plus le rangement et ce sale coup de matériel. Enfin. » Nouveau soupir de lassitude. Ta nuit a été courte aussi, c'est ça quand on fait des activités nocturnes illégales. Heureusement que ce soir tu n'as rien de prévu. Tu t'installes sur une chaise et tu le sers. Alors que tu descends ton verre plus lentement cette fois. « Alors le rhum ça te plaît ? Tu en avais déjà bu ?  Et si ce n'est pas indiscret tu fais quoi à Busan ? C'est pour tes études ? » Tu ne veux pas jouer les curieux mais après tout il t'a posé des questions alors tu te dis que tu peux en faire de même. Après s'il ne veut pas répondre tu ne le forceras pas.

Les pieds s'embrouillent. (Dak Ho)

Son expression se tranforma totalement en l’entendant, ainsi que sa posture. Un sourcil levé, le torse légèrement reculé, la lèvre supérieur relevée, alors que ses yeux le jaugeaient sur toute sa grandeur, Noy suspecta que Dak Ho n’avait pas capté son ironie. Est-ce qu’il lui sortait qu’il ne s’était pas vraiment excuser ou est-ce qu’il laissait couler ? Il n’était pas si bête que ça ; il savait qu’ils étaient partie sur de mauvaises bases tous les deux. Sa mauvaise foi lui dira que cela venait des deux parties, mais en vérité, il n’y avait que Noy réellement impliqué dans leur discordance. On ne pouvait pas dire que son inaction alors que l’autre homme était coincé avait aidé à la discussion pacifique et honnête. Mais en même temps… C’était si drôle ! Pour rien au monde il n’aurait laissé passé cette opportunité de rire du malheur de quelqu’un d’autre, et surement pas lorsque la situation était plus qu’improbable. Pour tout réponse, il lâcha un soupire, roulant des yeux, pour bien faire comprendre que, de un, il ne voulait pas en rajouter, et que, de deux, il n’était pas du tout satisfait de sa réponse. Quoi ? Il n’était pas si exigeant que ça quand même. Il voulait juste qu’on comprenne son humour.

« Au moins, vous le savez, dit-il quand même, sans pouvoir se retenir. Et si, vous l’êtes, vieux. »

Avec son visage de poupin, il était difficile de dire quel âge il pouvait réellement avoir, oscillant entre dix-huit et vingt-cinq ans. Et sa taille, ne dépassant même pas le mètre soixante-dix, n’aidait en rien. Noy était petit et semblait jeune. Un bon atout qu’il comptait garder encore longtemps pour se moquer de ceux qui pensaient avoir encore quelques années devant eux avant qu’on ne les traite comme des trentenaires. De nouveau, un plaisir coupable auquel il s’adonnait avec plus que de joie.  Peut-être qu’il s’arrêtera quand on ne lui parlera plus comme s’il venait tout juste d’apprendre à se servir de couverts. Pourtant, il suivit l’homme comme s’il ne venait pas tout juste de montrer son insolence. Par des petits pas de poussins, il se retrouva dans l’estomac du bateau, à l’aise. La mer avait toujours été une amie pour lui. Son premier souvenir se trouvait d’ailleurs sur une plage, où le soleil ne semblait jamais s’éteindre. Il voyait une silouhette, toujours. Même s’il ne savait qui était-ce, pourquoi était-elle là ou même s’il s’agissait d’un membre de sa famille. Ses yeux inspectèrent autour de lui, le temps de l’attente, avant de montrer ses mains pour les faire soigner. Et Dak Ho lui avait tendu une perche, que Noy avait aggripé à deux mains, et qu’il n’allait pas lâcher de sitôt.

Qui n’aimait pas s’investir dans les affaires des autres ? Je veux dire… Tout le monde aime savoir les derniers potins, ce qu’il se passe dans la vie de gens où, même en le sachant, cela ne va rien changer à la votre. Noy n’échappait pas à la règle et il voulait connaître cette histoire d’amour tragique que semblait vivre le capitaine du bateau. Peut-être qu’en même temps, il pourra se distaire de sa propre relation qui n’en était même pas encore une, plus que chaotique, avec une chance de réussite d’à peine cinq pour cent. Pourtant, il aimait bien y croire, à ce possible futur ; ça l’empêchait de s’endormir en cours de langue coréenne. En soit, elle était plutôt interessante, son anecdocte. Et de nouveau, la curiosité monta. S’ils semblaient autant s’aimer, pourquoi n’étaient-ils plus ensemble ? Oh, Noy n’était pas bête et savait très bien que la vie faisait souvent en sorte de séparer les gens. Mais quand même, à voir comment Dak Oh parlait de lui, ce n’était pas juste une remarque par-dessus l’épaule. S’accoudant à la table, il cala sa joue sur sa paume à peine soignée, regardant son hôte intensité.

« Et alors ? demanda-t-il en haussant les épaules. Même en étant des étrangers, nous pouvons parler. Ce n’est pas le principe des… heu… des… les gens qui écoutent les problèmes. J’ai pas le mot, bref ! (Il remua de la main.) Comme vous voulez, mais c’est dommage, vous commenciez à être intéressant. »

Oui, Noy adorait remuer la pointe des couteaux dans les entailles déjà profondes. Pas que faire souffrir les autres étaient attrayant - il pouvait très bien le faire sans avoir à toucher aux côtés plus émotionnels -, c’était plutôt qu’il pouvait être au courant d’un peu de tout, sans lui-même trop en raconter sur lui. Il n’aimait pas le faire, principalement parce que son passé était plus houleux que sa jolie bouille ne le laissait deviner. Il possédait cette facilité de détourner la conversation, pour que personne ne s’intéresse de trop près à lui, sans pour autant faire mourir le sujet. Dévoiler, oui, mais juste la surface. Avec attention, il le regarda descendre son premier verre, lui qui ne prit que deux gorgées pour vider un peu de son verre. Et comme prédit, le sujet dérive sur lui, pour son nom de famille, si atypique dans le coin, par sa longueur sans doute. C’est à son tour d’avoir des questions. Est-ce qu’il l’avait autant vexé que cela en lui parlant de son ex-petit-copain ? La rupture avait dû être difficile. Il voulait tellement savoir ce qu’il s’était passé.

« Vous vous trouvez des excuses, hmmm... remarqua-t-il. Je suis ici pour mes études, oui. Je suis en troisième année de mathématiques avancées. (Il but de nouveau dans son verre avant de le regarder de nouveau.) Vous connaissez les sept problèmes du millionnaires ? Ce sont des problèmes mathématiques jamais résolus. Mon but est d’en résoudre le plus possible. »

Si déjà, il arrivait à avoir la validation de sa licence. Même si n’importe qui pouvait s’atteler à la tache de réussir ses fameux problèmes impossibles, la parole avait toujours plus de poids lorsqu’elle était émise dans le cercle tellement réduit des mathématiciens. Noy avait déjà fait ses preuves à plusieurs reprises. Mais venant d’un pays du Sud de l’Asie, ses réponses allaient faire autant de ronds dans l’eau qu’un souffle de vide ; personne n’allait prêt attention aux racontages d’un jeune adulte thaïlandais. Non, on préférait toujours ceux des pays déjà dans la bonne ligne. Les Etats-Unis et la Chine par exemple. Le Japon, parfois. Quelques fois certains pays d’Europe. Et puis, récemment, la Corée du Sud. Il avait été accepté dans plusieurs autre pays. Mais, pour ne pas finir sous la coupe d’une nouvelle dictature, et sans vouloir quitter son continent, il avait atterrie à Busan. Il ne regrettait pas. Loin de là. Il s’amusait bien même. Ce pays avait plus de choses à offrir qu’il ne l’avait pensé au premier abord.

Présentant son verre vide à la bouteille de Dak Ho, il en demanda un autre. Il avait déjà bu. L’alcool avait moins de restriction dans son pays natal, tout comme les jeunes mineurs n’étaient pas obligé de rentrer à une certaine heure. Même si Noy avait passé la moitié de sa vie dans un pensionna pour garçon, il avait aussi découvert les joies de l’université à seize ans. Et c’était jeune, seize ans. Un peu trop, sans doute. Au moins, il était rodé, et le verre que lui présentait Dak Ho ne l'effrayait pas plus que cela. La Corée était relativement tranquille, il n’avait pas à avoir peur de rentrer ébréché. Même s’il s’endormait ici, en soi, il était assez léger pour ne pas trop déranger. Plissant alors des yeux, il reposa ce deuxième verre à moitié consommé avant de demander :

« Si vous pouviez remonter dans le temps, que feriez-vous différemment ? »

Okay bon. Il avait bu. Cela faisait longtemps. Le rhum est un alcool fort. Peut-être qu’il allait commencer à dériver. Mais ce n’était pas si grave que ça, pas vrai ?

Les pieds s'embrouillent. (Noy)

Vous étiez, il est certain, parti d'un très mauvais pied. Bon la situation avait été guère amusante pour toi, finir ficelé comme un saucisson face à un inconnu, pas évident. Avec l'horrible sensation que tu n'étais qu'un amusement et que Noy avait pris un malin plaisir à torturer. Ajouté à cette situation rocambolesque l'incompréhension du à la barrière de la langue. Ce qui a causé quelques désagréments dans les paroles dites alors qu'elles n'étaient pas faites pour blesser ou mettre à mal. En tout cas rien de bien positif dés la première seconde de votre rencontre. Et tout ce malaise ressortait à présent et se faisait plus pesant. Comment se sortir de cette embrouille ?
Repartir de zéro et faire abstraction des petits inconvénients causés, tant bien vous en rirez plus tard si un jour vous avez l'occasion d'en reparler. Et tu ne relèves pas la dernière remarque, insister pourrait à nouveau envenimer les choses et ce n'est pas ce que tu souhaites. Là tu veux juste descendre dans la cabine, boire un verre et s'occuper de ses mains, pas habituées à l'effort qu'a demandé le retrait de la corde, elles ont besoin d'être soignée. Et tu vas également faire attention aux mots que tu vas employer, ne pas prendre le risque d'un double sens, ou d'un sens mal compris. Chat échaudé craint l'eau chaude et tu avais été sérieusement échaudé. Bien sur Noy à la base n'était pas le fautif, tu ne pouvais que t'en prendre à toi même et à ton inattention. Mais là ton vase est plein et une goutte de trop pourrait le faire verser à tout moment. Ce n'est vraiment pas ce dont tu as envie à cet instant. Quelques verres d'alcool, peut être une discussion, sans ombrage avec ton sauveur. Et puis une bonne nuit de sommeil pour être fin prêt pour ta journée de demain. Programme établi et tu comptes bien t'y tenir.

Vous voilà dans la cabine principale, verres servis et posés sur la table. Mains regardées et soignées. Tu peux enfin avaler l'alcool qui va doucement te calmer. Tu réponds aux questions, mais Noy se fait un peu trop curieux. Parler de ton histoire avec Minjun n'est pas toujours une chose simple. Tu te prends à chaque fois ta faute en pleine tronche et tu vois tout ce que tu as perdu. Tu vois s'effondrer tous les projets que dans ta tête, avec lui, tu avais construit. C'est un coup dans ton cœur qui éveille bien des douleurs. Et tu n'as pas envie de t'étaler sur ta vie privée. Le mot veut bien dire ce qu'il veut dire. Tu te laisses un peu aller à la confidence peut être un peu trop. Noy en veut plus. Et toi tu veux juste ne pas y penser. « Ces gens là s'appellent des psys. Mais tu n'es pas psy et ce n'est pas l'heure pour parler de ce sujet. C'est une belle histoire qui a fini tragiquement par ma faute, il n'y a rien de plus à ajouter. Enfin pas ce soir. » Pas à cet instant ou tu as juste envie de garder pour toi tout ce qui te ramène à Minjun. Même le nom de ton bateau t'y conduit. Tu veux juste boire ton verre, laisser passer les heures et demain sera un autre jour. Peut être aussi triste que le précédent, peut être horrible comme ton début de soirée. Mais plus jamais aussi doux et chaud que lorsque tu étais avec ton amoureux. Tu le sais, toute la stabilité de ta vie c'est brisé quand tu l'as vu s'enfuir alors que tu fautais dans ta cabine. Quand tu y penses même ton voilier tu devrais le détester. Tu soupires, avales quelques gorgées de plus. Essayant de guider la conversation sur d'autres rails que ceux de ta vie. Parce que Noy pourrait aussi parler de lui.

Et tu le regardes sourire aux lèvres. « Moi me chercher des excuses. Pas du tout, je trouve logique d'en apprendre un peu plus sur toi. » C'est un peu du donnant donnant, peut être que si ton sauveur se livre, tu en diras un peu plus sur toi. Juste ce qu'il faut. Juste les choses qui n'égratigneront pas ton cœur. Et tu l'écoutes avant de prendre un air surpris quand il te parle de problèmes de millionnaires. « Jamais entendu parlé. Je n'ai pas fais des études poussées pour avoir abordé ce genre de sujet. Et le métier de marin et puis de capitaine je l'ai appris sur le tas. Les math servent pour calculer les degrés, les latitudes, mais je ne vois pas du tout  quels sont ces problèmes. » Est ce qu'il était sérieux ? Est ce qu'une nouvelle fois il se moquait de lui ? « Tu dois être une boule alors si tu cherches à faire ce genre de chose. » Un mec super intelligent qui avait pris un malin plaisir à te voir dans une drôle de posture et qui avait pris son temps pour te tirer de ton infortune. Et tu lui ressers un verre, l'alcool cela délie les langues et encore plus s'il n'en a pas l'habitude. Toi le rhum ça te connaît. Tu seras tenir la tienne ou dire que ce que tu voudras dire, si les questions reviennent sur toi. « Du coup tu t'es retrouvé à Busan pour continuer tes études ? » Peut être plus de facilité, même s'il existait pas mal de difficulté, dont la langue. « Euh ! Quoi ? » Tu as très bien entendu la question, c'est juste que tu n'as pas voulu qu'elle vienne trop vite te ronger la tête. C'est sur que déjà tu éviterais cette putain d'erreur, tu ne coucherais pas avec cette sirène qui t'avait charmé de tous ses atouts. Tu ne piétinerais pas le cœur de l'homme que tu aimes et qui se tient à présent loin de toi pour se remettre de cet outrage. « On ne peut pas remonter le temps. Alors cela servirait à quoi de se dire ce qu'on changerait. Vu qu'on ne peut pas le changer. C'est juste se torturer un peu plus sur des erreurs commises. Autant se racheter et se faire pardonner que d'avoir envie de retourner à la base du problème pour l'éviter. » Oui c'est bien mieux ainsi. Et c'est ce que tu essaies de faire avec Minjun, lui laissant l'espace dont il a besoin pour se remettre de cette tromperie. Tu prends des nouvelles, tu es là à veiller dans un coin pour t'assurer que rien ne mal ne lui arrive. Et puis tu espères qu'un jour tu pourras revenir dans sa vie. Et qu'à nouveau vous pourrez rebâtir une relation ensemble. « Vouloir changer le passé ne sert à rien, Il faut choyer le présent et penser à l'avenir et tout faire pour que tout se passe bien. » Et tu avales un nouveau verre. La fatigue marque ton visage, la tristesse de l'évidence aussi. Le perdre a été un coup de poignard dans ton cœur. Maintenant tu ne fais qu'espérer. Espérer le retrouver.

Les pieds s'embrouillent. (Dak Ho)

Dak Ho marquait un point : Noy n’était pas un… heu… un quelqu’un qui écoute et résout les problèmes des autres. Non, la plupart du temps, il pouvait en être la raison, le point de départ. Et souvent contre son gré. Parfois il en avait complètement conscience. Mais apparemment, le marin ne semblait pas vouloir en parler plus, ce qui attira une mine boudeuse sur le visage de l’étudiant. Au moins, il sait qu’il y a une “belle histoire qui finit tragiquement” qui l’attend quelque part et ça, c’était plutôt plaisant. Noy pouvait bien attendre, Dak Ho n’allait pas le voir disparaître avant un bon bout de temps. Vu la proposition qu’il lui avait faite, il était sûr et certain que le plus jeune allait venir squatter les quartiers du maître de bord. Alors, se disant qu’il aura le temps de lui tirer des informations plus tard - pas dans la soirée mais dans la semaine, voir le mois - il laissa couler, buvant simplement le verre servi avec attention. Noy était habitué des alcools et celui-là lui piquait la gorge. Mais c’était agréable, comme une sensation chaude dans la gorge, un remède qui engourdissait les sens et permettait un instant de ne plus savoir où se trouvait la réalité. Malgré la petite carrure, il était plutôt tenace pour soutenir ce genre de boissons, n’ayant pas peur d’en redemander lorsque son verre arriva à sec. Et très habilement, le capitaine avait dérivé le sujet vers lui. Alors, il se prit de passion pour son explication, tentant de lui faire comprendre autant que possible, même s’il devait passer pour un vrai nerd (ce qu’il était d’ailleurs, lorsqu’il s’agissait de mathématiques).

« Ooh, les mathématiques servent à plus que cela, vous savez. Elles expliquent l’univers. (Un grand sourire éclaira son petit visage.) Je ne suis pas bon en coréen, mais je suis bon en mathématiques, oui ! Et je vais y arriver… Il s’agit du défi de ma vie. »

Il avait été formaté, depuis si jeune, à ce qu’un jour il brille, résolve l’impossible, détourne toutes les frontières. Son esprit était une porte ouverte sur l’invisible, ce que l’application naturelle ne pourra jamais comprendre. Il n’était que théorie et savoir, enfermé dans le corps d’un jeune adulte de dix-neuf ans. C’est ainsi qu’on l’avait élevé, guerrier de la connaissance, avant même qu’il ne puisse comprendre l’enjeu d’une telle décision. Sa vie était définitive ; il ne pouvait pas faire autrement que de trouver cette malicieuse solution qui torturait l’esprit d’érudits depuis des années. Imaginez, que du haut de son mètre soixante-neuf, derrière ses attitudes d’adolescents en manque d’affection, il soit celui qui remette à leur place ceux qui pensent être intouchables. Des scientifiques arrogants, il en avait rencontré beaucoup, certains ayant même été de ses professeurs. Et toujours, il les avait méprisés. De quel droit se dire si important, alors que les secrets du monde n’étaient même pas à leur portée ? Noy, lui, pouvait presque les toucher. Il ne lui restait qu’un petit pas à faire et bientôt, il sera complètement capable de faire l’impossible.

A sa question suivante, il hocha la tête, expliquant rapidement et maladroitement que son université n’ayant pas forcément les ressources techniques pour l’aider, l’avait envoyé dans la ville la plus haute en technologie du continent. Il n’était pas le seul à être parti à l’étranger à vrai dire. Beaucoup de ses camarades se baladaient en ce moment même au travers du globe pour parfaire leurs talents, leurs expertises, leurs apprentissage, avant de devoir, irrévocablement, revenir au pays. Noy ne voulait pas encore rentrer. Même ce sentiment d’inconfort de ne pas vraiment être à sa place en Corée du Sud, la Thaïlande ne lui manquait pas tant que cela. Comme tout le monde, il affectionnait sa culture et en était même très fier. Seulement, s’il avait la possibilité de choisir, il déciderait d’aller voir ailleurs. Mettre un pied hors de chez lui, lui avait permis d’en apprendre plus sur lui-même, qu’il ne l’aurait fait en restant statique à la même place là-bas. D’ailleurs, peut-être n’aurait-il jamais poser cette question au coréen, attendant une réponse intéressante. Et pour être intéressante, elle l’était. Car il n'était pas du tout d’accord avec lui. Mais il l’écouta jusqu’au bout, comprenant son point de vue, sans pour autant le partager. Il savait que cela provenait des expériences de chacun, qu’il serait compliqué de tomber sur un accord quand les vies divergeaient autant. Mais si l’un pouvait exprimer son opinion, l’autre le pouvait aussi. Et Dak Ho avait voulu en apprendre plus sur lui, non ?

« Mais si vous n’êtes pas responsable de l’erreur ? demanda-t-il, presque innocemment. Si je pouvais remonter dans le temps, je dénoncerais des gens. (Son souffle l’empêcha de tout dire d’une traite et il pencha la tête sur le côté, rassemblant ses idées.) Un de mes professeurs m’a… comment vous dites ? utilisé ? pour du sexe ? Enfin, vous m’avez compris. Je ne pense pas devoir me faire pardonner… »

A douze ans, il avait vécu dans la honte de ses mains glissées sous son short d’uniforme. Et cela, jusqu’à ce qu’il parte de l’établissement, soit quatre ans après. C’était long, lorsqu’on y réfléchissait bien. Et il avait laissé faire. Beaucoup lui diront qu’il avait été utilisé, qu’il était la victime dans l’histoire, qu’il n’était pas coupable, qu’il n’avait rien à se reprocher ? Mais lorsqu’on lui avait fait une proposition, il avait choisi le mauvais chemin, ne sortant pas dans la boucle, pour y rester terré encore un peu plus longtemps. Ses yeux rencontrèrent ceux de Dak Ho, et il se saisit de son verre pour le terminer d’une traite. Venait-il réellement de révéler ça à un parfait inconnu ? Oui. Parce que les erreurs des uns, ne sont pas celles des autres. Dak Ho voulait qu’on le pardonne dans le présent pour continuer son futur. Noy était bloqué dans le passé, des images se superposant continuellement à ce qu’il avait connu. Aléatoirement, il percevait encore la présence, menaçante, de cet homme qui l’avait ruiné. “Ce qui ne vous tue pas, vous rend plus fort.” Il aurait préféré qu’on n’essaye pas de le tuer. Son verre claqua sur la table, terminé.

« Votre théorie ne marche pas pour tout le monde, monsieur. » conclut-il en le pointant du doigt.

Le marin n’était pas le premier à qui il le disait. D’autres avaient utilisé l’information à leur avantage, certains l’avaient consolé en pensant résoudre la situation. Seuls quelques uns n’avaient jamais changé leur manière d’agir, préférant simplement continuer à vivre sans apposer un nouveau poids - celui de la pitié - sur les épaules déjà frêle du mathématicien. Il s’en moquait, si on décidait d’y voir une histoire tragique, ou encore un moyen de se faire passer pour une bonne personne en montrant le respect le plus basique. Noy avait prouvé à Dak Ho que ce qu’il disait ne pouvait pas s’appliquer à tout le monde. Les gens font des erreurs oui. Mais parfois, elles sont irréparables pour l’autre. Noy avait été une victime d’abus, et même si cela s’écrivait au passé, il en était encore une aujourd’hui. Lorsque les mains touchent pour la première fois la chaire, lorsqu’elles malaxent la peau, il est impossible de retirer la marque, celle qui prouve son territoire. Noy avait foutu en l’air la vie de ce professeur. Mais ce n’était qu’une faible vengeance, comparé à l’ombre qui le suivra toute sa vie. Noy se saisit de la bouteille et se versa un nouveau verre.